Trente quatre

C'était il y a un mois.

Je suppose que la bonne nouvelle, c'est que j'ai survécu à mes 33 ans. Tout le monde n'a pas eu cette chance, après tout : on en connait tous un qui a fini sur une croix, à cet âge là.

Mon anniversaire est arrivé un peu trop vite.

J'étais pas préparé, et encore à me demander quel âge j'allais avoir ; pour une raison étrange, j'hésitais entre 31 et 35. Et j'ai toujours du mal à considérer que j'ai 34 ans. Dans ma tête j'en ai 35. 

Pourquoi ce blocage ? Aucune idée. 

Mais est-ce que ça a de l'importance ? Pas vraiment.

J'ai passé la journée seule, enfermée chez moi. Je n'avais rien prévu, rien anticipé. Je n'avais ni repas de fête, ni gâteau. 

Je pensais que je m'en foutrais.

... C'était un mauvais calcul.

Vers 11h du matin, j'aurais voulu que N'IMPORTE QUI  sonne chez moi. Même un commercial d'Enedis, ça m'aurait fait du bien, j'aurais pu lui gueuler dessus et lui claquer la porte au nez. 

Je me sentais affreusement et connement seule.

Alors j'ai été repiquer des semis de tomates sous la pluie.

Mon papy m'a téléphoné vers midi. Lorsque j'ai décroché, il y a eu une grande inspiration, et puis : "BONNE ANNIVERSAIRE MA MADEMOISELLE B. !"

J'adore la façon qu'il a de hurler dans le téléphone, d'une façon néanmoins très chantante.

Il rappellera plus tard, un "appel de la poche". Je m'époumonerais à hurler "Allo ! Allo !", avant de me dire que, vu comment j'entendais très distinctement la météo, la TV était à fond et jamais il ne m'entendrait.

Je raccrocherai en rigolant (et désormais informé que la météo du jour prévoyait d'être catastrophique).

Ce fut ensuite au tour de Morgueil de m'appeler, et de chanter au téléphone - je l'accompagnais un peu de ma douce voix, et passerait le reste de la journée à chantonner "Joyeux anniversaireuh, nos voeux les plus sincèreuh...."

Il m'engueulera : "Et tu n'as pas prévu un repas ? Une bouteille au moins ?"

"Non.... Et puis j'ai pas encore fixé les casiers à bouteilles dans ma cave, alors j'ai pas encore commencé à constituer ma cave à proprement parlé...

"Tu peux pas aller faire des courses ?!"

"... C'est férié"

"Mais comment tu peux être aussi organisé dans ton travail, et aussi nulle lorsqu'il s'agit de toi ?!"

J'y repenserais par la suite. Illumination : je crois qu'on appelle cela de l'auto-sabotage.

Une demi heure plus tard, un appel d'un numéro que je ne connais pas.

Panique : je n'ai jamais récupéré tous les numéros perdu après le vol/perte de mon téléphone, du coup cet appel est peut-être de quelqu'un que je connais, mais il va me falloir reconnaitre vite pour pas avoir l'air bête - ou être blessante.

Concentration ultime :

- Ouiiiiii ?

- Bonjour, c'est le fleuriste du patelin à côté de chez vous

- Ah, super, je ne vous connais pas !

- Heu... Quoi ?

- Non, laissez tomber. Vous disiez ?

- Vous êtes chez vous ?

- Oui

- Vous allez y rester longtemps ?

- Heu...

- Ce n'est pas pour être intrusif hein... Oui c'est un peu cavalier... Je peux venir vous livrer d'ici 20 minutes ?

- Oui, faisons comme ça !

J'imagine que c'est Morgueil qui, agacé par mon manque de considération envers moi même, a décidé de dégainer le fleuriste. Surtout qu'il y a quelques temps, je lui ai demandé, au bord des larmes, d'un jour m'offrir des fleurs, quand je ne m'y attendrais pas, car personne ne le fait jamais, et que ça me ferait plaisir.

On me livre un très joli bouquet rose et blanc, et lorsque je lis la carte, c'est signé de ma mère et mon petit frère.

Je fonds en larmes, et doit m'assoir, prise de sanglots émus.

Dehors, une espèce de tempête se lève, et il fait quasiment nuit alors qu'il est 16h.

Je suis en pyjama, je décide d'enfiler mes sabots de jardin (c'était ça ou mes chaussons à tête de souris), un pull trop grand, et je vais m'acheter un big mac.

C'est complètement con, je suis végétarienne ET j'aime la bonne nourriture, mais j'estime soudain qu'à 16h, le jour de mon anniversaire, en pleine tempête, je me ferai un MacDo pour le gouter.

Dont acte.

(Les Drive sont tout de même des choses merveilleuses, qui permettent d'être triste, négligée et en vrac sans avoir besoin de faire des efforts)

Je rentre me taper mon maxi menu devant un épisode de Charmed (ma culture en ce moment est carrément au ras des pâquerettes), pendant que mon chat essaie de me tirer mon burger, et que la pluie gifle mes vitres.

Je reçois quelques messages, étonnamment plus de mes collègues dont je ne suis pas très proche, que de mes amis. Copine#1 m'envoie un message en soirée, mais si froid qu'elle aurait pu écrire "va crever", ça aurait été pareil. J'ai le sentiment de n'avoir plus vraiment d'amis, plus vraiment d'attaches. Je me dis que ça devrait me rendre triste, ou me faire peur.

Je me dis que je n'ai plus envie de rester ici, que je voudrais me rapprocher de ma famille, profiter de mes grands-parents tant qu'ils sont là, et des périodes de lucidité de ma grand-mère, tant qu'elle en a. 

Si j'adore a maison et ma région verdoyante, j'ai perdu mes amitiés, et je suis écœurée de mon job, où ma cheffe m'a tellement démonté pendant mon entretien annuel, que j'ai été à deux doigts de démissionner sur l'instant - depuis, je cherche à partir et je ne lui cache pas ("Tu es donc si mal à travailler avec nous ?", m'a-t-elle demandée mielleusement. "Oui", ai-je répondu aussitôt). Mais avec le dossier qu'elle m'a fait, je ne suis pas prête de trouver un autre poste.

Ma mère me téléphone. M'annonce que mon petit frère est plongé dans une léthargie dont elle peine à le tirer. Pour qu'il sorte du lit, elle a dû lui sortir les jambes du lit, et le redresser à la force des bras : il n'a plus aucune force. Il s'est mis à pleurer. Il n'a envie de rien. Il ne sait pas ce qu'il a. Il se sent mal, si mal.

Elle n'arrive pas à me le passer au téléphone car il s'est brutalement endormi - il ne fait quasiment plus que ça. 

Mon cœur se serre, et plus que jamais, j'aimerais être plus près, plus que jamais, je me demande ce que je fais ici, seule, et clairement pas heureuse.

Ma grande tante me téléphone.

Elle me dit qu'elle me souhaite juste mon anniversaire, qu'elle ne reste pas au téléphone parce qu'elle a mal à la dent, elle va raccrocher tout de suite, elle a voulu aller à la pharmacie mais le type a été odieux, et elle me raconte pendant vingt minutes à quel point il n'a pas été professionnel. Je lui lâche un "Mais quel infame petite merde !", et ça la ragaillardi. (Si je peux être vulgaire pour aider, faut toujours m'appeler, ça m'fait plaisir)

Le temps est dégueulasse, et il fait super froid. J'ai trouvé une bouteille de cidre à la cave, mais je commence à avoir mal au ventre, et ne me sent pas très bien.

Je crois que je ne digère plus vraiment les Mac Do.

Je décide de ne plus rien ajouter dans mon estomac avant le lendemain

Je me dis que l'année dernière, il y a un an exactement, je venais de me faire larguer par Isaac, on sortait tout juste de confinement, et à la réflexion, c'était franchement la merde aussi. Mais mon frère était là, ma mère nous rejoignait, et j'ai quand même mangé un fraisier (je ne conçois qu'un fraisier pour mon anniversaire, sinon la fête a un gout d'inachevé). Je n'ai pas beaucoup plus de souvenirs que ça, mais j'avais un peu sauvé les meubles. Et les copines étaient venu aussi, et m'avaient offerts des arbustes à kiwis, et des chouettes de jardin en céramique.

Un an plus tard, personne n'est là, je ne fêterai pas mon anniversaire, ne mangerai pas de fraisier, ne verrais pas de copines - et les arbustes a kiwis ont crevés dans le jardin.

Mon anniversaire était il y a un mois, et je n'ai toujours rien fait. 

Clairement, c'est mort pour la fête et pour le fraisier.

Bon, par contre, j'ai racheté des kiwis, et j'espère qu'ils vont prendre.

Espérons que les 34 seront moins merdiques que le jour où je les ai (pas) fêté.