samedi 5 décembre 2020

La douceur des jours tristes

Faire des cauchemars, encore et encore.

Se réveiller trempée de sueur et épuisée.

Dehors, il fait gris.

Ou il pleut.

Ou il fait encore nuit.

Se lever, nauséeuse et courbaturée. Sentir cette douleur aiguë dans le dos. Croiser sa directrice, qui fera un pas en arrière "Vous êtes toute blanche... ! Ça va aller ?". Acquiescer, admettre avoir l'impression d'être à deux doigts de tomber, mais affirmer "C'est le tout de se lancer".
Et gérer de midi à minuit, les appels, accueil, animer une table ronde, gérer une future remise des prix à Paris dans 10 jours, assister à une autre remise des prix, se rendre à un dîner, mettre des paillettes dans son regard et de la musique dans sa voix. Revoir des partenaires et des artistes avec lesquels j'ai travaillé - ou que j'envisage de le faire . Passer d' excellents moments, puis rentrer à minuit et demi, retrouver les douleurs, sentir à nouveau le poids de cette nuit trop courte, mais se dire "j'ai assuré".
Et se coucher satisfaite du travail accompli.

Animer une table ronde, qui sera vivement apprécié et beaucoup félicité par les invités et le public. Être flatté par cela, mais surtout réaliser une chose : c'est que j'ai été excellente à cet exercice.
- Tu fais ça souvent ? Tu lis hyper bien !
- Heu ... Non... C'était la première fous...
- Non mais en vrai ?
- Vraiment, c'était la toute première fois.
Être capable de retrouver n'importe quel passage, être au point sur le moindre détail de lecture.
Quand est ce que je suis devenu aussi analytique ? Quand ai-je commencé à avoir autant de mémoire ? A quel moment suis je devenu brillante ?
Et si, en réalité, ça a toujours été là, et qu' il n'avait suffit que je me fasse confiance ?

Le vent souffle, la pluie gifle les vitres.

Réaliser que la fin d'Isaac n'était qu'il y a 3 mois, et mesurer l'immense chemin parcouru - et celui, infini, qu'il reste à parcourir.
Être soudain étouffé par un souvenir, un souvenir heureux surgi dont on ne sait où, qui fait mal, qui prend à la gorge et menace de faire tomber l'édifice. Il est là, il remue des sensations passées, et murmure "c'était bien, non ? Tu étais si heureuse à ce moment là", rendant le présent insoutenable.
Et puis reprendre pied, et se dire "c'est fini, ça fait 3 mois"
S'en vouloir 
Se dire que ça n'a aucun sens.
S'en vouloir de s'en vouloir.
Se dire que c'est absurde - et que ça peut durer longtemps.
Laisser filer.

Les températures chutent. Le ciel semble être à la neige.

Toujours ce mal de dos.

Être derrière la voiture d'Isaac en allant travailler, et serrer les mâchoires à s'en faire péter les molaires.
S'apercevoir que c'est à la fois plus perturbant que ce que j'aurais pu croire, et bien moins bouleversant que ça aurait pu l'être.

Le soir, j'irai voir une pièce de théâtre qui parlera d'une rupture. Deux interminables monologues, des phrases dures, des phrases que j'ai déjà entendu, notamment dans la bouche d'Isaac.
Crise d'angoisse.
Je suis assise en milieu de rangée, impossible de sortir avant la fin. Ma voisine est endormie sur son siège, la bouche légèrement entr'ouverte.
Je pleurerai un peu, je tremblerai.
Je maitriserai ma panique en me répétant "C'est juste une pièce de théâtre. D'accord, c'était trop tôt pour voir un truc pareil. Mais c'est juste une fiction, un spectacle, tu n'es pas en train de revivre quoi que ce soit, tu regardes une pièce de théâtre".
Je me calmerai.
Je me dirai "Je me demande comment ça fini".
Puis : "Je peux réussir à rester jusqu'à la fin"
Je resterai jusqu'au bout, comme un défi lancé à moi même. "Je peux le faire".
Je me dirai "c'est quand même salement ironique d'avoir été derrière la voiture d'Isaac ce matin, pile ce jour là".
2h de représentation.
Je ne comprendrai pas la fin.
Dans l'ensemble, je détesterai cette pièce - comme ma voisine endormie, qui dira "c'était assommant".
Mais j'ai pu rester jusqu'au bout. Dompter ma panique. 
Être fière de moi.

Avoir froid, se demander s'il faut mettre le manteau d'hiver. Gratter la voiture le matin. Avoir de nouveau froid toute la journée au boulot, et empiler les couches de vêtements.
 
Passer devant chez lui un vendredi soir, juste pour se rassurer, voir qu'il n'est pas là, que je ne le croiserai pas pendant le weekend. Qu'il est soit chez Victoria - qu'importe ce qu'ils sont devenu - soit chez sa mère. Puisque rester seul n'est en réalité pas une option pour lui, lui qui jugeait si durement ma peur de la solitude non choisie. 
Se dire que son arrogance et ses jugements ne me manque pas.
Se dire "qu'importe où il se trouve".
Il peut bien mourir- oui, mourir, quitter ce monde, qu'importe, bon débarras, qu'il disparaisse à jamais.

Écouter la pluie tomber, écouter le tonnerre gronder.
Triste mois d'octobre - novembre sera pire.

Faire une séance de Reiki, pour ces maux de dos, et les épaules crispées.
Et puis qu'elle me dise "Bah... Il n'y a pas une once de colère en vous ?! Avec tout ce que vous m'avez raconté, ce que vous avez vécu... Il n'y a pas de colère ! Ben ça... Eh bien... Félicitation. J'ai vécu une histoire similaire, et j'étais loin de n'éprouver aucune colère !"
Et réaliser qu'en effet, je ne ressens pas de colère.
Être effrayée - la colère, c'est vitale non ?! Je peux survivre sans la colère ?
Et se dire que oui, pas besoin de colère quand on s'aime et qu'on veut prendre soin de soi. Quand on se retire de la haine pour juste panser ses blessures et faire preuve de bienveillance. Car la haine ne fait finalement du mal qu'à celui qui l'éprouve.
 
Mais elle ne saura pas me dire pourquoi j'ai si mal au dos - personne ne trouve. Il n'y a rien, disent-ils tous.
Alors pourquoi j'ai si mal ?!

Regarder le jardin s'endormir pour l'hiver, sous un ciel gris, et une brume qui envahit doucement les rues.
Dire à haute voix "fog", et penser en anglais en s'imaginant habiter Londres.

Penser aux projets.
A tout ce qui me tient debout.
A toutes les possibilités. 
Se poser de nouvelles questions : Lara doit changer de poste, et si je postulais sur le sien ? Plus de responsabilités, plus d'ouvertures, et surtout, des horaires plus classiques, et plus compatibles avec une vie de famille.
Et si c'était la solution qui manquait ?
Penser à l'enfant rêvé.
Être certaine de croire à ce rêve.
Se dire que j'en ai les moyens.

Les nuages s'amoncellent, il fait presque nuit en plein après midi, 

Courir 1h sans être essoufflé, finir sur un sprint incroyablement souple et délié.
Se dire que je peux tout faire - il suffit d'essayer, d'y croire, de se faire confiance

Il pleut sans discontinuer depuis des jours.

Repenser à cette phrase, dites il y a quelques mois : "Comment pourrais je oser vouloir m'occuper d'un enfant, alors que je ne sais pas m'occuper de moi ?"
Avoir, aujourd'hui, la réponse.
Des réponses.
Beaucoup de réponses :
Parce qu'il est plus facile de relativiser et d'être solide quand il faut l'être pour quelqu'un
Parce que je sais être le socle des autres - je suis même excellente dans ce rôle.
Est ce que ça signifie que je serai une bonne mère ? Je me mets à le croire 
Parce qu'en réalité, et contrairement à ce que certains veulent me faire croire, je sais m'occuper de moi 
J'ai plutôt bien réussi à évoluer
Parce que je sais, aujourd'hui, quel est mon feu intérieur. Je sais que j'existe.
Parce que je n'ai pas besoin d'un autre, d'un homme, pour me prouver que je peux faire des choses, que je peux accomplir.
Parce que des tas d'autres femmes, depuis des millénaires, y arrivent. Et que je ne suis pas plus bête qu'une autre.
Parce que la question ne se posera pas.
Parce que je le sais, tout simplement.

Bientôt ce sera l'hiver.
Mais le printemps reviendra.

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