mercredi 26 mai 2021

Le premier bar après la fin du monde


 ... Ne valait finalement pas le détour.

19 mai 2021, date de "la grande libération".

Je n'avais pas spécialement prévu de me ruer où que ce soit, me disant qu'à peu près toute la ville serait prête à tuer pour une bière en terrasse - tout ça pour se geler les miches et prendre la flotte.

Et puis le 19 au soir, après une journée particulièrement merdique, j
e fumais une cigarette avec une collègue (appelons-là Pomme, parce qu'elle est allergique aux fruits). Nous souhaitions un bon film aux collègues qui se ruaient au cinéma en gloussant, et elle me dit :
Ca te dit d'aller boire un verre ? Mon mec m'attend avec des potes, on va au Premier bar après la fin du monde.

Une partie de moi s'est dit que le moment était tout de même historique. Ca m'a fait penser à l'article de Titiou Lecocq, qui racontait la Bastille le soir de l'élection de François Hollande... Où tout les gauchistes s'y sont retrouvés parce qu'ils n'avaient pas pu vivre l'élection de Mitterand. Article savoureux - et, Grands Dieux, prémonitoire.
J'ai donc accepté la proposition de Pomme, et nous sommes parties, guillerettes, vers le bar où nous attendait son mec.

Lorsqu'on arrive, la rue est bondée. Genre Fête de la musique (sans la musique), une file d'attente de plusieurs mètres, des gens qui beuglent, des attroupement de personne à l'équilibre (très) instable... Et, bien sûr, aucune distanciation, aucun masque, aucun geste barrière. 
J'avoue, j'ai commencé à me demander ce que je foutais là : J'étais pas prête.

On retrouve son mec et on s'installe, avec une chaise pour trois et 50 personnes dans 20 m².
Je lâche un petit « C'est pas très Covid tout ça, non... ? », mais personne ne m'entends parce que tout le monde parle SUPER fort, ce qui est incompréhensible puisqu'ils sont tous jeunes (et donc a priori pas sourds), et que les gens ne se sont pas vu depuis longtemps donc qu'ils devraient (à mon humble avis) prendre des nouvelles les uns des autres plutôt que de beugler des conneries. 
En vrai, je crois que je suis juste foutrement trop vieille pour cet endroit.
Le patron est ouvert depuis 6h du matin pour marquer le coup, et des fous ont été prendre un café-croissant-bière à l'ouverture. Sauf qu'entre temps, il s'est fait un devoir de trinquer avec chaque client, et entre la fatigue et l'alcool, il est complètement torché.
Je lâche un petit « Dis donc, c'est limite-limite ça, non ? Ca serait pas un tout petit peu illégal, même ? ». 
Mais personne ne m'entends parce que c'est encore plus bruyant dans le bar, et de toute façon si je veux un verre, vaudrait mieux pas que je cherche l'embrouille.

Le mec de ma collègue :
On s'est déjà vu non ?
- Ben oui, j'étais venu chez vous le jour où tu avais secouru un hérisson, et on lui avait donné des croquettes ensemble
- Mais ouiiiii, c'est vrai !!! Tu as une bonne mémoire !
- Non, j'aime juste les hérissons. Tiens, la preuve, je ne me souviens même plus de ton nom, juste du hérisson.
- Je m'appelle...
- Non, mais en vrai je blaguais, tu es Luc.
Dieu que ma blague était nulle, et même limite offensante.
Petit flottement.

Heureusement, le bruit des conversations parviens à augmenter encore plus, et de toute façon on ne s'entend plus.
Ca m'évitera au moins la tentation de faire de l'humour.
Ca rit, ça trinque, ça fume, ça....  sent le shit là, non ?!
Je me sens complètement déphasée : trop de monde, trop de proximité, de rires, de cris,... Je me dis, pensive, que je suis en train d'observer la naissance de la troisième vague. 
Un type est venue avec une gosse qui doit avoir 7 ou 8 ans. Elle est au milieu d'un nuage de fumée - et des gros lourds bourrés qui se tiennent au bout de la cigarette. Je suis partagée quant à l'intérêt éducatif de cette expérience.

On boutonne nos manteaux jusqu'en haut, et on réajuste nos écharpes. Il fait un froid de gueux et mon verre de vin est glacé par la température extérieure.
Non mais franchement... Pourquoi je m'inflige ça ?

Pomme et son mec sont comme des poissons dans l'eau. D'ailleurs, ils connaissent la moitié du bar. 
Une de leur connaissance vient les saluer : un type dont l'allure nonchalante dissimule (mal) une ivresse avancée, et dont l'un des yeux (le gauche) papillonne malgré lui. Le frétillement s'interrompt néanmoins lorsque son regard croise Pomme, et il la salue obséquieusement. Je soupire, et marmonne « Mais quelle pauvre merde », je m'en fout, personne n'entend rien. Il s'approche d'elle, et la regarde avec un regard tellement pervers qu'il mériterait qu'elle lui flanque un truc dans son oeil (gauche) qui a recommencé à papillonner. Mais il n'y a même pas une fourchette salvatrice sur la table.

Le type hurle plus qu'il ne parle, de cette intonation de type bourré absolument pas sexy, et pourtant, il s'y croit : « Ouais y'a une meuf qui veut trop que j'l'a baise, je le sais bien. Elle veut que j'l'a BAISE. J'pourrais la baiser. Mais j'veux pas. Elle est répugnante ».
Quel dommage qu'il n'y ai pas de fourchette sur cette table, j'aurais tout à fait assumé de passer une nuit en taule pour coups et blessure sur ce mec.
Il explique ensuite qu'il est aide-soignant, et je me dis que ça m'horrifierait qu'un mec pareil s'occupe de moi. Toutefois, apparemment ça marche pas mal, en ce moment, de lever des filles en disant qu'on bosse dans la santé. 
Il reluque toutes les filles qui passent, pendant que son œil continue plus que jamais à frétiller.
Personnellement, je suis hyper tendue, et prête à lancer un kaméhaméha (ou plus vraisemblablement un coup de boule) au moindre geste brusque.

J'observe les clients : Beaucoup de cheveux rouges, bleus, noirs. Des piercings, des bagues, des tatouages. 
D'habitude la faune dans laquelle je m'épanouis
Pourtant je ne suis pas à l'aise, je me sens en décalage... Et, bien qu'ils aient entre 25 et 30 ans (et que je n'ai pas beaucoup plus), je me sens vieille.
Peut-être me suis-je isolée trop longtemps, ces derniers mois ?
J'entends quelqu'un beugler « CA !!! C'EST CA !! LA, ON REVIT ENFIN !! ».
Et je me dis « Mouaif, c'est une pinte de bière locale sur une table bancale, qui détermine le sens de la vie ?! »
Hum, peut-être que je suis vraiment devenu vieille, en fait.

Je repars vers 20h45 pour ne pas rater le couvre-feu. J'avoue que quitter le bar me soulage énormément.
Je croise 2 voitures de flics en retournant à ma voiture, et me félicite d'être sage. 

Je rentre, pensive. Je n'ai pas vraiment passé une bonne soirée. 
Mais bon, j'y étais.
Et puis je pourrais toujours faire croire que c'était un merveilleux moment historique, un véritable échange, une communion entre les êtres, une épiphanie de... heu... ... ... mouais.... bon.... Je vais retravailler mon histoire.

2 commentaires:

  1. Ah moi, j'étais au rdv le premier jour de la réouverture, et pire, j'ai même passé la frontière pour profiter d'une terrasse (au Lux le mois dernier). Avec ma meilleure amie, on s'était dit qu'on irait "qu'il caille, pleuve, vente ou neige". Ben en gros, il a fait les 4 :) Et comme moi aussi je suis le genre "la plus chanceuse du monde", je me suis fait grillée par la télé nationale qui m'a interviewé sur mes motivations à être là :) Bref, j'aurais facilement pu beugler que "je revivais enfin", sauf qu'heureusement, je n'ai jamais cessé de vivre ;)

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    1. Ah oui, à ce point, carrément le Lux ?! Je ne savais pas que c'était rouvert (je n'en suis pas si loin non plus) :p Et je confirme, il a fait à peu près les 4 oui - disons que la neige était remplacé par de la grêle, mais on n'était plus à ça près, n'est ce pas.
      Mais le bonus reportage télé, j'avoue, chapeau. Ca c'est une belle anecdote, j'ai bien rigolé XD
      Tu as bien raison, il ne faut jamais cessé de vivre, là est tout le secret ! <3

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