Quelques temps après mamie, lors du rendez-vous trimestrielle où Lilith terrorisait tous les vétérinaires et assistantes (au point qu'elles enfilaient la combinaison anti gros chiens), l'examen a détecté un autre problème : des masses étranges dans son estomac.
"Soit c'est un problème de vers. Soit c'est quelque chose de grave".
Nous avons vermifugé.
Mais les masses sont restées.
Et puis, à l'automne, elle a arrêté de manger. Tout ceux qui ont essayé un jour de lui donner à manger sans retirer assez vite leur main le savent : Lilith et la nourriture, c'était quelque chose. Un mix entre un chat, une poule et un ogre.
La voir chipoter sa nourriture était donc un indice affolant.
J'ai réussi à lui redonner un peu d'appétit en variant sa nourriture - parfois jusqu'à l'absurde : elle voulait manger ma soupe ? Allez, un bol de soupe pour Lilith.
Mais elle perdait du poids à une vitesse effarante.
Fin novembre, elle faisait à peine 3kg. Je la voyais s'isoler, et se réfugier dans des endroits improbables. Son refuge préféré est devenu l'intérieur du rideau.
Alors je lui ai fait un nid dedans.
Le vétérinaire lui a fait une injection censée calmer ses diarrhés, et empêcher les vomissements.
L'injection a plutôt bien fonctionné, avec des hauts et des bas. Certains jours, je retrouvais ma petite terreur. Et c'était les plus beaux moments.
Toutefois, je ne me leurrais pas : le vétérinaire m'avait annoncé une injection qui durerait 1 mois dans le meilleur des cas, et qui était à double tranchant : elle pourrait se nourrir, mais elle nourrirait avant tout les masses dans son estomac.
Pour être très précis : il ne lui donnait pas jusqu'à Noël.
Je suis partie chez ma mère pour les fêtes, avec Lilith très affaiblie. Certaine que je reviendrai avant la fin des vacances pour l'emmener pour la dernière fois chez le vétérinaire.
Et pourtant, chez ma mère, elle a repris du poil de la bête. Elle mangeait comme un ogre, faisait des bêtises, et râlait - comme avant.
J'ai pensé que le vétérinaire s'était trompé, et que l'effet du vermifuge avait juste tardé. j'ai eu l'impression qu'elle reprenait du poids.
Nous avons passé Noël, et la nouvelle année.
Et tout allait bien.
Je me suis persuadée que tout allait mieux.
Que grâce à la force de ma volonté et de mon amour, elle guérissait.
En rentrant, je l'ai pesé.
Désillusion : loin d'avoir repris du poids, elle en avait au contraire perdu. J'avais désormais une petite minette d'à peine 2.4 kg. Lorsque je la caressais, c'était ses os que je sentais. Les vertèbres pointues, et le dessin de ses cotes.
Tous les jours pouvaient être les derniers, alors je lui faisais des bols gargantuesques : viande crue pour le plaisir, pâté ou filets en gelée, friandises... Tout ce qu'elle voulait et pouvait aimer.
Il y a eu des moments où j'ai cru qu'elle ne passerait pas la nuit. Je lui massais son ventre tout gonflé, où les masses l'empêchaient de digérer correctement.
Et puis ensuite, tout allait bien pendant plusieurs jours.
J'essayais de ne pas me leurrer : elle continuait à perdre du poids, et s'est stabilisé à 2 kg. J'ai eu l'espoir d'un mieux, après tout, elle ne perdait plus de poids, non ?! ... Avant de comprendre qu'elle n'avait juste plus aucun poids à perdre, que ce n'était que le poids de sa carcasse.
Le mois de janvier est passé ainsi, avec des jours qui allaient presque bien, et des jours qui allaient très mal. Tant qu'elle mangeait, je me disais que ça allait. Elle n'avait pas l'air de souffrir. Devais-je l'emmener se faire piquer si elle ne souffrait pas ?! Etait-ce ma responsabilité de la faire tuer, s'il y avait encore quelques jours de plus à vivre ?
Peut-être ai-je été égoïste.
Sans doute ai-je manqué de courage.
Je continuais d'espérer une rémission miraculeuse.
J'ai été arrêté pendant deux semaines, car le travail était devenu mon enfer personnel.
Deux semaines avec elle, à lui faire des déclarations d'amour et des caresses, et à frotter mon visage contre elle. Elle ronronnait toujours, et restait sans cesse près de moi.
En revanche, elle ne montait plus dans ma chambre : les escaliers étaient devenu trop difficile à gravir, et elle ne restait jamais bien loin de sa litière, étant constamment soit constipée, soit en proie à des diarrhées liquides et noirâtres. Je passais mon temps à nettoyer la caisse, le carrelage, les plaids du canapé.
Qu'importe, c'était un jour de plus avec elle, alors que le compte à rebourre était enclenché.
Le jour où j'ai repris le travail, je suis rentrée, déjà en larmes.
Et Lilith était prostrée. Elle avait très mauvaise mine. Elle n'a pas touché à sa gamelle. Elle s'est hissée dans mes bras, et m'a fait un très long câlin. On s'est allongé sur le canapé, et je lui ai raconté mes souvenirs avec elle. La fois où on s'est rencontré - cette petite minette de 2 mois, qui s'est roulé sur mes genoux alors qu'on ne se connaissait pas. Les bêtises qu'elle a fait. Les fois - toutes les fois - où elle a été là pour moi. Ce réconfort dans ma vie. Ses ronrons, sa présence, ses miaous. Je lui ai dit que je l'aimais si fort, et que je ne l'oublierai jamais - je ne pourrais jamais !
Elle s'est blottie contre moi une dernière fois, puis elle est partie se cacher dans la douche. Elle n'avait jamais fait ça. J'ai hésité. Je voulais rester au salon, toute la nuit avec elle - mais elle ne semblait pas le vouloir, alors si je restais, elle continuerai à se cacher dans un lieu peu confortable.
J'ai fini par monter.
J'ai pleuré. Longtemps. Jusqu'à m'endormir.
J'avais peut-être un peu compris.
A 4h30, je me suis réveillée.
Je me suis dit "Lilith est morte".
Et puis je me suis houspillé moi même "Arrete de te faire peur, tu t'es dit ça telllement de fois ces derniers mois, ça suffit, c'est juste ta plus grande peur, tu as dormi 2h, tu es épuisée"
Et pourtant... J'étais tétanisée.
Je suis descendue.
Je le savais pourtant.
Je le savais et je devais confirmer.
J'aurai tellement voulu être là et l'accompagner.
Je n'aurai pas dû reprendre le travail - c'est pile ce jour là qu'elle a lâché. Je n'aurais pas dû y retourner - pas dû la laisser.
Elle était au milieu du salon, à moitié dans sa caisse de transport. Comme si elle avait voulu y entrer, mais avait manqué de force pour y entrer tout à fait. Autour d'elle, une flaque d'urine et de diarrhée. Dans la salle de bain, près de sa caisse, d'autres traces d'excréments qu'elle n'avait pas pu retenir.
Son corps était encore tiède.
J'ai été chercher un carton, pour mettre son petit corps dans une posture plus digne. Je n'osais pas trop la manipuler, et j'essayais de ne pas trop la regarder, consciente de graver ces images au fer rouge dans ma mémoire.
Et la culpabilité "j'aurai voulu qu'elle ne meurt pas seule dans mon salon".
Je l'ai mise dans un carton - et ce carton était affreusement léger.
Je l'ai mise sur le canapé.
J'ai nettoyé le salon.
Javellisé la caisse.
Nettoyé la litière.
Nettoyé la salle de bain et le salon.
Mis à laver les tapis, et autres plaids souillés.
J'ai retiré la fontaine à eau.
La gamelle.
Je voulais m'épargner de voir ça après.
De me re-souvenir de sa perte. ^
A 6h du matin, j'avais tout nettoyé.
Il me restait à attendre 8h pour aller chez le véto - déposer son petit corps.
Je suis remonté me coucher. J'avais pleuré non stop depuis la découverte de son corps sans vie. Je continuais à pleurer. J'ai continué à pleurer - jusqu'à m'endormir.
Chez le véto, une assistante m'a prise en charge dès mon arrivée.
Je n'ai pas voulu voir Lilith une dernière fois.
J'ai choisi de l'incinérer, et de récupérer ses cendres - je voulais qu'elle rentre à la maison, d'une manière ou d'une autre. Même si ça n'a aucun sens.
L'assistante m'a laissé du temps, du silence, et beaucoup de compassion. J'ai payé, et je suis rentrer dans ma maison - vide et silencieuse. Une maison sans Lilith. Une maison soudain beaucoup moins chaleureuse.
Lilith, qui "ne devait pas tenir jusqu'à noël", est partie le 2 fevrier. Ma petite guerrière a défié les prédiction du véto.
Ma mère, qui a appelé dans la matinée, a dit que nous avions perdu un membre de la famille - j'ignorai qu'elle ressentait cela à son encontre.
J'ai reçu, quelques jours plus tard, une carte sublime, de la part de la clinique. Avec, en prime, l'empreinte de sa patte.
Je me la suis faite tatouer, avec son nom en hébreu. Pour toujours la garder avec moi.
J'ai continué à la pleurer chaque jour.
En me réveillant sans elle, en descendant de ma chambre sans l'entendre miauler, en partant sans croiser son regard (et en lançant pourtant, par habitude "à tout à l'heure ma bichette !"), en faisant la route pour rentrer en sachant qu'elle ne serait pas là, en entrant dans ma maison sans qu'elle soit derrière la porte à miauler, en m'asseyant sur le canapé sans elle, et en me couchant sans ses ronrons, qu'elle venait faire une dizaine de minute contre mon oreille quand j'éteignais la lumière.
J'ai ressenti avec sa mort une tristesse comme jamais je n'en avais ressentie : un désespoir immense, sans aucune lumière au bout : elle n'était plus là, et elle ne reviendrait plus jamais. Je n'aurai plus jamais un chat comme elle, avec la relation que l'on avait. Une relation construite avec mes débuts dans ma vie pro, un peu de chômage (qui m'a fait rester avec elle les premiers mois), un minuscule appart (qui nous a mise l'une sur l'autre), et elle qui m'a sorti de ma dépression. Toute son histoire, notre histoire, mon histoire : une part de ma vie de jeune adulte est partie avec elle.
Je continue à la pleurer. Je regarde régulièrement les vidéos que j'ai d'elle - ma préférée, celle où elle dort paisiblement sur mes jambes. Je pourrais la regarde respirer pendant des heures - et je donnerai tout pour la retrouver, et passer ne serait-ce qu'une heure avec elle.
La mort de Lilith, c'est devenue l'échelle de ma tristesse.
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