vendredi 11 décembre 2020

Cette douleur au dos (la microkiné et les hommes) (1)

 


Je trainais un mal de dos ces dernières semaines, jusqu'au jour où je n'ai plus réussi à faire comme si je pouvais vivre avec. Le diagnostique "à nouveau une sciatique" ne fonctionnait pas, et ni médecins, ni kiné, ni ostéopathes ne voyait d'où ça pouvait venir : mon corps est en parfaite santé !
Sauf que je n'arrive plus à marcher tellement j'ai mal.
Je me suis dit qu'il fallait absolument que je comprenne d'où ça vient, et ce que ça veut me dire.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que je n'ai pas été déçue du voyage.

Les copines de la méditation m'ont conseillé une micro-kiné dans le coin. Des amis danseurs de ballet m'avaient également conseillé l'expérience, et tout le monde en disait beaucoup de bien.
Toutefois, l'une des méditantes avaient froncé son joli nez, m'avertissant : « Tout de même... Elle te balance ce qui vient, sans soutien psychologique, et... il faut pouvoir encaisser. Je trouve que c'est très dangereux ».
Je pensais qu'elle exagérait.

J'ai eu un rendez-vous rapidement, et elle m'a palpé, constatant que tout mon côté gauche était crispé, coincé. 
Et puis elle s'est mise à poser des questions très pointues :
- Que s'est-il passé à votre naissance ? Vous avez vécu une perte.
- Heu.... Non... 
- Il y a eu un problème à votre naissance. Vous avez perdu votre mère ?
- Non... Mais l'accouchement a été difficile et... Elle a perdu beaucoup de sang... Est tombé dans le coma.... Tout le monde a cru qu'elle allait mourir.
- En tant que nourrisson, vous avez été brutalement séparé de votre mère, dès votre naissance, et pendant plus d'une journée. Votre cerveau l'a vécu comme une mort.
- Ah.
- Vous sentez-vous coupable ?
- Heu... Non.
Je réalise qu'étrangement, je me sens coupable pour énormément de choses, mais je n'ai jamais estimé que j'étais responsable activement des problèmes lors de ma naissance. 
- C'est bien.
Cela étant dit, si ma mère ne s'était jamais réveillé de son coma, je pense que je me serais senti infiniment coupable.

Elle continue à palper. Me parle de mon père. De l'abandon. De l'absence.
Elle pose sa main sur la douleur aigue de mon dos.
- Oh.
Elle appuie, elle pose sa main, elle épouse une forme qu'elle est la seule à deviner.
- Qui a abusé de vous ?
- Quoi ?!
- Serait-il possible qu'il y a très peu de temps, un homme ai abusé de vous... Il aurait mis sa main ici... Et aurait appuyé comme ça....
- Non ce.... Ce n'était pas....
- Ici, sa main était ici.
Et elle agrippe très fort ma hanche.
Soudain ça déclenche chez moi une sensation de terreur. Soudain, cette femme me terrifie. Elle me serre, elle me regarde, et j'ai froid, j'ai peur, je me sens mal.
D'une voix que je tente de maitriser, j'explique qu'il y a eu quelque chose, mais ce n'était pas un abus, non... Certes, je ne l'ai pas bien vécu, mais ça n'était pas ça.
- Pour votre cerveau, c'était un viol.
- Mais je... non.... Je n'ai rien dit, je n'ai pas protesté, je n'ai pas dit non, ce n'est pas un...
Je ne peux pas dire le mot.
- Avez vous vous dit oui ?
- Heu, non.
Elle s'apprête à dire quelque chose, se ravise, me fait un sourire. Je suppose qu'elle allait me faire la leçon "si ce n'est pas oui, c'est non". 
Je sais.
- Votre corps l'a interprété comme un viol. Et....
Elle appuie de nouveau sur mon dos. Sur cet endroit en particulier. J'ai peur. J'ai mal. Pourquoi elle insiste ?!
- Vous avez déjà vécu ça. C'est bien enfouis, mais... Vous aviez 21 ou 22 ans. Que s'est-il passé ?
- 21 ou 22...
Je suis perdue, ça va trop vite, c'est trop intime, on exhume des cadavres et je n'étais pas prête à ça. A nouveau elle m'agrippe, à nouveau ça me fait tomber dans la terreur, et je commence à pleurer.
- J'étais saisonnière. J'étais amoureuse. Lui.... Il avait honte de moi. Il couchait avec moi, mais personne ne devait le savoir. Il disait qu'il ne pouvait pas s'en empêcher.
Elle serre ma hanche. Elle refait ce geste, qui me fait immédiatement ressentir une angoisse profonde, bien que je sache que je suis dans son cabinet, en sécurité.
- Il vous a forcé.
- Non ! Je me suis laissé faire.
Je pleure, j'ai peur, j'ai honte, tout ça est si loin, et pourtant encore si vif.
- Vous avez eu honte. Vous avez été surpris pendant l'acte ?
Un de nos amis est arrivé juste quand il finissait, il n'avait pas mis de capote, et le lendemain matin j'avais ma première et la plus monstrueuse des cystite, avec sang, fièvre et brulures à s'arracher la chatte. A l'époque j'ai cru que c'était à cause du sable de la plage. 
Lorsque mon médecin a vu les analyses, il m'a demandé comment je tenais encore debout : sur 1000 bactéries que je devais avoir dans le corps maximum, j'en étais à 100 000. 
J'avais répondu "Parce que je n'ai pas le choix".

- La balustrade, elle était à cet endroit ?
Elle touche un endroit de mon corps, je ne sais plus, je ne peux dire que "peut-être, peut-être, je ne sais plus", et surtout, comment elle sait qu'il m'a prise contre une balustrade ? 
Elle s'accroche à nouveau à mon dos, et me dit :
- Votre douleur, ce sont les mains de ces hommes. Juste à cet endroit. Ils ont tout les deux abusés de vous, et tout les deux posés leurs mains au même endroit
Je gémis. 
Elle a l'air contente d'avoir résolu le mystère. Moi je suis en morceaux.
- Et vos cystites à répétition, c'est clairement lié aux hommes. Qu'en pensez vous ?
Je suis dans un état où je ne pense plus grand chose, je bloblote plus que je ne parle. Mais une certitude :
- J'en pense qu'en chaque homme se cache un prédateur sexuel, et ça me terrifie.
Elle hoche la tête.
Puis me dit qu'on a fini.
J'ai envie de dire "Hé ho, tu as ouvert la grande porte là, et tu me laisses repartir comme ça ?!"
Je repense à ce que m'a dit ma copine de la méditation, que ça peut être hyper dangereux, qu'il n'y a aucune psychologie, aucun suivi psychologique, qu'ils ne font qu'ouvrir des portes et laisser le tout béant, et advienne que pourra.
- Mais comment je dois gérer ça, moi, maintenant ?
- Oh... Ecrivez une lettre à ces hommes.
- Une lettre ?!
Je n'ai aucune envie d'écrire quoi que ce soit à Isaac, ni à l'autre. Aucune envie de raviver cela.
- Vous écrivez, vous mouillez, vous l'enterrez. Et vous finissez par "Je t'aime, je m'excuse, je t'excuse, je te pardonne, je me pardonne, je t'oublie".
Ca me parait franchement fumeux son histoire. Et puis pourquoi mouiller la lettre ?!

Je repars, et je passe les jours suivants à essayer de gérer les choses. 
Je me dis que tout ça était de la prestidigitation.
Et alors mon dos me refait souffrir le martyr.
Lorsque je décide de prendre en compte ce qu'elle dit, d'observer, de loin, précautionneusement, la possibilité que je n'ai jamais voulu considérer l'une ou l'autre expérience comme un abus (préférant considérer que c'est ma faute, car je n'ai pas refusé), la douleur s'évapore.

Soudain je réalise qu'en effet, ce n'est pas une douleur physique, mais une douleur fantôme. Je la ressens, mais elle n'est pas là.
Je n'ai pas mal - je ressens une douleur, mais c'est un souvenir. C'est aigue, et pourtant ça n'est pas réel.
Je suis bien obligée de faire face.
De toute façon, elle m'a complètement bluffé, comment pouvait-elle trouver tout cela ?! Me ramener à ma vingtaine, dont je n'ai jamais parlé ? Le geste ? La main ? La place ? L'émotion ? La balustrade ? Cet été ? Les situations similaires ? 

Et maintenant, comment je suis censé gérer ça ?!

2 commentaires:

  1. c'est incroyable comme certaines personnes ont des "dons"...
    ça ne coûte pas grand chose, d'enterrer une lettre mouillée, si ça aide à la suite.

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    1. Je ne sais pas à quel point c'est un don, ou à quel point notre corps garde effectivement les empreintes de nos expériences passées. C'est vertigineux.
      Je ne sais pas pourquoi je refuse aussi obstinément de considérer la possibilité d'écrire quoi que ce soit. Je crois que je ne suis pas encore prête du tout à considérer les choses, à admettre que c'est un problème, à me considérer comme... Eh bien comme une victime. En dépit de l'un de mes précédents articles, je refuse. (Et c'est Idiot, je le conçois. Mais j'ai l'impression que c'est l'épreuve de trop, je ne peux pas)

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