vendredi 29 octobre 2021

Fragment(ée)s (5)


Retrouver le goût de vivre

 C'est une petite fille qui me fait renaitre à la vie : Lara m'invite à l'accompagner à une séance de bébés nageurs avec sa fille, qui a désormais 9 mois. Je suis rentrée (trop) tard la veille (et bourrée) (et j'ai voulu me raser les jambes et c'était une idée de merde), mais je me lève le dimanche matin à 7h pour vivre l'expérience.

Les mamans sont superbes, les papas sont beaux, parfois il y a les grand-parents. Les enfants barbottent dans un grand bassin plein de jouets, il y a des bébés qui ne tiennent pas assis mais qui rient dans les bras de leurs parents, d'autres qui se laissent voguer, heureux, dans des bassines qui flottent, ou qui jouent sur des tapis en mousse qui font office d'îles colorées. La petite de Lara est aux anges, et nous offre ses sourires où pointent deux petites quenottes toutes neuves. 

Je réalise que ça fait une petite éternité que je ne me suis pas sentie heureuse d'être en vie, reconnaissante des petits bonheurs ordinaires.
Cette expérience me fait retrouver ce sentiment de reconnaissante : être en vie, et vivre le moment.

Expérience théâtrale.

J'ai acheté une dizaine de spectacles de la nouvelle saison. Ce soir, c'était mon premier spectacle. J'embarque une copine de mon groupe de méditation, et nous voilà à nous rendre à cette représentation dont on ne sait rien, qui se passe, étonnamment, dans un hôtel de luxe.
Nous sommes tous installés dans un hall, où une mégère nous houspille et nous insulte, et nous fait mettre en ligne pour que des acteurs, habillés comme des grooms, nous emmènent chacun notre tour dans une chambre.  
Pour quoi faire ?!
On n'en sait rien et on tremble, d'autant plus que la mégère vocifère à qui mieux mieux.
- Toi, là, la bonne élève ! Tu te mets là ! Et avec ton ruban dans les cheveux, tu es ridicule ! Et adorable. Ridiculement adorable !
- Mais... J'ai jamais été une bonne élève....
- On s'en fout !
Un groom armé d'un fouet m'embarque. 
Je n'en mène pas large.
Dans la chambre, de grands voilages sont tendus au dessus du lit, il y a des fleurs accrochées après, et des petites guirlandes lumineuses.
"Allonges toi"
Je panique un peu, je lutte contre la tétanie, et je m'allonge gauchement.
Le type s'étend à mes côtés - la cinquantaine, une voix de stentor, des battoires à la place des mains, un air de dresseur de fauve. 
Et se met à me déclamer une poésie. 
Allongée, je regarde les fleurs et les lumières, pendant que le type termine par "Je t'aime, je t'aime".
J'ai les larmes aux yeux, et je sais que mes joues sont rouges. Etrange sentiment, mélange de conscience que tout cela est un spectacle, beauté des mots, superbe poésie, sublime déclamation, excellent acteur, et des mots qui font tellement de bien. Le type ne m'effleure pas (ma copine me dira que, avec elle, il a joué avec ses mains, j'en ai déduit que je ne dégageais pas quelque chose d'assez tranquille pour qu'il se sente libre de le faire. - et heureusement qu'il s'est abstenu).
Qu'importe : c'était superbe.

Je ressors de la chambre enchantée, et remercie chaleureusement le dresseur de fauve.
Au fur et à mesure que les gens ressortent, le même enchantement se lit sur leurs visages. Nous continuons de nous faire houspiller par la mégère, mais cette fois, nous sommes prêt pour un 2nd tour.

Je suis emmené par un très, très beau gars (assurément gay). Il m'emmène au premier, dans une chambre emplie de ballons. 
"Ce sera la chambre Gainsbourg". 
Il me fait allonger sur le canapé, et plonge ses yeux dans les miens, en déclamant "Puisque je te le dis".
Au milieu, il éteint la lumière, et m'embarque. Debout, il pose ma main sur son cœur, qui bat la chamade, puis m'allonge sur le lit, et termine sa chanson-conté. A quelques centimètres de mon visage, il murmure "je t'aime".

On ressors, il me raconte la genèse de ce morceau, je le remercie avec effusion.

Cette pièce, qui n'en est pas une, sorte de happening poétique et théâtral, est juste une expérience incroyable.

On prend un petit verre avec ma copine, et je salue les membres de l'organisation que je connais.
Quelques acteurs nous rejoignent, et discutent. 
Ils nous racontent des anecdotes : une femme qui a eu un fou rire nerveux, et qui ne parvenait pas à s'arrêter. Un mec qui a interrompu celui qui m'a déclamé du Gainsbourg pour lui dire "Oui, bon, c'est sympa ton truc, mais on a 5 minutes, ça te dirait pas qu'on baise ?". Une femme qui s'est mise à pleurer, incapable de gérer l'émotion, et qui a souhaité arrêter. 
Ils nous expliquent à quel point c'est également très intimidant pour eux, même si l'expérience est formidable, qu'ils adorent et qu'ils s'éclatent aussi. "Mais c'est beaucoup, beaucoup plus difficile que d'être simplement sur scène !".
Et mon deuxième acteur, de se tourner vers moi :
- D'ailleurs je suis désolé, je suis très mécontent de ma prestation avec toi !
- Ah bon ?! Pourquoi ?
Tu m'as impressionnée. J'ai pas réussi à être naturel
-  Ah bon ?! Mais...
- Je voulais absolument tout donner, ne pas te décevoir, parce que quand je t'ai vu, je me suis dit que tu avais l'air super sympa, et gentille, et je voulais que ça soit parfait, et du coup je me suis mis la pression, et... je ne suis pas du tout content. J'ai complètement perdu mes moyens. J'étais trop impressionné
Embarrassée, je laisse échapper un rire incrédule :
- Ah ben c'est bien la première fois que j'impressionne quelqu'un, tiens, ça me fait plaisir !
Pendant ce temps, ma pote me secoue le bras (après m'avoir broyé les cotes) en hurlant à l'acteur "Mais t'as tout à fait raison, c'est tout ce qu'elle est, super sympa et vraiment gentille ! Elle est trop chouette !".
(Je lui chuchote : "Du calme bichette, il vient de nous ire que ça fait 16 ans qu'il est avec son mec, mon gaydard est infaillible")

Je suis extrêmement flattée, bien qu'embarrassée, d'avoir réussi à autant impressionner un homme, qui plus est acteur professionnel, qui plus est on ne peux plus homo, au point qu'il en perd ses moyens, alors que dans l'ensemble je lui ai juste dit "Bonjour" et "D'accord".
Et qu'il voulait absolument tout donner avec moi. 
La question se pose encore et encore : mais en fait, je suis qui, et qu'est ce que les gens voient ?

En tout cas nous ressortons enchantées par l'expérience (et un peu pompettes), ce mélange de théâtre d'impro et burlesque avec la mégère, et ce shoot de déclarations d'amour

Je me suis inscrite à un atelier, animé par les deux créateurs de ce spectacle, où l'on doit monter, en groupe, un spectacle en quelques séances - puis le jouer. Ce sont deux "vieux de la vieille" du théâtre, des créateurs réputés et reconnus, bardé de récompenses. Plus que jamais, j'ai hâte de vivre cette nouvelle expérience.

Les projets

Je deviens modératrice, pour des rencontres dans un festival littéraire que j'idolâtre : un rêve qui devient réalité.
... Et un défi gigantesque, une pression monstrueuse.

Je le sais depuis déjà quelques temps (et je devais en parler dans un article, mais il fait partie de cette dizaine que je n'ai jamais réussi à finir), mais désormais j'ai mon programme. Ma charge de travail (bénévole, bien sûr) : 5 6 rencontres, avec à chaque fois au moins 4 livres à lire pour la préparer. Soit plus de 20 livres à lire en 1 mois. 
En plus de mon travail.
De mes locations.
Du projet théâtral.
De tout le reste.
Est-ce que c'était judicieux de faire ça maintenant ? Mille fois oui. Je retrouve gout dans le travail, je sais pourquoi je me lève le matin. 
... Pour l'instant du moins. 
Et pourtant, je réalise peu : le choc, en voyant mon nom et ma photo apparaitre sur le site. 
La surprise, devant le magazine de la ville qui me consacre une double page. 
La gêne, lorsqu'il faut répondre à une interview radiophonique. 
La trouille de me planter, de décevoir, de ne pas être à la hauteur... Et pourtant, pour cette mission spécifiquement, je sais que j'en suis capable. Et même, peut-être, que je serai bonne à ça.
Je reste interdite à nouveau en voyant le programme sur internet : "Avec Mademoiselle B.". "Oh putain, c'est moi !"
Lorsque je reçois le programme papier, ou mon nom apparait en rose, les larmes à nouveau.
Tellement, tellement d'émotions.
Ma boite aux lettres déborde d'ouvrages envoyés par les éditeurs, accompagné de petits mots courtois, ou adorables.
 
Je pourrais penser que je suis passé dans une autre dimension - et pourtant, je reste bien ancrée dans mon présent, et je suis juste infiniment reconnaissante, et heureuse que tout mon travail ai pu me conduire à cela. Cette place, je le sais, je ne l'ai pas volé.

Insomnie

Je me tourne et me retourne. Je suis épuisée, et pourtant, impossible de dormir.
Je pense à ma fatigue.
Je pense au fait que j'ai pris dix kilos, et que désormais je fais mon âge - voir plus. On m'a donné quarante ans, il n'y a pas si longtemps. 
Un an en arrière, on m'en donnait 25.
Je pense aux gens qui ont morflé, comme moi et que j'observe quotidiennement. Combien d'entre nous se sont fanés, ces derniers mois ?
Je pense aux raisons pour lesquelles je suis cassée, flétrie.
Non, pas aux raisons : aux personnes.
Je me remémore ces hommes que j'ai voulu tuer. Dans un monde parallèle, peut-être suis-je une meurtrière. Pour avoir bossé quelques mois en prison, j'ai observé que bien souvent, ce sont des accidents de parcours qui mènent les gens derrière les barreaux, et que rien n'est aussi simple que "il y a des méchants et des gentils".
Je réalise que je les aurais tous tués différemment.
Charles-Henri, je l'aurais poignardé dans le cœur - une fin aussi brutale et violente que la façon dont il m'a quitté.
Miguel, j'aurais flanqué sa voiture dans un camion - une disparition aussi spectaculaire que rapide, à l'image de notre passion éphémère séparée par l'océan Atlantique.
Isaac, je l'aurai étranglé lentement et fermement - à l'image de ces longs mois à étouffer et me déliter.
Suis-je une psychopathe qui s'ignore ? 
Probablement que non : ils sont toujours en vie, après tout. Certes, je n'en ai revu aucun après la rupture... Qui sait, finalement ?!

Deuxième massage thaï

Après la course, j'estime que j'ai mérité un nouveau massage, au même endroit que la dernière fois.
J'apprécie plus.
J'ai moins mal 
Je réalise que sous les doigts de cette adorable thaïlandaise, j'oublie la laideur de mon corps. Elle masse mes cicatrices, je ne me suis pas épilé, j'ai recommencé à me gratter l'intérieur des cuisses et j'ai des plaques violettes là où j'ai gratté trop furieusement... Mais j'oublie. Elle s'en fiche - du moins c'est ainsi que je le ressens, sans pouvoir expliquer pourquoi. Je profite juste de cette heure et demi, pour me reconnecter, me détendre, et oublier que je suis grosse et que je dégouline de partout.

La peur

Chaque jour, je pense au Joueur d'Echecs.
Je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il joue aux échecs, et que moi je les collectionne.
Pas la même chose.
Le matin je regarde le ciel, et je me dis que je vais lui écrire. Que c'est idiot, d'être paralysé par la peur. Que c'est rageant, que mon passé définisse mon présent.
Et puis le soir, éreintée par ma journée, blessée par mes rapports avec les autres, à vif, je me renferme, je me dis que non, les hommes c'est être blessée, trahie, humiliée, et que tout est mille fois plus compliqué et douloureux avec quelqu'un dans sa vie. Je fais taire la petite voix qui parle des points positifs, car pour moi, ça n'en vaut pas le voyage.
Ce matin là, j'ai eu ces pensées là en regardant le ciel, étonnamment bleu.
La journée fut pareillement épuisante, les deadlines se rapprochent, je suis débordée, les collègues tombent comme des mouches.

Je rentre heureuse d'avoir une mini soirée pour moi, quelques heures avant l'arrivée de nouveaux locataires. (J'en suis à pleurer de reconnaissance si j'ai 2h de liberté dans une journée)
Au volant de ma voiture - LA, EXACTEMENT ICI : tout se décide à ce moment.
Ca me frappe : ça s'arrêtera ici. 
Cette crainte irraisonnée, alors que le type me plaît.
Ce présent tremblant et hanté des évènements d'il y a un an, ce deuil de .. de quoi d'ailleurs ? De celle que j'étais alors ? De ma candeur ? De mon corps de jeune fille ? Ce deuil qui n'en fini pas, au point que je n'envisage même pas un simple contact, une amitié possible. 
Ça s'arrête là. 
Je m'arrête, j'écris un texto. 
Long, le texto. 
Et avant d'être engloutie par l'angoisse, je l'envoie.

Voilà, c'est fait 

... 3 semaines trop tard, sans doute. 
A sa place, je hausserai un sourcil et supprimerai le texto. Même dans mon propre espace temps, qui est en dehors du rythme trépidant du monde, j'ai beaucoup trop tardé.
À sa place, je ne répondrai pas.