Je quittais mon travail le samedi, pour aller retrouver mon petit frère, en "permission" autorisé par l’hôpital psychiatrique.
Dix jours auparavant, ma mère le retrouvait dans son appartement, apathique, dénutri, couché, avec un couteau et des propos très inquiétants.
J'ai passé une soirée avec lui - une super soirée d'ailleurs, où on parlé de plein de choses, comme ça nous est trop peu arrivé ces dernières années. Je lui ai partagé mes propres errances, lorsque j'avais le même âge que lui. Tout ces moments à vouloir en finir, à lutter - et finalement, à être si heureuse d'être en vie aujourd'hui.
Je dis "partagé", mais c'était plutôt un monologue. Il n'a rien dit, évitant mon regard. Aurais-je fait autre chose à sa place ? Probablement pas.
Mais se dévoiler aussi intimement sans soutien, sans retours, c'est un sentiment de vulnérabilité vraiment difficile à aborder.
Alors j'ai taché de me rappeler que j'étais l'adulte à peu près équilibré d'aujourd'hui, et pas la jeune femme désespérée d'alors, et que tout cela avait pour but de soutenir le jeune homme en détresse que j'avais en face de moi - et que c'était mille fois plus important.
Je l'ai ramené à l’hôpital le dimanche, pour la fin de sa permission.
Sentiment déchirant, même s'il y a toujours ce "c'est pour son bien".
Je rejoignais ensuite Peter, un ancien collègue qui était justement dans la même ville. Nous avons été boire un verre, mais la chaleur était accablante. Moi j'étais triste et perturbée, et lui s'était fait mal au pied et boitait.
On a fini par aller manger chez lui.
On a beaucoup parlé, un peu bu. Il m'a proposé de dormir dans sa chambre d'amis, car j'habite désormais à 60 km de là.
Je me suis laissé convaincre, même si j'avais envie de retrouver mon appartement - ce fameux appartement dans lequel, pourtant, je ne parviens pas à me sentir chez moi.
Au matin, je partais pour travailler sur mes projets d'écriture.
Je mets mes chaussures, prends mes affaires, m'apprête à sortir, lorsque Peter m'enlace. Il murmure "Je t'aime trop". Puis "Mais je suis tellement gay". Puis "s'il te plait... reste".
Tout tourne dans ma tête.
Trop d'informations.
Je passerai les deux jours suivants chez Peter.
Peter à un secret.
Peter n'est pas né homme. Il me l'avait dit très naturellement, un soir de février vers minuit dans un jardin à Amsterdam, où nous étions pour un voyage professionnel. Nous étions en train de nous partager un joint, et étions donc assez copieusement défoncés, d'autant plus qu'on avait pas mal bu avant ça.
J'avais quitté Schrödinger au début de l'été - après 3 mois à refuser de le voir. Je ne supportais plus le sexe avec lui. Enfin, le problème n'était pas spécialement lui - je ne pouvais simplement plus faire l'amour avec un homme sans ressentir de la panique et l'impression de me faire agresser.
J'avais compris cela justement après ce fameux voyage à Amsterdam.
J'en suis revenue avec une grippe qui m'a cloué au lit pendant une semaine avec 40 de fièvre. Lorsque Schrödinger est venu me voir (il m'aidait à me lever, et à manger, car j'étais trop faible pour y arriver seule), et qu'il s'est couché près de moi, j'ai fait un rêve - et j'ai compris.
Lorsqu'il enfilait une capote, ou qu'il se masturbait, *ce* mouvement de matelas à côté de moi, je replongeais dans cette fameuse nuit.
Le mouvement du matelas faisait remonter la peur - devenue, avec le temps, de la terreur.
Fiévreuse, malade et shooté aux médicaments, j'ai revécu le moment en rêve. J'ai revécu cette nuit à nouveau.
Et je ne pouvais plus gérer ça.
Je n'avais plus envie.
J'ai lutté contre l'infinie culpabilité de quitter l'homme le plus gentil que j'avais rencontré dans ma vie, et je me suis sentie comme une grosse merde. Une ignoble et grosse merde.
Mais je ne pouvais plus.
J'ai quitté Schrödinger.
Je pensais tirer un trait définitif sur toute forme de relations.
Deux semaines plus tard, Peter déboulait dans ma vie.
Peter se bat chaque jour pour l'identité qu'il s'est choisi. Il prend un traitement, subit des injections. Il s'est fait retirer les seins - par un chirurgien qui avait sûrement plutôt une vocation de boucher, si j'en crois les cicatrices qu'il a laissé. Il a conservé son vagin.
Son corps meurtri raconte toute son histoire - et il est magnifique.
Je découvre la douceur de l'amour masculin-féminin. Son absence de pénis est la chose la plus rassurante du monde pour moi. J'ai tout à apprendre - et en même temps, tout est si naturel.
Un amour fou nait entre nous.
Inattendu.
Fulgurant.
...Évident ?
Il m'écrira : "Je ne suis attiré sexuellement que par les hommes depuis que j'en ken. T'es la première qui m'excite comme ça tu me rends ouf".
J'essaie de mesurer l'importance de cette information.
Ca me dépasse complètement.
Mais une chose est sûre : oui, il est fou de moi, de nous. Tout son visage, son regard et son corps le hurle.
J'ai des tas d'émotions différentes qui me traversent. Je n'arrive plus à les contenir
Une semaine plus tôt, à la même heure, je racontais à mon frère comment je voulais mourir.
Je voudrais pouvoir serrer Lilith dans mes bras, et écouter ses miaulements rauques qui auraient été très certainement un éclairage inédit sur ma situation.
Je regarde quelques vidéos d'elle - celles que les copines avaient fait, dans une autre vie, quand elles allaient la nourrir.
C'est réellement la semaine de vacances la plus étrange de toute ma vie.
Et rien ne sera plus jamais comme avant.
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