C'était un samedi. J'étais au travail, une journée ordinaire, une fin de semaine fatigante.
Un jour comme un autre.
J'ai reçu un message : "Mamie est aux urgences depuis ce matin. Appelle-moi quand tu sors".
Mille choses me sont passées par la tête. Et puis une autre, prégnante, idiote : depuis deux mois, chaque semaine un collègue perd quelqu'un de sa famille. Et ça y est, c'est mon tour.
Peut-on se dire quelque chose de plus absurde que ça ?
J'ai rangé mon bureau, prévenu ma directrice, fini ma journée, et soufflé un bon coup avant d'appeler maman.
Elle n'avait pas vraiment de nouvelles : les urgences restaient désespérément muettes. J'ai simplement appris que Mamie avait été incapable de se lever seule du lit, que son corps ne répondait plus à rien, et que lorsque papy l'a aidé pour aller aux toilettes, elle est tombée. Incapable de la ramasser, il a dû appeler des secours.
Il était 19h, et depuis 9h du matin, elle était aux urgences, et il n'avait aucune nouvelles.
Ça fait 3 ans que mamie va mal - de plus en plus mal. Une fatigue constante, et de plus en plus écrasante, et des AVC à répétition. Elle nous a fait de nombreuses frayeurs, et ça avait commencé pendant le confinement.
J'ai longtemps cru que c'était une dépression, car elle n'avait plus le gout de rien.
Le dimanche, nous n'avions pas plus de nouvelles. Personne ne répondait au téléphone non plus.
Excédé, le dimanche soir, mon grand père s'est rendu à l'hôpital : « ma femme est ici depuis 48h, est-ce que je peux savoir ce qu'elle a ?! ».
La sentence est tombée :
« Votre femme a une leucémie aigüe. Il lui reste 3% de cellules saines ».
Mamie allait voir un énergéticien depuis plusieurs années. Celui-ci affirmait qu'elle allait très bien, et que les prises de sang que lui prescrivait son médecin était une aberration.
Alors elle ne les faisait pas, et jetait les ordonnances.
S'il n'avait pas été là, la maladie aurait été détectée dès le début.
Et tout aurait été différent.
Le lundi, le traitement était mis en place.
Pour un résultat peu probant au niveau de ses cellules malades.
J'ai géré mes affaires en cours, posé des congés, et pris la route le jeudi matin.
J'avais fait ma valise la veille, ne sachant trop quoi y mettre. Le temps était étrange, il faisait très chaud, et puis très froid. J'ai mis des vêtements légers et des pulls. Et puis j'ai jeté des vêtements noirs et élégants dans ma valise.
J'ai paniqué en regardant mes chaussures, je me suis dit "aucune paire ne conviendrait à un enterrement", et j'ai fondu en larmes.
Et je me suis dit que je n'étais pas prête à voir partir ma grand mère.
J'ai emporté mon chat, et fermé la porte de ma maison sans avoir la moindre idée de quand je rentrerai.
Je suis arrivée chez ma mère, j'ai déposé le chat, et j'ai été à l'hôpital.
Dans le hall, grand comme celui d'un aéroport, il y avait des décorations de plages. Un cocotier gonflable, des énormes peluches toutes douces. Une cafétéria où, je ne le savais pas encore, mais j'irai claquer beaucoup d'argent pour des thés infames et des sandwichs dégueu, et où nous aurons tous - nous tous, réuni en famille comme jamais ce n'était arrivé - une intoxication alimentaire.
L'ascenseur était étrange, ou peut-être était-ce le bâtiment, avec son hall d'aéroport aux cocotiers gonflables, car il fallait monter pour aller au RDC. Et plein d'autres gymnastiques intellectuelles, comme dans une autre dimension à la logique qui n'appartenait qu'à ce lieu.
Il y avait des gens, tous différents, des heureux, des tristes, des qui pleurent, et des habitués qui tutoient tout le monde, en taxant des clopes alors qu'ils sont en cancérologie.
C'était une petite ville, un microcosme. Une temporalité différente, et un autre monde.
Je ne le savais pas encore, mais j'allais en faire intimement partie moi aussi.
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