milk and honey / Rupi Kaur |
Je rentre d'une soirée bien arrosée. Je ne peux pas dire qu'elle était bonne - enfin, si, objectivement, elle l'était, mais je n'ai pas passé une bonne soirée pour autant. Je me suis sentie en décalage, pas la tête à ça.
Avant d'y aller, j'ai eu ma mère au téléphone. « Comment va Dandy ??? » S'est elle empressé de me demander. Elle ne l'a jamais rencontré, mais elle l'adore déjà, et voudrait que je lui présente. Je crois que l'histoire du mec qui a littéralement couru après sa fille pour l'inviter à dîner, ça a marqué des points - entre autres.
Et c'est l'une des multiples raisons pour lesquelles j'aimerais que ça fonctionne - même si c'est l'une des plus secondaire : le fait que, bon dieu, ça commençait vraiment bien, même si c'était truffé de maladresses.
Et parce que ma mère l'adore.
Mon Dieu, j'aimerais tellement être une personne normale, avec une vie normale, qui répond aux espoirs et aux attentes familiales ! Qu'est ce qui a donc foiré avec moi ?!
Ah... Oui... Heu... C'est vrai : à peu près tout, en fait.
Je lui brosse brièvement l'ensemble, c'est à dire que c'est la merde, qu'on fait un break, qu'on ne se comprend pas, qu'on ne parviens pas à communiquer, et que c'est mal barré.
Je pense qu'elle ressent instinctivement que je suis malheureuse comme les pierres, et elle prévoit de débarquer deux jours plus tard. En attendant, on se rappellera le lendemain soir pour me remonter le moral.
Parfois, je me demande pourquoi rien n'est aussi simple que ça, et que personne n'est aussi fiable et solide que ma mère. Est ce donc si difficile à trouver, des personnes entières et sincères, disponibles pour les autres ?
J'essaie d'être au moins la moitié de la personne qu'elle est - mais dans ce monde, il me semble que ça n'apporte rien que des mauvaises rencontres. Elle en sait quelque chose, son dernier copain, seul type à qui elle a décidé de s'ouvrir après dix ans de célibat (et après avoir été maltraité), s'est avéré être un mythomane et un manipulateur, qui lui a soutiré de l'argent et s'est foutu de sa gueule.
Si ça m'a écœurée, j'ai pu toutefois réaliser que ma mère a une qualité que j'admire par dessus tout, et dont je suis dénuée : quand tu dépasses ses limites de bienveillance, elle se transforme en un putain de mélange de Némésis et d'Erinyes, et déchaine toutes les flammes de l'enfer sans une once de pitié.
(Ma mère, cette déesse <3)
Malheureuse comme les pierres
Mais d'où vient cette expression ?!
J'y pense, au volant de ma voiture, avec mes deux bières cassis dans l'estomac, et mes mains qui sentent la planche de fromages.
Je ne supporte pas l'odeur de mes doigts, ni de mon haleine, ni de ma transpiration, ni du plastique de ma voiture. En ce moment, mon rapport aux odeurs est vraiment compliqué - j'ai l'impression d'être en syndrome pré-menstruel depuis un mois.
Je pense au fait que je me suis malheureuse comme les pierres - mais pourquoi les pierres, putain ?! Je passe ce petit bout de forêt pour rentrer chez moi, à peine quelques centaines de mètres. Il fait nuit noire, et je ralentis de peur de taper un renard ou un lapin. Je pense au fait qu'il n'y a pas si longtemps, quelques années à peine, ce genre d'endroit me donnait envie de flanquer ma voiture dans un arbre. Je pense au fait que je devais tenir mon volant à deux mains et me crisper pour lutter contre mes envies d'en finir. Je pense à ça, à ce que je ressentais. Au fait que je n'ai plus ce genre de pulsions, qui m'oblige à lutter de toutes mes forces.
Je pense à ce que je ressentais - et que je ne le ressens plus.
Ca m'émerveille je crois.
Je pense à mon rapport aux émotions. Au fait que, si je reste une boule d'émotions brutes, je parviens tout de même à garder ça sous contrôle. Je n'ai plus besoin de me faire mal pour canaliser. Je continue d'être malade de solitude, dévorée d'angoisse, éperdue de tristesse. Mais pas de la même façon. Je me demande si c'est de la résignation. Ce petit "Been there, done that". Trop souvent.
Ou si, avec un peu de chance, j'ai appris à gérer, à canaliser petit à petit.
Je me sens malheureuse comme les pierres, je me sens comme un gros caillou gris, inerte et triste, mais je rentre chez moi et je prends soin de moi.
5 jours depuis le break avec le Joueur d'Echecs. J'aimerais qu'il m'écrive, qu'il me dise qu'il a envie de me voir, et au diable ce break à la con. Peut-être ai je envie qu'il soit quelqu'un d'autre. J'aime ses qualités - mais je ne comprends tellement pas ses limites, ses besoins. Je pense savoir qu'il vit très bien ce silence, pendant ces 7 jours où il travaillera non stop. J'aimerais être un appui, une soupape. Mais ça ne fonctionne pas comme ça. Et si je n'ai pas de place, alors à quoi je sers ? Et si je ne sers à rien, alors qui suis-je ?
13 jours après le break
Aucune nouvelle du Joueur d'Echecs. Respecte-t-il la règle du jeu, m'a-t-il oublié, ou s'en contrefiche-t-il ? Et comment va-t-on sortir de ce break, si ce n'est pas lui qui reviens vers moi ? Dois-je lui laisser cet espace ? Le privilège de décider ? Et si ça ne me convient pas, de faire passer tous ses besoins avant les miens ? Car, non, ça ne me convient pas. Ca me tourmente, et ça me met en colère, et ça me rend triste. Par ailleurs, après avoir été la "Femme à cacher" lors de ma dernière relation, comment réussir à m'équilibrer en me sentant comme la copine qui doit rester en retrait pour l'équilibre de l'autre ?
Et surtout, bon Dieu, comment réussir à survivre en me posant autant de questions à la minute ?!
La question était pour moi de savoir si je craquerai et lui écrirai au terme des deux semaines, et/ou que je lui proposerai qu'on aille boire un verre, et/ou que j'irai au bar dans l'espoir de l'y croiser.
Deus Ex Machina (ou à peu près) : me voilà atteinte du Covid, que j'ai attrapé pile quand j'ai commencé à me pelotonner chez moi pour lécher mes blessures.
Formidable timing, juste à la fin du break, et à la fin de mes vacances ; je suis à l'agonie (évidemment), migraines à répétition, plus de voix, nez et gorge encombrés, plus vraiment de goût. Mais, sans doute, une bonne raison pour m'isoler et prendre soin de moi. Et ensuite... Eh bien.... De toute façon, je dois m'isoler au moins 5 jours. Et ce break, qui se continuera encore malgré moi (sauf s'il m'écrit, mais je commence à perdre cet espoir), ne fera qu'alimenter un peu plus ma colère et mon sentiment de solitude. A quoi sert d'avoir un petit ami, si celui-ci ne prend pas de nouvelles, ne compatit pas à mon état de santé ?
Et pendant ce temps, Violaine accouche d'une adorable petite fille, et Copine#3 est dans les 2 dernières semaines de grossesse pour son petit garçon. Une question ne cesse de me tourmenter - mais ça fait des années : Qu'ai-je fait de/à quel point ai je raté ma vie ?
Un coup de téléphone.
La Directrice du festival où je suis devenue modératrice l'année dernière.
Elle me propose une nouvelle attribution - en plus du reste, bien entendu. J'admire la façon très politique dont elle amène les choses : « Comme tu es désormais modératrice... En plus tu es sur place... Pas de frais... Ta Directrice n'y verra sûrement aucun inconvénient... Ton professionnalisme... Tes connaissances de l'édition et des éditeurs.... »
C'est clairement du bullshit : je ne bosse pas avec des éditeurs, je n'ai pas de contacts, je ne suis personne... ah, si : quelqu'un qui est déjà sur place, et que, grâce à une pirouette à la légalité douteuse, on ne paiera pas, car on va faire semblant que c'est sur son temps de travail. Pas de contrat, pas d'officialisation, juste un arrangement par téléphone, et surtout aucun écrits.
Par ailleurs les tensions sont vives - on pourrait dire brûlantes- entre les deux directeurs du festival. En ce moment la stratégie est plutôt de constituer les troupes, d'un côté comme de l'autre. Je suis un pion au milieu de tout cela, et, par ma politesse, et ma gentillesse à l'égard des uns et des autres, je joue le jeu malgré moi. Un pion bien consentant...
J'accepte la proposition, bien sûr (ou malgré tout ?) : Il me reste ce vieux rêve de réussir à trouver un autre job, de me hisser à la force des bras vers d'autres horizons, plus excitants que mon quotidien devenu morne et sans surprise. Dans l'édition, peut-être, justement ?! Ou le journalisme ?? Mais au fond de moi, je sais que c'est illusoire : je n'ai ni le niveau, ni les compétences pour cela. Pire, ce milieu d'opportunistes et de requins serait sans doute la pire chose qui pourrait m'arriver. Mais je continue d'espérer, et je me dis que, peut être, une opportunité se présentera. Après tout, chaque année ce festival m'apporte des moments magiques, des rencontres exceptionnelles, et des expériences auxquelles je n'avais jamais osé rêver. Celle-ci en est encore une.
Et pourtant...
Une nouvelle corde à mon arc, mais un énième poids sur mes épaules. Encore des responsabilités, encore du temps que je vais donner gratuitement, encore de l'énergie, et sans doute des nuits blanches à tenter de tout finir dans les temps. Je n'arrive même pas à ressentir le quart de l'excitation que je pourrais ressentir face à cela.
3 heure du matin.
Je ne dors pas.
Je me regarde de l'extérieur, et je me désole : j'ai accepté cette nouvelle mission par curiosité et par plaisir... Mais aussi par habitude : Celle de vouloir en faire toujours plus.
Mais aujourd'hui j'ai l'impression de voir sous mon masque : celui qui cache mes insécurité, celui que j'ensevelis sous de multiples activités pour ne pas me sentir seule, incompétente et déprimée. Toutes ces activités pour oublier que ma vie me paraît insipide et triste, que bien souvent je me fais horreur, que j'ai le sentiment d'avoir tout raté.
Toute cette énergie à surbooker mon agenda. Toute cette énergie à vouloir me prouver que OUIIIIIII, JE PEUX ! (Peux quoi ? Je ne sais pas moi même). Toute cette énergie pour tenter de me rassurer, ou oublier que je suis transie de peur. Éprouver de la satisfaction et de la fierté en recevant cet appel alors que je suis chez moi, en bleu de travail, à finir de poser un lambris, après avoir peint tous le dernier étage, enduit les murs, poncé, réparé et donné un coup de neuf aux poutres apparentes. Pouvoir discuter littérature avec elle, mais aussi d'actualités, et de cours de licence (alors même que j'ai un vague bac+2, obtenu avec une moyenne très peu élevée). Puis sauter dans mes chaussures à talons, pour aller acheter des outils qui me manquent dans le magasin de bricolage le plus proche. Puis changer encore de costume, en enfilant un legging de sport pour aller me défouler à la salle - ou courir avec des collègues en prévision d'un trail.
Qui suis-je alors ? Tout ça. La femme que j'espérais être, aux multiples facettes, impossible à mettre dans une case.
Et pourtant ..
Tout cette énergie pour essayer d'être moi même, mais avec un trou grand comme un gouffre au milieu. Et la tristesse reste. Et la fatigue s'accumule. Au final, à quoi tout cela sert-il ?
Je me laisse exploiter au travail, je fais des heures bien au delà de ce que je devrais, pour un salaire vaguement plus élevé que le SMIC. Je me laisse exploiter dans ce festival, où je modère, je suis jury de 3 prix, je gère de plus en plus d'événements - gratuitement. Je donne des cours - cette fois, heureusement, je suis payée, même si c'est 6 mois plus tard, à la fin de l'année scolaire. Je suis bénévole dans une asso pro - encore du temps et de l'énergie que je donne gratuitement, alors même que financièrement, je suis saignée, mes comptes sont vides après ces travaux aux multiples déconvenues - ceux de trop, peut être.
Et surtout, mon état de santé et mon moral boiteux.
Et le Joueur d'Echecs, qui ne m'a finalement apporté que tourments et angoisses depuis le début de l'histoire, dès notre rencontre. Je crains de le haïr de me faire sentir plus seule avec lui que lorsque j'étais célibataire. Je crains de le haïr de m'avoir laissé penser que je pouvais laisser entrer quelqu'un dans ma vie. Je crains de lui en vouloir de m'avoir fait dépasser mes blocages - au final, si c'est pour m'abandonner, j'étais plus confortable à être certaine de je plus pouvoir me laisser toucher ni approcher par un homme ! Ma haine était protectrice, tout comme mon dégoût. Ils me maintenaient dans ma bulle, sans désirs, sans espoirs, sans envies, et c'était très reposant. Je risque de ne pas lui pardonner d'avoir crevé cette bulle, pour... Quoi ? Tenter sa chance ? Par curiosité ? Par égoïsme, sans songer qu'il pouvait blesser ? Un homme comme un autre...
Et si je m'étais piégée dans une spirale infernale ?
Reste cet immense creux en moi, cette tristesse de n'avoir pas accompli la seule chose que j'espérais, que je désirais : un couple épanouie, une famille. Tout ce que je n'ai jamais eu - que je n'aurai jamais ?