J'ai eu la chance... Non, pas la chance.... L'accomplissement d'avoir été récompensé pour mon travail suite à un projet professionnel mené pendant le confinement.
J'ai monté un dossier de candidature cet été, et j'avoue que, si j'avais déjà travaillé très dur auparavant, j'ai monté ce dossier avec rage, y mettant toute mon énergie et ma passion, dans l'unique optique de décrocher ce prix, et de voir mon travail (et celui des fous qui ont voulu me suivre) reconnu et récompensé.
Pendant et Après le confinement, nous avons été moqué, et regardé avec condescendance, par nos grands chefs : "Ce que vous avez fait n'est pas du travail, et ne sera pas considéré comme du télétravail.
En effet, ce que nous avons fait n'a pas été comptabilisé.
C'est pourquoi j'ai rédigé un dossier superbe, avec une mise en page digne d'un pro (à tel point que tout le monde pensait que j'étais responsable de communication, ça a un peu embrouillé les discours)
C'était absolument impensable qu'on ne gagne pas ce prix.
J'ai rédigé ma lettre de candidature avec mes trippes, et j'y ai mis les mots les plus justes et les plus vibrants que je pouvais. J'y ai mis la passion de mon métier, la légitimité de nos actions, l'implication de chacun, notre volonté de toucher. Notre amour de l'humain et du social.
Et je me répétais "Nous aurons ce putain de prix. Nous l'aurons".
J'ai reçu un appel début octobre : "Félicitation ! On a adoré votre projet, votre dossier était super, vous avez remporté le prix à l'unanimité, et vous êtes conviés à la remise des prix à la fin du mois. Par contre, vous devez garder le secret d'ici là !".
Branle-bas de combat : nos supérieurs, les même qui nous avaient regardé de haut, se sont battu pour savoir qui irait récupérer ce prix. Le maire estimait que c'était son job. Les élus voulaient tous venir. Cette situation absurde était à la fois jouissive et écœurante.
Ma directrice s'est imposé, avec ses châles indiens et son froncement de sourcil intimidant :
« La seule personne qui doit récupérer cette récompense, c'est la cheffe de projet, c'est la créatrice, c'est Mademoiselle B. »
Et puis la liste des invités a dû se restreindre à cause des mesures sanitaires, et finalement nous ne pouvions y aller qu'à deux.
Le président refusait de se déplacer sans ses laquais.
Le maire n'était finalement pas disponible.
L'élu a été déclaré cas contact.
Ma responsable de comm' (Lara) en était à son huitième mois de grossesse.
Finalement, j'y suis allé avec ma directrice, qui s'est drapé pour l'occasion de ses plus belles soieries indiennes.
Jusqu'à la dernière minute, nous avons cru que tout serait annulé.
Mais non, après de multiples adaptations, la cérémonie a pu avoir lieu dans un contexte inédit, avec des mesures très strictes - et à peine quelques jours avant les annonces de reconfinement.
Lorsque j'ai dit à ma directrice le nom du restaurant où aurait lieu la remise des prix, elle a ouvert des yeux ronds :
- Quoi ?? Mais c'est ultraluxueux ! C'est un deux étoiles !
- Ah bon ?!
- Mais enfin Mademoiselle B., vous ne connaissez pas ?!
- .... Non...
- Au moins de nom ?!
- .... Non plus....
- C'est rue Truc !
- Connait pas....
- Dans l'arrondissement machin !
- Je ne suis pas sûre de visualiser...
- Dans le quartier le plus chic de Paris !
- Ah oui ?
- Vous avez une robe de soirée, j'espère ?
- QUOI ? Il me faut une robe de soirée ?!
Elle rit de me voir pâlir
- Mais non !
Je la soupçonne d'adorer me faire ce genre de coup, ça lui arrive bien trop souvent à mon gout - ma montre connectée enregistre un pic de tension et je reçois une alerte.
- Cela dit, il y a tout de même un dress code ! ...Comment vous allez faire ?!
- Bah ?! Ca veut dire quoi ça ??? Vous pensez que je ne sais pas être élégante ???
J'étais vexée comme un pou, avant de comprendre qu'elle voulait dire "Comment faire pour rejoindre Paris et cavaler jusqu'au resto en robe cocktail ?". (Elle passera le reste de la semaine à me dire "Vous êtes bien habillé aujourd'hui !")
Tout cela l'a néanmoins beaucoup amusé
Ce devait être une soirée, puis un diner, finalement avec le couvre-feu, c'est devenu un déjeuner. Je prenais le train à 7h du matin, et j'avais très vaguement dormi d'un œil entre 5h et 6h du matin. Je n'avais plus vraiment dormi sereinement depuis ma séance de kiné 5 jours plus tôt, le message de Julien et un courrier des impôts reçu en fin de semaine en accusé réception, m'informant que les démarches qu'Isaac m'avait fait faire cette année allait certainement mener à une enquête (je suppose que c'est un joli mot pour dire "contrôle fiscal"). J'ai réalisé que si je subissais un contrôle, je n'avais dans l'ensemble rien à me reprocher, sauf que je n'avais jamais estimé utile de télécharger mes décomptes de banque, et que je n'avais absolument rien pour justifier de mes finances depuis probablement 10 ans.
Bref, en gros je dormais environ 4h par nuit depuis une semaine.
Mais ce matin là, il fallait juste assurer, et rester ultra focus.
Je me répétais "aujourd'hui, c'est ton jour, et tu vas en savourer la moindre seconde".
Alors je me suis levée à 6h, avec ma petite sieste d'une heure qui s'installait sombrement sous mes yeux, j'ai jeté du maquillage dans une trousse, mis ma culotte Jack (évidemment), enfilé mes collants, filé mes collants, retiré mes collants, cherché une deuxième paire que j'ai enfilé, j'ai filé la deuxième paire au niveau du cul, j'ai hurlé, j'ai vu que je n'avais pas d'autre paire, j'ai re-hurlé, j'ai enfilé ma robe, mis mes boucles d'oreilles, un collier orné d'une jade, mis mes chaussures dans un sac, sauté dans mes baskets, me suis blottie dans mon manteau, et j'ai foncé à la gare.
En arrivant à 7h01, je me suis dit "Je vais me prendre un café, j'ai le temps, il ne part qu'à 7h06, et puis là un café c'est de l'ordre de la survie", avant d'entendre que mon train partait à 7h03, et j'ai effectué le sprint de ma vie jusqu'au quai.
Dieu merci, j'avais mis la double dose de déo.
Premier train, voyage d'1h avec ma directrice, qui regarde mes chaussures et soupire : "Ah, vous avez vraiment fait ce que vous aviez dit que vous feriez !"
- Toujours ! Je suis d'une désespérante constance !
(Oui, j'avais prévenu que j'aurais les escarpins dans le sac à main, afin de pouvoir cavaler dans Paris).
Et mon retard de ce matin n'a fait que me conforter dans mon idée.
Je commence en parallèle le reportage photo sur Messenger à destination de mes collègues et membre de mon équipe, qui ne pouvaient pas venir faire cette virée avec nous.
Il est 7h du matin, mais ils sont tous à fond.
Après un changement, nous voici dans un TGV, à préparer sur un coin de table le discours que je devrais prononcer.
Je reprends des photos, des tas de collègues interviennent dans la conversation, et je me dis que visiblement, ce matin, personne ne branle quoi que ce soit dans les bureaux.
Arrivé à Paris, il faut partir à la recherche de collants.
Nous cavalons, un œil vissé à la montre (qui a renoncé à me dire que je faisais des pics de tension), passons devant la tour Eiffel, Notre Dame, le musée du Louvre, la Coupole. Ma directrice me lance des :
-Tenez, envoyez leur la photo, ça fera leur culture.
Les collègues nous rappellent de ne pas oublier d'aller chercher notre prix, quand même.
Il commence à pleuvoir, nous nous mettons à chercher un parapluie.
Nous en trouvons plus facilement qu'une paire de collants.
Il est 11h40, nous devons être au resto à 12h précise, ça commence à devenir urgent.
Les collègues cherchent frénétiquement et m'envoie sur Messenger "à 500m de toi, tu as un Monoprix !".
D'autres me demande une photo de ma tenue.
Ou me lance des défis "pas chiche de faire un selfie avec la directrice !"
On trouve enfin un Franprix (les collègues n'en peuvent plus de ce suspens), je dégote des collants (j'en prend tout de suite deux paires), et on fonce au restaurant.
Il est 11h55.
Je cherche un coin sombre pour me changer, et trouve l'escalier de service le plus crade et le plus glauque du monde.
Un invité me suit :
- Vous avez trouvé l'entrée ?
- Non, j'ai trouvé un endroit où changer mon collant.
- Ah.
- ...
- Ah... oui, je vais partir pour que vous puissiez vous changer alors !
- Oui, faites donc cela
J'envoie une photo de l'escalier, mon genou, mes collants aux collègues (ils ne se tiennent plus)
- La directrice t'aide ?!
- Non, elle fait le guet !
(Hilarité générale)
(Le lendemain, je me ferai engueuler par ma cheffe : "Mais c'est pas possible, tu es insortable, comment tu as pu filer ton collant ??? T'imagine si tu étais parti avec le maire ?!")
Apparemment, en effet, personne n'a bossé, tout le monde était suspendu à mon récit en direct et mes photos de traviole.
Je déboule légèrement essoufflée mais pile à l'heure, j'ai enfilé mes jolies chaussures, ma robe est prise dans mon collant MAIS je m'en aperçois rapidement (et personne n'a rien vu), et je regarde, sidérée, le cadre ultra luxueux de ce restaurant.
Je bombarde de photos, j'envoie tout aux collègues, c'est l'extase.
On est accueilli par la personne que j'ai eu au téléphone, je reconnais sa voix chaleureuse, elle porte une jolie robe noire, elle a de jolis cheveux, des yeux de biche, des formes délicieuses, et un très joli décolleté parsemé de taches de rousseurs.
Je la dragouille un peu.
Nous nous installons, je trépigne, je veux tout regarder, tout voir, tout est sublime, il y a des tableaux aux murs, des sculptures, il y a presque autant de serveurs que d'invités, c'est juste ahurissant.
Une part de moi a envie de rugir : j'ai mérité ce moment !
Je suis si heureuse de cet accomplissement.
Je repense à Isaac qui s'était moqué de moi, alors très empruntée dans le resto chic où je l'avais emmené pour son anniversaire - lui qui avait été dans un resto 1 étoile pour son anniversaire, où je n'étais évidemment pas convié. Il avait dit, et ça m'avait blessé, que ça se voyait que je n'étais pas dans mon univers. Ou comment me rappeler que je n'avais ni la classe, ni le niveau de vie d'Isaac et de Victoria. Et que je ne l'aurais jamais.
Pourtant, je suis aujourd'hui dans un restaurant deux étoiles, entouré de célébrités, et tout ça, ce n'est pas parce qu'un homme un peu condescendant cherche à m'éblouir avec son fric, non : j'y suis par mes propres moyens.
Et j'ai le droit d'être là.
J'y ai ma place.
Cette seule pensée rend tout le reste extrêmement fluide.
Certes, ma petite robe noire élégante est une Kiabi, et face aux tailleurs d'une couleur et d'une matière somptueuse et aux costumes haute-couture des autres, je réalise qu'il y a une différence entre élégance et richesse - et on ne peut pas être totalement le premier si on n'a pas le second.
Mais qu'importe.
Je parle à tout le monde, j'oublie ma robe Kiabi, je ne suis pas là pour mes fringues, mais pour ce que j'ai accompli, et j'ai plus à offrir que ma garde robe.
Je suis assise à côté d'un maire dont j'ai déjà oublié le lieu d'exercice, et je passe mon temps à lui écraser les pieds et à m'excuser - d'autant plus que ses chaussures doivent valoir quelques mois de mon salaire. Il porte plus de bijoux que moi, et une montre ahurissante
Il doit se dire que je lui fais du pied.
Ou que j'ai 4 ans d'âge mental.
Le repas est une véritable danse : lorsqu'on boit une gorgée, les serveurs nous resservent aussitôt. On en a 4 pour notre table de 6, les plats s'enchainent, les changements de vaisselles se font dans un silence feutré, bien souvent dans l'intervalle d'une phrase : je tourne la tête pour répondre à une question, et mon assiette a été débarrassé. Ce sont de véritables magiciens, discrets et silencieux, qui se coulent entre les chaises.
Comment être mal à l'aise ?! Tout est fait pour que l'on soit dans un écrin. Et en réalité, je me sens légitime. Je me sens si bien. A ma place.
Tout est simple.
Je piétine allègrement les pieds de mon voisin en lui faisant des sourires extatiques, j'applaudit, je ris, je fais des blagues, et j'envoie les photos des plats à mes collègues, qui répondent "Oh la la, et dire que moi je mange des coquillettes !".
Lorsque je capte les mouvements des serveurs et que je les remercie, ils battent précipitamment en retraite. Si ça se trouve, leur objectif c'est de ne pas être vu, et en les remerciant, je ruine leur travail ?! Soudain je suis prise d'un vertige : et si mon insupportable politesse leur faisait perdre leur emploi ???
Et puis arrive mon tour.
Le discours qui m'introduit est émouvant et extrêmement valorisant. Ma directrice filme tout. Bon, mon nom est écorché, et on me présente comme une responsable de communication, mais au delà de ça, je marche sur un petit nuage.
A peine ai-je le micro en main que j'oublie instantanément la totalité du discours que j'avais prévu, et je me mets donc à gazouiller au grès de mon inspiration dans le micro, que j'agrémente de blagounes qui rencontrent un succès modéré face à mon public. J'arrive toutefois à arracher un éclat de rire et, ravie, je parviens à retomber sur mes pattes et à faire une jolie conclusion, comme si tout était prévu, et repars sous les applaudissements.
Un photographe m'entraine dans la pièce d'à côté, et me prend sous toute les coutures, pendant qu'une des organisatrices s'égosille "Prends aussi ses chaussures, elles sont trop bieeeeen !!!" - Au temps pour l'impassibilité générale !
Je transmet la vidéo aux collègues, et met un point d'honneur à ne surtout pas la regarder, de peur de découvrir ce que j'ai lâché dans mon babillage improvisé. Ma directrice me sourit, les collègues sont ravis et m'envoie des cœurs et me disent être très émus.
Le reste du repas continue dans cette brume de bonheur.
Je vais aux toilettes (et j'envoie la photo aux collègues - de l'avis général, ils ne valent pas deux étoiles), et discute longuement avec l'organisatrice aux taches de rousseurs.
Lorsque je remonte, je discute avec un sociologue très connu dans son domaine, qui a été mon prof il y a une dizaine d'année. Il n'a pas changé d'un iota, et j'ai eu le plaisir de l'entendre lui aussi improviser un discours qu'il commentait en même temps qu'il le déclamait, et retrouver le type complètement perché qui me faisait mourir de rire en cours.
- Vous avez été mon prof, vous vous en souvenez ?!
- Oh oui, je me souviens bien de vous oui ! J'étais votre rapporteur lorsque vous avez présenté votre mémoire non ?
Je ris :
- Oui, et vous m'aviez dit que vous ne trouviez rien de méchant à me dire.
Il rit également, de ce rire un peu aigue que je trouve très communicatif.
- C'est vraiment un plaisir de vous revoir, j'aimais bien vos cours, et votre façon de les donner !
J'ignore combien de verres j'ai bu puisque les serveurs nous resservaient discrètement à longueur de temps, mais je ne suis qu'amour et gratitude.
Je vais remercier le cuisinier, très surpris de voir débouler une jeune femme aux cheveux un peu fous, perchée sur des talons bicolores, qui l'inonde de compliments et le remercie chaleureusement de ses plats. C'est d'ailleurs plutôt drôle de voir ce chef reconnu, qui a poussé des coups de gueule dans les médias et qui a une réputation de grande gueule, se mettre à bafouiller et à rougir devant moi.
Et comme j'ai une folle envie d'étreindre à peu près tout le monde (mais que je ne peux pas, condition sanitaire oblige), je me mets à remercier toutes les personnes qui passent à ma portée.
Mon ancien prof me fait un clin d'œil, et dans l'ensemble ils me regardent tous avec la bienveillance qu'on accorde à un enfant un peu turbulant mais sympathique - j'ai le sentiment qu'ils me considèrent comme complètement cinglée. Ou bourrée. Ou les deux.
Ma directrice me regarde faire patiemment (elle commence à me connaitre, et a déjà été la cible de mes déclarations d'amour enflammées), puis me dit :
- Bon, Mademoiselle B. .... on a un train à prendre !
Les organisateurs sont à peu près dans le même état que moi, et me disent : "Maintenant que vous avez été lauréat, on ne vous lâchera plus !"
En sortant je relance une salve de remerciements, puis je change de chaussures, et nous repartons dare-dare vers la gare.
Un petit arrêt chez Ladurée, une cavalcade dans une rue pleine de boutiques de vêtements et tissus indiens et autres tapisserie que ma directrice me présente en courant ("Ici, du super tissu d'ameublement indien. Là, des tapisseries haut de gamme qui viennent d'Alsace"), et puis sous la pluie qui s'intensifie, on décide de prendre le métro, et on s'y affale comme on peut.
Je trimballe mon trophée, lourd et encombrant, et je commence à fatiguer sérieusement.
Je prend un chaï à la gare, puis vais m'effondrer dans mon wagon. Je somnole, découragée d'avance du changement de train, puis de la deuxième partie du trajet : je rêve d'aller me coucher.
Les collègues sont à fond, la conversation Messenger est ultra dynamique, clairement personne n'a bossé de la journée.
Je m'endors en écrivant mon message.
Dernier train, j'ai hâte d'arriver.
J'en profites pour faire un selfie-masqué avec ma directrice "Allez, souriez avec les yeux, ça fera plaisir aux collègues !", et je remporte donc discrètement le défi qu'ils m'avaient lancé.
L'appli sncf ne fonctionne plus, mais on tombe sur un contrôleur adorable, à qui je fais visiblement un très gros effet. Il me dit :
- Si vous n'avez pas de billets, vous me faites 5 pompes !
- Ah ? D'accord, pas de soucis, je peux même en faire 20 !
- Ah, heuuu.... On me l'a jamais fait celle-là !
On discute un peu, on rigole.
Il repasse un peu plus tard :
- Vous êtes tatouée ?!
(ma robe est en mousseline sur les épaules)
Il a des étoiles dans les yeux, on parle un peu tatouage. Ma directrice se moque gentiment :
- Elle a des ailes, c'est un petit ange !
- Oh non, ce sont des ailes de rapace !
- J'adore !
Et puis :
- Oh, je crois que je suis amoureux.
Lorsqu'on part, il soupire : "Je vous aurais bien gardé avec moi...."
Je regrette de ne pas lui avoir laissé mon numéro.
Et je réalise que Je regrette de ne pas lui avoir laissé mon numéro.
Je n'ai pas vécu son gentil flirt comme une agression, j'étais bien, détendue, et je respirais le bonheur.
Il est 19h30, les collègues continuent de m'asticoter joyeusement sur cette fonction de responsable de communication qui tombait de nulle part, et aussi de ce discours où, en dépit des protocoles, je n'ai remercié aucun officiels, ni aucun de mes chefs.
Certains oublis n'étaient pas tout à fait involontaires....
Je rentre, épuisée.
Je pose mon trophée sur la table de la cuisine, je retire mes baskets, mange un de mes macarons, soupire.
Je suis éreintée.
Mais extatique.
Je reçois un texto de ma directrice : « Vous vous souvenez la vingtaine de voitures de police qu'on a vu passé ? C'était une alerte à la bombe »
Je reste interdite. Je vérifie qu'il s'agissait d'une fausse alerte, puis lui répond « Alors que les seules bombes à Paris, c'était nous ! ».
Un petit temps de latence, et je me dis que j'ai peut-être dépassé les limites de la familiarité.
Elle répond avec un coeur « C'est vrai qu'on était de vraies bombes ! ».
Ah non, tout va bien, j'ai déteint sur elle.
Je repense à cette journée :
Cette facilité à parler aux gens.
Cette certitude que j'étais à ma place.
Cette facilité à me couler dans l'écrin de ce restaurant luxueux.
J'ai mérité ce prix.
J'ai travaillé très dur.
J'ai maitrisé les contacts
J'ai été impeccable - certes, avec ma spontanéité naturelle peut-être un peu déplacée, et mes envolées lyriques pleines d'amour, mais j'ai vu dans le regard des autres un amusement bienveillant, et pas de regards outragés.
Je me sentais légitime.
J'ai savouré le moment.
Et puis cerise sur le gâteau avec ce gentil contrôleur qui tentait de me charmer de façon, old-school.
J'ai changé.
Je repense à l'année passée, dans ce resto avec Isaac.
Celle que j'étais alors.
Celle que j'étais dans ce restaurant, dans ma vie, mais aussi avec les autres.
Celle que je croyais être, celle que je pensais être, et ce que je pensais mériter.
L'estime (pas bien élevé) que j'avais de moi
Je mesure le chemin parcouru, moi qui avait déjà l'impression d'avoir fait des bonds de géant auparavant. Le chemin que j'ai parcouru, par mes propres moyens. Mon évolution.
Et surtout cette chaude lumière que j'ai désormais allumé au cœur de mon être : J'existe. Et j'ai le droit d'exister, de vivre, d'être appréciée, d'être aimé.
Ma fatigue, loin d'embrouiller mon jugement, me rend pragmatique : mon corps a vécu certaines de mes expériences comme des agressions ? Eh bien peut-être est-il temps d'écouter ce que mon corps souhaite me dire. De lui donner la parole, quitte à dire "Je n'avais pas réfléchi les choses ainsi, mais soit, allons voir ce qu'il en est".
Je vais me coucher à 20h, envoyant la dernière photo du périple au collègues : ma table de nuit, et mon lit douillet.
J'ai savouré chaque seconde de cette journée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire