lundi 20 avril 2020

Je t'appelle pour te dire que mamie est à l’hôpital

J'étais en bénévolat - "Mission d’intérêt général", pour employer les termes exacts. J'ai dégoté une petite mission de couture de masques, et je vais chaque jours, pendant 3h, dans un atelier de bric et de broc installé dans la cantine de l'Association des Paralysés de France, avec les machines à coudre prêté par la MJC. J'aime cet arrangement, je trouve qu'on y voit la bonne volonté des uns et des autres, et les bonnes trouvailles en situation de crise.
D'ailleurs cette mission n'est pas désagréable, même s'il m'a fallu un bon moment avant de comprendre la technique de pliage de l'intissé pour faire le masque - clairement, lorsqu'on fait le même boulot depuis des années, apprendre de nouvelles choses, et se retrouver au même point de départ que tout le monde, ça réapprend l'humilité !
Je portais mon masque, la charlotte obligatoire, il était 14h, j'avais fait plus une vingtaine de masques en un peu plus d'1h, et je me disais « Tu es sur une bonne pente, tu vas cartonner ton record ! » - ce dernier étant de 40 masques en 3h. 

Mon téléphone sonne, je jette un œil, c'est ma mère.
Ma mère, dans l'ehpad où elle travaille, n'a plus de sur-blouses, plus de matériels d'hygiène, et travaille dans des conditions assez précaires. Lorsqu'elle est en congé, elle va aider ses collègues de jour (car elle travaille la nuit). Je dois accueillir le soir même mon frère pour une durée indéterminé, car elle ne veut pas prendre le risque de le garder à la maison et de le contaminer. 
Je crois que cette soudaine et inédite disposition nous laisse tous un peu hébété.
Il doit prendre le train, il n'y a qu'un train par jour, on ne sait même pas si ce qu'on fait rentre dans les "cases" des attestations. 
Mais ma mère est intraitable : elle veut l'envoyer le plus tôt possible.
Pour toutes ces raisons, je décroche immédiatement, et sors de la cantine/atelier de couture.
- J'ai une mauvaise nouvelle, dit ma mère.
La ligne est mauvaise, sa phrase est hachée. Je me dis que le train de mon frère est annulé. Ou qu'un truc s'est passé à son boulot. Ou que le programme change.
- Mamie a fait un AVC. Elle est à l’hôpital.
Je m'affale par terre. 
Je n'arrive pas à comprendre.
A l’hôpital ?
Ce n'est pas le coronavirus ?
Non, tout ne tourne pas autour de cette maladie, contrairement à ce qu'on en pense.
Alors le monde continue de tourner ? Les gens continuent de tomber malade comme avant ? De mourir d'autres choses ?!
- Elle a bien choisi son moment pour faire un AVC ! 
- Mamie a toujours eu le sens de l'à-propos, j'articule difficilement.
Ma mère m'explique qu'en pleine préparation du repas, ma mamie s'est arrêté. S'est assise. Essayait de parler, mais n'y arrivait pas. Mon papy tentait de lui parler, elle le regardait, et n'arrivait pas à lui répondre. Je visualise la scène, et je commence à pleurer. Elle a voulu se lever, et elle s'est effondrée. 
Elle a été emmené aux urgences, et depuis, plus de nouvelles. Impossible de les joindre. Le standard est saturé - ou personne ne répond au téléphone.
Je me dis que je vais y aller, pour soutenir ma mère, mon papy.
Ah, non, on est en confinement.
Qu'est-ce que je peux faire ?!
Ma mère me raconte encore comment ma Tatie, la sœur de ma mamie, qui est fâchée avec elle depuis que je suis gamine (ça doit faire plus de 25 ans qu'elles ne se sont plus parlées), a complètement décompressé au téléphone, et réalise soudain que leur querelle est absurde. « Qu'a-t-on fait, tout ce temps ?! »
Est-ce qu'on meurt, d'un AVC ? Est-ce qu'on est soigné consciencieusement d'un AVC, en pleine pandémie mondiale, quand on a 80 ans ?
J'ai des idées absurdes qui me viennent. 
« Mais... Mamie devait m'apprendre à faire du crochet »
Je me dis que je suis contente qu'elle sache que je l'aime. Je lui dis souvent, et je lui ai dit la dernière fois que je l'ai eu au téléphone.
J'essaie d'imaginer le monde sans ma mamie. 
Comment mon papy ferait ?!
Et puis c'est impossible, c'est papy-mamie. Ce n'est pas l'un ou l'autre !
Et puis je me fustige : « Ils ont 80 ans, tu sais bien que ça arrivera tôt ou tard ! »
Oui, mais elle devait m'apprendre le crochet...

mardi 7 avril 2020

Pesante irréalité


C'est quoi ma vie ? C'est quoi mon quotidien ? C'est quoi le sens de tout cela ? A quoi je sers ? Qu'est ce qui est réel ? Pourquoi je me lève ? 

Trois semaines de confinement.