lundi 20 mars 2023

La bataille des deux Mademoiselle B.

Tendresse©Axelle_de_Russé



Ca fait un mois que Schrödinger et moi nous écrivons. 
Beaucoup. 
Beaucoup. 
BEAUCOUP.

A parler de nos passions communes, mais aussi, forcément, à se dévoiler l'un à l'autre. 

Arrive (forcément) le temps des confidences.

Schrödinger m'apprendra ainsi que sous ses airs sûr de lui, il est en réalité... vierge. 
Et, bien sûr, avec une estime de lui même gravement amputé.
Ironie du sort ! J'écrivais, il y a quelques semaines, au sujet de Jean-Gilbert « Je ne suis pas une assez bonne personne pour être la première de quelqu'un ». 
J'ai été la première de mon premier copain, j'avais 18 ans, et ça suffit pour une vie.

Emballé, c'est pesé : la différence d'âge, et maintenant ça... Qu'est ce que je pourrais bien lui apporter ?! 
Forcément, il est terrifié, il idéalise les femmes et le sexe, il a une estime de lui au ras des pâquerettes. Il est mort de peur face aux filles.
Et moi ? Je suis terrifiée, je condamne tous les hommes, je ne souhaite pas me laisser approcher. 
N'est ce pas hilarant d'absurdité ?

Morgueil : 
- Il idéalise sans doute autant que toi
- C'est fini tout ça, j'ai changé, je ne suis plus comme ça, plus autant !
- Tu partais de tellement loin, que maintenant tu n'idéalise plus qu'un peu, et c'est déjà beaucoup...
- Là n'est pas la question. Il est naturel, naïf, tellement. .. pur ! 
- Tout comme toi
- J'en suis l'opposé total ! Je suis morte d'angoisse à longueur de temps. Que voudrais-tu que je lui apporte ? Je suis terrifiée par les hommes en général, et qu'il m'arrive à nouveau quelque chose ! J'ai mobilisé tellement d'énergie avec le Joueur d'Echecs pour essayer de surmonter mes traumatismes, tout ça pour que le type me largue salement. J'ai pas l'énergie pour retenter. Gérer à nouveau l'anxiété, les angoisses, les crises de panique... Je ne peux plus faire ça. C'est trop dur.
- Mais tu n'as pas peur de Schrödinger !
- Non... Mais je n'avais pas peur d'Isaac non plus. 
Morgueil ne répond rien. Qu'y a t'il à répondre à ça ? On ne peut jamais savoir de quoi sont capables les gens. Même (surtout ?) quand on les aime.

C'est plié : ne pensons plus à Schrödinger.

D'ailleurs il m'offre l'opportunité d'enterrer proprement tout ça « Est ce que tu ne veux vraiment plus personne dans ta vie ? »
Schrödinger est très malin - et aussi tellement candide, et franc. C'est absolument adorable.
Dommage que moi, je sois une mauvaise personne.
Alors j'abat le couperet.
Je creuse les tranchées.
Érige les murs.
Rempli les douves 
Et pour la forme, une salve de mitraillette. 
Non, plus personne. Jamais. Laisse moi. Et surtout, reste loin de moi. Trouve quelqu'un de ton âge. Quelqu'un de bien. Pas moi - pas une poupée cassée.

Que pouvais-je faire d'autre ? Il mérite quelqu'un d'équilibré, qui lui apportera de l'amour et de la sérénité.
Pas une fille bouffée d'angoisses et de traumatismes.

Je le croise à la salle quelques jours plus tard. Je suis assise en tailleur par terre, attendant le début du cours.
Il s'accroupit près de moi. Trop près. Il est toujours trop près - ma bulle est plus large que ça, Frère ! Il est définitivement beau. Je veux attraper ma bouteille d'eau, posée entre nous, et je lui saisi brièvement la main. 
- Oh merde ! Pardon !
- C'est pas grave.
- Si, c'est mauvais pour ma santé mentale 
- Quoi ?
- Laisse tomber
Je m'énerve toute seule : il y a forcément une phéromone, un truc qui se dégage de lui, une odeur que je ne sens pas encore parce que je suis saturée de plein d'odeurs différentes que je ne peux pas identifier, mais c'est obligé qu'il se passe un truc animal. O-bli-gé. Ça me fiche en rage. Laissez moi m'enfermer loin du monde ! Qu'on m'épargne les tentations ! Et tout ce qui risque de troubler mon fragile équilibre !

J'ai la tête retournée. J'y pense sans cesse. Un incessant va et vient, deux personnalités dans ma tête, qui s'affrontent avec violence :

La première Mademoiselle B., l'écorchée qui rugit : 
Prendre des risques ? Pour quoi faire ? La solitude, c'est la sérénité ! Les hommes, c'est trop compliqué, trop risqué, trop difficile à gérer !
Et puis lutter, pour quoi faire ? Est-ce qu'on peut surmonter une fois pour toute un abus ? Est-ce qu'on peut vraiment lutter, jusqu'à ce qu'on parvienne (ou revienne) à un stade neutre, où il n'y a plus de craintes, plus de séquelles, plus de mauvais rêves, plus de réactions épidermiques ?
Bien sûr que non ! On ne se remet jamais tout à fait, il restera toujours des traces, et rien ne sera jamais plus "facile", rien ne sera plus jamais "comme avant".
Alors pourquoi lutter ? Pourquoi se battre, si la bataille est perdue d'avance ? S'il n'y a aucune victoire possible ? Si ça ne fait que compliquer la vie, encore et encore ? A quoi bon ?!

Et puis il y a l'autre Mademoiselle B., la rageuse, qui hurle :
Quoi ?! Ne pas se battre, c'est déclarer forfait, c'est mettre un genou à terre ! Moi vivante, jamais je ne baisserai la tête ! Laisser les autres gagner ?! Plutôt crever ! C'est injuste ! C'est pas les victimes qui doivent tout perdre, tout le temps ! C'est terminé tout ça ! Tu vas vraiment te laisser modeler par les erreurs des autres ? Etre défini par ton passé ? Par ceux qui ne méritent pas de t'avoir marqué/surtout pas de cette façon ?

Les deux ont raisons, bien sûr. 
Mais comment je concilie tout ça ?

Et puis la même semaine, un soir, je vais à un spectacle. 
J'ai pris la place il y a plusieurs mois, je n'ai plus aucune idée de ce que c'est. J'y vais sans attentes.

Et je passe 1h30 à pleurer.

Le spectacle s'appelle "La Tendresse".
Ca parle de masculinité toxique. D'agressions. De sexualité. D'abus. Du féminisme. De #Metoo. D'homosexualité.
Et c'est le truc le plus bouleversant que j'ai pu voir sur scène de ma VIE.

Quelques tirades, par des mecs : « Quand je regarde les hommes qui marchent dans la rue, fiers, conquérants, j'ai envie de leur dire ta gueule. Tu appartiens à un groupe qui a historiquement marché sur les femmes. Tu marche sur des cadavres. Ta bite a trempé dans le sang et dans la mouille. Alors ta gueule. Juste : ta gueule »
« Je voudrais qu'on érige un mur avec le nom des femmes qui ont été agressés depuis le XXe siècle. Ou même le XXIe siècle. Tous les ans, on ajouterait le nom des 77000 femmes agressées pendant l'année, et le mur grandirait - on ne verrait plus le haut. Et on obligerait TOUT les mecs à y aller au moins une fois, et à lire tous les noms un par un. Et à regarder en face, sans baisser les yeux ». 
Et une fille, dans le groupe : « Aujourd'hui je traite mon mec comme les hommes traitent les femmes. J'ai appris à me battre et à rendre les coups. Et si tu lèves la main sur moi, je lève le genou. C'est aussi simple que ça »

Ça parle aussi d'empathie, de résilience, d'amour. 
Je sanglote tout au long du spectacle - et je continuerai de pleurer bien après, toute la soirée, une partie de la nuit, et le lendemain. Je suis perdue, reconnaissante, émue, révoltée, tout ça en même temps. Qu'est ce qui s'est passé ?! C'était beaucoup trop puissant pour moi !

Le spectacle termine sur ces mots : "J'espère que tu garderas cette tendresse toute ta vie"

Et, en train de sangloter sur mon fauteuil, je m'interroge : est ce que ce n'est pas ça, la vraie riposte qu'on peut infliger à ce(ux) qui nous a blessé ? Au monde qui nous entoure ? 
Juste continuer à vivre en gardant notre tendresse ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire