lundi 10 février 2020

L'horloge biologique


Mon petit frère est né en février 2005. 
J'avais quasiment 18 ans, à 3 mois près. 
J'étais en terminale.
J'ai vu, en tant que presque adulte, en tant que fille en âge de procréer, la réalité de l'arrivée d'un enfant. J'ai pris soin de lui lorsque ma mère travaillait et que mon beau-père ne voulait pas s'en occuper, et j'essayais en même temps de suivre mes cours et de préparer mon Bac.
Ce n'était pas une période facile, loin de là : je me souviens de toutes ces fois où je suis arrivée au lycée en larmes, d'autant plus qu'on ne s'entendait plus avec mon beau-père et qu'il me disait « Dès que tu as 18 ans, je te mets dehors ». 
J'ai pu mesurer à quel point un bébé bouleverse une vie, un foyer - et paradoxalement, je me souviens aussi m'être dit, en changeant mon petit frère « C'est incroyable, il a pris naturellement sa place ici, c'est comme s'il avait toujours été là ». 
Les habitudes viennent automatiquement, tout comme la prise en compte de sa présence et de ses besoins.

Pour autant, ça m'a calmé : même si je n'étais que sa sœur, je voyais à quel point il fallait toujours avoir un œil sur lui, à quel point il nous accaparait, même les premiers mois, lorsqu'il dormait beaucoup.
Moi qui fantasmais la maternité, j'ai vu la réalité derrière l'idée d'être mère, et j'ai réalisé que je n'étais absolument pas prête à un tel engagement. 
Je me suis dit que beaucoup de femmes qui décidaient d'avoir un enfant n'étaient sans doute pas préparé à cette réalité non plus.

Et je ne parle même pas de la réalité de la grossesse, qu'on nous montre comme un état de béatitude permanent, et dont j'ai constaté l'autre réalité en allant visiter le service de néonatalogie, qui m'a tout simplement épouvanté.

J'ai grandi, je suis même passé "de l'autre côté" : Les enfants me dégoûtaient, je les trouvais sales, bruyants, insupportables, ingrats, profondément exaspérants. 
J'en voyais chaque jour au travail, et ça n'a fait que consolider cette certitude : non, je ne veux pas d'enfants. Surtout pas. Quelle horreur !
Il était de toute façon hors de question de remettre en question mon travail, mes activités extra-professionnelles, mes activités sportives et tous mes loisirs. Réduire quoi que ce soit pour qui que ce soit ? Jamais de la vie !

Et puis il y a quelques mois, je ne sais pas exactement quand, mon regard a changé. Assez insidieusement, je dois l'avouer. 
D'abord j'ai commencé à trouver quelques enfants mignons. Puis de plus en plus. Il n'étaient plus sales, morveux, bavant, etc... Non, je les trouvais mignons.
Ça ne m'a pas trop choqué, dans un premier temps.

Et puis j'ai commencé à ressentir des choses, et à les ressentir très fort, dans mon corps , du plus profond de mes tripes. Une envie irrépressible, un... besoin ?
J'ai commencé à remarquer les femmes enceintes dans la rue, et je les trouvais superbes.
Une boule à l'estomac : « Moi aussi, je voudrais être enceinte ». « Qu'est ce que ça fait, d'attendre un enfant ? De sentir un être grandir, bouger dans son ventre ? » 
Je me souviens que j'avais trouvé ça magique, lorsque ma mère était enceinte : quelques mois où on ne voit rien, puis un ventre, puis un être que l'on sent au bout de ses doigts, et puis soudain, un enfant, qui gigote, qui a des doigts, des orteils, des cils, qui est formé, qui pense, qui rêve, qui ressent des choses - qui est vivant
La création d'une vie - c'est juste magique.
Lorsque je voyais des bébés, j'étais émue. Émue aux larmes.
Les enfants plus grands ont commencés à m'intriguer également - cette espèce bruyante et constamment en manque d'attention, finalement, je les trouvais mignons aussi. Attendrissant. Fascinant.

Je me suis fait piégé, il y a quelques semaines, à animer un stand de maquillage pour enfants pendant toute une soirée. Comment j'ai pu me retrouver dans cette situation, je me le demande encore, mais en tout cas j'ai envisagé la chose comme une punition, mon purgatoire personnel, et accessoirement un moyen de me purifier de mes péchés et repartir avec un karma tout neuf (c'était le point positif). 
Sauf que je me suis surprise à apprécier le moment. A être émue. Émue par les petites filles aux cheveux si fins que je ne savais pas comment les attacher pour maquiller les fronts, émue par la bouille des petits, les froncements de sourcils des grands. Émue de me dire que ces enfants étaient la somme de leurs deux parents, qu'ils étaient des êtres en devenir. Me dire « Et moi, si j'avais un enfant, à quoi ressemblerait-il ? ». « Si j'avais un enfant, il serait comme cette petite fille, ou ce garçon. Il ou elle aurait des cheveux tout fin, de grands yeux curieux, mais ce serait mon enfant ».
 J'ai observé leurs caractères, ayant un attendrissement tout particulier pour les grands timides, et j'ai constaté cette incroyable diversité de personnalités. J'ai observé leurs relations avec leurs parents, et comment, souvent, le caractère des uns et des autres est intimement lié à la façon dont leurs parents leurs parlent. C'était passionnant. Enrichissant. Exaltant.
Et effrayant : oui, les enfants m'ont touchés. Oui, ils m'ont ému. 
Oui, j'en veux, en fait !

Il semblerait que l'horloge biologique ne soit pas une théorie scientifique.
Soit.
Mais alors qu'est-ce que je vis ?!
Aucune étude (y-en-a-t-il eu ?) n'a prouvé son existence. 
.... Cela dit, son absence ne me semble pas avoir été démontrée non plus.

Malgré moi, je me suis mise à imaginer mon quotidien différemment : Faire un sapin pour mon enfant. Fabriquer des décorations de noël avec lui ou elle. L'emmener à tel ou tel endroit. Le ou la sensibiliser à l'écologie, et aux causes qui me tiennent à cœur - mais en lui laissant sa liberté de penser. Repenser mon (notre) quotidien pour en faire un jeu, et qu'il ou elle apprenne de façon ludique. Lui donner envie d'être curieux ou curieuse de tout. Laisser de la place à un enfant dans ma vie. Et entourer cet être de mon affection.
Une partie de moi s'insurge : Non non non ! Et le sport ?! Et les loisirs ?! Et le ciné ? Les spectacles ? Les restos ? Boire un verre ? Et les soirées entre copines ?! 
Sauf que cette partie est de moins en moins forte. Que des solutions apparaissent. J'y pense tout les jours, en me disant « Comment cette journée aurait été si j'avais un enfant ? Là, j'aurais été le ou la chercher à l'école. Ici, j'aurais fait comme ci ou comme ça ».
Soudain, mes loisirs me semblent moins importants.
Comment ?
Pourquoi ?
Depuis quand ?
Je ne le comprend pas moi même.
J'ai soudain envie de mettre mon énergie dans quelque chose de plus grand que moi, que ma petite existence égocentrique et égocentrée.

Et malgré moi, je mets en place un plan d'action : il faut que je finisse mes travaux. Que ma maison soit totalement terminée - et peut-être même vendable, en fait ?! Et si je terminais la rénovation, pour acheter quelque chose de différent, où je pourrais avoir des animaux ? Accueillir différents animaux de fermes, sauvés des abattoirs, et élever un enfant qui côtoierait quotidiennement des animaux, qui apprendrai à respecter les êtres vivants et qui  serait responsabilisé dès son plus jeune âge.
Oui, il me semble que c'est important, qu'un enfant soit en contact avec des animaux.
En attendant, je pourrais aménager une chambre d'enfant au dernier étage. La chambre Airbnb deviendrait la chambre de mon enfant. 
Je pourrais faire du sport pendant qu'il dort, les premiers temps.
Avoir une baby-sitter régulièrement, ensuite, afin de me laisser du temps pour moi.

Sauf que ce n'est plus rationnelle, et je le sais.
Quid de l'argent nécessaire pour mener cette vie ?
Quid de la fatigue ?
Quid des moments de découragement ?
Je ne suis déjà pas capable de gérer ma vie personnelle, professionnelle et ma maison, alors un enfant ?!
Quid de mon désir de famille ?
Il passe complètement au-dessus de cela, alors même que je regarde Copine#3, qui forme une véritable famille avec son mec, avec qui il y a un vrai et égal partage des taches et des rôles, et que je me dis « C'est à ça que j'aspire ».
Alors pourquoi, soudain, je veux faire un enfant seule ?
Je sais aussi que ce choix me conduira à faire une croix définitive sur mes espoirs de relation amoureuse - mais finalement, est-ce que ce n'est pas aussi un peu ce qui me motive ? Arrêter d'attendre en vain un homme qui m'accompagnera et avec qui je partagerai des choses (et pour qui je serai l'unique), et que vraisemblablement je ne trouverais jamais ? Remplacer ce fantasme par un projet solide, et continuer d'avancer envers et contre tout ? 
Mais ne vais-je pas me perdre, dans cette histoire ?
Et puis la vraie question, c'est : suis-je assez solide ? Moi qui, trop souvent, baisse les bras, et sombre dans la mélancolie, la déprime et les idées noires ?
Et si je suis si malheureuse que je décide de mourir ? 
Et si ça me rendait folle ?
Et si je venais à tuer mon enfant ?
Et si j'en étais incapable ? 
Et si je n'avais ni la patience, ni le tempérament ?
Et si je rend mon enfant malheureux ?

Dans mon plan d'action, j'ai aussi le comment : 
Pour en avoir parlé avec mon ami Q., qui s'était indigné de me voir envisager la PMA ("Quoiiii ?! Mais imagines, tu ne peux pas savoir si le type est moche, cinglé, psycho, malade... Ça t'angoisse pas ?!"), nous avons parlé du comment. 
- Ecoute, moi si t'as besoin, j'peux te filer du jus. C'était le deal avec ma meilleur amie si elle n'avait pas d'enfants à 40 ans, et personnellement, j'aime bien l'idée de laisser un peu de moi. 
Nous avons un peu réfléchi à la chose :
- Mais comment tu envisages ton rôle ? Tu veux être un oncle, un ami, un inconnu... Ou un père ?
- Tu veux l'élever à ta manière je pense, non ?
- Heu.... Bah.... Oui et non, en fait. C'est quelque chose qui me semble au contraire capital de définir. Moi personnellement, je suis ouverte à tout. Je préférerai que mon enfant connaisse son géniteur, pour ne pas vivre ce que j'ai vécu. C'est pour ça que j'ai toujours été contre cette idée de faire un enfant toute seule, parce que c'était abominablement égoïste. Sauf que cette envie impérieuse d'enfanter me rend égoïste. Et que désormais, j'envisage la possibilité d'avoir un enfant sans père. Donc non, au contraire, je serais ravie de te laisser une place, qui est la tienne de droit. Mais je peux aussi entendre que tu me donnes "du jus" (très classe cette expression, au passage), et que tu t'en laves les mains. Mais ce doit être quelque chose de réfléchi. Tu peux décider d'être un inconnu, et de changer d'avis plus tard, en revanche vouloir jouer ce rôle, et disparaître, c'est beaucoup plus cruel... Et je ne le tolérerai pas. Donc j'attends de toi que tu y réfléchisses très sérieusement. Et que le jour où l'on fera ça, les choses soient claires, et bien posées.
- Je suis d'accord.
Nous avons ensuite parlé éducation, sexe de l'enfant, prénoms possibles. 
Il m'a aussi dit « Tu sais, de notre groupe, peut-être que je ne serai pas le seul à être prêt à te donner du sperme. Si tu interroges les garçons... Tu pourrais être surprise ! ».
Ça m'a laissé pensive.
Et puis ça m'a rassuré. Je savais que j'avais cette option. Cette option que j'ai envie de saisir, que j'ai envie de provoquer, très vite. Qui me rend presque cinglé - parfois, j'ai cette montée, cette envie d'appeler Q., et de lui dire « Ok, je te laisse 1h, tu me fais une seringue de "jus", j'arrive ». Envie de bouleverser ma vie, de lui ajouter un petit être.
C'est incompréhensible et irrationnelle.
Et c'est plus fort que moi.
Je dois lutter contre cette envie, qui parfois m'obnubile et me plonge dans des rêveries complexes et stratégiques.
Je me suis mise la limite de 36 ans : si je n'ai personne dans ma vie à cet âge là, et aucuns projet amoureux viable, je fais un enfant toute seule.
Ça me laisse 3 ans.

2 commentaires:

  1. Et bien tu auras été prolixe ce wk... et on ne peut pas laisser un commentaire sous l'article précédent ;)
    Tout ce que j'aurais à en dire, que parfois, il vaut mieux couper que déchirer.
    Dans le même ordre d'idée, j'ai vu passer une image l'autre jour sur FB, une main qui tenait une corde et le message c'était "parfois, s'accrocher fait plus mal que laisser partir"
    Concernant l'horloge biologique et ton désir d'enfant, je dirais que 3 années me semble être un délais raisonnable... aujourd'hui, on fait des enfants plus tard qu'avant, et souvent après s'être construit une vie, une carrière... Ma sœur a rencontré son chéri à 37 ans... ils sont parents aujourd'hui.
    Allez jeune dame, haut les coeurs! Tu as ta maison, un job qui a l'air de te plaire, des loisirs et des engagements (j'en ai l'impression au travers de tes récits) et des amis sur lesquels tu peux compter. On en peut pas dire que tu ne gères pas ;) Tout ira bien, ne t'inquiète pas.

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  2. Je te conseille d'écouter : l'horloge biologique, on t'a pas sonnée
    https://www.arteradio.com/emission/un_podcast_soi

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