Suite et fin du périple. J'ai tardé à écrire la suite, car tant qu'elle n'était pas écrite, elle était toujours là, comme une page ouverte. Laisser le texte inachevé, c'était ne pas le ranger dans le passé...
Les précédents épisodes sont ici :
Voyage en Afrique, partie 1/3 : Le cas de Mister Perfect
Les précédents épisodes sont ici :
Voyage en Afrique, partie 1/3 : Le cas de Mister Perfect
Nous sommes ensuite partie pour Mbour. On a pris un ″taxi
7 places″,
qui nous a coûté quatre fois moins cher que notre trajet Aller, alors qu'on
allait plus loin. Énervement de réaliser qu’on s’est fait arnaquer bêtement
depuis le début.
On arrive à Mbour, le taxi nous dépose n’importe où. «
C’est bien le stade ça ? »
« Oui oui »
« Allo Neveu ? Le stade est bien entre l’hôtel de ville
et la police ? »
« Pas du tout. Mais c’est pas grave, je viens vous
chercher »
Foutus taxis.
Le temps que Neveu arrive, on est entouré de gosses qui
nous réclament de l’argent. Mister Perfect, excédé, sort des gâteaux et
commence à manger. Je suis choquée qu’il fasse ça devant ces gosses crasseux
qui ne mangent probablement pas à leur faim. Mais je ne sais pas trop quoi faire,
et je panique qu’on nous vole un truc si je ne fais pas gaffe aux bagages.
Sur ces entrefaits, Neveu arrive. Je sens qu’on passe un
niveau social : il roule avec un gros véhicule, quasi neuf (qui a moins de 10
ans en France quoi). Les ceintures de sécurité fonctionnent à l’arrière (je
crois que c’est la première fois du voyage). Il a un chauffeur.
Il nous emmène dans la maison où on va loger. Un grand
bâtiment de 3 étages, qui appartient à son meilleur ami. Nago, prof de danse
africaine réputé en Allemagne, où il vit la moitié de l’année.
Les gens d’ici semblent idolâtrer ce mec. Quand on
arrive, il est dans un petit salon avec des tas d’autres gens, qui l’écoutent
religieusement pendant qu’il parle. Je flippe un peu : on est tombé dans une
secte ou quoi ?
Il vient nous saluer.
« Tu fais de la danse ? »
« Non »
« Ah, c’est dommage. La danse permet de faire bouger le
corps, et ça laisse de la place à l’âme. On oublie ça en Europe. On est pressé,
on se noie dans les soucis, on oublie son âme. Et ensuite on finit en
dépression.
Il serre ma main à ce moment, et la retient dans la
sienne, en me fixant dans les yeux.
« N’est-ce pas ? »
Je suis forcé de soutenir son regard, et je le dévisage
avec incrédulité, surprise… Et surement une pointe de culpabilité. Je finis par
lâcher un petit « ….oui », et il éclate de rire, me lâchant la main.
Et là je me dis « Oh bordel, encore un mec qui va lire en
moi comme dans un livre ouvert, qu’est-ce qu’ils ont tous ?!
On va déposer nos affaires dans une chambre sur la
terrasse, une pièce vide avec juste un matelas au sol. Ça ira bien. Il y a une
salle de bain à quelques mètres de la chambre. Il n’y a pas d’eau. Mister
Perfect crise un peu (d’autant plus que sa crème de merde qu’il étale comme un
foufou a fini par peler sur sa peau sale. Il m’engueule de ne pas l’avoir
prévenu. Je lève les yeux au ciel); moi j’ai fini par m’y faire.
On redescend, on est invité à manger dans la maison
familiale de Neveu, qui habite à quelques rues de là.
On s'installe en rond dans la cour, autour d'un
gigantesque manguier. On discute. Il y a des enfants, des adultes. Un vieillard
passe. Neveu nous dit qu'il ne connait pas cette personne, mais que c'est comme
ça ici : on accueille. Il nous dit que sa maison se remplit aux heures de repas
- et puis ensuite, tous ces "invités", tolérés parce que c'est la
culture qui veut ça, s'éparpillent comme une volée d'étourneaux. Il nous dit
qu'en Afrique, les gens sont pauvres parce que leur salaire sert à entretenir
des familles gigantesques.
Je lui demande quels sont ses enfants, parmi tous ceux
qui sont là.
- Aucun. Je n'ai pas d'enfants.
Situation complètement inhabituel pour un sénégalais. Je
suis surprise, et j'en oublie la délicatesse :
- Quoi ? Tu n'as pas d'enfants du tout ?!
Et puis je réalise. Et je m'en veux. Il confirme ce que
j'avais deviné :
- On ne peut pas en avoir. Problème gynécologique.
Je ne sais pas si je dois m'excuser ou compatir. Je ne
sais pas quoi dire. Alors je garde le silence.
Au bout de quelques instants, il explique qu'il aurait pu
faire un deuxième mariage - sa religion l'autorise. Mais il me dit avec un
petit sourire qu'il n'a pas voulu. Et puis il dit que finalement, tous les
enfants qui viennent ici sont un peu les siens, quelque part.
On mange à l'Africaine, tous autour du même plat, avec
une cuillère. Je souffre : c'est un Tien bou Dien, un plat de riz au poisson,
et je déteste le poisson. Alors je prends des cuillerées de riz, le plus loin
possible du poisson, et je mange lentement, avalant très vite lorsque le gout
est perceptible et me file des hauts le cœur. Ils ne boivent jamais en mangeant
là-bas, je ne peux même pas faire la technique "une cuillère-une
gorgée". Je me concentre très fort pour ne rien faire d'impoli ; difficile
de tricher quand on mange tous dans le même plat.
Malgré ce petit moment de solitude, j'adore cette façon conviviale
de manger.
A la fin du repas, on boit un thé à l'Africaine : un thé
à la menthe très infusé, très sucré, à l'apparence assez trouble. On continue
de discuter. On est bien, ici. On pourrait s'endormir, à l'ombre des feuilles
du manguier, dans la douce chaleur de l'après-midi. Les enfants sont partis.
On retourne à notre chambre, la femme de Neveu nous
rejoindra en fin d'après-midi pour nous emmener au marché. Je voudrais trouver
du tissu africain, du Wax. On aimerait aussi pouvoir acheter des fruits.
En attendant que le temps passe, on s'assoit dans la
chambre et on discute. Je me sens nettement plus sereine, impression d'avoir
enfin trouvé de la sécurité dans ce voyage. Mister Perfect est également
enchanté de notre arrêt ici.
Au marché, c'est l'effervescence. Un monde incroyable, un
bordel sans nom, parfois une saleté repoussante. Et une odeur. Je ne sais pas la
définir, mais je sais que je la connais, qu'elle est ancrée dans mes souvenirs
; je connais cette odeur. Elle remue de vieilles choses en moi. Mélange
d'épices, de nourriture, de détritus, des corps autour de moi. L'odeur de
l'Afrique, telle que je m'en souviens. Je répète comme une automate "Cette
odeur, bon sang !".
Je trouve du tissu magnifique pour une bouchée de pain,
et puis on goute ce qui va devenir notre plus grosse dépendance du reste du
voyage : le café Touba. On avait décliné lorsqu'on nous en avait proposé la
première fois : préparé au bord de la route, dans des conditions d’hygiène douteuses,
à la couleur un peu trouble, on avait préféré s'abstenir. Là, la femme de Neveu
a insisté. Une gorgée; et j'ai l'impression que mes pupilles se dilatent
tellement je tombe amoureuse de ce breuvage : C'est fort, c'est sucré, c'est
chaud, c'est épicé. Délicieux.
On rentre du marché heureux. On se donne rendez-vous le
lendemain pour aller au marché des artisans.
L'eau est revenu lorsqu'on rentre, et Mister Perfect
disparait dans la salle de bain. Moi je sors prendre des photos de la terrasse
et des environs, et j’envisage de me mettre au soleil pour écrire un peu.
Pendant que je prends en photos les toits, j'entends un petit : "Hallo
!"
Je découvre 4 allemandes, assises sur une natte. On
commence à discuter en anglais (puisqu’en allemand, mon vocabulaire se limite à
« Rayon de soleil » et « merde », avouez qu’on n’ira pas bien loin comme ça).
Elles m’offrent des « African’s sweets », qui sont des sortes de beignets très
sucrés et très bon, et un verre de bissap). Elles viennent de finir 3h de
danse, et prennent une collation bien mérité. Elles me demandent si je vais
danser ; je n’en sais rien, mais l’ambiance du lieu, leur accueil, et Nago, me
donne envie de tenter. Je me demande si c’est abuser de la situation que de
m’incruster dans leur stage.
Le soir, repas tous ensembles sur une natte, dans le
couloir au rez-de-chaussée. On se regroupe autour d’un plat, et on mange. On
discute, il y a de l’anglais, de l’allemand, du français, du wolof. C’est
coloré, c’est chaleureux, et malgré les langues qu’on ne comprend pas, on se
sent intégré et serein.
Nago nous parle de sa vision de l'amour, et de ses
enfants. Il pense que l'amour et le désir de possession sont deux choses
différentes, qu'il ne faut pas mélanger. "Tu ne m'appartiens pas, et je
n'appartiens qu'à moi". Dans sa vie, si sa compagne le trompe, et qu'elle
revient, il va pardonner. Au contraire, il va même être flatté "C'est
qu'elle avait besoin de ça pour voir que je suis meilleur pour elle, et que
c'est moi, qu'elle aime".
Et puis si un jour elle ne l'aime plus, alors il
"transformera" ses sentiments, il l'aimera toujours, mais autrement.
Parce que "elle ne m'appartient pas".
Je suis complètement d'accord, moi la fusionnelle, moi la
jalouse, celle qui lutte contre cette nature. J'aimerai juste le vivre aussi
sereinement. Même si, lorsqu'on en parle, je pense au mec-de-la-salle : il y a
peut-être d'autres filles, mais il revient vers moi, et c'est tout ce qui
m'importe. Peut-être que ce n'est pas si compliqué, d'aimer l'autre sereinement.
Mister Perfect, qui ne jure que par l'exclusivité
absolue, est scotché. Il comprend. Mais il se sent à mille lieux de ça.
Je sens que Nago se demande la nature de notre relation,
à Mister Perfect et moi. J'ai l'impression qu'il nous prend pour un couple,
mais qu'il sent qu'un truc ne colle pas. Je trouve ça drôle. Il ne nous demande
rien franchement. Alors je ne dis rien non plus.
Nous nos couchons épuisés. Malheureusement, vers 4h du
matin, nous réalisons qu’on est juste à côté d’une mosquée. L’appel à la prière
commence, on sursaute, ça dure 20 secondes. On ricane « Lui aussi, il s’est dit
que c’était plutôt l’heure de dormir ! ». Tu parles : 5 min plus tard,
l’appel reprend, plus fort, et… dure une bonne heure.
En désespoir de cause, on discute, on va faire le petit
pipi de la nuit, et « Oh t’as vu, le ciel est superbe ! », parce qu’il est
juste impossible de dormir.
Le lendemain matin, on fait un peu la gueule. Je me
tourne vers Mister Perfect, et me rendors contre son dos. Je ne sais pas ce qui
m’a pris, envie soudain d’être contre lui. Il reste immobile contre moi. Et
puis on fini par se lever.
Au petit déjeuner, de nouveau on se regroupe tous
ensemble, assis par terre sur des nattes autour de pain, de fruits, de thé.
J’angoisse un peu : est-ce que j’assiste au cours de danse ? En ai-je le droit
? Les allemandes me redemandent.
A 10h, je suis sur le toit, dans l’espace dédié au cours.
Stressée. Anxieuse. Et pourtant impatiente et curieuse.
Le cours commence. Il va durer plus de 2h. 5 musiciens
sont là, et jouent du djembé. Nago montre quelques mouvements, que l’on intègre
petit à petit, puis qui vont former un véritable enchaînement. Et on va danser,
danser, danser, sur le toit de Mbour, sous le soleil du Sénégal, au son des
djembés. La danse africaine est assez intuitive, pas très compliqué. Nago
insiste d’ailleurs beaucoup là-dessus « Ta tête a compris le mouvement, c’est
bon. Maintenant laisse ton corps prendre les rênes ! »
Et plus je danse, avec ces mouvements libérateurs, plus
j’ai l’impression de me nettoyer de mes idées noires, et de la chape de plombs
qui pèse sur ma tête. C’est extraordinaire : C’est comme si je sentais
physiquement le fait d’ouvrir une porte en moi, comme si j'arrachais mes nuages
noirs à mains nues.
Après le cours, c’est l’heure du repas. Et à la suite du
repas, on va à la plage avec deux des allemandes. Nago interpelle Mister
Perfect lorsqu'on part : « Sais-tu que c'est une bonne danseuse ? ».
Je suis gênée, bien que flattée. Mister Perfect répond du tac au tac « Je
n'en doute pas un seul instant ».
Nago a négocié avec un grand hôtel, et on peut utiliser
leur plage privé gratuitement. C’est un paradis. On se baigne, on se pose au
soleil, et je me dis qu’on pourrait rester là tout le reste du voyage : de la
danse, du soleil, la plage, puis encore de la danse. Programme de rêve.
Mister Perfect lui, commence à prévoir les jours suivants
: il veut aller ici et là, dormir dans le désert, et repartir à Dakar, et puis…
Mais moi, est-ce que j’ai envie de tout ça ?
On rentre en fin d’après-midi. Le cours de danse commence
à 17h, et je regrette de ne pas y assister. Mais je m’étais engagé pour aller
au marché des artisans avec la femme à Neveu.
On va donc dans un petit marché caché dans un labyrinthe
de ruelles. J'achète quelques statuettes en bois pour mes amis. Mister Perfect
se lâche complètement, et achète des tas de bibelots.
Quand on revoit Neveu le soir, il me taquine « J'ai
lu dans le journal qu'on avait une grande danseuse ici. Il y a eu un article,
parait que tu danses très bien ». Je ris. Il a cette attitude moitié
taquin, moitié réservé, et je sens qu'au fond, c'est un ours au grand cœur.
Grande bouffée d'affection pour lui.
Le soir, au repas, j'ai faim. Une faim que je n'ai pas
ressentie depuis des mois. Je dévore le plat, je picore voracement la pastèque
servit en dessert dans un grand plateau commun. Je me détache complètement des
conversations. Je redécouvre le plaisir de manger. Mister Perfect discute avec
une des personne qui navigue dans la maison, et qui est organiseur de voyages.
Il veut dormir dans le désert de Lompoul, il veut faire le lac rose, et les
marchés de Dakar. Il reste 2 jours et demi. Et moi j'ai juste envie de rester
ici.
Le soir je discute avec Nago, pendant que Mister Perfect
se douche (surement) (de toute façon quand il est introuvable, c'est qu'il se
douche encore). Il sent que je n'ai pas envie de partir. Il rit - de toute
façon il rit tout le temps. Il me dit que c'est à moi de faire mes choix. Qu'il
serait ravi que je reste. Qu'il trouve dommage que je sois arrivé si tard « J'aurais
aimé qu'on ait plus de temps pour parler, pour se connaitre ».
Je me sens écartelé. Mister Perfect est déjà en train de
se projeter sur les 3 prochains jours, il me demande mon avis, fait des plans.
Moi je me demande s'il m'en voudrait, que je le lâche et que je le retrouve
dans 3 jours à l'aéroport.
Je me dis que le lac rose et les marchés, ils seront
toujours là. Qu'en revanche, l'expérience d'un stage de danse africaine sur les
toits de Mbour, en allemand, c'est nettement plus unique. Que la nuit dans le
désert, ça ne m’intéresse pas - j'aurais froid, et ça coute trop cher.
J'y pense le soir, avant de m'effondrer de sommeil. Je
cogite entre 4h et 5h, pendant que le muezzin déclame son appel à la prière. Je
me dis que ça, par contre, ça ne me manquera pas, ça me flingue complètement le
sommeil.
Au petit déjeuner, je me tape une baguette à moi seule.
Des fruits. Du thé. Du fromage. Mister Perfect est interloqué : "Mais
comment un tel volume peut physiquement rentrer dans ton estomac ?!". Je
n'en sais rien. Je sais juste que j'ai faim.
Je décide de continuer le voyage avec Mister Perfect. Je
veux voir le lac rose, que je voulais voir lorsque j'étais venu ici étant
enfant. Envie de voir encore des nouvelles choses, avant de repartir. Une
journée de plus à Mbour ne changera pas grand-chose. Une partie de moi est
déchirée, mais j'ai pris ma décision.
J'ai insisté pour qu'on reste jusqu'en début d'après-midi
pour faire le cours de danse. Je me donne à fond, puisque c'est le dernier.
Aujourd'hui, il y a 6 ou 7 musicien et Nago accompagne les djembés en chantant.
Je pense que la musique doit s'entendre dans toutes la ville. Les gosses du
village arrivent en courant dès qu'ils sortent de l'école, comme une volée de
moineaux.
Je prends 5 min pour m'asseoir dans un coin, et embrasser
cette scène. J'aimerai graver dans ma mémoire cette musique, les visages, les odeurs,
la sensation qui m'étreint en ce moment.
Une des allemandes vient me chercher, m'aide à me relever
en souriant, et on recommence à danser.
Mister Perfect est encore en train de chercher comment
s'organiser sur les prochains jours du voyage, pour réussir à caser tout ce
qu'il veut faire, et surtout la nuit dans le désert.
On prend un dernier repas tous ensemble. Je suis encore
un peu triste de quitter cet endroit, mais enchantée ; j'ai des bouffées
d'affection pour tout le monde, et je me sens pleine de gratitude.
On laisse de l'argent à Neveu et à Nago en partant, ainsi
que des fruits.
On reprend un taxi, direction Dakar, où "Tonton
Ti" doit nous prendre en charge. Le taxi qu'on a trouvé est juste une
épave : le pare-brise est dans un état lamentable, les portes sont
dépenaillées, aucune ceinture de sécurité ne fonctionne, le tableau de bord est
mort. Soudain, la voiture s’arrête ; le chauffeur, hilare, se retourne et nous
dit « Vous allez rire, j'ai oublié de mettre de l'essence avant de partir.
Et j'ai pas de voyant pour l'essence, le tableau de bord ne fonctionne pas ! ».
Il part dans un marché, de l'autre côté de la rue, et s'y perd pendant 5 min,
avant de revenir avec un bidon d'essence. Avec un autre gars, ils se mettent à
découper une bouteille d'eau pour en faire un entonnoir à l'aide d'une machette
qu'ils ont dans le coffre (!). Resté dans la voiture, nous sommes dans nos
petits souliers. Ensuite ils se mettent en quête de transvaser l'essence dans
le réservoir. Mister Perfect n'arrête pas de dire « Mais ils n'y
arriveront jamais comme ça ! Ils vont en mettre partout ! ». Et on retient
notre souffle, parce que les deux ont la cigarette au coin des lèvres en
faisant ça.
Un vrai sketch. Mais au final, ils s’en sortent, et on
est toujours vivants. Je glisse à Mister Perfect, qui se plaint depuis le début
du voyage que ma malchance caractérisé lui pourrit son habituel bonne étoile :
« Ta bonne étoile est en fait débordée à nous garder en vie, elle fait
bien son job, elle a juste pas le temps pour les détails ». On se gondole
silencieusement comme deux imbéciles.
On arrive enfin à Dakar, à "Patte d'Oie", que
l'on comprenait "Padoua" depuis le début. On trouve Tonton Ti, qui
nous emmène dans un hôtel, et nous réclame de l'argent (on s'est un peu fait
avoir sur ce coup-là). Hôtel assez cher, à l’européenne, avec wifi,
l'électricité, de l'eau, et même de l'eau chaude. Je suis presque déçue de ce
retour à la civilisation. Toutefois, les 20 min que je passerais ensuite sous
une douche brûlante, à nettoyer la crasse de ma peau et la poussière de mes
cheveux seront justes extatiques.
Vu qu'on a du wifi, je perds complètement Mister Perfect,
qui se met à écrire fébrilement à tous ses contacts FB, y compris sa copine. Il
me saoule, et j'ai hâte qu'il aille faire sa nuit dans le désert.
On va se balader dans le quartier, à la recherche d'un
distributeur, car son craquage au marché des artisans à vidé nos réserves. On
en profite pour acheter un verre de café Touba, vendu sur le bord de la route.
Là on commence à paniquer : il a atteint son plafond
de retrait, et moi je ne peux rien retirer parce que je n'ai plus d'argent sur
mon compte. Finalement, on trouvera à s’arranger avec ma mère pour qu’elle
renfloue mon compte.
Mister Perfect
continue d'essayer de prévoir sa nuit dans le désert, mais finalement il
préférera laisser tomber, pour éviter de trop courir après le temps. Je suis
moitié déçue de ne pas avoir une nuit pour moi, et moitié soulagée de ne pas
avoir à me balader seule dans les rues.
Le lendemain, on va prendre un café Touba, avant d'aller au
Lac Rose, où l'on se baigne, et où on rencontre des travailleurs. On parle avec
un homme très beau, qui passe plus de 8h par jour dans l’eau salé à soulever
des kilos et des kilos de sel pour un salaire de misère. On lui laisse un peu d’argent
(environ 7,50€) pour le remercier de sa gentillesse, et on apprend qu’on vient
de lui donner la moitié de son salaire de la journée. Ça calme.
Le lac rose, et des montagnes de sel |
A midi on mange dans un petit resto d’un hotel, où le
cuisinier, adorable, est également très bavard. Et nous dit qu’en Europe on est
trop speed, que dans la vie, il faut « se presser en prenant le temps ».
J’aime bien.
Le soir, on se pose dans un restaurant/fast-food
libanais, et je prends une sorte de kebab/chausson/beignet, un truc monstrueux
qui dégouline de gras, où il y a aussi des frites et des œufs bourrés dedans.
Mister Perfect est vert, moi j'engloutis ça avec bonheur. Et je me tape ensuite
une assiette de salade composée. De nouveau, il me regarde, presque épouvantée
: "Ca va ? Nan parce que je ne comprends pas comment tu peux manger un
volume plus gros que toi". Je crois que je lui coupe l'appétit.
Et puis on retourne boire un café Touba.
On repart avec nos bagages le lendemain (mais après avoir
été chercher un café Touba), qu'on dépose dans un resto (en échange de la
promesse de manger chez eux le soir), et on va sur l'ile de Gorée. Là, on
commence à en avoir ras le bol de se faire aborder par tout le monde pour nous
demander de l'argent. Ici, leur technique c'est de nous demander notre prénom,
et de dire « Oh, ma filleule porte le même nom ! On est lié, comme si on
était de la même famille ! Tu m'achètes quelque chose ? » (Il doit donc y
avoir une bonne dizaine de petites filles qui portent mon prénom sur l'île de
Gorée, si j'en crois les vendeuses)
Au retour, on doit attendre 3h pour pouvoir reprendre la
navette, car il y a beaucoup d'attente. Mister Perfect râle, il voulait faire
les marchés de Dakar. Tant pis !
On se pose au restaurant, et on y reste jusqu'à 22h
environ, avant d'aller à l'aéroport, où l'on va traîner misérablement jusqu'à
3h du matin, heure de départ de notre avion. On reçoit un appel de Neveu. Puis
du type qui nous a arrangé nos visites des 2 derniers jours. Puis de Nago. Je
suis remplie d'amour et de gratitude, et je leur fait de grandes déclarations d’amour
au téléphone. Je me sens bien.
Je vais faire un brin de toilette dans les WC, moment
hyper glamour où je me nettoie au lavabo des WC handicapés à l'aide de papier
toilette. Je renfile mes vêtements "européens". Je range ma robe
vaporeuse, mes nu-pieds poussiéreux. Je me brosse les dents, je passe un peu
d'huile sur ma peau. Je suis en train de me préparer à retourner à ma vie.
Sentiment étrange.
Les heures sont interminables et les contrôles sont
doublés parce qu'il y a eu des attentats en Allemagne. Dans l'avion, malgré
l'inconfort des sièges, je m'endors profondément. On nous réveille vers 5h du
matin avec un petit déjeuner improbable qui mélange tartines de confiture et
omelette aux épinards. « What do you drink ? », me demande l'hôtesse.
Je viens de me réveiller, je suis épuisée, je ne sais plus où je suis. « Café
Touba », je l'implore.
Mais il n'y a plus de café Touba, ça y est.
[Pour info, on mettra 2 semaines à se sevrer du café
Touba. Et là, rien que d'en parler, je ressens une graaaande tristesse au
souvenir de cette boisson]
Beaucoup de retard au retour. Et puis on a encore la tête
en Afrique. Mister Perfect est resté en short et en tongs, il fait de la
résistance - et tout le monde nous regarde. Je me sens à la fois nostalgique et
heureuse, triste et bien.
Je pensais ne plus supporter Mister Perfect après le
voyage, et pourtant jusqu'au bout on discute, on rigole, on s'apprécie. En
partant, on se sert fort dans nos bras. Et puis tous les jours qui suivent, on
s'envoie des messages. Pour se rappeler de prendre le traitement pour le palu.
Et puis pour rester en contact, comme si après 10 jours ensembles, on ne savait
plus être loin l’un de l’autre.
Inscription sur les murs des cellules de la maison des esclaves sur l'île de Gorée |
Quel joli récit :)
RépondreSupprimerça donne tellement envie !!
Merci de nous faire partager tout ça
Merci Matka ! Si la lecture t'a plu, alors ça rend ce voyage encore plus beau ;)
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