C'est quoi ma vie ? C'est quoi mon quotidien ? C'est quoi le sens de tout cela ? A quoi je sers ? Qu'est ce qui est réel ? Pourquoi je me lève ?
Trois semaines de confinement.
Sentiment d'inquiétante étrangeté : les rues sont désertes, le monde est en pause... Ah, non, pas chez Leclerc, où toute la lie de la société est venu se masser, se bousculant sans respecter le mètre de distance, sans respecter le fait de n'entrer qu'une personne à la fois, sans respecter les autres... J'en suis ressortie épouvantée, après que trois hommes (dont l'un était visiblement ivre- les deux autres pas beaucoup plus sobres) se soient bousculés, dans une pathétique tentative de début de baston. Trop défoncés, ils ont fini par repartir chacun de leurs côtés.
C'est ça, la société actuellement ?!
J'ai acheté une pile pour ma balance, constatant que j'avais perdu 4 kg depuis le début du confinement. Je fais désormais 49kg - et, non, ce n'est pas assez.
Mais je ne vois pas comment endiguer la spirale.
Evidemment, avec tout ce temps passé chez moi, je m'interroge - enfin, certains jours, je ne m'interroge pas, j'arrive à faire suffisamment de choses pour ne pas avoir à écouter les voix vicieuses dans ma tête.
D'autres jours, je suis trop fatiguée pour courir aux quatre coins de ma maison à longueur de journée, et retourner mon jardin, ou alors les voix parlent plus forts. Et là je me demande le sens de tout ça. Je me surprend à me dire « En fait, il pourrait se passer n'importe quoi dans le monde, je ne le saurais pas ». Mon seul lien avec l'extérieur, c'est mon fil d'actualités. Si mon fil d'actualité prétendait que des dragons survolent Paris, ou qu'on a aperçu des fées en bordure de foret, je ne pourrais que le croire. D'ailleurs, je le croirai - franchement, avec ce qu'on vit, je peux désormais croire n'importe quoi ! Car si on m'avait dit il y a un an « Le monde entier sera sur pause, les avions ne voleront plus, la moitié de la population mondiale sera enfermée chez elle... ». Qui aurait pu croire un truc pareil ?!
J'en viens à me dire que ça pourrait être une gigantesque farce : en fait, il n'y avait rien, pas de virus. Ahahah, la bonne blague, vous y avez tous cru, avouez ! Elle était bien bonne !
Je suppose que c'est pour ça aussi que quasi aucun quotidien n'a fait de poissons d'avril cette année - on aurait été foutu d'y croire.
Je perds pied avec la réalité, et ça m'amène à me demander pourquoi - ou, en d'autres termes, qu'est ce qui représente ma réalité ?
Je suppose donc que ma réalité est dehors.
Ma réalité, c'est le mouvement du monde.
C'est aller au travail, et faire des choses qui me semblent avoir du sens - même si aujourd'hui, avec toutes les annulations et un télétravail qui ne mène à rien, l’intérêt de mon job me semble soudain fragile. Est-ce que je me suis trompée dès le départ, et que mon travail n'a pas d’intérêt ?
Ma réalité, c'est les autres. C'est côtoyer des gens, parler, avoir des amis, des connaissances, des interactions.
Ma réalité, et surtout ce qui me tiens debout, c'est la perspective que la vie peut me surprendre, que quelque chose peut m'arriver. C'est le côté imprévisible du quotidien. Les multiples rebondissements de l'existence.
... Désormais, quelle surprise peut-il y avoir, dans une vie confinée, dans une journée routinière ?
Je fais des choses, mes journées ne sont pas assez longues, et pourtant, plus je m'évertue à remplir mes journées, plus ça me semble vain. Vivre pour moi même, déconnecté des autres, de la vie de ma cité, de la vie culturelle... Quel intérêt ? Je suis un animal social. J'ai besoin des autres.
J'en veux aux autres. J'en veux au monde. Je m'en veux. Je me dis que je vais tout changer : Quitter ma ville, vendre la maison. Couper avec mes amis. Couper les ponts avec tout ceux que je connais. Disparaître. Prendre un nouveau départ. Quitter mon job qui ne sert à rien. Commencer autre chose. M'installer dans une plus grande ville, où il y a une vie intellectuelle digne de ce nom. Faire table rase du passé, tout incendier, et aller ailleurs. Ne serait-ce pas ce qu'il y aurait de mieux à faire ?! Si je suis une autre personne, dans un autre endroit, peut-être que tout serait différent ? Et que je pourrais être heureuse ?!
Et puis je me souviens qu'on est en confinement, et que de toute façon, je ne peux rien entreprendre.
Et puis je me souviens qu'on ne peut pas être une autre personne juste en changeant le décors. Et que ce n'est certainement pas comme ça qu'on peut être heureux.
Et puis je me dis que mes réflexions sont aussi irréalistes que la situation. Et je ne sais plus très bien ce que je dois faire ou penser.
Alors je me dis que je vais attendre demain. Peut-être que je penserai différemment demain ? Ou après demain ? En tout cas, ce sera des jours qui seront passés.
Mais quel est le sens d'une vie où l'on attend juste que le temps passe ?! La vie est précieuse, alors n'est-ce pas du gâchis, que de vouloir qu'elle passe plus vite ?
J'ai bien du mal avec ce confinement.