mercredi 12 février 2020

A peu près l'apocalypse

Ça a commencé.... Non.
Ça couvait depuis longtemps, en fait.


Il y a quelques jours, ma psy m'a jeté dehors avant la fin de la séance, en me disant : "Ecoutez... Rentrez vous reposer. Vous avez besoin de dormir. Le manque de sommeil peut provoquer des symptômes qu'on pourrait prendre pour des symptômes dépressifs - et ce n'est pas forcément le cas. Mais pour des personnalités cyclothymiques comme vous, une fatigue prolongée est désastreuse".
"Personnalité cyclothymique". C'est la première fois qu'elle emploi ce terme à mon sujet.
J'ai lu "Goupil ou Face" il y a quelques années, et j'y ai lu des choses qui m'ont semblé atrocement familières - et j'ai décidé d'occulter ça, parce que ça me dérangeait.
Sauf que là, difficile de faire comme si je n'avais rien entendu.

Le lendemain, je retrouvais Isaac. Il était assez énervé et en colère contre Copine#1. Ils devaient se revoir pour parler à nouveau, il lui a écrit "J'aimerais toutefois que ce qu'on se dit reste entre nous", elle a répondu "Impossible, je ne cacherai rien à Mademoiselle B., et si j'estime qu'elle doit savoir quelque chose, ma loyauté va à elle quoiqu'il arrive".
Il l'a mal pris.
- N'est-ce pas, de toute façon, ce que tu m'as reproché au sujet de ton percussionniste ? Que par loyauté, j'aurais dû te raconter ce qu'il avait dit ?
- ... Je n'avais pas vu les choses comme ça.
Et puis il s'est enflammé à nouveau, disant que Copine#1 l'infantilisait, lui parlait comme à un demeuré, qu'elle se croyait supérieur aux autres (... ce n'est pas faux, d'ailleurs) et qu'elle était particulièrement immature. "Tout ça n'est qu'enfantillage", dit-il. 
J'ai pris ces critiques pour moi - après tout, c'est une amie, alors c'est pareil, non ?
Et puis la goutte qui fait déborder le vase : "Et puis ses engagements militants, envers les animaux, enfin !"
- Je suis également militante pour les animaux. Et bénévole dans une association de protection des animaux. Et pro-libération animale. Je donne chaque mois de l'argent à une asso en faveur des animaux. Et il me semble que Victoria est complètement gaga des animaux également, non ?! Mais Victoria, c'est bon, ça passe, aucun problème, elle est intouchable ! Sainte Victoria peut soutenir les animaux - et pour les autres, c'est de la bêtise, c'est ça ?!
Isaac éclate de rire, sort de la pièce.
- Tu as sorti la kalachnikov là, non ?
Je suis furieuse, je tremble.
C'est quoi l’intérêt de comparer nos engagements militants (ou l'absence de ceux ci) dans un vain concours de bites ?

Plus tard, au lit, je n'aurais pas envie de lui.
Et je me mettrais à pleurer, lorsqu'il se sera endormi.

Au matin, il dira "Je ne reverrai plus Copine#1, ça ne sert à rien. Laissons tomber cette idée. De toute façon tu as raison, à quoi ça sert ?".
On devait faire une soirée tous les 4 une semaine plus tard, il dit à demi mot qu'il ne souhaite plus y aller.
Lorsqu'il partira de chez moi, je m'effondrerai à gros sanglots.

A nouveau j'ai 17 ans, et je regarde mes parents, les personnes les plus importantes de ma vie, se déchirer à cause de moi.
A cause de moi.
Et je me sens infiniment coupable.

Il suffira d'une journée catastrophique au boulot, à avoir toutes les merdes du monde qui me tomberont sur le coin du museau - alors que je suis tout sauf capable de faire face.

A midi, Copine#1 me dira "Ecoute, je pense que je ne viendrais pas à la soirée dans une semaine, je ne serais pas à l'aise avec Isaac".
C'est formidable, plus personne ne va venir à cette soirée. Je me retrouve toute seule.
J'arriverai juste à dire "Tu vois, ça, c'est exactement ce que je voulais éviter qu'il n'arrive et que je craignais, lorsque vous avez voulu commencer à parler".

Je décide d'écrire un mail à Isaac.
Je sombre, et je le sens.
Mon mail est pathétique, désespéré. C'est un aveu d'impuissance : je n'ai pas su être le pont entre elle et lui. Pas su être à la hauteur. Pas su arriver à la cheville de Victoria.
Constat d'échec.
Qui suis-je ?
Je ne sais plus.

Je me suis aperçu il y a une semaine que le cours d'économie que je prépare depuis 3 semaines...N'est pas le cours que je suis censé donner. Comment j'ai pu me persuader que je donnais un cours d'économie ? Je n'en ai aucune idée. Et c'est terrifiant.
Mais ça veut dire aussi qu'il me reste moins d'une semaine pour préparer un cours complètement différent. Moins d'une semaine pour préparer un cours de 3h à partir de rien.

Je sors du travail, exténuée, pour foncer à mon cours de Méditation.
Courir d'un point A à un point B pour "me détendre", et repartir en trombe à la fin, quel sens ça a ?
Je passe tout le cours au bord des larmes.

Je devais retrouver Isaac après.

Je rentre chez moi.
Je ne donne pas de nouvelles.
Je me sens dévastée.
Sur la route, j'ai agrippé fort le volant : et si je me flanquais dans cet arbre là, hein ? Tout serait plus simple. 
J'ai commencé à pleurer.
Chez moi, comme un zombie, je donne à manger au chat.
Je nettoie la table des traces du petit déj avec Isaac ce matin.
Je fais la vaisselle.
Je pleure ?
Il est 21h.
Je vais me coucher.

Isaac essaie d'appeler.
Je suis incapable de parler.
Puis une fulgurance : dis lui au moins que tu ne viendras pas.
Même si ça me semble évident, à la suite de mon mail.
Je mets 20 min à réussir à écrire "J'ai préféré rentrer, ça m'a semblé mieux. Je t'embrasse".
Il essaie d'appeler.
Je suis incapable de décrocher.
Il laisse un message.
C'est au delà de mes forces.
Puis il m'écrit.
Il s’inquiète.
Il n'a visiblement pas vu mon mail.

Je crois que je voudrais juste qu'il me rejoigne, et me laisse pleurer dans ses bras, en silence.
J'espère qu'il le fera.
Mais il ne le fera pas.

Je pense au fait que je n'ai pas osé demander à ma cheffe un congé cette semaine pour "aplanir nos relations", après une année 2019 compliquée.
Je me mets à pleurer à gros sanglots.

J'ai tellement besoin de repos, et de faire un break.

Je me suis piégée toute seule : j'ai pris de nombreuses responsabilité et rempli mon agenda pour oublier que ma situation avec Isaac était insatisfaisante. Pour oublier Victoria, pour oublier mes peurs.
....
Non, c'est faux.
Isaac et Victoria ont bon dos : Je fais ça depuis combien de temps, en réalité ?
Avant ça, c'était pour oublier ma solitude.
Avant ça, c'était pour oublier Miguel;
Avant ça, c'était pour oublier ma dépression.
Avant ça, c'était pour oublier Charles-Henri.
Avant ça, c'était...
Je m'enferme dans une hyperactivité depuis des années, pour tenter de m'oublier. Voilà la réalité
Et aujourd'hui, je suis tellement débordée que je n'ai plus le temps de me poser, ni de prendre du temps pour moi, ni de faire le point. Je me noie.
Mon piège était parfait - dommage, je n'essayais pas de me piéger.
Tout est entièrement de ma faute.

Je suis couchée, et je pense que le lendemain, je devrais aller au travail.
Je me remet à pleurer.
Ça fait combien de temps qu'en début de semaine, je me sens oppressé lorsque je me dit "Une nouvelle semaine commence" ?
J'ai oublié.

Je repense à cette collègue, qui est venu me voir il y a deux jours, pour me dire "Je voulais te demander quelque chose... Enfin, j'en ai déjà parlé à ta N+1 et à la directrice, et elles sont d'accord... Est-ce que je peux te donner telles missions supplémentaires ?"
Ça ne m’intéresse pas du tout, et je n'ai pas le temps de m'occuper de ça. Mais comment dire non, lorsque la situation est présentée ainsi ?!
Alors j'ai accepté.
J'y repense, et à nouveau je m'effondre.
Je suis piégée dans ma vie, piégée par tout ce que j'ai accepté.
Piégée par ma peur de ne vouloir décevoir personne - et qu'est-ce que ça change ? Est-ce que les gens m'aimeront plus, si je me donne corps et âme ?!

Mon chat se couche contre moi. J'enfouis mon visage dans le pelage de son ventre, et elle turbine comme un petit moteur à ronron. Elle donne tout ce qu'elle a. Je me calme petit à petit.

Copine#1 m'envoie un message. "J'ai réfléchi à la dynamique Isaac-toi-moi. Ya un truc qui grippe le tout mais je pense comprendre quoi et voir comment améliorer tout ça. T'inquiète on en reparle demain et ça va aller".
Je me demande si Isaac a envoyé un S.O.S à Copine#1. Je me dis que tout ça, c'est ma faute, je suis un poids pour mon entourage, c'est parce que je suis trop faible.
Je m'effondre à nouveau.

Je m'endors sans m'en apercevoir. Lilith est couchée contre moi, et ne me lâche pas de la nuit. Je fais des rêves étranges, je me réveille assez reposée.
Je regarde le flot de mouchoirs à côté du lit.
Je me demande comment j'ai pu me mettre dans cet état.

Je pars travailler, je suis un peu plus reposée.
J'ai une réunion, et des tas de choses à faire.
Je me dis "J'ai bien dormi, ça va aller tout seul, vraiment, il suffisait d'une bonne nuit de sommeil, ça va beaucoup mieux".
Je ne m'aperçois pas tout de suite que je suis en train de sangloter depuis un petit moment.

Il est évident que je suis incapable de travailler.
Je finis par demander à ma cheffe un entretien informel. "Je voulais te demander..." et je m'effondre en larmes.
Je prend une partie de la journée - je dois revenir le soir, pour un remplacement que j'ai accepté de faire et que je suis à peu près la seule à pouvoir faire.
Elle va regarder si elle peut m'arrêter le lendemain.
Et samedi.
Je me sens faible. Une vraie incapable.
Constat d'échec.
Encore.

Je rentre en pleurant. Je me sens faible, mais je me dis surtout que si je ne prend pas des mesures tout de suite, ça va finir en vrai burn-out, et je ne supporterai pas ça. Hors de question d'être en incapacité de travail pendant des semaines, hors de question que tous mes collègues constatent ma faiblesse.

Une distanciation assez flippante se fait : mon corps lâche, je pleure sans cesse. Et pourtant, mon cerveau, derrière, analyse la situation assez froidement : "Ok, ça ne va pas. Tu as envie de flanquer ta voiture dans l'arbre - ok, c'est préoccupant. Tu as envie de te scarifier ? Non, tu es plus forte que ça. Ça, c'est une bonne nouvelle. Tu pleures et tu sanglotes, ok, mais est-ce que ça dégénère en crise de panique et est-ce que tu as l'impression d'étouffer ? Non, ça c'est rassurant. On n'est pas au fond. Ça va le faire".

Mais en réalité tout est de trop. J'ai le sentiment que tout le monde attend des choses de moi, que tout le monde me dit quoi faire, ou ce que je fais de travers. Il semblerait que tout le monde saurait vivre ma vie mille fois mieux que moi. 
Et chaque nouveau mail, chaque nouvelle remarque, la moindre réflexion à ce sujet me tombe dessus comme un nouveau poids, et me donne envie de pleurer.
Je ne suis pas assez bien - et tout le monde me le fait remarquer.
Je fait n'importe quoi - et tout le monde me le dit.
Je ne fait pas ce qu'il faut - et tout le monde le signale.
Je reçois un courrier me rappelant que je pourrais isoler ma maison pour 1€ "Vous n'avez pas encore profité de ce dispositif".
Je m'effondre en larmes.
Arrêtez tous de me dire ce que je devrais faire.
Je n'ai pas non plus payé l'artisan pour le plafond.
Ni l'électricien.
Je n'ai pas choisi d'artisan pour ma salle de bain.
Je n'ai pas refait un prêt.
Je n'ai pas trouvé de solution pour mes travaux.
Je n'ai pas trouvé comment faire.
Je n'ai pas trouvé comment gérer mon temps.
Je n'ai pas réussi à m'organiser.
Je ne suis pas sûre que je parviendrai à finir de préparer mon cours - ni à le donner.
Je n'y arrive pas.
Mon chat qui me réclame des caresses ou à manger suffit à me donner l'impression d'être insuffisante pour elle aussi.
Je sombre.
Mais hors de question que qui que ce soit s'en aperçoive.
Et puis je dois préparer mon cours.
C'est dans 4 jours, et je n'en ai fait qu'un tiers.
Et ma mère voudrait que je donne plus de nouvelles.
Et..
Tout ça c'est trop.

Je réalise que j'essaie d'être à la hauteur auprès de tout le monde en ce moment. J'essaie d'être celle sur qui on peut compter. J'essaie d'être là, d'être forte, d'être fiable. On pourrait se demander "Non mais quelle histoire je prétend raconter, là ?!". J'essaie quoi au juste ? J'essaie de me prouver quoi ? De faire croire quoi ?
Peut-être que j'ai essayé d'être quelqu'un d'autre.
Je ne sais plus.
En tout cas, j'ai loupé un truc. Et Mademoiselle B. a du plomb dans l'aile, et commence franchement à voler de traviole.

Le soir, je vois qu'Isaac m'a envoyé un mail. Ou il m'exprime toute sa détresse, face à la mienne. Qu'il pense être toxique pour moi. Qu'il n'y arrive plus. Qu'il ne peut pas me voir comme ça, ni se regarder en face.
Est-ce que cette lettre est un adieu ?
Je suis hébétée.
Est-ce que c'est un adieu ?
Pas aujourd'hui, pas maintenant.
Je ne peux pas. 

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