J'arrive avec une grosse heure de retard au bar gay où l'on se retrouve à chaque fois, mes amis et moi. Ça fait de nombreux mois qu'on ne s'est pas vu.
- Désolée du retard, j'ai profité d'être dans cette ville pour vendre ma chaise Ikéa que j'avais mise sur Le Bon Coin, et j'ai poireauté une demi-heure sur un parking sombre parce que je n'arrivais pas à joindre mon acheteuse - ça coupait chaque fois que j'appelais, genre comme si elle m'avait bloquée... Et en fait elle s'était gouré en me donnant son numéro, donc je harcelais un parfait inconnu qui, quelque part en France, est terrorisé par cette folle qui l'attendait sur un parking sombre à 22h avec une chaise de bar Ikéa.
- Ça ne te serait pas arrivée si tu avais des meubles Roche Bobois, pétasse !
On s'embrasse, on se serre dans nos bras, on prend des nouvelles des uns et des autres.
« Ça fait tellement plaisir de te voir ! Ça fait trop longtemps ! »
J’entends : « Oh, moi je me suis fait
larguer comme une merde il y a 3 semaines… »
Je me tourne vers Loïc : « Quoi ? Stéphane et
son mari…. ??? »
« …. Ne sont plus ensemble », termine-t-il.
« Mais…. Ils sont…. »
« Mariés depuis 3 ans. Et puis du jour au
lendemain, il lui a dit "Bon, on arrête. On n’a plus de sentiments, c’est
fini. Et puis ça serait bien que dans 1 mois, tu aies viré toutes tes affaires de l’appart" ».
« Noooooon ! L’immonde connard »
(Acquiesce) « Il s’est comporté comme la dernière des
putes, effectivement »
« Bon, et toi, Philippe, ça va ? »
« Il est sous anxiolytiques. Clairement, on ne fait
plus que cohabiter. On n’a pas baisé depuis 3 mois. Il n’y a plus rien entre
nous. Mais on reste ensemble… On s’apprécie toujours hein. Et notre vie n’est
pas malheureuse. On n’est juste plus… plus…. On est juste à la fin quoi ».
Dépitée, je me tourne vers mon ami Q.
« Ne me regarde pas, moi aussi ma vie sentimentale est à chier.
Mais ça c’est habituel. Et toi, tu vois quelqu’un en ce moment ? »
Je rigole : « Ouais : ma psy »
« Ah oui d’accord. Et t’as pas sucé depuis combien de
temps ? »
Je soupire : « Juin »
« Moi c'était août. Loïc ? »
« Septembre. Stéphane ? »
« Octobre »
« Ok Mademoiselle B., tu nous bats tous, tu es la plus désespérée d'entre nous »
« Ouais, comme d’hab… »
Soupir général.
« Qui reprend un Cosmo ?! »
« Oh là là, ce que c’est cliché ! Un Cosmo pour
les pédés ! »
« Oh ta gueule ! Allez, tournée générale ! Cosmo pour tout le monde ! »
« Quand j’étais môme, je me disais qu’une fois que j'arriverais à l’âge
adulte, tout sera plus simple. Être adulte, c'est savoir quoi faire, c'est gérer. Du moins c'est comme ça qu'on voit les adultes quand on est gosse. Mais quand tu y es, tu te rend compte que c'est carrément pas plus simple du tout. C’est quand, en vrai, que tout devient simple ? Je crois
que ça n’arrive jamais…. »
La soirée avance, aux couleurs des cocktails que l'on ingurgite joyeusement, malgré leurs prix exorbitants et leur gout frelaté.
La boite où nous avons fait
tant de soirées mémorables est clairement en train de couler : Outre la baisse de qualité des consommations, d’habitude il y a une centaine de personnes qui se massent dans 40m² les vendredi soirs. Aujourd’hui, on
est moins d'une vingtaine. Mais qu’importe, on est là pour s’amuser, alors on boit et
on danse. Pas besoin d'une foule en délire pour ça. Moi aussi, j’ai envie de m’amuser, de danser et de laisser mes soucis de côté, et je sais
que je peux me laisser aller : je suis bien entouré, et je suis dans un
endroit totalement safe - c'est l'avantage de sortir en bar gay.
Loïc danse avec moi. C’est rare qu’il se laisse aller, et encore plus rare
qu’il danse. Son regard est pénétrant et un joli sourire étire ses lèvres. Il m’a
toujours beaucoup plu – mais j’ai passé l’âge de tomber amoureuse de mes potes
gays, mes barrières sont solides.
Il se serre contre moi, et je le serre fort. Ça me brise le cœur
de savoir que ce garçon, que je trouve formidable, ne soit pas aimé à la
hauteur de ce que j’estime être ce qu’il mérite. Je voudrais que tous mes amis
soit heureux à en perdre la tête, qu’ils planent plus haut que le 7e
ciel, parce que je les aime si fort.
Je sens Loïc qui embrasse doucement mon cou, ses mains qui me
caressent. « Oh. Tiens. Voilà qui est inattendu », me dis-je. Il s’écarte
un peu de moi, juste pour pouvoir me regarder, avec son irrésistible sourire, et ses
yeux qui sourient tout pareil. Nos visages se frôlent, je ne sais que penser, si ce n’est
« S’il veut m’embrasser, je le ferais avec tout l’amour, toute la douceur
et la tendresse dont je suis capable, car c’est ce que je veux lui transmettre ».
Je n’ose le toucher, soudain je ne sais plus comment faire : Je sais
comment caresser un homme, mais j’ignore comment caresser un gay.
Il m’embrasse. Je me perd dans notre baiser, et j’y passe
toute mon affection, tout mon amour. Ses lèvres sont douces, ses mains m’explorent. J’entends David qui s’exclame, derrière lui : « Mais…. Mais…. Qu’est
ce que mon frère fait à Mademoiselle B. ???? Qu’est ce que sa langue fait
dans sa bouche ?! Mais enfin ?! »
Lorsque nous nous séparons, je suis bouleversée, un peu
perdue. Excitée aussi.
La soirée continue, je chante, je danse, je bois. Tout le
monde se frotte à tout le monde. Je reste un peu plus en retrait.
Je reprend un cocktail. « Une Caïpirinha s’il vous
plait ». Je l'ai vu sur la carte, et j'ai voulu faire la maline : Le verre arbore un drapeau brésilien fluo – il ne manque que des
fanions, et l'hymne national. Ce soir, j'exorcise.
"Ah Ah ah, à nous deux, Brésil !", dis-je au cocktail |
Même si, j’avoue que lorsqu'on est psychologiquement fragile, c'est difficile de se dire que ça ne veut rien dire de plus.
Ce soir, ça l'est un peu pour moi. Mais je n'ai aucun regrets.
Q. a loué une chambre Airbnb à deux pas d’ici ; je suis
incapable de reprendre le volant alors j’y vais avec lui - de toute façon dans sa tête, c'était pour lui et moi. Mon esprit est
embrumé. Je le laisse me guider jusqu’à l’appart, je ne prend pas garde au chemin. Il prend juste le temps de me dire "Ne dégueule pas par terre, c'est du parquet", puis "Oh la la, j'ai embrassé tous les mecs du bar, je vais attraper une mononucléose, ou un cancer de la langue, c'est sûr !", s’allonge sur le lit avec ses vêtements et s’endors instantanément. Je ricane, mais à peine allongée, les Cosmo et surtout cette Caïpirinha à la con commencent à se rebeller
dans mon ventre. Je vais m’agenouiller devant les toilettes.
Exorciser le Brésil, hein ? Quelle idée grandiose.
J’attends que les spasmes se calment. Ma gorge brûle et mon
ventre se contracte.
Lorsque je suis sûre d’avoir tout rejeté, je retourne me coucher. Je m’allonge aux côtés de
Q., et sombre à mon tour, tout habillé.
Mon réveil sonne à 7h – je n’ai aucun souvenir de l’avoir
mis, et je me dis que, ça y est, je suis une adulte sérieuse,
qui sait prendre ses responsabilités.
... Quand est-ce qu’une telle chose est
arrivée ?!
Je me lève, et je pars, dans les fringues dans lesquelles j’ai
dormi. J’ai 1h de route. Je fais un crochet par chez moi pour me changer vite
fait, avant de repartir au boulot. Une journée de 11h de taf, une
conférence, des heures supp’ et un reste de gueule de bois.
Mais qu’importe.
C’était une bonne soirée.
Han mais trop cool ce récit de cette soirée !! Tellement bon d'être entourée de ses amis, tellement bon de s'enivrer, de danser, d'avoir chaud, de toucher, de perdre pied, de vivre !
RépondreSupprimerJ'espère que tu en fais des tas d'autres, ça fait tellement du bien !!!
Commentaire écrit par une maman solo qui, une semaine sur deux, est en gueule de bois permanente ahaha
C'est grâce à ce genre de lâcher prise qu'on kiffe vivre ! Allez, haut les coeurs <3 Et continue <3
Tu es géniale <3
SupprimerJe suis d'accord avec toi ! Je n'en fais pas très souvent, car nous avons tous des plannings différents, et c'est ultra galère d'arriver à se retrouver. C'est dommage, car en effet, je ne sais pas ce que ça produit dans le corps, mais ça rebooste à mort !
En attendant je suis plutôt dans un listing de "C'est quoi que je veux absolument expérimenter dans ma vie ?", et c'est aussi une autre façon de me remettre les deux pieds dedans !
(Et je prévois un nouveau voyage en janvier, ce qui aura déjà le mérite de m'obliger à défaire ma valise du Brésil, et qui permettra d'aller me faire dorer la pilule avec des potes gays, sans possibilités d’ambiguïtés ! Ça, ça va être top aussi, et ça me donne des projets à moyen terme !)