samedi 12 février 2022

Angoisses, Autisme et gros gachis (2)

Ça fait 15 jours que je pleure quotidiennement, dévorée par mes angoisses et un sentiment d'impuissance tenace. 
Je croise un ami de mon groupe de méditation qui me demande d'une voix hésitante « Tu as eu des vacances récemment ? Tu n'as pas très bonne mine... Tu arrives à méditer un peu chez toi ? ». 
Il est charitable : en réalité j'ai une tête épouvantable, et je tiens à peine debout.

Le début de ce qui s'annonce comme une grosse crise (ou peut-être même la fin) avait  débuté avec cette fois où Le Joueur d’Échecs m'avait planté au bar pour jouer aux échecs avec un type que je ne connaissais pas. 
J'attendais de lui qu'il voit le malaise dans la scène, ou peut-être mon énervement... Je n'avais pas encore compris qu'il ne pouvait percevoir ni l'un, ni l'autre.

Et puis il y a eu ce weekend (le premier en commun depuis 3 mois), que l'on devait passer ensemble. Je l'attendais comme le Graal depuis des semaines.
Sauf que le vendredi soir, il veut "décompresser". Et pour lui, ça se traduit par une tournée des bars et l'alcool qui coule à flot. La gorge nouée, mais voulant respecter ses envies et ses besoins, je décline et je rentre tristement chez moi. Il dira toutefois devant nos amis "Ensuite, je passe le weekend avec Mademoiselle B., on va peindre !". 
Ce que je prend pour une promesse me redonne espoir, et je suis contente.
Mais pas de nouvelles de lui le samedi. 
Le soir, il me demande quelles sont mes envies, et nous finissons par nous retrouver chez lui, pour une soirée tranquille et câline devant une série.
Au matin, il va acheter des croissants.... Puis se met à lire les actu, sans me regarder ni m'adresser la parole. Lorsque je décide de partir, il fait mine de regrouper ses affaires... Mais je sens qu'il se force. Lorsque je lui demande, il ne dit pas non... Et il reste planté au milieu de la cuisine d'un air absent. Alors, la gorge nouée à nouveau, je lâche d'une voix blanche "ok, c'est pas grave, reposes toi". Et c'est lorsque je fonds en larmes dans ma voiture, que je réalise que, si, pour moi c'est grave.
Pas de nouvelles de lui de la journée. J'espérais qu'il proposerait qu'on se voit le soir. Mais rien. J'envoie un message pour dire que j'ai laissé de la galette, il ne répond pas. Le lundi, aucune nouvelles. Le soir, j'envoie un message hésitant "C'est dommage tout de même, on n'a pas du tout profité de ce seul weekend en commun". 
Il répondra "Moi j'ai quand même bien profité de la galette". 
J'ai passé 3 jours à pleurer, pour ça ?! Je deviens folle de rage. Je réfléchis : est ce que je le quitte par texto, maintenant, ou je lui donne tout de même une chance qu'on se confronte ? Je n'ai qu'une envie c'est de débarquer chez lui pour lui demander à quel point il se fout de ma gueule. 
 
Je me laisse un peu de temps pour me calmer, avant de faire quelque chose que je vais peut-être regretter. 
Ca peut paraitre surréaliste, mais c'est mon chat qui me convainc de lui laisser une chance : La seule fois qu'il est venu chez moi, Lilith l'a adoré. Mais vraiment l'amour fou : elle s'est couché sur lui, lui a fait plein de câlins, s'est accroché à sa chemise pour se frotter à son ventre, a ronronné tout ce qu'elle savait, et dormi contre lui. Je ne l'avais jamais vu comme ça, et je fais confiance à ses instincts : si elle aime le Joueur d’Échecs, c'est que ce n'est pas une mauvaise personne.
Mais comment gérer les émotions cataclysmiques qui menacent de m'emporter ? Et comment endiguer les larmes, moi qui ne fait que répéter "Non, non, ça suffit, j'ai déjà bien trop pleuré sur les hommes !" ?
Je finis par écrire à l'une de nos amie en commun, appelons-la Valérie (parce que ça lui va bien). J'imagine qu'elle ignore son autisme, puisqu'il m'a dit que personne ne savait, toutefois, elle l'a très bien cerné, et m'aide à redescendre.
- Tu sais, je ne suis pas sûre qu'il peut faire attention à toi - aux autres. Il est cramé par son travail, et il y laisse toute son énergie. Ce n'est pas le moment d'en parler avec lui je pense. Il n'a pas conscience de ses limites, et il continue jusqu'à ce qu'il s'effondre. Son cerveau est saturé. La dernière fois, j'étais au bar avec lui, on est allé fumer, et il m'a claqué la porte au nez, parce qu'il avait totalement oublié ma présence, comme ça, en quelques secondes !
Elle me rassure, me donne des conseils, mais surtout, m'explique mieux que quiconque, que ce soit dans les livres que j'ai lu, ou ce que Le Joueur d’Échecs m'en a dit, ce que ça représente dans sa vie. Je suis admirative de sa capacité d'observation et de compréhension. Elle insiste beaucoup sur le fait que je dois déculpabiliser, s'il ne veut - ou plutôt ne peut-  m'apporter ce dont j'ai besoin. 
Et je commence à me dire que je ne suis pas capable, pas assez forte pour être celle qu'il lui faut.

Je gamberge énormément, et au milieu de la nuit, en pleine insomnie, je décide de lui écrire. Un long message où je lui exprime ce qui m'a blessé et pourquoi, et surtout mes attentes dans cette relation - rien de bien monstrueux : qu'on trouve un moyen de communiquer et/ou s’atteindre, et qu'il me démontre qu'il s'intéresse à moi. Je lui laisse une porte de sortie également : si la relation n'est pas celle qu'il attendait, ou que je ne suis pas celle qu'il croyait, qu'il est déçu, ce n'est pas grave : c'est une réponse en soi, et ça ne serait pas la première fois que ça m'arrive.
La réponse arrivera tard le lendemain : il est horrifié d'apprendre que j'ai été si triste, il ne pensait pas que ses actions pouvaient être au détriment de qui que ce soit. Il est bouleversé, et surtout, il ne se sent pas de porter cette responsabilité. Et par ailleurs, il s'indigne que je puisse penser que je suis une déception. 
Alors j'essaie de lui expliquer, comment, à travers mes expérience de vie, je me remet toujours en question, et pourquoi j'ai besoin d'être rassurée - par de petites choses, en réalité : qu'il soit plus démonstratif, qu'il propose qu'on se voit, et pas que ce soit toujours moi, et qu'on essaie de se voir plus régulièrement. 
La réponse arrive à nouveau tard le lendemain soir, et c'est pour me dire qu'il ne parvient pas à réunir ses idées, pas à rédiger ce qu'il veut me dire, et qu'il en est extrêmement frustré.
Alors je lui propose qu'on en parle de vive voix le lendemain, si c'est plus simple pour lui. Et après quelques verres, il parvient en effet à m'expliquer plus clairement comment il vit les choses : Le besoin de s'isoler complètement, et de passer juste des heures roulé en boule dans sa chambre, pour faire redescendre l'anxiété dû à l'hyperstimulation à son travail. Son incapacité à décrypter les émotions sur les visages. Les émotions - quelles qu'elles soient - qui le paralysent : lorsqu'il s'est fait agresser, il y a quelques années de ça, les éclats de voix et la violence du groupe de mecs qui lui est tombé dessus la laissé paralysé cinq bonnes minutes - ils ont ainsi pu le dépouiller à l'aise. Et puis son cerveau s'est mis en mode "survie", et il a décampé en courant - juste au moment où les mecs sortaient des couteaux, et semblaient prêt à s'amuser d'une autre façon. Mais dans l'ensemble, il a verrouillé toutes ses émotions : comme elles "freeze" son cerveau, il a mis des barrières, pour ne pas s'y confronter. Et lorsqu'il ressent des émotions, il doit se concentrer pour les trier, et savoir qu'en faire.
- C'est aussi pour ça que je ne peux pas te dire ce que je ressens pour toi. Je n'en sais rien - et je ne le saurai jamais.
- Mais tu as eu des copines, des histoires longues... Que ressentais-tu.... Qu'est ce que ça t'apportait ?
- Du confort. Du réconfort même. Et j'avais de l'affection pour elles, bien sûr.
Je suis interloquée. Peut-on baser une relation amoureuse (est-elle, d'ailleurs, amoureuse ?) sur le confort et le réconfort, sans sentiment amoureux ? Je comprends mieux sa facilité à faire table rase du passé, à dire que toutes ses copines ont été différentes, et qu'aucune histoire ne peut être marqué par les histoires précédentes : Lorsqu'on est déconnecté de ses émotions, ce doit être tellement plus facile de ne pas souffrir ! Et en même temps, n'est ce pas quelque chose de plus immuable que des sentiments ? Toutefois, il y a une constance assez révélatrice : toutes ses ex ont fini par le quitter pour un autre... 
- Mais tu es content de me voir ?
- Oui, je suis content quand tu es là. Mais je suis content quand je suis seul aussi.
Je cherche désespérément ma place dans tout ça. En ai-je une ? Puis-je y trouver du sens ?
Il me dit que toutefois, il s'est étonné : c'est la première fois qu'il va vers une fille - d'habitude, c'est l'inverse, ça lui tombe dessus.
- Qu'est ce qui t'a poussé à tenter le coup ?
- On passait une bonne soirée... C'était détendu... Je n'ai pas vraiment hésité.
Oui mais et ensuite ? Et maintenant ?

- Parlons du plus pénible, désormais...
Je me raidis.
- Qu'est ce qu'on fait ? On arrête ou on continue ?
A la lumière de ce que je viens d'apprendre, je suis sonnée. Mais ce que je sais, c'est que j'ai été triste de ne pas le voir, et que passer une soirée avec lui me fait plaisir. Alors je lui dit.
- Je ne voudrais pas te faire peur, mais la situation à mon travail va durer encore des mois. Et je ne serai jamais... Enfin tu vois. J'aurais toujours mon autisme. J'aurais toujours besoin de m'isoler, de temps pour moi.
- Bien sur. Mais ce dont j'ai besoin, c'est que tu me dises clairement quand tu ressens ce besoin. Que je ne mette pas n'importe quoi de mon invention à la place !
- Si la situation est difficile pour toi - et j'ai l'impression que tu en chies particulièrement -, c'est un grand Non. Hors de question que ça te mine. Parce que je suis comme ça, et ça veut dire qu'on est partie pour des années de galère !
Je me retiens de lui dire que si je souffre de la situation, je ne nous - me - laisserais pas souffrir des années non plus. 
- Je ne dis pas ça pour te faire peur ou te rebuter....
- Oui ben pourtant, ça y ressemble ! Mais les problèmes que l'on a rencontré viennent d'une absence de communication. Tu crois que c'est absolument impossible que l'on trouve un moyen de communiquer ?! De se comprendre ? 
Il prend un air très sceptique, qui me décourage complètement. 
Je persiste néanmoins :
- Peut-on vraiment dire qu'on a tout essayé ? On effleure à peine nos problèmes, mais au moins on les identifies. On peut au moins essayer de mieux respecter nos besoins respectifs.
Je ne le sens pas du tout convaincu.
Il propose, suite à une de mes suggestions, qu'on laisse passer deux semaines : sa semaine de boulot, qui promet d'être épouvantable, et qui va l'éreinter. Et sa semaine de repos forcé, imposé par sa direction qui est alerté par sa tête de zombie, qu'il va utiliser pour se reposer - s'isoler, peut être. Au retour de tout ça, on retente de voir, avec son énergie à un niveau plus normal, si on peut faire marcher l'histoire.
- Je vais rentrer me rouler en boule, d'ailleurs.
- Et si je venais me rouler en boule avec toi... ?
Il réfléchit quelques secondes, puis :
- Eh bien oui, allez !
On remonte chez lui, et je me demande si mon choix est bon - déjà celui de venir, car si je le sens mal à l'aise avec moi, je vais me sentir de trop, et paniquer. Est-ce qu'il s'est senti obligé de dire oui ? Est-ce qu'il regrette ? 
Il est 1h30 du matin, mais Petit-Chiot-Fou-Qui-Gambade vient nous saluer, et discuter un peu. Il porte un tee-shirt jaune pétant "la brigade du kif" et il nous raconte qu'il vient de regarder un docu sur le patinage artistique - bien sûr, il décide de nous mimer tout ça, ce qui est impayable, surtout avec ses claquettes Lidl aux pieds.

Lorsque Le Joueur d’Échecs descend aux toilettes, il me demande comment je vais, et je lui murmure que ce n'est pas la forme - je ne sais comment, au milieu de ses figures de patinage artistique, il avait bien compris que quelque chose me tracassait. Lorsque Le Joueur d’Échecs remonte, il me murmure "Allez, ça va aller, il tient à toi j'en suis sûr ! C'est sûr !" avant de repartir.
 
Je vais me coucher, en attendant qu'il mange. La chambre est sale, clairement négligée. Il a laissé la lumière allumée, l'ordinateur aussi, l'odeur me pousse à ouvrir la fenêtre malgré les température glaciales. Il y a des vêtements partout. Pour avoir vu la chambre à d'autres moments, je vois la différence. Clairement, il sombre ; épuisement autistique, ou début de dépression ?

 Lorsqu'il se couche, il s'endort aussitôt, et je suis soudain face à mes doutes. Ai-je pris la bonne décision ? Suis-je capable de mettre de l'énergie dans cette histoire ? Est-ce que ce n'est pas trop compliqué ? Je suis capable de respecter les autres, leurs limites et leurs rythmes, mais... ça ne doit pas être à sens unique non plus ! Parmi tous les livres que j'ai lu, beaucoup était très dispensables, en revanche le site aspieconseil m'a apporté beaucoup d'informations. 
Jean-Philippe Piat, rédacteur du blog, a d'ailleurs fait un article sur l'autisme et les relations amoureuses que je me suis empressé de dévorer. Lui même évoque le respect des besoins, envies et limites de chacun. Que j'ai pu compléter avec le "Guide de survie pour une personne non-autiste vivant avec une personne autiste (et vice-versa)"
Je me suis rassurée : non, ce n'est pas intolérant de ma part de souhaiter une réciprocité des efforts dans cette relation. Mais "Faut-il le vouloir", précise JP Piat. Oui, la question de l'envie du Joueur d’Échecs à ce sujet reste un mystère, malgré toutes les fois où j'ai posé la question... Mais pourquoi s'est-il donné tant de mal à m'atteindre, si c'est pour tout lâcher à peine la relation débuté ?! Cela dit, c'est avant tout un homme comme les autres... 
 
Une phrase m'avait toutefois interpellé "Je n'attends pas qu'on me comprenne, je n'ai plus d'espoir à ce propos, j'ai seulement besoin qu'on m'accepte". Mais qu'entend-il par "accepter" ? Au vu de notre situation, j'ai l'impression que c'est une sorte d'amour inconditionnel, qui le dispenserait d'explications et du moindre effort. Mais n'y-aurait-il rien de pire que de le traiter comme un enfant - ou un handicapé ?!
J'ai soudain à nouveau envie de partir au milieu de la nuit. Envie de retrouver mon lit, mon édredon, mon chat qui ronronnera et qui sera assurément content que je sois là. 
Et puis je me dis que si ça se trouve, si je pars maintenant, il aura juste oublié demain matin que j'étais là - et il ne s'émouvra pas de mon absence, et ça me blessera. Je me laisse emporter par mes angoisses, je tremble, au bord du lit... Et puis je finis par trouver un sursaut d'énergie, et de me dire que j'ai pris les choses en main, j'ai discuté, j'ai apporté mes besoins, mes demandes, et même si ses réponses m'ont secouées, je me - nous - donne les moyens d'essayer. Je ne me laisse pas simplement abattre par mes angoisses, j'ai combattu ! Tout comme j'ai lutté, pour réussir à dormir dans cette chambre malgré mes angoisses, et c'est ça, qui est important ! Je n'ai pas à avoir honte de moi, à culpabiliser, à me mettre en retrait juste parce que je veux me faire croire que je suis de trop.
Animée de cette nouvelle résolution, je parviens enfin à m'endormir, un peu plus sereine. 
Je suis réveillée au cours de la nuit par sa main qui se glisse dans la mienne, et son corps qui vient se coller contre ma peau - je me rendors heureuse d'être venue, heureuse d'être restée.

Au matin nous faisons longuement l'amour, je suis tellement excitée - et il est tellement précis - qu'il me fait jouir en une vingtaine de secondes, du bout des doigts. Puis nous faisons l'amour deux fois, et, 4 orgasmes plus loin, dont deux consécutifs et je ne sais absolument pas comment il m'a fait faire ça, je m'effondre sur son torse, ruisselante de sueur. Je suis censée aller travailler, mais je resterai volontiers là toute la journée, à oublier nos incompréhensions, mes angoisses, mes doutes et nos difficultés.

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