jeudi 21 novembre 2019

Petite (r)évolution

Ça faisait dix jours que je n'avais pas vu Isaac. Nous communiquions par messages, et nous brûlions de nous revoir.
Et puis il y a eu ce texto, qui m'a fait l'effet d'une bombe.
J'étais donc assez anxieuse.


Avant de le rejoindre, je passe un oral blanc avec des collègues, et pendant mon épreuve, je sens quelque chose d'humide et de visqueux me couler entre les jambes, pendant qu'une intense crampe me vrille le bas ventre.
A la fin de mon oral, je m'excuse poliment, je vais me changer aux toilettes, et stériliser ma cup en salle de pause.
Pas de galipettes pour Mademoiselle B. ce soir.

Je vais boire un Chaï avec Copine#1, et lui lis le message :
Sinon, sur un sujet qui n'a rien à voir, très personnel, je t'informe que je ne rentrerai pas les 2 prochains week-ends d'octobre à commencer par celui-ci.  Je ne préfère pas m'épancher sur ce sujet par texto, car cela fait référence à une problématique de couple dont l'évocation pourrait te sembler obscène (littéralement hors de la scène) dans le contexte de notre relation. Toujours est il qu'il sera possible de se voir en week-end et en journée si tu le souhaites et uniquement si tu le souhaites, ce qui pourrait être l'occasion de partager du temps dans un autre contexte que nos retrouvailles nocturnes les veilles de boulot. Cela dit, je ne souhaite pas précipiter quoi que ce soit entre nous, ni laisser supposer qu'il y a un changement dans ma vie.
Entre temps, ma panique s'est calmé, et je me dis que j'ai extrapolé. Il m'a d'ailleurs dit un peu plus tard « Il n'y a rien de dramatique ».
Copine#1 : « Il m'énerve. Mon Dieu qu'il m'énerve ! Donc il t'envoie un message pour te dire que quelque chose se passe, mais il ne veut pas dire quoi, et ça ne signifie peut-être rien. Il ne pouvait pas juste... je ne sais pas... se taire ?! »
Je trouve que c'est assez bien résumé.

Je rejoins Isaac, j'ai une jolie robe turquoise, l'air est doux, j'ai hâte de le voir.

Lorsque j'arrive, nous nous embrassons longuement. Mon visage se perd dans son cou. « Tu vas me dire que je ne sens pas comme d'habitude ». « Oui, visiblement tu as dormi chez ta mère ! ».
On parle concours, on parle oral, on parle de différents sujets d'actualités. Il n'a pas acheté de bouteille, il s'excuse, il a la bougeotte, il est nerveux, fébrile. Je réalise à quel point il a la tête ailleurs quand il prend le verre dans lequel il a mis le riz pour le risotto pour boire. « Tu ne devrais pas faire ça », je lui dis, mais il prend déjà une lampée de riz cru, et, interloqué, regarde son verre : « ... Mais ? Mais je suis con ?! »
Pendant qu'on discute, je l'entends croquer distraitement ses grains de riz.

J'ai mal au ventre, je me sens fiévreuse et mal dans ma peau - un premier jour de règles, en somme. 

Pendant qu'il cuisine, je m'approche de lui, et l'enlace dans son dos. Il serre mes mains contre les siennes.

On s'assoit, et assez rapidement, il me raconte : 
- J'ai demandé à Victoria si elle avait déjà ressenti du plaisir sexuellement avec moi. Elle ne sait pas.
- Elle ne sait pas ?! Mais... Ce n'est pas possible... !
Un silence.
Je ne peux pas lui dire ce que je pense, à savoir que ce "Je ne sais pas" pue le "non" qui n'est pas assumé. Je suis catastrophée : Douze ans de relation, pour en arriver à "Je ne sais pas si j'ai jamais ressenti du plaisir sexuel avec toi" ???
- Peut-être qu'elle est gêné d'aborder les choses comme ça avec toi...
- Depuis, elle esquive.
- Ah, heu.... Propose lui peut-être de te l'écrire ? C'est toujours plus facile de s'adresser à l'autre par l'écrit...
- Elle a besoin de faire le point. Loin de moi. Donc on ne se voit pas pendant 2 semaines. Pour qu'elle se recentre.
Je me dis que si elle a besoin de 2 semaines pour dire à Isaac si oui ou non elle a déjà aimé ses relations sexuelles avec lui, ils traversent une crise beaucoup plus dramatique que ce qu'il prétend.

Il me dit :
- Le weekend prochain, nous devions aller à un festival. J'ai 130€ de billets sur les bras. Je voulais te proposer... Mais c'est peut-être indélicat... Cela dit je voulais te faire découvrir ce festival...
- Attends, attends. Le problème n'est pas là. Est-ce qu'il y a des risques que tu rencontres des gens que tu connais ?
- Absolument la terre entière.
- .... Ah oui. C'est pas terrible ça ! 
Il rit. 
Au final, il a beaucoup rit depuis le début de cette conversation.
Je crois qu'il rit pour ne pas pleurer.

- J'étais à Paris ce weekend. Tous mes potes de l'asso, qui ont mon âge, ils vivent TOUS la même chose : Bernard quitte sa femme pour sa maîtresse, Jacques a sa vie qui vole en éclats, et même Jean, l'immaculé Jean, est tombé amoureux récemment. Je crois qu'on fait tous une crise de la quarantaine - moi aussi, je suis en train de faire une crise de la quarantaine.
- Mais non, tu ne peux pas croire à ça... C'est une nouvelle décennie, tu fais éventuellement un bilan, tu t'aperçois que, peut-être, ta vie n'est pas telle que tu le voulais... Mais au-delà de ça, ce n'est pas physiologique, la crise de la quarantaine n'existe pas !
- Je n'ai pas eu de problèmes à mes trente ans... C'est très bien passé. Mais là mes quarante...
Un silence, une bouffée de cigarette, une odeur de melon.
- Je crois que ton arrivée dans ma vie coïncide avec un bon alignement de planètes.
Je garde le silence, ne sachant pas trop quoi répondre à ça.

Il me reparle de la toute première fois où on s'est rencontré. C'était il y a un an. Le mec de Copine#1 jouait pour une soirée beaujolais nouveau, et Isaac était venu. Copine#1 m'avait dit en amont « Ce type est insupportable » et j'avais un a priori super négatif. J'ai beaucoup trop bu ce soir là, et je me souviens surtout que Copine#1 et son mec s'était engueulé parce qu'il ne voulait pas s'arrêter de boire (et que Copine#1 voulait rentrer), ce qui avait jeté un froid dans tous le bar, et que j'avais une collègue proche qui m'écrivait que son amant, à qui elle filait du fric depuis des mois, était en fait un arnaqueur. J'étais donc très contrarié.
Isaac quant à lui, se souvient qu'il m'a longuement parlé d'un sujet, et que j'ai ri, et tapoté sur son front du bout des doigts en disant « Toi, tu es un intellectuel ! ». 
J'ai un très vague souvenir de ce moment - moi qui suis peu tactile, et sûrement pas avec des inconnus, je devais être sacrément bourrée. 
« Je t'ai vexé ? »
Il rit. « Absolument pas. Nous étions là, soirée beaujolais nouveau, et Mademoiselle B., que je viens de rencontrer, me tapote le front et me dit que je suis un intellectuel. Non, je ne l'ai pas mal pris. Pas du tout ». Et dans son regard qui part au loin, dans son sourire, je comprends même autre chose : c'est là, exactement à ce moment là que j'ai capté son attention.  

On parle de beaucoup de choses, mais il revient souvent à sa "crise de la quarantaine" et Victoria. Je sens qu'il essaie de théoriser, d'intellectualiser. Mais mettre des mots sur ce qu'il vit n'empêche pas les choses de partir en vrille...
Je suis catastrophée par sa situation, catastrophée par son calme apparemment. J'ai l'impression d'avoir provoqué l'apocalypse par ma seule présence.
Ajoutons à cela le fait que j'ai le corps douloureux, le bas ventre qui pulse, et une impression de moiteur lié à mon état fiévreux. 

Il parle de Victoria. Me raconte un peu son histoire. Le fait qu'il n'y a rien de plus important dans sa vie que son travail - et pourquoi. Son histoire familiale. Le fait qu'elle hait profondément son corps - elle se trouve grosse, et d'ailleurs si elle ne veut pas d'enfant, c'est pour ne pas déformer son corps avec une grossesse.
- Elle se trouve grosse ?! Mais enfin... Elle est magnifique ! Son corps et ses traits sont hyper harmonieux, elle est belle comme... comme.... enfin c'est une reine ! 
Je ris, un peu tristement : 
- C'est affreux, elle devrait se regarder avec d'autres yeux, ce n'est pas possible... Je me suis toujours demandé comment tu pouvais être attiré par moi, tant elle est sublime !
- Ne dis pas ça, il y a beaucoup de finesse dans...
Je secoue la tête : Non, là n'est pas la question, on s'en fout, ce n'est pas l'important. 
J'ai de la peine pour Victoria. 
Et au delà de ça, je ne poserai jamais la question qui me turlupine à Isaac : comment lui et elle peuvent-ils se débattre avec leurs violents complexes, alors qu'ils sont censés se valoriser l'un l'autre ? Si Isaac était aussi passionné avec Victoria qu'avec moi, son avis sur son physique serait secondaire, non ? Et si elle trouvait son mec beau, ça serait le plus important pour lui... Non ?! Mais à quoi ressemble leur relation ? Pourquoi ont-ils tout deux un trou à la place de leur confiance en eux ?!

Il me dira à un moment : « Vous avez des parcours assez similaires, Victoria et toi... »
Je panique complètement à l'idée qu'il se mette à nous comparer, notamment parce que, dans le discours d'Isaac, j'ai déjà trouvé que Victoria et moi avions beaucoup de points communs - à commencer par notre sensibilité envers les animaux. Cette ressemblance m'a mise mal à l'aise, et je ne souhaite pas en parler avec Isaac. 
Je l’entraîne vers un autre terrain « Oh mais pas du tout, moi j'étais une élève épouvantable à l'école ! ». 
Ça suffit à détourner son attention.

Il me reparle du concours, il me donne des tas d'articles à lire. 
Puis on regarde des peintures, partageant nos préférences, nos mouvements préférés, nos avis sur ce qu'on voit. Mais rapidement, il passe sa main dans mes cheveux, coince une mèche derrière mon oreille, et m'embrasse. Il se met en tête de me porter jusqu'à la chambre, ce qui était tout de même un peu ambitieux de sa part ; je fais bien mes 55 kg, et... il ne doit pas peser beaucoup plus lourd que moi. Il m'accroche les hanches dans chaque encadrement de porte, il faut éteindre les lampes, et je sens qu'il faiblit. Je ne suis pas hyper tranquille, et tente un petit « Sinon je peux descendre... » ; mais je sens bien que se joue ici quelque chose de plus gros qu'une scène romantique. 
Il m'allonge délicatement sur le lit, et je salue la classe du mec qui va jusqu'au bout, alors qu'à sa place j'aurais sûrement jeté l'autre à l'arrache, pour tenter d'éviter le lumbago.

Je suis abominablement excitée - mais je sais que je vais être frustrée.
Nous avons déjà pris le temps de communiquer sur le sujet, il est très à l'aise avec les règles, et laisse plutôt à l'autre la liberté de poser ses limites.
Il me caresse, me regarde, sourit. Nous nous embrassons. Il m'emmène au bord de la jouissance, et il ne me manque pas grand chose... Entre temps je l'ai caressé, du bout des doigts, puis je l'ai pris en main, et j'ai joué avec lui jusqu'à ce qu'il jouisse entre mes mains. J'ai écouté, ravie, la musicalité du jour de sa jouissance. J'ai eu envie de le caresser, et de le regarder. Son torse, ses épaules, ses bras. Picorer des baisers sur les veines de ses avant-bras. Sa clavicule, son cou, un bisou sur la pomme d'Adam. Le dessin de ses pectoraux, son ventre plat, le nombril. La douceur de sa peau. Les muscles de ses cuisses, la finesse de cette fragile zone derrière le genou. Et puis son regard, son visage, son sourire, ses cheveux. Son cœur que je peux sentir battre dans son cou, son odeur aux multiples fragrances qui me raconte une histoire complexe. Ses mains aux doigts fins - mon beau violoniste...
Notre regard se perd dans le ciel, où des étoiles brillent dans le bleu outremer. 
Plus tard, des nuages apparaîtront. Ce sera un moutonnement gris anthracite, tout en volume, qu'on aura l'impression de pouvoir attraper juste en tendant le bras. Ils seront apparu sans que j'y prenne attention, pendant que nos corps se frottaient l'un contre l'autre, et que je me perdais dans un long orgasme, mes ongles plantés dans le dos d'Isaac, mon souffle dans son cou, ses bras qui me maintenaient pendant que je tremblais de tout mon corps.

Plus tard, il s'assoira sur mes hanches, dans cette troublante position un peu inversé que j'aime tant. Et je le regarderai cambrer son corps en arrière, prêt à se rompre, pendant qu'il soufflera des petits "oui", au rythme de ma bouche et de ma langue - jusqu'à l'explosion qui le laissera pantelant.

Il me tirera plus tard de ma somnolence - un petit rire et puis « Tu ne préférerai pas être sous la couette ? ». 
Je vais aux toilettes d'un pas hésitant, pendant qu'il se brosse les dents. Je ne sais pas si c'est un pudique du brossage de dents, alors je n'ose pas le rejoindre pour brosser les miennes. Frissonnante, je vais finalement l'attendre sous la couette. 

Il revient et s'allonge, la tête sur mon ventre. Il regarde le ciel, devenu moutonneux, noir et bleu. Le bruit glougloutant de la cigarette. Deux secondes de silence. Une expiration, unique et brutale. La cigarette. Le silence. L'expiration. La cigarette. Le silence. L'expiration.
Je lui emprunte la cigarette.
Juste une inspiration.
Goût de melon.   
Il continue. Cigarette. Silence. Expiration. 
Instant parfait, serein.

Puis il pose la cigarette, ferme le volet, et vient s'allonger contre moi. Mon corps trouve immédiatement comment s'imbriquer dans le sien, comme s'il y avait mon empreinte en creux, juste pour que je puisse venir m'y coucher.
Cependant, je n'arrive pas à dormir : que se passe-t-il dans sa vie ? Que se passe-t-il, du coup, dans la mienne ? Je n'ai aucunes attentes, je lui ai dit que notre histoire était voué à n'être qu'une ombre - je m'y suis préparé. Est-ce que je suis responsable du chaos qui est devenu sa vie ? De la crise qu'il traverse ? Est-ce que je suis prête à ça ? Est-ce que j'ai envie de plus, avec lui, alors que j'ai posé de solides barrières pour n'avoir aucun espoir ?

Je dors quelques heures, assez mal. J'ai trop chaud, j'ai mal, j'ai peur de tacher ses draps. 
Pourtant lorsque le réveil sonne, je grappille 10 min. Il me serre contre lui, couvre mon corps de baisers, rit, m'embrasse, enfoui son visage dans mes cheveux, embrasse la fleur tatoué sur mon épaule. J'ai du mal à garder les yeux ouverts. Lorsque je m'assois, il suit du bout des doigts les dessins tatoués sur ma peau. « Ces ailes m'intriguent vraiment... » dit-il tout bas. Je ris doucement et me lève. Je ne suis pas encore prête à lui raconter cette histoire.

Il me sort une nouvelle serviette, qu'il pose là où il laissait cette petite serviette turquoise à mon intention. 
Je souris.
Je prends une douche pendant qu'il prépare le petit déjeuner. Il ne travaille pas aujourd'hui.Il vient m'embrasser dans le cou pendant que j'attache mes cheveux, et je ris.

Pendant le petit déjeuner, où il est resté entièrement nu et totalement décontracté, il me demande « Par curiosité, quel est donc cette chose étrange que tu utilises pendant tes règles ? »
Je lui fais un cours sur la cup, les culottes de règles et le flux instinctif. Il ouvre de grands yeux : tout un monde inconnu se dévoile soudain à lui.
- Et puis en contraception, tu as choisi quoi ?
- Rien. C'est un domaine compliqué pour moi. La pilule m'a rendu malade, nausée, vomissements, la totale. Le stérilet me terrorise. Il y a encore les anneaux, qui convenaient bien, malgré le prix prohibitif. Mais bon, en l'absence de relation suivie, je trouve que se passer de ces trucs chimiques qui sont moyennement bons pour le corps, c'est très bien.
- Oui enfin, la relation suivie, tu l'as. Et les préservatifs, c'est quand même pas sûr à 100%. 
Je comprends soudain qu'il est en train de me demander de reprendre une contraception. Qu'il considère que nous avons une relation suivie (mais suivie veut-elle dire sérieuse ?!) Est-ce qu'il réalise que symboliquement, c'est hyper important pour moi ?!
Je balbutie, prise de court. 
Je me souviens qu'hier soir, il a lâché, entre la poire et le dessert « Je n'aurais pas d'enfants, c'est non négociable », alors que nous ne parlions absolument pas de cela.
Mais qu'est-ce qui se passe, au juste ?!
Heureusement, je suis en retard, ce qui me permet de fuir en courant.

Je mange à midi avec Copine#1, et lâche tout dès qu'on est toute les deux : « Il a complètement craqué son slip ! ».

Plus tard, à 16h30, je reçois un message de Copine#1 : « On est dans un bar avec mon mec et Isaac, tu nous rejoins ?! »
Fugacement, j'ai la tentation de lui demander si c'est un procès, s'il quitte Victoria - ou s'il me quitte moi - et si je dois craindre le pire.
J'y vais sous une pluie torrentielle, mes cheveux gouttent, et je ne sais pas comment me comporter avec Isaac devant les deux autres - on ne s'est encore jamais vu tous les 4 depuis le grand traquenard et ses conséquences. 
Finalement, c'est seulement lorsque je repars, 30 min plus tard, en courant parce que je suis en retard à un rendez-vous chez ma psy, que je l'embrasse passionnément pour le quitter.
Ce n'était ni un procès, ni un piège - juste un verre entre amis. 

Je crois que je suis un peu à cran.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire