mardi 3 août 2021

Fragment(ée)s




                    













Partout
Des amours déçus
N'y a t il donc que des fantômes ?
Qui suis-je, alors
Hors de tout
Y compris de mon refuge
Bloquée
Et pourtant, une étincelle :
Moi ce que j'aime, c'est les Monstres !
Etonnamment, au premier jour
Une porte de sortie semble s'ouvrir
Vers les vivants ?
Tel est le projet


Partout

Culpabilité.
Liée au fait d'être arrêté. 
D'inquiéter les gens. « Non, ne vous occupez pas de moi, je vous assure, n'y pensez plus, je reviendrais dans deux semaines, je suis désolée, désolée, ne me regardez pas, ne vous occupez pas de moi »
De n'avoir été arrêté que 4 jours lorsque j'ai été intoxiqué au CO2 dans mon ancien appart, et de l'être ici pour 2 semaines pour... quoi d'ailleurs ?! 
« Parce que ça ne va pas très bien et que je ne sais pas très bien pourquoi »
Parce qu'au bout de 3 jours, je dors mieux, je me repose vraiment, et la distance me fait voir à quel point j'ai vrillé.
Parce que c'était peut être drôlement utile, en fait.

Des amours déçus

Au bar, avec une dizaine de collègues, après quelques tournées :
- 41 ans, et 2 divorces. On peut dire que j'ai réussi ma vie !
- 29 ans, et je me sépare, après 12 ans de vie commune. Je ne sais même pas ce que ça fait, de vivre seule.
- 30 ans, et je couche à gauche à droite, sans réussir à m'attacher, parce que je suis amoureuse de mon meilleur ami.
- 44 ans, mon conjoint habite dans les îles, ça fait dix ans, et j'élève nos enfants seules... Alors un jour, je rencontrerai peut être quelqu'un et... je le rencontrerai vraiment.
- 40 ans. Il y a 3 ans, mon mari m'a obligé à avorter, et je n'ai jamais pu lui pardonner cela, j'y pense tous les jours, et je suis en colère, tellement en colère contre lui.
- La pire chose qui est arrivé à mon couple, c'est le quotidien. 
- Nous c'est juste après avoir acheté notre maison. 5 pièces, et là mon mec s'est aperçu qu'en fait il ne voulait pas d'enfants... Et qu'il ne voulait plus de moi non plus, à bien y réfléchir.

Il reste Pomme, dont le couple, 11ans plus tard, semble s'être constitué l'avant veille tant ils se parlent avec amour et bienveillance, se bouffent des yeux lorsqu'ils sont ensemble, et se font apparemment régulièrement surprendre à faire l'amour dans des endroits improbables parce qu'ils ont juste envie l'un de l'autre à ce moment là.
Il y a aussi un autre collègue qui envoie des cœurs toute la journée à sa femme après une vingtaine d'années de mariage.
Ou mon autre collègue qui vit une vie tranquille depuis deux ans avec son gars, un colosse ultra timide et d'une gentillesse infinie.
Heureusement.

- Franchement ce soir, je vais rentrer, chialer, prendre mes antidépresseurs et me coucher. Comme tous les soirs.

On reprends une tournée.

N'y a t il donc que des fantômes ?

A ceux qui m'ont abandonné, rejeté, quitté, fait souffrir.
A ceux que j'ai quitté silencieusement ou avec fracas, mes rejets, mes abandons, mes égoïsmes.
A ceux qui ne sont plus là, à ceux qui ont disparu.
A ce que j'ai foutu en l'air.
Aux erreurs, aux conneries, aux regrets, à ce que j'assume, à ce dont j'ai honte.

J'ai l'impression qu'ils sont infimes, les "vivants", ceux qui sont plus qu'un souvenir, ceux qui sont vraiment là, ceux qui sont en couleur, qui parlent et qui arrivent à me surprendre, jour après jour - oui, un souvenir nous prend rarement au dépourvu.

Je repense en boucle au dernier message de Copine#1 (note pour plus tard : trouver un autre pseudo) (...ou ne plus jamais parler d'elle).
"Ça serait bien que tu t'en ailles, ça me soulagerait"
J'observe que ça provoque en moi exactement la même chose que lorsque j'étais au collège et qu'on m'avait dit "Si tu te suicidais on serait tranquille".
Je n'aurai jamais cru ressentir à nouveau cette émotion. Et sûrement pas de la part de quelqu'un en qui j'ai placé ma confiance. 
J'encaisse aussi "Tu es hypocrite, méchante, profiteuse, indécente". J'observe cela avec un détachement qui m'étonne moi même - certes, mon cœur bat la chamade et mes larmes coulent, mais je me dis aussi que, face à cela, de la part de quelqu'un qui me connait assez pour savoir où taper juste, aucun pardon n'est possible, aucune amitié ne peux perdurer. C'est très simple : c'est juste la fin de tout, sans besoin d'y réfléchir à deux fois.

Et puis je retrouve aussi l'éternelle question : si elle a raison, 

Qui suis-je, alors

Peut être juste quelqu'un qui arrête d'être celle que les autres attendent qu'elle soit 

Mais ensuite, alors, il y a quoi ? C'est quoi, le reste de moi même ?


Hors de tout

Je débarque chez ma mère, dans mes petits souliers, avouant à demi mot que je suis en arrêt, minimisant l'importance du craquage pour ne pas l'inquiéter. Pudiquement, elle et mon frangin feront semblant de gober mon histoire morcelée et contradictoire, sans demander de détails. 
Mais ils seront là tous les jours, contre moi, à prendre soin de moi et me soutenir, avec simplicité et discrétion.

Je sais que ça ne peut qu'être temporaire. Mais soudain je m'imagine revenir dans la région, habiter plus près d'eux, vivre dans une ville où il y a plus de monde, plus d'activités, plus de dynamisme. Un endroit où, je crois (ou je fantasme), que je pourrais avoir une vie culturelle plus riche, plus d'activités, où j'aurais plus de chances de rencontrer quelqu'un.

Je n'ai aucune envie de rentrer chez moi, aucune envie de reprendre le boulot, de vivre dans cette vi(ll)e où j'ai tant souffert, et où les derniers vestiges de ce qui me tenait debout se sont effondrés.

Y compris de mon refuge

De retour chez moi pour reprendre le boulot le lendemain. Ma maison me semble sombre, inaccueillante, menaçante, triste. 
Quand est-elle devenue ainsi ? Où est mon cocon protecteur ?

Bloquée

Absence de passion et de volonté dans mon corps : cours de sport plus que médiocre, courses à pieds que je sèche, envie de rien. Et rien ne m'anime, rien ne m'excite. J'essaie d'aimer mon corps, de me caresser, de me faire plaisir.
Rien.
Au mieux un léger agacement.
Soudain je me dis que je n'arriverais jamais plus à éprouver de plaisir, plus jamais je ne ferai l'amour.
Plus que cette certitude qui me percute, c'est le fait qu'elle ne parvienne pas non plus à me faire éprouver d'émotion, qui me donne envie de pleurer.

Et pourtant, une étincelle :

Je regarde des films ou des séries que j'oublie aussitôt. Ma tête n'est qu'un écran sur lequel passent des images qui ne provoquent rien en moi et qui s'effacent aussitôt.
Soudain, une scène :
Le héros s'approche de l'héroïne, on sent que quelque chose se passe entre les deux, et puis il s'approche, ils s'embrassent, il était temps que ça arrive, elle passe sa main sur sa nuque...
Stop.
Là, à ce moment là, sursaut dans mon estomac, petite flammèche qui s'éveille en bâillant, et qui chuchote « C'est vrai ça, c'est hyper agréable ce moment, lorsque tu embrasses quelqu'un et que tu passes lentement ta main sur la peau douce et fine de la nuque, puis que tu enfonces tes doigts dans les cheveux courts, et que tu les lisses entre tes doigts ».
Est-ce une émotion que je ressens à l'intérieur ?!
Oui, mais il y a tous le reste, les rencontres, les problèmes, les désillusions, les mensonges et l'énergie, toute cette énergie qu'il faut dépenser pour tout cela.
La petite flammèche se rendort.

Autre scène :
Au saut du lit, un homme (sublime, évidemment), corps fin et musclé, boxer noir, se lève et va retrouver son amante qui regarde pensivement par la baie vitrée, enroulée dans le drap (satin) qui scintille dans les premiers rayons du soleil (#pasoriginal). Il se colle contre son dos, et l'étreint.
La flammèche se réveille brutalement. « C'est si bon, d'être dans les bras de quelqu'un ».
C'est définitivement une émotion. Un manque, un abyme.
Soudain, je serais prête à payer quelqu'un, n'importe qui, juste pour qu'il me tienne dans ses bras plusieurs heures.
Je passerai la nuit suivante à me serrer de mes bras enroulés autour de moi. Sentiment de solitude insupportable.

Moi ce que j'aime, c'est les Monstres !

Les gens pour qui rien n'est simple, qui luttent quotidiennement derrière des sourires sincères, quoique parfois de façade, pour cacher leurs failles. Ceux qui ne sont pas dans la norme, pas "comme tout le monde", qui sont leur pire ennemi, mais qui tentent de vivre dignement avec leurs limites.
Pomme, 28 ans, d'une gentillesse et d'une douceur sans pareil, à qui tout semble réussir. Jolie, gentille, aimée de tous, reconnue professionnellement, une famille unie et aimante, un couple qui fait rêver... Et qui lutte continuellement contre de violentes rechutes dépressives, dont personne ne soupçonne l'existence. Son compagnon, fou amoureux d'elle, sympa et adorable, se bat quant à lui contre des addictions, qu'il tient tant bien que mal à distance - une ombre menaçante sur leur couple.
La femme (bientôt ex) d'un collègue, devenue une amie, la quarantaine, des yeux verts clairs à se damner, un visage fin et harmonieux, athlétique, intelligente et généreuse. Elle me confie, les larmes aux yeux, qu'elle donne tout, tout le temps, à tout le monde, parce qu'elle s'est mis dans la tête que sinon, on ne l'aimera pas, qu'elle doit mettre toutes les chances de son côté pour qu'on ne l'abandonne pas. Mais elle est fatiguée, tellement fatiguée de vivre pour les autres, qu'elle n'en peux plus.
Morgueil, mon si précieux ami, qui lutte contre mille démons, et qui est pourtant toujours là pour moi, et dont les victoires quotidiennes, si petites soient-elles, sont éclatantes.
Une collègue, on se connait peu, on n'a jamais trop parlé, et certainement pas de nos vies. Elle parait sûre d'elle, possède une personnalité flamboyante et entière, ne se laisse pas marcher sur les pieds et dit toujours ce qu'elle pense. Et m'avoue aujourd'hui qu'elle est bouffée de culpabilité pour tout, que lorsqu'elle a dû être arrêté une semaine pour dépression, pendant qu'elle gobait des antidépresseurs comme des smarties, elle avait honte, honte de sa "maladie invisible", mais qu'il ne fallait pas, surtout pas. Et que si je voulais sortir, aller marcher, ou boire un coup, ou aller au ciné, que je ne devais pas hésiter à l'appeler.

Les collègues, amis, connaissances, inconnus qui luttent, qui n'ont pas eu la main heureuse lors de la distribution des cartes de la vie, et qui font avec, qui se battent au quotidien, plus méritants que n'importe qui à mes yeux. Avec eux je me sens moi même, je me sens le droit d'être celle que je suis, imparfaite et tourmentée, car je sais qu'ils comprendront, qu'il n'y aura aucun jugement, juste la compréhension mutuelle, se comprendre en deux mots, pas besoin d'expliquer plus, parce qu'on aura, à un moment ou à un autre, expérimenté les mêmes désespoirs. C'est reposant. Rassurant.
Étonnant comme je me sens immédiatement plus proche d'une personne qui me révèle ses failles, que je ne l'ai jamais été de Copine#1, qui a toujours eu une vie facile, sans soucis, sans échecs, sans psychologie vacillante, et qui me faisait me sentir, malgré elle, anormale et faible.
Moi ce que j'aime, c'est les monstres.
Car j'en suis une moi aussi.

Etonnamment, au premier jour

Retour au boulot 
Fragile.
Et tout un tas de merdes me tombent dessus : gérer des contrats, des absences, des imprévus, des énervés, des passionnés, 200 mails à traiter, du boulot tellement, tellement en retard...
Et puis le poste tant redouté : vérifier les pass sanitaires. Quel légitimité ai-je pour faire cela ? Qu'est devenu mon métier ? Quel est le sens de ma profession désormais ? Mes collègues ont déjà tout entendu : collabos, traîtres, membres de la gestapo, j'en passe et pas des meilleurs. Pour ma part, j'ai la chance de ne pas me faire traiter de nazie [sic] - mais je me fais vertement engueuler, y compris pour le lecteur de QR Code qui ne fonctionne que quand ça lui chante. « Vous m'emmerdez avec votre contrôle, de toute façon je viens tous les jours, foutez moi la paix ! Et puis vous ne semblez pas bien dégourdie, laissez moi vous le dire ! ».
Larmes aux yeux.
Peut-être que je n'aurais pas dû revenir.

Je n'ai pas dormi de la nuit, ou presque, trop anxieuse.
A 2h30 du matin, agacée de tourner dans mon lit, j'ai été plier ma lessive.
Que vais je répondre quand on me demandera ce que j'ai eu ? Que dire si on me demande comment je vais ? 

Je croiserai Copine#1, événement inévitable, qui me provoque une profonde angoisse. Toutefois, je constaterai, stupéfaite, qu'elle baisse les yeux devant moi, incapable de soutenir - ni même croiser - mon regard. Elle m'évite, mal à l'aise. Je suis presque déçue : après ses envolées ardentes, j'attendais a minima des regards assassins, une continuité dans la colère, une attitude qui l'entérine, qui donne un sens à autant de violence.
Ces évitement me semblent confirmer que tout cela est ridicule, et sans intérêt. Qu'il n'y a en effet aucunes raisons de continuer à ressentir quoi que ce soit à ce sujet, à son sujet.

Copine#2 m'évitera de même, évitant mon regard, évitant de me saluer.
Je comprends qu'elle a choisi un camps. On en est donc là ?
Aucun intérêt non plus, donc.

Une porte de sortie semble s'ouvrir

Deux offres d'emploi paraissent coup sur coup.
"Un signe", dit Morgueil.
Mais si je commence à croire aux signes, je vais avoir de l'espoir, et si j'y crois, je risque d'avoir mal.

Un projet enthousiasmant (non, carrément palpitant) dans la ville à côté, plus près de chez moi, qui regrouperait beaucoup de mes centres d'intérêts, qui serait une véritable opportunité de carrière, en plus d'être ultra enrichissant.
Oui, mais la concurrence promet d'être, très, très, très rude (dont Copine#2, qui vient d'avoir un concours bien meilleur que le mien, et qui va devoir être titularisé).
Oui, mais en choisissant cela, je m'engage à rester encore quelques années ici.

Et puis une offre d'emploi dans le département de ma famille, mais tout de même à 40 min de chez eux. Un poste intéressant, à cheval sur deux endroits, des lieux qui donnent envie (en photo tout du moins), dans des petites villes d'environ 2000 habitants. Une fiche de poste longue comme le bras, plutôt enthousiasmante.
Je jette un œil au prix de l'immobilier dans ces coins là, ce serait abordable pour mon salaire, avec peut-être même la possibilité de viser un corps de ferme à rénover, et y créer le petit gîte sans prétention qui me fait rêver.
Oui, mais le lieu est tout de même très, très excentré. Là bas, clairement, aucune vie culturelle à moins de 20 km à la ronde. Ni sportive. C'est clairement au milieu de nulle part. Est-ce que moralement, ce serait bon pour moi ?

Vers les vivants ?

A ceux qui sont là, comme ils peuvent, avec sincérité.
A ceux qui donnent du temps, de l'attention, de l'affection, qui apparaissent, qui se révèlent, qui surprennent,
A ceux qui sont discrètement généreux, pudiquement réconfortant.
Aux regards entendus, aux sourires encourageants, aux petits mots qui n'ont l'air de rien, aux petites attentions qui éclairent la nuit.
Un message sur mon répondeur « A un moment, il faut penser à toi, être un peu égoïste, laisser tout de côté, te reposer, et prendre soin de toi. Je t'embrasse ! »
« Reviens moi en pleine forme ! On a des courses à reprendre, des trails à courir, des projets à faire ! »
« Ca te dirait d'aller bruncher à ton retour ? »
« On pourrait manger ensemble ! »
« Si ça te dis d'aller marcher à l'occasion, n'hésites pas à m'appeler »
Je l'ai oublié, je l'ai perdu de vue, mais j'ai une vie ici. Me convient-elle encore ? Je ne sais pas. Mais elle existe indubitablement.

Tel est le projet

Une collègue artiste m'a proposé de faire une expo avec elle.
- Tu es sûre ? Enfin.... Je ne voudrais pas gâcher ton travail... On ne fait pas les mêmes choses, et...
Je me garde bien de lui dire que je n'ai pas touché un pinceau depuis plus d'un an, que j'ai viré mon chevalet bancal qui faisait tomber mes toiles une fois sur deux, et surtout que j'ai actuellement l'énergie créative d'une huitre à marée basse. 
Elle regarde quelques photos de mon travail, s'enthousiasme pour certaines toiles, pas celle que j'aurai cru, d'ailleurs.
Elle revient me voir deux semaines plus tard.
- Note dans ton agenda : on expose en juillet 2022 à la galerie de la ville.

Wow.

Il va falloir revenir à la vie.

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