Deux jours après ma séance de micro-kiné, j'ai eu l'opportunité d'oublier provisoirement mes questionnements abyssaux et de m'occuper l'esprit : Julien m'a recontacté.
L'univers est moqueur.
S'il y a bien une personne dont je pensais ne plus avoir de nouvelles de ma vie, c'était Julien.
Et pourtant... A la lecture de son message, j'ai rapidement réalisé que c'était parfaitement prévisible.
Peu avant le début du deuxième confinement, j'ai reçu un message sur Messenger, de ce compte Facebook fantôme, avec un nom bidon aux sonorité écossaises, où il n'y a ni photos, ni amis, ni publication.
... A l'image de Julien, comme j'allais rapidement le découvrir.
Dans un long message confus et contradictoire, il m'explique avoir besoin de m'écrire, de jeter des mots, d'exorciser, de comprendre, sans attendre de réponse, juste parce que penser à moi lui fait "immédiatement penser à des insultes".
Plus loin, il exige toutefois une réponse de ma part.
Je crois comprendre qu'il a besoin d'une clôture - je n'ose supposer qu'il espère autre chose.
Je respecte et comprend parfaitement le besoin de clôturer - je suis la première à en avoir maladivement besoin. D'ailleurs une légère culpabilité émerge, à la lecture de ses mots : est-ce que je n'ai pas négligé une clôture ferme et définitive ?
Je m'attelle à répondre à cet appel au secours toute affaire cessante, estimant que ce message doit être traité en priorité, avec toute la prudence et le respect dont je peux être capable. Plus que jamais, chaque mot, chaque phrase doivent être réfléchis, pesés, précis.
L'exercice est bien sûr extrêmement compliqué.
Surtout lorsque surnage le doute quant à son état d'esprit - devrais-je dire sa santé mentale : est-il toujours dans le déni pathologique ? Est-il capable d'entendre mes mots ?
Car les nouvelles ne sont pas bonnes : Julien m'explique qu'il est seul, et au fond du seau. Il ne sait pas comment tourner la page. Ca fait plus d'un an qu'il ne pense qu'à ça, à moi, à notre histoire. Il dit que je l'ai abandonné - abandonné - au pire moment possible, en le quittant à sa sortie d'hôpital. Il n'a pas retravaillé, il ne sort plus, vis chez son père, n'a plus d'amis, ni de copine. En gros, il passe ses journées à ruminer notre histoire - notre histoire si brève, que pourtant il dépeint comme quelque chose de solide et de construit.
Il explique, dans un paragraphe teinté d'une certaine panique, qu'il semble voir mon influence partout sur lui ; il cite en exemple "tatouage, bouffe, religion". Si je peux comprendre le tatouage (vu qu'il s'était fait tatouer sur un coup de tête, et qu'il le voit chaque jour), et vaguement la nourriture (je suppose qu'il parle de mon végétarisme), je me demande bien de quoi il parle lorsqu'il dit religion, étant pour ma part la personne la moins religieuse qu'il soit possible de rencontrer.
Atterrée, je réfléchis à une réponse qui prendrait en compte l'estime que j'ai pour lui, qui lui témoignerait du respect sans condescendance, mais tout en expliquant fermement qu'il n'y a plus et n'aura jamais plus rien entre nous.
Je ne peux m'empêcher de ressentir l'agaçante gêne du doute : pourra-t-il entendre ? Intégrer ? Comment parler à une personne qui ne veut rien entendre ?!
Je décide de raconter factuellement l'histoire que nous avons vécu, mon point de vue, et ce que ça a fait naitre comme émotions en moi.
A la légère culpabilité face à son mail ("Est-ce que j'ai été faible dans cette rupture ? Est-ce que j'ai rompu salement ? Ai-je été injuste ?"), l'écriture, la réécriture de l'histoire me conforte toutefois : Je raconte les crises de jalousie. Le délire qu'il avait avec Mickael (qui n'est jamais plus revenu après ça). Les crises tout court - et cette fois où il m'avait crié "Mais tu es conne ou tu le fais exprès ?! Tu ne vois pas que tous les hommes ont une idée dernière la tête ?". Les vingtaines de coup de téléphone quotidien - parfois plus. La fois où il m'avait pisté, pour trouver par où je passais lorsque je rentrai du boulot.
Je raconte ce que ça provoquait en moi : impression d'être surveillée, suivie, prisonnière. De perdre complètement ma liberté. D'être jugée. La certitude que je ne pouvais pas accepter ça - ni vivre comme ça.
J'explique les mots qu'il a dit et qui sont inacceptables, les situations invivables.
Je cherche à lui expliquer que ça ne veut pas dire qu'il n'a pas droit à l'amour - juste que ça ne sera pas avec moi.
Que, certes, sur le papier je l'ai quitté à sa sortie d'hôpital - mais parce que je n'ai pas eu l'occasion de le faire avant. Et j'avance la possibilité qu'il a senti ce détachement, cette décision de le quitter - et que c'est ça qui a provoqué sa crise.
Je lui demande si j'aurais dû rester avec lui par pitié. Ou lui mentir, le temps qu'il aille mieux, pour le quitter à peine la pente remontée. Je lui demande si ça aurait été plus respectueux de ma part - et répond à ma propre question : non, ça aurait été odieux. Et je lui explique qu'envers et contre tout, j'ai trop de respect pour lui - pour quiconque - pour trahir à ce point une personne.
Par ailleurs, mais ça je ne le dis pas, rien ne m'a jamais obligé à le soutenir ; il semble l'occulter, pourtant nous sortions ensemble depuis quelques semaines seulement, nous n'étions pas dans une relation construite, je ne crois pas qu'il était de mon devoir d'être un soutien et une accompagnante. Et en aucun cas je ne suis une sauveuse, même si j'en suis désolée ; j'ai bien assez de mal à me sauver moi même.
J'explique enfin nos différences, qui rendaient notre histoire caduque : mes amitiés masculines qu'il était incapable de gérer, le fait qu'une partie de mes collègues étaient des hommes et que ça le rendait fou, ma façon de vivre, le fait que j'aime sortir et boire (alors qu'il déteste les deux et qu'il est anti-alcool), mes locations airbnb qu'il désapprouvait,... qu'en gros tout ce qui fait ma vie et ma personnalité ne lui provoquait qu'angoisse et inquiétudes - je m'étonne même qu'il ai pu être attiré par moi vu nos caractères opposés.
Je conclu, le cœur lourd mais convaincue de la nécessité de l'exprimer sans fards, que je n'avais pas, n'ai pas eu et n'aurais jamais de sentiments amoureux pour lui.
Ce qui est vrai, même si c'est toujours infiniment triste à dire à quelqu'un.
Je lui rappelle également les 2h au téléphone où il a refusé d'entendre la rupture, puis son "Alors on reste ensemble, comme on a dit ?", la terreur et l'impuissance que j'ai ressenti, le déni, l'impossibilité de lui faire entendre quoi que ce soit. Que pouvais-je faire ?!
Je lui explique enfin, avec le sentiment de parler à un enfant, que les gens s'influencent les uns les autres, que c'est le principe même de la vie, et que mes "influences" ne sont que le fruits d'échanges qui ont amenés (ou non) une réflexion ou une évolution de pensée. Que c'est normal, humain... Et pas grave.
Ecrire ce passage me donne un sentiment de surréalisme assez terrifiant - est-ce que c'est normal d'expliquer à un mec, psychologue de surcroit, que les gens sont la sommes de leurs partages et rencontres ? J'ai vraiment le sentiment que pour Julien, partager l'avis de quelqu'un, c'est être gravement altéré, c'est quelque chose d'insupportable pour lui.
Je termine en disant que j'ai répondu à sa question, que j'ai expliqué mon point de vue et ma vision de notre histoire, que je n'ai rien de plus à ajouter, et que je ne souhaite plus avoir le moindre contact avec lui.
Je lui ajoute tout de même qu'il a besoin de se faire aider, et que tant qu'il s'isolera du monde et de la vie, il ne pourra pas tourner la page - et que lui plus que n'importe qui devrait le savoir.
Il répond rapidement qu'il me remercie pour mon message. Il dit qu'il n'attendait rien et ne comptait pas me revoir, et plus loin me dit que c'est plus clair, qu'en effet il n'a plus d'espoirs à nourrir. Que lui il était persuadé que ça pouvait marcher. Que cette fois où il m'a insulté, ce n'était rien car "sous le coup de la colère, donc c'est normal". Il occulte mon invitation à se souvenir de ces fois où il me suivait, où il exigeait de lire mes textos, et la rupture qu'il a nié.
Pire, il dédramatise : certes, il appelait "quelques fois par jour", mais certainement jamais autant que je l'affirme, et puis d'ailleurs c'est ma faute, je n'avais qu'à répondre au téléphone.
Qu'il a eu l'impression d'appeler quelqu'un qui ne voulait pas lui répondre, et de courir derrière une personne qui le fuyait.
Mes doigts me démangent, mais je resterai silencieuse ; hors de question de se lancer dans un dialogue. Entre ses lignes, je lis qu'il espérait une porte (r)ouverte, et qu'en réalité il imaginait encore que ça pouvait marcher. Est-ce que ça fait plus d'un an qu'il se persuade que nous sommes en "pause" ?!
Il réécrira le lendemain, sur un autre ton : cette fois c'est vraiment son dernier message, il trouve que je suis injuste, s'il était aussi insupportable que ça, pourquoi je ne l'ai pas quitté ?! Tout est ma faute, je l'ai "entrainé dans ma toile" puis jeté. Il devient virulent, et j'observe ce nouveau message avec tristesse. A nouveau, je décèle de la provocation, certainement dans l'espoir de me faire réagir. Il tente d'être agressif, pourtant je lis surtout de la detresse... Il ajoute "cette fois je suis méchant, mais c'est tout ce que tu m'inspires. Je vais te blesser, mais tant pis".
Je suis triste moi aussi - triste devant sa détresse. Triste, car son message ne me blesse pas, et me laisse même complètement froide. Certes, je me demande s'il a raison : je n'ai jamais su, depuis cet été, quelle personne je suis. Suis je toxique et injuste ? Est-ce que j'attire les gens et je les brise ? Est-ce que je sème le chaos ?
Peut-être.
Et pourtant, le concernant, je crois que j'ai plutôt fait preuve de patience. Il me reproche de ne pas l'avoir quitté dès les premières crises qui m'ont dérangés ; j'accepte silencieusement cette accusation : oui, pour lui mais aussi pour moi, j'aurais dû faire preuve de plus de fermeté, et m'inquiéter de ses débordements. Pourtant, comment aurais-je pu deviner qu'il finirait par ... Eh bien, littéralement flanquer sa bagnole au fond de la foret, marcher sur l'autoroute, agresser des gendarmes et finir à l'hôpital psy ?!
Par ailleurs, rien ne dit qu'il aurait accepté la rupture, tout comme il l'a refusé à sa sortie.
Y'avait-il une bonne réponse ? Une bonne solution ? C'est la question que je lui ai posé, et à laquelle il n'a pas répondu non plus. Je reste persuadée que je ne pouvais pas faire mieux, et qu'il s'agissait surtout de faire "au moins pire".
J'espère secrètement que dans cette colère, il trouvera à se relever, et à reprendre une place dans le monde.
Même si je suis de plus en plus dubitaive.
J'espère qu'il ne pètera pas les plombs à nouveau. Apprendre qu'il s'est terré chez son père depuis plus d'un an m'a provoqué une certaine angoisse - et la colère que j'ai provoqué chez lui par mon message, ne m'a pas trop rassuré non plus. Je crains énormément les personnes qui n'ont plus rien à perdre.
J'ai craint que son deuxième message "cette fois c'est vraiment le dernier" soit le premier d'une longue série. Au moindre débordement, à la moindre menace, j'étais prête à porter plainte sans hésiter.
Finalement, il n'a pas réécrit. Mon silence a peut-être achevé les choses.
Toutefois, j'ai commencé à être un peu plus prudente en rentrant chez moi. A prêter attention aux voitures garées devant la maison. Ca a été l'occasion de me faire une belle frayeur : mes voisins ayant changé de voiture pile à ce moment là pour une camionnette blanche, je me suis demandée si c'était Julien qui m'attendait dedans pour m'enlever et/ou m'assassiner avec une corde de piano.
J'ai commencé à fermer systématiquement les volets le soir, pour que mon intérieur soit invisible aux regards extérieurs.
Néanmoins, mon attitude est un peu vaine : après tout, il aurait pu débarquer n'importe quand ces derniers mois, quand je n'y pensais plus. Y-at-il plus de risque qu'il déboule aujourd'hui ?! C'est un peu tard pour flipper.
En tout cas, j'ignore si je dois considérer ce chapitre comme clos...
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