mercredi 21 juillet 2021

Un an

Je crois qu'on appelle ça "décompresser".

Je commençais à vriller depuis un moment. A me sentir mal partout. A me sentir seule tout le temps - y compris et surtout lorsque j'étais en groupe. À haïr les autres. À m'engueuler avec à peu près tout le monde.
Et surtout, à regarder avec une terreur absolue l'arrivée du 23 juillet. Le 23 juillet, ça fera un an. Et cette date s'approche, et... Je ne sais pas pourquoi c'est aussi effrayant. Pourquoi ça m'obsède. Comme si après ce compte a rebours, il y allait avoir quelque chose de dramatique. Alors que, soyons honnête, la seule chose qui arrivera sera qu'on passera de "c'est arrivé il y a 364 jours" à "c'est arrivé il y a 365 jours". Puis "c'est arrivé il y a 366 jours".
Ce qui est objectivement une très bonne chose. 
Mais le décompte m'angoisse et me pourrit la vie. Et agace mon sommeil déjà pas si serein.

Et puis un jour, j'ai réalisé que je ne rangeais plus rien chez moi. Que je n'avais pas nettoyé depuis un moment. Un LONG moment. 
J'ai négligé mes locations Airbnb qui reprenaient timidement. 
J'ai eu des notes dégueulasses et j'ai perdu mes bonus de qualité, que j'avais mis un an à obtenir. 

J'ai commencé à m'embrouiller au boulot. À faire des conneries. Donnant raison à ma cheffe qui m'avait déjà bien assassiné pendant mon entretien annuel (je la soupçonne de ne pas m'avoir pardonné ma virée à Paris avec la Directrice). Elle a notamment écrit dans mon dossier que j'étais "soupe au lait" (véridique, en toutes lettres, sous mon regard ébahie). 
Je ne crois pas que je l'étais auparavant, mais après cela, je le suis miraculeusement devenu.
Je me suis mise à m'engueuler avec à peu près toutes les personnes qui me donnaient l'impression de ne pas respecter mon travail.
Et je crois que j'ai commencé à devenir parano à ce sujet.
J'ai rompu des relations de travail - notamment avec Copine#1, parce que je ne pouvais plus supporter de lui parler même pour le boulot. Dans son dernier message, elle m'a dit "J'espère que tu trouveras du travail ailleurs, ça me soulagera beaucoup". Je me suis coupée d'a peu près tout le monde, ne gardant que les collègues avec qui je vais courir et/ou picoler, et où il n'y a aucune proximité, rien de personnel.
J'ai arrêté méditation, yoga, et globalement tout ce qui était sain. J'ai grossi à en faire péter un jean (c'est un peu humiliant), et mon corps me répugne. Je mange n'importe comment, que de la merde. 

Mais tout cela s'est mis en place assez insidieusement, et je ne m'en aperçois que lorsque ça m'a pété à la tête.

Et puis le compte à rebours a sûrement également mis en lumière l'évolution en un an. C'est à dire presque rien : je ne m'en suis pas remise, je ne veux pas qu'on m'approche, je crains et/ou méprise la gente masculine dans son ensemble (sauf les gay et les asexués, avec lesquels je me sens en sécurité), j'ai perdu l'énergie et l'envie de fonder un couple où m'épanouir, tout en continuant à souffrir de ce désir irréalisé - et qui semble aujourd'hui irréalisable, vu mes dispositions à l'égard des autres en général, et des hommes en particulier. 
Je sais qu'il me faut du temps.
Et pourtant...
Quand je vois mes collègues, l'un qui divorce et deux semaines après sa rupture, en était au 3e rencard. L'une qui n'a pas encore déménagé de chez son ex et qui a déjà un nouveau mec. Sans parler des exemples de relation qui... se chevauchent, diront nous. J'en conclue que c'est moi qui ne pige rien et qui ai un vrai problème. 
En même temps... Oui, ça paraît évident, comment avoir des relations normales, avec la vie que j'ai eu ?

Donc j'étais dans cet état d'esprit pas vraiment top moumoute.
Sans parler des heures passés chez le véto avec mon chat.
Sans parler des bidouilles qui me sont tombés dessus, mais que je n'arrive pas à raconter, car pas capable d'écrire, physiquement et mentalement.
Sans parler de la mise en place du pass sanitaire, qui m'oblige dans mon travail à refuser des gens, à demander une carte d'identité alors que je ne suis en aucun cas assermenté, et qui me plonge dans une véritable détresse quant au sens de mon travail.

J'allais chez le médecin, pour donner mes résultats d'examens. 
J'y étais allé une semaine auparavant, très gênée, pour une douleur au majeur. C'est un peu délicat d'arriver et de dire "j'ai mal là" en faisant un fuck.
Je me voyais déjà dire "oh oui, je l'utilise souvent : chaque fois qu'on me coupe la route. Non mais comment roulent les gens dans cette ville ?!"
Le médecin n'a pas rigolé du tout. Il a regardé la boule qui s'était formé sur mon doigt, et la déformation flippante, et il m'a demandé s'il y avait des inflammations de quelque chose dans ma famille. J'ai pas compris la question, alors je lui ai demandé de préciser.
- polyarthrite. Arthrite rhumatoïde. Il y a ça dans votre famille ? C'est héréditaire.
J'ouvre de grands yeux.
- Mais... J'ai 34 ans...
Le médecin a l'air sincèrement désolé.
- Ça peut commencer très tôt. Ça vous réveille déjà la nuit ? La douleur, je veux dire.
- heu... Non ... Pas... Encore.
Ce que cette question annonce me déplaît sérieusement.

J'y retournais donc quelques jours plus tard avec radios, prise de sang, et tout le toutim.
Et....
Je ne sais pas ce qui s'est passé.
Tout ce que je peux dire, c'est que j'ai fini à pleurer dans sa blouse pendant qu'il me berçait, que j'ai balancé tout ce qui me passait par la tête, et qu'il m'a dit "Je vais vous arrêter, et je ne veux pas que vous restiez seule. Où pouvez vous aller ?".
Assommée, je suis ressortie avec un arrêt de deux semaines.
Deux semaines !
Je ne prend même pas autant pour des vacances.
J'ai passé la journée à me demander ce qui s'était passé.
À m'en vouloir.
À me dire que j'allais le rappeler pour qu'il annule (parce qu'il a tenu à envoyer lui même le papier à l'assurance maladie - je l'ai soupçonné de le faire pour être sûre que je ne jetterai pas la feuille sans l'envoyer). Et puis je me suis demandé si je me sentais capable d'aller travailler juste parce qu'une partie de moi savait que je n'irai pas. Comment savoir si je serai capable de vraiment y aller ? De continuer ma vie professionnelle et personnelle qui me semble vide de sens et qui m'épuise ? Alors j'ai ravalé ma fierté, et j'ai décidé d'accepter. L'idée de ne pas être chez moi, et ne pas être seule le 23 juillet, et de savoir que je serai loin, et entouré les jours précédents et suivants, a aussi été décisif.
J'ai un peu honte tout de même. Ça me semble disproportionné. Incompréhensible. Deux semaines !!! 
Et pourtant. Je me dis que, peut être j'arriverai à dormir, me reposer vraiment. Établir un plan pour reprendre ma vie - ma personne - en main. 
Je me dis, tristement, que quoi que j'essaie, qu'importe le mal que je me donne, je ne serai jamais Miss Sunshine. Il y aura toujours des retombés, des effondrements, des crises. Des "anniversaires" de traumatismes, des fatigues incompréhensibles, mais aussi des chutes de moral lié à rien, qui arriveront juste parce que c'est comme ça. Des "bilans" à établir 3 ou 4 fois par an, parce que je perd trop facilement le Nord. Et des cartes aux trésors à réimaginer, re-dessiner, pour retrouver mon chemin, et me retrouver moi même, encore et encore. 
Et maintenant ?

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