samedi 22 octobre 2022

Le jour où j'ai été à un concert avec Mademoiselle B. adolescente


Quand j'étais ado, je suis passée par différentes phases. Appelons ça pompeusement "la recherche de soi" si on veut. Je ne sais pas s'il y a un meilleur terme pour désigner les looks qu'on s'inflige, avec l'impression perpétuelle et insupportable d'être tellement incompris. 

Après le look shorts en velours et collants de laines blancs (6e, début 5e), j'ai eu ma formidable période "bucheron" : des chemises à carreaux (homme), taille XL au moins, sur mon corps d'ado à la croissance arrêtée à 1m55 pour 42 kg à l'époque. Et je me maquillais d'un fard à paupière liquide lavande nacrée de chez Yves Rocher. 
Et puis sans transition, à l'hiver de mon année de 4e, j'ai viré fashionista : crop-top, jean moulants à la pointe de la mode, un look du tonnerre. Et étonnamment, je suis devenue nettement moins impopulaire (et beaucoup de garçons voulaient sortir avec moi).
Puis ce n'est plus très clair dans ma tête : à partir de la 3e-2nd, il y a eu ma période punk, où j'ai quasi rasé mes cheveux et je portais des fringues déchirés, des colliers de cuir, et où mon tee-shirt "Punk's not dead" n'a pas été très apprécié dans mon bahut catholique. J'ai ensuite (ou pendant ?) viré plutôt métal-gothique - et là, ce sont mes tee-shirt "Satan's slut" qui m'ont valu un petit tour dans le bureau de la direction. J'ai fait quelques piercings, et je me suis sentie à mon aise, dans ces looks noirs, piercés, tatoués, et avec du rock en fond sonore.

C'est à ce moment-là, pendant ma 3e, que Maxime (de son vrai nom), un gars de ma classe qui n'était pas vraiment populaire, mais pas complètement un looser (un peu comme moi, à ce moment de ma scolarité, qui avait quitté depuis quelques temps la strate boueuse des souffre-douleurs - mais ma condition restait fragile), m'a dit : "Hey, t'as vu ce nouveau groupe qui vient de sortir ?"

Sum 41 débarquait sur les radios avec l'album All killer no filler.

J'avais répondu, pincée "Ça ressemble vachement à du Blink 182, c'est un peu copié !"
Ce à quoi il avait rétorqué : "Bah du coup, si ça ressemble, c'est forcément bien !"
Ce à quoi je n'avais rien trouvé à répondre.

Mes grands principes laissés de côté, j'ai donc acheté le cd, hameçonnée par "In too deep". 
J'ai kiffée.
Ce n'était pas le groupe phare et emblématique de mon adolescence (ça, c'était Puddle of mudd), mais je connaissais quand même leurs albums par cœur.

C'est à ça que je pense, alors que je suis debout dans la salle de concert. Avec Pomme, son mec, et une autre amie, nous avons fait 3h de route pour venir à ce concert. Je n'avais pas vu que le groupe passait, je n'aurais même pas eu l'impulsion d'y aller seule si ça avait été le cas. Je trouve néanmoins très drôle d'être là, aujourd'hui à 35 ans, pour écouter des chansons que je chantais ado.

Le public est constitué au 2/3 de personnes de 35-40 ans. Il y a quelques plus vieux, et surtout des très jeunes. Etonnant, ce mélange. Ca me plait.

Le concert démarre avec Simple Plan, car c'est une tournée conjointe. Je connais moins, mais je me laisse porter par la foule. Et je suis contente parce qu'il y a des ballons qui tombent du plafond, puis des petits zigouigouis en papiers, et je trouve ça trop bien.

Lorsque c'est au tour de Sum 41, la foule est en délire. Ils organisent la "heavy zone", où ceux qui le souhaitent peuvent faire des pogos. Personnellement, après un concert de Motorhead où je me suis retrouvé dans une zone similaire sans avoir compris ce qui m'arrivait, et après être rentrée avec des bleus partout et un coquard, je reste désormais plutôt dans la safe zone. 
Le chanteur appelle le public "to care of each others, and make sure nobody's hurt". Je trouve ça très chouette.
Plus tard, il remerciera également le public d'être venu, d'être là, d'avoir bravé tout ce qu'il se passe, d'avoir pris la voiture, fait de la route, s'être garé, fait la queue pour entrer, payer la place, "and all that shit. Thank you, than you, thank you". Je réalise que c'est vrai, on choisit de faire tout ça pour voir un groupe qu'on aime, mais c'est tout de même tout plein d'actions qui nous mènent là - c'est la première fois que j'entends un chanteur être conscient de tout ça, et remercier pour ça. J'aime bien. Et c'est loin de l'image que je pouvais me faire de Deryck Whibley - ou de n'importe quel chanteur de rock.

Je saute, je chante, je crie. Je connais encore les paroles, ou presque. 
C'est un des meilleurs concert que je fais, sinon le meilleur : le son est excellent, il y a plein de lumière, mais aussi des effets pyrotechniques, d'autres zigouigouis brillants qui tombent du plafond, encore des ballons, de la fumée et plein d'effets que j'ai jamais vu.
Le chanteur dit "On fête les 21 ans de notre album !". Et là je me dis "putain de merde !". Ma foi, c'est vrai !

Mademoiselle B. adolescente est avec moi. Elle kiffe. Elle aurait adoré faire ce concert à l'époque - alors elle aime bien être là aujourd'hui, ça montre que ça n'est pas trop tard. Je me dis confusément que ça vaudrait le coup de l'emmener aux concerts auxquels elle n'a pas été quand elle avait 14 ans. Après tout, si ça lui fait plaisir ?

Dans l'album "Does thist look infected ?", il y avait un dvd. Je l'ai perdu aujourd'hui, même si j'ai encore le boitier et le cd. Je me souviens vaguement du contenu : un reportage sur le groupe, filmé pendant quelques jours, peut-être aussi un ou deux clips, et des vidéos live. Je me souviens surtout l'avoir regardé en boucle, dans un état de détresse avancé : j'avais écrit à Violaine (car à l'époque des modem qui mettaient une minute à se connecter, et de l'internet, du téléphone et des textos limités, on s'écrivait chaque semaine des longues lettres sur du papier Diddl) que je regardais cette vidéo où je les voyais avoir une vie trépidante, rire entre eux, faire quelque chose, et que je réalisais que moi je ne faisais rien, que ma vie était plate et inintéressante. 
Ce n'était même pas tant le fait qu'ils étaient membres d'un groupe : c'était, je pense, leurs liens, leur amitié, leurs délires idiots de mecs à peine plus vieux que moi. Je me sentais insignifiante, et je me disais, avec, en plus cette incapacité toute adolescente à me représenter le futur, quel qu'il soit (on a l'impression que tout est comme ça pour toujours quand on est ado), que je serai à jamais une fille cachée dans sa chambre, à regarder le monde tourner sans elle. 

Je repense à ça, pendant que le groupe entame "Still Waiting". Je chante, je saute, et je repense à Mademoiselle B. qui pleurait devant ces vidéos, souhaitant être leur amie, souhaitant être quelqu'un, souhaitant rire et m'amuser - ce qui ne m'arrivait pas beaucoup, à ce moment-là. 
Je lui parle, à Mademoiselle B. : Tu vois, finalement cette période a fini. Et puis les vandalismes de ces 4 petits cons, je trouve ça idiot aujourd'hui. D'ailleurs ils sont étonnamment sages, et philosophes, et bienveillants, ces neo-punk ! Eux aussi, ils ont grandi. Tu vois, tout évolue. Je ne sais pas si tu es fière de moi aujourd'hui, mais... Je suis en vie. C'était pas gagnée, à ton époque, on voulait tellement mourir toi et moi. Je suis loin d'être inactive maintenant - c'est même plutôt l'inverse d'ailleurs ! Je fais partie de plein de prix littéraires, tu te rend compte ?! On en rêvait un peu, pas vrai ? Je rencontre plein de gens super intéressants. J'arrive même parfois à me sentir légitime ! Je crois que je suis un peu fière de moi. Et c'est toi, le point de départ de tout ça, tu sais ? La petite ado écorchée vive, la crevette perdue dans ses chemises de bucheron, puis avec son look de pétasse, et enfin l'apaisement tout en noir, couleur dans laquelle on se sent le mieux - c'est un peu notre identité, construite depuis pas mal de temps maintenant, et avec tout ce qu'on a vécu, tout ce qu'on a trouvé, et qu'on a su transformer en force. 
Et puis le rock, auquel je reviens, cette musique qui m'habite, ce style que je préfère par dessus tout. Les riffs qui semblent liquides, tellement ils coulent dans nos veines, éteignent nos pensées, nous font entrer en transe. Pas besoin d'alcool, pas besoin de drogue : certaines chansons nous emportent en quelques secondes. 

Le concert termine après un rappel. Je n'ai plus de voix, je suis trempée de transpiration, euphorique - et les oreilles qui sifflent un peu, comme un reste de chanson qui tarde à se terminer dans mes tympans. 

On repart, Pomme, son mec, notre copine, Mademoiselle B. ado, et moi. 
C'était une super soirée.

4 commentaires:

  1. Coucou. Il y a quelques mois j'ai été voir les Kyo en concert. 17 ans après les avoir vu pour la première fois à 17 ans. Je me suis retrouvée adolescente aussi. J'ai chanté comme une folle comme je l'avais fait avant. Et quand j'ai réalisé à quel point ça faisait du bien, j'ai pleuré.

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    1. Ça devait être encore plus puissant, les revoir 17 ans après ! Waouw. Quelle belle expérience ! C'est fou ce que c'est important, cette période qui nous a vu nous construire...

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  2. Simple Plan et Sum41, deux de mes groupes préférés, encore à ce jour ! (bon, j'avoue que de toute façon, je suis un peu resté bloqué à cette époque musicalement...)
    Tout ça me rappelle des bons souvenirs aussi, mon premier concert, mes premiers cds, etc...

    Après avoir lu tout ça, j'aimerais bien voir des photos de la Mademoiselle B de toutes ces époques et les différents styles vestimentaires ! 😁

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    1. Toutes les preuves ont été détruites, fort heureusement !
      Ah, je suis un peu restée bloqué moi aussi. Au point que je n'avais même pas écouté leurs derniers albums. Mais je rattrape mon retard ! J'ai l'impression que c'est vraiment important, ces groupes ou artistes qu'on aimait ado. C'est une part de l'adulte qu'on est ! En tout cas, ils sont passés pas loin de chez toi 😉

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