mardi 19 octobre 2021

La course

Ou comment j'ai fait un Trail de 18,5km.

On se retrouve à 18h30 pour retirer nos dossards, et déjà les mauvaises nouvelles s'accumulent :
Charles-François : Bon, moi je trace et j'attends personne, parce que dès qu'on a fini, je vais bosser au bar, mon pote n'a pas de barman ce soir et il compte sur moi.
Coureur 2 : Vu que c'est moi qui te covoiture, je suivrais donc ton rythme !
Collègue 1 : Je me suis fait un claquage il y a une semaine, je ferai la moitié seulement et ensuite je repartirai, de toute façon je suis attendu à un concert après !
Moi : D'accord... Sympa les mecs, c'est mon premier trail je vous rappelle !
Tous ensemble la bouche en cœur : Mais ça va bien se passer ! Tu es super prête !
Moi, grommelant : N'empêche que je vais courir toute seule...

1er kilomètre.
Je n'arrive pas à trouver mon rythme, les gens qui courent et qui parlent autour de moi me rendent nerveuse, je ne sais pas où courir pour qu'ils me doublent sans qu'on se bouscule (juste avant un type ma involontairement (enfin... je pense ?) shooté dans le pied, j'ai failli tomber)

2e kilomètre
Je commence à avoir un point de côté, et je panique.

3e kilomètre
Tout le monde m'a doublé, et je suis bonne dernière.
La nuit commence à tomber et j'allume ma lampe.

4e kilomètre
Le parcours a été fait de tel façon qu'on fait une boucle qui passe près du ravitaillement des 9 kilomètres. Le stand est archi bondé : les premiers ont donc déjà fait le double de ce que j'ai parcouru... Bien bien bien...

5e kilomètre
Il fait nuit noire, je réalise que si je me gourre de chemin ou que je m'éclate une cheville, il n'y a personne à proximité, ni devant, ni derrière.  « J'aurais dû prendre mon portable », me dis-je amèrement - sauf que je n'ai pas trouvé de ceinture assez grande pour le rentrer dedans. 
Je re-panique et accélère le rythme.

6e kilomètre
Ca ne va pas. Si j'ai réussi à faire passer mon point de côté, je suis tout de même très fatiguée. « J'aurais dû faire une sieste en rentrant du boulot... », je regrette.

7e kilomètre.
J'arrive au ravitaillement. Ah, donc normalement c'est à 9km, donc ma montre à 2 kilomètres de retard - j'en prend bonne note.
Je croise le frère jumeau de mon collègue, : « Je venais le chercher, mais il m'a dit qu'il continuait, car sa cuisse semble tenir. Il vient de partir !"
Un très gentil monsieur me tend deux verres : « à gauche de l'eau, à droite du coca ! »
J'opte pour le verre d'eau, je le bois cul sec, j'attrape une pate de fruit, et je repars aussitôt, dans l'espoir de rattraper mon retard, et pourquoi pas mon collègue.

8e kilomètre (ou 10, sans doute)
J'ai encore le gout sucrée de la pâte de fruit dans la bouche, et je songe au ravitaillement de fin, qui sera tellement agréable, et que j'aurais tellement, tellement, TELLEMENT mérité. ... Sans songer un seul instant que je serai la dernière arrivée, et que tout sera pillé par les précédents.
Toutefois, tous ceux que j'ai laissé au ravitaillement m'ont déjà rattrapés et doublés.
On enquille des montées super raides, et je commence à douter fortement des 200 mètres de dénivelés annoncés.


9e kilomètre (11?)
Ma lampe commence à clignoter, et je me dis que c'est étrange, et que je n'avais jamais vu qu'elle me faisait ça. 
C'est peut-être un mode particulier ? me dis-je.
Ou alors je n'avais jamais remarqué, et elle l'a toujours fait ? 
(ceci s'appelle le déni)

10e kilomètre (12 ?)
Ma lampe s'éteint.
Panique absolue.
« J'aurais tellement dû la recharger avant de partir »
« Je ne vais quand même pas devoir abandonner à cause de ma lampe ?! »
« Si j'avais pris mon téléphone, j'aurais au moins eu un plan B »
Il doit être 21h30, il fait nuit noire, je suis au milieu de la forêt, il y a des cailloux et des branches partout. Et je suis encore très loin de l'arrivée.
Qu'est-ce que je vais faire ?!
Lorsque je réappuie sur le bouton de ma lampe, elle s'allume... Environ 4 secondes. Et s'éteint.
Je réfléchis à toute vitesse.
Je tente le tout pour le tout : je vais, en allumant ma lampe toutes les 4 secondes, rattraper le type devant moi, et lui demander s'il peut être ma lumière. 
J'accélère. Je n'ai pas de souffle parce que je panique, ma lampe ne tiens plus que une ou deux secondes lorsque je l'allume, je trébuche sur tous les cailloux du chemin, je me dis que je vais me péter un truc.
Mais je fini par rattraper le gars, et lui demande si je peux courir avec lui.
Il me dit que c'est sa hantise, que sa lampe le lâche, et qu'il n'a aucun problème à être mon "BlaBlalumière"
Je me dis que j'arriverai peut-être à finir cette fichue course.

11e kilomètre (13 ?)
J'ai atrocement mal aux pieds. Je sens un liquide chaud couler dans ma chaussure. « J'aurais tellement dû couper mes ongles à ras... »

12e kilomètre (14 ?)
Mon poisson-pilote est sympa, quoique bavard, et tente de m'impressionner en me disant des trucs genre "Là si on prend la direction nord-nord ouest, on arrive au lac".
J'ai envie de dire "De toute façon il nous reste au bas mot 4 kilomètres alors on ne va pas s'enflammer"
Pffff, et puis comme si qui que ce soit dit naturellement "direction nord-nord ouest" !
Sauf qu'il ne vaut mieux pas que je l'envoie bouler, puisqu'il est désormais ma seule chance de finir la course, alors je lâche de temps en temps d'incrédules "Ah oui ?!" qui semblent le ravir.
Il me raconte qu'il s'est entrainé un an et demi à fond pour faire ce trail. Qu'il en a fait un de 15 bornes il y a deux semaines et qu'il était vraiment au bout de sa vie. Je n'ose pas dire qu'on s'entraine ponctuellement avec les collègues depuis quelques mois, et que je suis là un peu à la fraiche en sortant du boulot. 
Et du coup, je suis bien forcée de me dire que j'ai quand même une bonne condition physique, quoi que j'en pense - et même si je suis dernière.

13e kilomètre (15 ?).
J'ai très mal à l'arrière du pied - Ah, si seulement je n'avais pas eu l'idée débile de me raser les jambes complètement bourrée, il y a une semaine ! Je me suis entaillé l'arrière de la jambe, juste au dessus du tendon, sur vingt bon centimètres. Je voulais être nickel pour accompagner Lara à la piscine - alors que c'était tout des parents, bien trop occupé à faire des nuits trop courtes et à ne pas laisser leurs mômes se noyer pour remarquer des poils disgracieux. 
Mais il était une heure du matin, j'avais 1 gramme dans chaque bras. J'ai pissé le sang une bonne demi heure, et sur le dernier tiers de cette course, je sentais bien que les plaies, loin d'être refermées, se rouvraient sous le frottement de mes chaussettes.

14e kilomètre (16 ?)
Je fais le bilan de tout ce que j'aurais dû faire : dormir un peu, recharger ma lampe, couper mes ongles, ne pas me raser en étant bourrée, prendre mon téléphone... Ce ne sont même plus des erreurs de débutants, mais des énormités !!
Et dire qu'on a fait 15 bornes easy il y a deux semaines... Là je suis morte depuis le 3e kilomètre environ... 

15e kilomètre (17 ?)
Des membres du staff nous encouragent lorsqu'on passe près d'eux.  Bravo ! Vous avez fait le plus gros, il reste 1,5 kilomètre ! Courage !!!
Trois filles courent même quelques centaines de mètres près de nous, en hurlant "Allez !! Vous êtes au top ! C'est génial !!"
C'est complètement faux : on ne l'est absolument pas, mais c'est étrangement réconfortant de l'entendre.

16e kilomètre
L'avant dernière ligne droite se fait sur une plage.
C'est extrêmement vicieux : deux fois plus fatiguant, on ne voit pas les cailloux, on se tord les chevilles... On jure à tout va (mon coéquipier improvisé a un très beau vocabulaire, ça m'apaise de l'entendre jurer comme un charretier). Un membre du staff nous interpelle de plus haut : « Ca va sur la plage ? ». 
On répond harneusement en cœur : « NAN ! ».

17e kilomètre (18 et demi)
La dernière ligne droite n'en fini pas, et je me demande où est cette putain de ligne d'arrivée. Un membre du staff  : Allez, faut pas lâcher maintenant !
« Ouais, ouais, ça va.. »
Et puis après un dernier virage, la voilà !!! Miracle ! Le chrono annonce 2h35. Moi qui espérais faire 2h... La bonne blague.
Les membres du staff nous retirent nos dossard - heureusement qu'ils sont là car je n'ai même plus la force de retirer les épingles. Je vois pour la première fois mon binôme, plus jeune que je pensais. On se tape dans la main. Je le remercie chaleureusement "Merci, sans toi, je ne pouvais pas finir la course !"
J'ai très urgemment besoin de boire, et je constate que la table de ravitaillement est donc pillée. Je prends de l'eau, je retrouve mon collègue qui s'est fait un claquage il y a une semaine mais qui a réussi à finir. Il est arrivé 2 minutes avant moi - on n'était pourtant pas si loin !
J'en suis à mon 3e verre d'eau quand un type du staf me propose un peu de soupe. J'accepte, et je la bois... Et je regrette presque aussitôt : mon ventre n'acceptera aucune nourriture avant un moment.
J'embarque une orange, que je ne parviens pas à éplucher car mes mains tremblent. Et lorsque je tente d'ingérer un quartier, je sens monter une violente nausée. « Ok, dis-je à mon corps, message reçu, je n'avale rien. Ok ! ».
Je rentre chez moi, je m'extraie très difficilement de ma voiture, monte quasi en rampant les quelques marches jusqu'à ma porte d'entrée, commence à m'inquiéter de comment je monterai dans ma chambre, au 1er étage. Je galère à enlever mes vêtement trempés de sueur, et me jette avec délice sous la douche. 
J'ai donc un pied en sang (l'ongle d'un de mes orteils m'a entaillé), et entre la boue, et le sable dans mes chaussures, je me dis qu'il ne manquerai plus que je chope une septicémie. Et une énorme ampoule sur l'autre pied. 
J'ai d'horribles crampes. 
Des vertiges - mais j'ai l'estomac au bord des lèvres et ne peux rien avaler.
Je n'imaginais pas des répercussions aussi violentes.
Je vais me coucher, tant bien que mal. Et je dormirai très peu,  constamment réveillée par des douleurs dans les jambes - puis dans le dos. 
Je passerai deux nuits atroces.
Et je trainerai mes crampes quasi une semaine.

Je ne suis pas certaine d'avoir appréciée l'expérience, ni d'avoir envie de recommencer...

4 commentaires:

  1. J'adore, ça me rappelle vraiment mes premières courses! Je ne m'entraine toujours pas davantage, et ça passe quand même.
    Après le semi de Luxembourg j'ai perdu un ongle, moi qui suis une maniaque des pieds j'aime autant te dire que je fais gaffe à bien couper, et j'ai acheté des baskets un peu + grandes aussi!
    Bravo :)

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    1. Tu as perdu un ongle ?! Genre il s'est arraché ???
      Et toi aussi ton corps n'accepte aucune nourriture pendant plusieurs heures ?
      Je trouve quand même assez fou que l'entraînement soit si différent du jour J (en tout cas pour moi). A ce demander si ce n'est pas toi qui a raison, à ne pas beaucoup t'entraîner, car franchement ça ne m'a pas servi à grand chose !

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  2. En fait il est devenu bleu, noir... et un jour il est tombé mais heureusement un autre repoussait déjà en dessous, ça n'a pas été moche trop longtemps (brrr j'aime pas parler de ça...). Enfin, faut que ça reste un plaisir sinon c'est du masochisme ;)

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    1. Mon Dieu, j'en aurai fait une vraie maladie je pense ��
      J'avoue ne pas avoir pris de plaisir cette fois là. Et j'avais dit "je n'en ferai plus". Mais mes collègues me travaillent parce qu'il y en a un petit de 10km dans deux semaines, et "la forêt est sublime en ce moment, ça va te réconcilier avec le trail".
      Je ne suis pas (encore ?) inscrite....

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