vendredi 15 mai 2020

La fin du confinement/Le premier retour au travail





Mon premier retour sur mon lieu de travail s'est fait le mardi 5 mai.
Je n'étais pas obligé d'y retourner avant le 11 mai, mais j'en avais la possibilité, et j'ai pensé qu'un retour (très) partiel avant le retour officiel me permettrait d'être un peu moins stressée.
Je craignais de retrouver mon bureau tel que je l'avais laissé en pensant y revenir le lendemain.
Je craignais le retour à une (ex) routine soudain dénuée de ses oripeaux familiers.
Je craignais l'inquiétante étrangeté que j'ai ressentie en cours de confinement - qui serait cette fois dans l'autre sens.

Sentiment étrange que de reprendre la voiture, faire le trajet qui a été familier et quotidien, redécouvrir ce que je ne voyais plus à cause de l'habitude. 
Sensation à nouveau nouvelle de se garer sur le parking, à ma place habituelle - non, d'ailleurs, je n'y arrive pas, je vais me garer ailleurs, c'est trop difficile de faire ces choses trop connues.
Le badge pour entrer.
Le couloir rouge et blanc.
Le bureau.
Les femmes d'entretien "Oh ! Bonjour Mademoiselle B. ! Tu vas bien ?!"
Envie de pleurer - non, en réalité, je ne suis pas tant émue que tétanisée. J'ai une boule au ventre, et ce bâtiment quasiment vide me serre le cœur.
Au bureau, je croise Camille - on a bossé ensemble pendant tout ce confinement, on a fait des réunion en visio, des apéros, des cours de sport. J'ai l'impression de l'avoir quittée hier.
Je prend connaissance des règles : ne toucher aucun interrupteur, aucune clenche. Porter un masque. Tout doit rester ouvert "Même les fenêtres ? Non mais là il fait 12 °C tout de même !". 
On est 2 dans le bureau - habituellement, on est 13. Certes, je me plains régulièrement du bruit incessant, et là, j'apprécie le silence... Mais ce grand vide m'angoisse aussi.
Mon bureau est littéralement tel que je l'ai laissé : une mandarine momifiée près de l'ordinateur, un reste de thé désséché. Des gateaux qui m'attendent depuis 2 mois et qui sont durs comme de la pierre. Les urgences. Les post-it. Les trucs que l'on m'a déposés sur le bureau à traiter le plus vite possible. 
Qui datent de milliers d'années en arrière.
C'est comme de revenir après un gros accident - sauf qu'on a tous eu le même.

La matiné se passe étrangement.
Les rares présents se redécouvrent, prennent le temps de discuter, un peu sidérés "Ca fait du bien de se voir !".
Il est interdit d'aller en salle de pause. 
Les WC restent ouverts, pour qu'on ne touche pas les clenches - du coup je n'ose pas aller faire pipi.
On est submergés de mails de consignes "Les couloirs étant trop étroits, merci de ne circuler que lorsqu'il n'y a personne, et de ne pas vous croiser". 
On se regarde, dubitatif : "On est censé faire ça comment ?!"
Ces mails sont accompagnés de quelques menaces "En cas de non-respects des consignes, les espaces de travail seront modifiés".
Alors lorsqu'on sort de notre bureau, c'est pour cavaler à l'autre bout du couloir le plus vite possible, avec la peur de croiser quelqu'un, et de fâcher la direction. 
Surréaliste.

Quelles sont les urgences en réalité ? Qu'est ce qui devient prioritaire ? Je ne sais même pas. Tout me semble déconnecté.
Alors je travaille sur quelques trucs, et surtout je range mon bureau - ce petit réflexe pour me réapproprier l'espace. En cours de matinée, l'informatique nous lache. Nous voilà bien avancé.
J'ai cette drôle d'impression que tout est figé - et qu'il ne faut rien toucher, rien regarder. Je panique un peu. Puis-je vraiment reprendre possession de l'espace ? Ai-je le droit de m'emmitouffler dans mon chale en laine ?


Le second jour n'est pas bien mieux - sauf qu'entre temps, j'ai attrapé froid, avec toutes ces fenêtres ouvertes.


Et puis le 11 mai est arrivé.
Je pensais, naïement, que les choses seraient progressives.
Que les gens ne se rueraient pas tous en bagnole sur les routes.
Qu'il y aurait tout de même des palliers.
Que nenni !
Il y a une circulation de ouf dans les rues - je laisse tomber mon idée d'aller au boulot en vélo par la route "pour m'habituer, avant qu'il n'y ai trop de circulation" => Trop tard cocotte.
Les gens sont hyper vénères en voiture. Visiblement, deux mois de confinement donne envie de rouler trop vite et de ronger son volant en klaxonnant.
Dans l'ensemble, j'ai l'impression que, du jour au lendemain, on décide de faire "comme si" => "On disait que, en fait, il n'y a plus du tout de virus !".
Mes collègues sont hyper nerveux - ma directrice est d'une constante humeur massacrante, et on se planque lorsqu'on la voit arriver.
Le retour à un rythme un peu plus soutenu est épuisant.
Devoir gérer le retour à la vie, tout en m'occupant de mon frère qui est toujours chez moi, les artisans qui reviennent, les problèmes de fric qui réapparaissent, essayer d'être une bonne amie, de contacter les gens que j'aime, d'être là pour tout le monde...
Et si c'était ça, le problème ?!
Si je souhaite personnellement ne pas me ruer dans un frénétique "retour à la vie d'avant" (qui est de toute façon impossible) et prolonger le confinement en ne sortant pas plus que nécessaire, j'aimerai interroger tout ça.
Les hauts et les bas du confinement.
Ce que ça a mis en relief.
Ce qui est important.
Mon rapport au travail (où j'ai à la fois peu travaillé, et pas du tout déconnecté, au point de ressentir à nouveau ce tiraillement d'être débordée ET de ne pas pouvoir gérer, donc sentiment d'impuissance et d'insuffisance, blablabla)
Mon rapport à la vie. Aux choses. A mon agenda. Ma boulimie de savoirs et de faires - parfois au détriment de ma santé.
Ne serait-il pas le moment de poser un peu les choses, et de prendre de bonnes résolutions ?
Car revenir à un copier-coller de ce que je faisais auparavant ne me semble soudain plus vraiment souhaitable… Et pourtant, je crois que je pourrais y retourner insidieusement très très vite, et sans même m'en apercevoir...
Bref, j'en ferai peut-être un article à part.

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