samedi 21 août 2021

Fragment(ée)s (2)



Triste travail

Après mes deux semaines d'arrêt, le retour a été fragile.
La masse de travail : colossale.
Le point de rupture : juste sous mes yeux.
Je ne pouvais pas. 
J'ai repris deux semaines, cette fois de congés. 

Avec le pass sanitaire, j'ai envie de pleurer chaque jour - comme tous mes collègues, ou presque. Les insultes, les remarques blessantes, parfois des réactions de pure détresse, c'est trop dur.
Copine#3, qui est sans doute la personne la plus optimiste que je connaisse, m'a dit au bord des larmes « Je hais mon métier depuis le 21 juillet, je n'en peux plus de tout ça, de la haine de tout le monde, et de l'agressivité générale ». 
Que pouvais-je lui répondre ? Je pense exactement la même chose.
Je n'approuve pas ce système qui dresse les gens les uns contre les autres, et qui nous met, lorsqu'on travaille dans un endroit qui exige une régulation, dans une situation vraiment merdique. 
Je me dis qu'au moins, contrairement aux comparaisons vaseuses qu'on a pu entendre et bien qu'il y ai une énorme violence dans tout cela, personne ne craint pour sa vie, personne ne sera gazé ou fusillé au bout du compte. 
Je me dis que je souffre aujourd'hui de la situation alors que je n'envoie personne au pilori, que je ne dors plus de devoir trier les gens et les refouler, que ça va à l'encontre de mes convictions profondes d'ouverture et de liberté. Je réalise que, contrairement à ce que je pensais, tout cela m'importe beaucoup, et je n'aurai jamais pu vivre dans une dictature, où des personnes sont exterminés pour leurs différences, ou tout autre raison que je ne comprends pas. Je n'aurais jamais pu supporter cette vie sans me battre.
Je ne pensais pourtant pas que ça me toucherait à ce point, je me croyais beaucoup plus égoïste. 

Massage thaïlandais

Complètement par hasard, j'ai découvert un salon de massage thaï à côté de chez mon vétérinaire. En allant voir sur internet, j'ai vu qu'il y avait 175 avis google... Et pas un seul de moins de 5 étoiles. J'avais jamais vu ça. Alors j'y suis allé.
Le lieu est petit et rassurant, lumière tamisée, décoré avec beaucoup d'harmonie, c'est agréable. La masseuse est petite, douce, extrêmement polie, gentille.
Je mets longtemps à réussir à me décrocher de mes pensées "Demain il ne faut pas que j'oublie de..." "Ce soir faut que je retourne sur ma boite mail pro pour..." "Et puis je dois boucler au plus vite les..."
Et puis tout doucement, ma voix s'est atténué.
Remplacée par "C'est drôlement agréable ça !".
Mais aussi parfois "Bon sang ce que j'ai mal".
Clairement je suis archi tendue, crispée, coincée, et le moindre mouvement sur ma peau est douloureux. Comme si mes muscles avaient décidés de se nouer en scoubidous. J'ai vite compris que ce massage serait surtout une première étape, et qu'il me faudrait y aller régulièrement pour, tout doucement, attendrir la carne qu'est devenu mon corps.

Et puis j'ai (un peu) laché prise, et je me suis immergée dans le massage. 1h30 à me faire malaxer des orteils au sommet du crane.
Et puis, plus doucement, elle a massé mon ventre, mon torse, mes épaules. Mes bras, mes mains. L'arrière de ma tête.
Et puis longuement mes jambes.

Soudain, j'ai réalisé que personne (y compris moi même) ne m'avait touché depuis un peu plus d'un an. 
Personne n'avait touché ma peau de ses mains, de ses doigts. 
Je ne parle même pas de sexualité, juste de contacts. Et comme je ne le fais pas non plus, totalement désintéressée que je suis de mon corps et de mon être... Me voilà, ébahie de cette prise de conscience, allongé sur cette table de massage, à laisser couler une larme. A réaliser à quel point c'est nécessaire, à quel point c'est bon.
Oui, je le crois, les contacts, de peau à peau, sont nécessaires. 
Je repars du salon très émue, et un peu sonnée.
Peut-être en ressentant plus fort encore ma solitude.

Concert

Un concert de blues, dans un bar, un dimanche soir. 
La fille est jeune, une vingtaine d'année à peine. Mais sa voix... Tout le monde en a la chair de poule.
J'ai trop bu, mon regard ne se fixe sur rien de particulier.

J'observe la femme de mon collègue, pas très à l'aise au milieu de cette foule. Elle a un très joli tatouage rose et violet, une fleur dans laquelle sont cachés les initiales de ses enfants. A intervalles réguliers, les poils de ses bras se hérissent, et les larmes emplissent ses yeux, qu'elle garde fixés sur cette incroyable chanteuse.

J'observe, plus loin, un couple de personnes que je connais. L'un est le gérant du bar d'à côté, devenu le QG des collègues. Sa copine, une belle fille souriante aux longs cheveux, a le visage chiffonné. Je la connais peu, toutefois devant son sourire qui se fane, la façon dont leurs corps, soudain, semblent s'éloigner l'un de l'autre malgré eux, la situation semble limpide.
Elle va saluer d'autres personnes qu'elle connait, exagérément tactile, prend dans ses bras la moitié des garçons de la salle, pendant que son mec détourne le regard en haussant les épaules.

J'observe un homme, une cinquantaine ou une soixantaine d'année, habillé façon médiéval. Il discute avec notre tablée, mais il y a trop de bruits et je suis trop bourrée pour comprendre ce qu'il dit, alors je le regarde juste parler, je ris quand tout le monde ri, et prend un air concentré le reste du temps.   

J'observe le frère jumeau de mon collègue, fascinée. Les traits sont quasi similaires - quasi, car à 43 ans, la vie s'est chargé de les marquer différemment, l'un est un peu plus empâté, l'autre a un peu moins de cheveux. Similaires et différents. La voix est la même. Pas le rire. Les intonations non plus. Les gestes... ça dépend. Le profil est rigoureusement identique. 
Le même, mais pas le même.
Je pourrais les regarder toute la nuit.

Cache-cache 

Je rejoignais Copine#3 et son petit renard (qui a maintenant 3 ans) pour le gouter. J'ai eu droit à l'inventaire complet des doudous, jeux et jouets de sa chambre, étape incontournable.
J'observe, fascinée, les traits de mon amie dans ceux de son fils. Les fossettes. La même couleur de cheveux. Les attitudes. Et qui sont complétés par les traits du père. C'est passionnant comme il est le fruit de l'un et l'autre.
Il s'assoit près de moi, si près qu'il est quasi sur mes genoux, et passe son temps à toucher mes cheveux. Je réalise, que, comme ce que j'ai ressenti pendant le massage, le contact est important. Les enfants ont besoin de toucher, d'être étreints, rassurés. Pas étonnant que les adultes que nous sommes, qu'importe ce qu'on en dise, on également besoin de ce contact peau à peau. Notre part animal ?
Nous jouons longtemps à cache-cache dans le jardin. 
Il passe son temps à m'appeler, de sa petite voix aigue "Verzinie ! Verzinie !".
Je trouve que c'est la plus belle version possible de mon prénom.

Soirée

Apéro qui se prolonge chez une collègue. 
Des amis à elle arrivent.

Tout le monde est pieds nus ici, je ne parviens pas à rester concentrée.

Je suis fascinée (et rebutée) par son meilleur ami, interne en médecine, qui me semble (l'alcool aidant) avoir la même façon de parler que Charles Henri. Diantre, ça faisait bien longtemps que je n'avais pas pensé à lui ! Cette façon de parler impérieuse, sûr de lui - un médecin quoi -, un rire tonitruant.
Hum, il me met mal à l'aise.
Bel homme, pourtant. Des yeux verts clairs, des traits fins, un joli sourire avec une dentition parfaite - et une canine un peu plus pointu, qui lui donne un charme fou. Un peu trapu - et d'ici la trentaine, je parie qu'il aura de la brioche.
Tiens, d'ailleurs, il a déjà des pieds dodus, massifs, de vrais pieds de hobbits. Humpf, bien fait pour lui.

Arrive, plus tard, un garçon au physique très amusant, un grand mince avec une grande barbe rousse et des lunettes ronde. Tee-shirt, l'air d'un ado - et pourtant, je crois comprendre qu'l approche lui aussi de la trentaine. Il a des pieds tout fins aussi, presque féminins, toujours en mouvement.
Fascinée par son rire : il rit tout le temps, de tout. D'un rire qui explose joyeusement et qui le secoue, qui est naturel et dévastateur. Ce type est juste un mec ultra joyeux. Et de part cette joie immédiate et permanente, cet humour à fleur de peau, il est agréable, et terriblement apaisant.
J'aime beaucoup ce garçon, les choses paraissent simples quand on le regarde aborder la vie.

Je repars vers 2h du matin, à vélo, un peu zigzagante, un peu ivre, pas trop rassurée.
Mais j'ai passé une bonne soirée.

Les fantômes.

Parfois, souvent, je suis à nouveau emporté par cette vague terrifiante, cet ecrasant sentiment de solitude.
Je rêve du passé. De ceux qui furent, un jour, autour de moi.
Certains me manque.
Mais me maquent-ils vraiment ?
En y réfléchissant, il me manque ceux qui ont été là, au moment où ils l'étaient. Je suis mélancolique de mes souvenirs, des gens qui ne sont plus ce qu'il étaient, des amitiés qui ne seront plus jamais ce qu'elles ont été. Des gens sur lesquels je me suis peut-être trompée, aussi.
Il me semble qu'il ne me reste que cela : les fantômes de mes souvenirs, de mes amitiés, de mes amours peut-être.
Et je me sens seule.
Et ça me semble insupportable.
Je me dis que si un jour, quelqu'un créait une drogue capable de faire revivre à la perfection des situations déjà vécu, je serai la première cliente - et probablement que je serais camée jusqu'aux yeux, perdue pour toujours.
Et puis je me dis que si ces fantômes sont là, avec cette tristesse, c'est que j'avance sur le chemin du deuil. Que c'est certainement une bonne chose.
Ca rend les choses presque supportables.
Presque.

Les bébés

Ca y est, la vague est lancée. J'ai été épargnée jusqu'à maintenant, mais ça y est, voilà tout mon entourage qui se met à enfanter. Copine#3 m'apprend sa seconde grossesse. Violaine également.
Nous y sommes : voilà tous mes proches qui ont désormais une famille.
Ca devait arriver.
Et moi... écrasée de solitude, immobile, inutile. Qu'ai je fait de ma vie ?

La volonté

Un trail en septembre, et aucune motivation.
Pas couru depuis un moment, le corps ne suit plus.
Ni à la salle de sport non plus : je fais les séances avec les personnes âgées... Et j'en chie quand même.
Au delà de l'écrasante fatigue, il n'y a plus de volonté. Je repense souvent à la période boxe : des semaines de fou, 3 cours de 2h de boxe par semaine, plus des cours de muscu, de danse et de pole. J'avais une forme olympique, un corps ultra fit et ferme, j'étais bien. Je rentrais du sport et je mettais des pains de glace sur mes ecchymoses, la douleur me faisait avancer, me galvanisait, tout me semblait possible. J'étais teigneuse, ultra focus, je ne lâchais rien 
Aujourd'hui, blocage psychologique : j'ai plus envie de me faire mal. Je crains la douleur, je n'ai plus de forces, je lâche tout. Mon corps a tout lâché aussi, d'ailleurs ; 10kg de plus, une alimentation à chier, plus d'énergie, plus de vitamines dans le sang, les abdos qui se sont tirés depuis longtemps au profit d'un bide qui déborde de mon pantalon. 
Je hais ce corps.
Mais je suis incapable de me motiver, l'activité sportive est douloureuse, et je ne veux plus, je ne peux plus supporter la douleur.

Je me force, un dimanche soir.
Je me traine plus que je trottine, 6km dans le dur, à me hurler « Mais pourquoi tu t'infliges ça, t'as pas assez souffert ?! ».

Et puis un moment d'innocence : dans le champs que je longe, un tout jeune poulain, amusé par ma course, trottine à mes côtés sur ses pattes maigrichonnes. Sa robe, pie, est alezan et blanche. 
Je finis par m'arrêter à sa hauteur, et tend ma main vers son museau. Il s'approche, pose son bout du nez sur ma main, relève ses lèvres, s'éloigne d'un bond. Puis revient, effleure ma paume en grimaçant avec ses lèvres, bondit à nouveau plus loin. Et recommence. Encore et encore. Ce jeu dont les règles m'échappent, semble l'amuser au plus haut point, et ça me fait rire.
Je repars, le cœur plus léger.

Une nouvelle vie ?

Un appel, un vendredi matin.
- Bonjour, je vous appelle pour vous convier à un entretien d'embauche le 31 aout à 14h20.
Déjà ?! .... Enfin, je veux dire... Les candidatures étaient possibles jusqu'au 15, et on est le 13... Enfin, oubliez ça, c'est super, je note, je serais là.

Je remodèle mes congés, je prévois mon retour plus tôt que prévu.
Je préviens ma cheffe, qui a de toute façon reçu une copie de ma candidature, et qui m'a fait remarquer que ma lettre de motivation ne collait pas vraiment au poste, que Copine#2, ayant eu le concours A, partait plutôt gagnante, et que, en gros, ça se jouerait entre elle et une autre, et que je n'étais surement pas une concurrente digne de ce nom.
J'ai lutté, les jours suivants, contre le regret d'avoir postulé. Le sentiment de vacuité. D'imposture. Les "à quoi bon ?". 
Je me suis sentie nulle. Insignifiante. Ridicule.
Sur le fond, elle n'a pas tort : la politique habituelle est de choisir les gens qui ont un concours et de les titulariser.
Clairement, j'ai pas le niveau. Ni le timing. 
Mais ma directrice adjointe a aussi dit « On veut favoriser les gens qui sont là depuis longtemps et qui veulent évoluer ».
Ca fera 9 ans, le 4 septembre, que je travaille ici.
Peut-être que si je fais un entretien excellent... ?
J'ai tellement besoin d'avancer. De changer de vie.

Surtout, ne pas trop y croire, ne pas tout miser dessus.

La chute risque d'être rude.

Retour chez le médecin

Qui demande à me voir.
Me demande où j'en suis.
Je parle de l'entretien à venir.
Du poste paumé en pleine campagne, je n'ai toujours pas décidé si je postulais.
Rien d'autre à se mettre sous la dent à part ça.
Mais aussi la peur de faire de mauvais choix.
Je lui dis que je ne sais pas qui je suis 
Que je ne comprends plus le sens de ma vie, de mon existence.
Il me dit que selon lui, la vie n'est qu'une succession de périodes. Que ce soit professionnellement, amicalement, amoureusement, sexuellement... on change, l'entourage change, tout change. J'y reconnais la sagesse bouddhiste de celui qui m'a encouragé à m'initier à la méditation.
- Je vous avais mise sous traitement ?
Je me crispe :
- Heu... Non...
- Bien. Parce que je pense que ce n'est pas nécessaire. Vous êtes lucide, vous vous posez les bonnes questions - un peu trop peut-être, ça il faudrait lacher prise - ça va aller. Je vous assure que ça va aller mieux.
C'est basé sur rien, mais ça me fait du bien de l'entendre, et j'ai bien envie d'y croire. Peut-être avais-je juste besoin d'entendre ça.

Je retourne courir le soir même, un peu moins douloureusement que 3 jours avant.

C'est quoi, un écrasant sentiment de solitude.

C'est d'être, un soir, avec des collègues et amis. 
Terrasse, le soleil se couche, l'air est doux.
Boire - beaucoup, et trop. 
Rester lucide : ni joyeuse, ni pompette, juste un peu plus amère, et beaucoup plus triste.
Regarder les autres - bourrés - faire n'importe quoi, avoir des fou rires, et, sous le coup de l'alcool, se mettre à raconter leurs secrets les plus inavouables, et envoyer des textos de cul à leur ex, ou flirt, ou compagnon. 
Regarder ça en ne faisant rien d'autre qu'observer, sans avoir envie de rire, sans partager l'euphorie générale, sans avoir personne à qui écrire, avec qui déraper... Ou juste à qui penser. En avoir envie, et puis à nouveau le dégoût : non, plus personne ne m'approchera, je ne veux pas, je ne peux pas.
Je ne partage plus rien avec personne depuis un bon moment maintenant, et c'est aussi pour cette raison, cette impossibilité que j'ai de vivre avec les autres, cette rage à voir que je suis la seule dans ce cas, cette incompréhension mutuelle, que j'ai détruit tout ce qui constituait mon entourage proche.
Sentiment de décalage ; je n'ai rien à faire ici. Je ne partage rien avec ces gens, ils s'apparentent le plus à des amis dans mon entourage aujourd'hui, et je les aime, mais les voir me fait du mal, me fait me sentir seule, différente, bizarre, cassée.
Cette putain de soirée me donne envie de mourir.

4 commentaires:

  1. Ca va aller... ce n'est basé sur rien, mais j'espère que ça te fera du bien de l'entendre...Et puis, il faut faire cet entretien, ne serait-ce que pour "l'exercice" d'en repasser un après 9 ans. Sinon, solidaire pour cette histoire de trail, j'en ai un de 17 km dans...hum, 2 semaines. Et je n'ai plus couru depuis quelques mois non plus, flemme. Mais bon... ça va aller qu'on a dit!

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    1. On va se dire ça, "ça va aller"... Mais c'est vrai que ça fait du bien.
      Oh ce n'est pas le premier entretien en 9 ans que je passe, loin de là ! D'ailleurs si je suis toujours là, c'est parce que je les ai tous ratés, ahah.
      Dis donc, tu ferais pas le trail de l'infernal ?!
      En tout cas, courage ! Tu as déjà fait un semi donc j'ai pleinement confiance en tes capacités. Et j'attends de pied ferme que tu reussise, comme ça je serai obligé de réussir aussi ! ;P

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  2. ah non ce n'est pas celui là, c'est un nom bien moins diabolique : le trail des fées!

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    1. Oh, c'est joli ! Ca donne l'impression que tu vas traverser des prairies de fleurs et des ruisseaux enchanteurs ! J'adore !
      (C'est sûr que l'infernal à côté, ça sent le souffre et la sueur XD)

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