lundi 6 septembre 2021

Fragment(ées)s (3)


Sortie en Alsace avec mes grands-parents et mon oncle, pour renflouer nos caves à vin respectives. Mission d'autant plus nécessaire qu'après avoir fabriqué un établi/table de jardinage dans mon sous-sol, 
j'ai installé un superbe casier à (90) bouteilles dans ma cave.

Mon grand père, debout au milieu d'un parking, pendant qu'une voiture, derrière lui, attend patiemment qu'il dégage du chemin, chante "la digue du cul".
Et puis, il se tourne vers moi, tordue de rire :
- Tu connaissais, ça ?
Et se rengorgeant fièrement :
- Et j'en connais des encore plus vulgaires !
Je me dis que ma place serait sûrement mieux dans un régiment.

Mais c'est de famille : mon oncle jure comme un charretier au volant. 
Pour autant, sa playlist nous fait tourner des choses que je n'aurais jamais imaginé écouter avec lui : Rihanna, Sia, Iggy Azalea... On dirait ma (honteuses, privée et non assumée) playlist "Bitch please" sur Youtube.
- Putain tonton c'est Evanescence ça !!!! Ah ben si j'avais su...
- Ah oui, j'aime bien Amy Lee
- Et du Kyo, noooooon !!!!.

Anniversaire

Mieux vaut tard que jamais : fin aout, nous réalisons, mon frangin et moi, qu'on n'a jamais fêté mon anniversaire. Du coup on achète un fraisier (je ne conçois pas de fêter mon anniversaire autrement qu'avec un fraisier - si possible un fraisier de grande surface, avec beaucoup de mousse à la fraise artificielle, de la chantilly, du gateau mou et des amandes. Je n'y peux rien, c'est régressif), et on fête, un soir, mes 34 ans et 3 mois. Il sabre une bouteille de cidre pour l'occasion, et ce moment décalé et chaleureux me fait un bien fou.

La rencontre

Je retrouve un collègue de l'association dont je fais partie, qui vient passer un entretien d'embauche là où je travaille. On ne s'est jamais vu en vrai, juste en réunion en visio puisque tous les membres de l'association sont éparpillés dans toutes la France. Généralement nos réunions sont le soir, et on est tous plus ou moins en pyjama.
Là je retrouve un homme très élégant, look dandy, longue barbe rousse très soignée, petites lunettes rondes.
On discute longtemps, il est intéressant, humble, calme et tranquille.
Je passe, il me semble, un bon moment.
...
Alors pourquoi est ce que je me sens aussi triste et seule, y compris en sa compagnie ? 
Nous croisons des collègues à moi et buvons un verre avec eux, ambiance détendue et presque potache.
Là encore, c'est l'abîme.
On repart pour manger ensemble, et discutons à bâtons rompus.
Et pourtant...
Je repars, plus mal que jamais, me sentant nulle, inintéressante, malade de tristesse, dégueulasse, inutile 
Mais d'où viennent ses sentiments ?!

Je réalise, un peu troublée, que je ne me sentais pas du tout seule ni mal les 8 jours que j'ai passé chez ma mère. Avec elle et mon frangin, je ne ressens pas cet abîme. Ni avec mes grands-parents. 
Mais alors qu'est ce qui change ?

L'entretien

Angoisse absolue.
Nuit épouvantable.
Rêves idiots : l'entretien se passe au restaurant, il faut manger avant, je suis assise à côté de Darmanin, puis je suis appelée dans la salle d'a côté. Mais ici aussi le jury mange, et je dois m'attabler face à eux. Et manger, et boire. Et l'entretien ne commencera que lorsque je serai bourrée.
Ou encore :
Il y a des travaux dans la salle d'à côté, on ne s'entend pas. Agacés de ne pas réussir à m'entendre, les membres du jury me font répéter, encore et encore, puis finissent par me congédier.

Je gamberge longuement sur le choix de ma tenue, envoie des photos à Morgueil pour avoir son avis. Je finis par opter pour un pantalon noir dans lequel je rentre au chausse-pied et dont mon ventre déborde, un tee-shirt noir, et un haut de kimono blanc crème aux discrètes fleurs roses.
J'arrive avec dix minutes d'avance, je fais passer le temps en jouant au scrabble sur mon téléphone, puis j'entre, et observe la pendule égrener les minutes.
J'ai rendez vous à 14h20.
14h21
14h22
14h24, la secrétaire me dit "ils ne sont pas encore sorti ?!" 
14h27
Énorme bouffée de chaleur.
14h29
Je crois que je vais m'enflammer, ou imploser, ou être réduite en cendres suite à une combustion spontanée.
14h30
Copine#2 arrive, et on est assise face à face, en esquivant soigneusement le regard de l'autre. 
14h31
La candidate précédente sort. Une collègue que je connais et apprécie beaucoup. 
Plutôt énervée, surtout lorsque son regard se pose sur Copine#2. "De toute façon ils prendront qui ils veulent, comme d'habitude !". Elle nous plante là, pendant que j'esquisse un sourire gênée, et que Copine#2 tire une tronche jusque par terre.
Ambiance ambiance.
Encore de l'attente.
Je finis par demander à Copine#2 comment ça se passera dans 6 jours, où l'on est censé donné un cours (elle le matin, moi l'après-midi). Elle gère les formations, et je n'ai aucune info : nombre d'élèves, heure du cours, emplacement... Elle m'apprend donc que j'aurais 18 élèves, qu'elle a "déjà tout prévu", que ce sera dans la salle machin, où, "bon, il n'y a pas d'électricité sur la moitié de la salle, mais on mettra des spots de chantier". Je lui demande si c'est une blague, et comment je suis censé mener un cours participatif dans une sorte d'auditorium plongé dans le noir - ah non, il y aura des spots. Je suis folle de rage, autant par ses décisions stupides que par l'absence de communication qu'il y a eu à ce sujet.
14h36
On m'appelle enfin 
Je passe immédiatement en mode focus entretien.
La responsable RH "Bonjour Mademoiselle B. ! Vous allez bien ?"
Je suis surprise de tant d'emphase, mais ça me provoque une immense bouffée d'affection et je réponds sur le même ton. J'entre donc pleine d'amour et prête à (essayer de) tout donner.

.
.
.

Je ressors plutôt contente de moi, même si j'ai oublié des éléments. Ca s'est plutôt bien passé, et lorsqu'on me demandera le lendemain, je dirai que j'ai passé un bon moment.
- Meuh ?! Mais on passe pas un entretien pour se faire des potes !
Hilarité générale.
- J'entend bien. N'empêche que c'était un bon moment, et que j'ai eu un super contact avec le jury, même si j'ai bafouillé, que je me suis enflammée, et que j'avais tellement chaud que mes lunettes étaient couvertes de buées !

Je me surprend à y croire.
Et si ça avait vraiment marché ?

Deux jours plus tard

Je travaille avec ma collègue qui a passé l'entretien d'embauche juste avant moi. Elle s'excuse d'avoir été très sèche le jour de l'entretien, m'avoue que lorsqu'elle a vu Copine#2, qui intrigue depuis des mois pour se faire bien voir, son sang n'a fait qu'un tour. Je lui assure que je n'en ai pas pris ombrage.
Dans l'après-midi, elle reçoit un texto.
- Bon ben, c'est réglé : c'est qui-tu-sais qui a eu le poste. Exactement comme on le pensais.
- On a déjà les résultats ?
- Non, c'est un texto de Monsieur Machin, le Big Boss. On se connait bien. Il doit signer les rapports d'entretien, je lui avais dit "Je sais qui sera choisi", il m'a écrit pour me dire "Tu avais raison !".
- Ah.
Je me sens complètement abattue, beaucoup plus triste que ce que j'escomptais.
Comment je vais supporter ma vie, sans changements à l'horizon ?

Un matin

Je suis dans ma cuisine, je prend mon petit déjeuner. Je dois partir plus tôt que d'habitude pour aller chercher des éléments d'une expo que je monte au boulot.
Hier j'ai quitté plus tard mon travail.
Avant hier je suis resté une heure de plus.
Aucune heure sup n'est compatibilisé dans mon boulot - si on en fait, c'est notre problème.
Hier soir j'étais au lit à 21h avec une migraine carabinée. J'ai dormi 10 heures, d'un sommeil de plomb.

Une douleur dans la poitrine me plie en deux, insoutenable.
Je n'arrive plus à respirer.

J'ai repris le travail il y a seulement 3 jours.

STOP

Je suis dans la salle d'attente de mon dentiste. Je me suis cassé une dent la veille et ils m'ont pris en urgence entre midi.
J'ai oublié mon portable, j'attend mon tour, ils sont en retard. Je vais peut-être être en retard au boulot. Je ne peux pas vérifier mes mails, ni mes messages, ni gérer mes réservations Airbnb (que je devrai désactiver pour retrouver du temps pour moi - ah, oui, mais j'ai besoin d'argent pour les travaux du dernier étage qui commencent dans un mois), ni...
Juste attendre mon tour. 
Pas le choix.
J'envisage de demander si j'ai le temps de retourner chercher mon téléphone dans ma voiture, mais je n'ose pas.
Et puis je me dis que c'est l'occasion de déconnecter.
J'observe les arbres, par la fenêtre. Le cabinet est au premier étage, et on se croirait dans une cabane dans la foret : mon regard se perd dans les branchages, et j'observe les feuilles être chahutés par le vent.
Le soleil forme une flaque sur le sol, où les ombres dansent.
Le sol et les murs sont blanc, le silence est ouaté.

Je me sens infiniment reconnaissante d'avoir ces dix minutes de calme, de contemplation, de rien, qui est clairement le meilleur moment de ma semaine.
Je me dis que si c'est ça, le meilleur moment de ma semaine, l'attente chez le dentiste parce que je me suis pété une molaire sur un wrap au chèvre, c'est que ça ne va vraiment pas.

Je repense à ma dernière séance d'entrainement, avec mon collègue. « Collègue#1 et collègue#2 m'ont demandé comment tu allais. Tu as l'air au bout, tu sais ? Avant, peut-être que tu le cachais, mais là tu n'y arrives plus, ça saute aux yeux que tu es à bout, que tu n'en peux plus ». 
- .... Oh....
- Ca ne va pas, vraiment pas, on est d'accord ?
- .... Heu.... Oui
- T'arrives à déconnecter, quand tu sors du taf ?
- ... Ca fait un moment que je n'y arrive plus, non.

Je pense à ça. Je pense au stress, au sentiment de vacuité, à tout ce que je dois faire, à cet écrasant sentiment de solitude, au poste que je n'ai pas eu, au fait que c'est absurde car mon job n'est en aucun cas un truc qui sauve des vies, qui est nécessaire à qui que ce soit - tiens, la preuve, c'était fermé lors des confinements -, c'est absurde d'y accorder plus d'importance que ce qu'il est, c'est juste un boulot, absurde de se prendre à ce point au sérieux, absurde de se fâcher, absurde, absurde, absurde...
Larmes aux yeux, dans la salle d'attente de mon dentiste. Je ne vais quand même pas pleurer ici ?
Je réalise que je vais forcément craquer. Que la question n'est même plus "si", mais "quand". Que je suis totalement et passionnément engagée sur la voix du chemin qui s'effondre.

Moment de grâce

Je reste une heure de plus au travail (du bénévolat, donc), puis je file à la salle de sport. Comme ils ont perdu la moitié de leurs adhérents à cause du pass sanitaire, ils sont ultra sympa, et même le prof habituellement ultra blasé est transfiguré (ou alors c'est le fait d'être jeune papa, va savoir)
Même si nous ne sommes que deux, il fait le cours.
Contrairement aux fois précédentes, où les cours gériatriques étaient encore trop ardus pour mois, je m'aperçois, surprise, que j'assure pas si mal.

Je rentre, un peu plus sereine, et je me prépare un bon repas.

C'est peut-être ce genre de programme qui me manque, c'est peut-être ainsi, que je me fais du bien.
Et si c'était ça, ma façon de prendre soin de moi, de prendre du temps pour moi, et que j'ai oublié ?

Rejet

J'ai passé des semaines à aller picoler quasi tous les soirs avec des collègues, et à manger de la merde. 
Le dernier burger king, outre ma molaire cassée (sur le wrap au chèvre, donc), j'ai eu mal au ventre jusqu'au soir - où je n'ai rien pu manger.
L'autre soir, deux verres de cidre au bar et j'avais envie de vomir.
La même semaine, un autre repas particulièrement discutable sur le plan équilibre alimentaire m'a filé la nausée.
Je crois que mon corps a décidé que trop, c'était trop.

...

Ma Directrice débarque dans mon bureau. Elle a troqué ses châles indiens contre des foulards aux couleurs estivales
- Mademoiselle B., j'ai à vous parler.
- Oui ? Ici ou dans votre bureau ?
Regard circulaire.
- C'est confidentiel mais il n'y a personne alors allons y.
Elle s'approche.
- Les résultats de l'entretien ne sont pas encore connu. Les documents partent à la signature lundi, et ...
Je sais, sans avoir besoin de miroir, que mon visage transpire l'emmerdement et la culpabilité. Je ne dis rien.
- Enfin, j'ai entendu... des bruits de couloir... Disant que le résultat est connu...
J'acquiesce, petit sourire gêné. Meeeerde, dans quel guêpier je me suis fourré.
- C'est inadmissible. Ca part seulement aux Ressources Humaines lundi !
Petit bruit de gorge.
- Vous savez ?
Je sais que c'est écrit sur mon visage.
- Oui.
- Mais comment c'est possible ? Est-ce que c'est les membres du jury ? C'est forcément eux... C'est particulièrement inadm...
Je crains soudain que des personnes qui n'y sont pour rien se fassent taper sur les doigts, et je décide de vendre la mèche.
- Non, ce n'est pas eux. Aucun d'eux. C'est Monsieur Machin, le Big Boss. Il a prévenu l'autre candidate le jour où je travaillais avec elle - voilà comment j'ai su, parce que j'étais là en direct.
- Monsieur Machin ?! Mais c'est.... C'est pas possible ! Ce n'est tellement pas professionnel !
Je me retiens de lui dire que, si elle est plus à l'équerre qu'un carré, c'est loin d'être le cas du reste du monde. Et que notre politique de bon petit soldat, bien hypocrite par ailleurs, est de plus en plus absurde. J'ajoute, d'une voix douce :
- Mais vous savez, les ... bruits de couloir que vous avez entendu, c'est peut-être autre chose. Tout le monde se doute - on peut même dire *sait* - que ce sera Copine#2 qui aura le poste. Depuis que l'annonce de ce poste est paru -et même avant ça, quand on a commencé à en entendre parler en mars - tout le monde disait "c'est le poste de copine#2". Et quand elle a eu le concours, et qu'il fallait la titulariser, c'était entériné dans la tête de tout le monde ! Ya aucune surprise là dedans. On est tous parti perdant ! Et quand j'ai transmis ma candidature, ma cheffe elle même m'a dit "Tu sais que tu n'as aucune chance, ce sera le poste de Copine#2 ?".
J'ai l'impression que ma Directrice va se mettre à pleurer. Elle tourne la tête, et me semble au bord des larmes. Je m'en veux immédiatement, et tente de temporiser :
- Mais ce n'est pas grave hein !
Et en même temps je réalise : "Merde, si, en fait c'est super grave, on a un système qui ne fonctionne clairement pas, c'est hypocrite et injuste, et en plus c'est du foutage de gueule"
- Votre cheffe ne devrait absolument pas vous dire des choses comme cela.
Je hausse les épaules.
- C'est... compliqué, avec elle. Elle m'a déjà fait pire que ça. 
- J'ai cru comprendre, en effet.
- C'est sûr que je me dis que rien ne se serait passé comme ça avec mon ancien chef. Mais c'est ainsi. Et c'est pour ça que je cherche à partir.
Voilà, c'est dit.
Je prend un air dégagé, mais je suis aux bords des larmes moi aussi. Heureusement que personne n'entre à ce moment là, on fait une belle paire. Clairement, je réalise à quel point on est tous, absolument tous, au bord de l'explosion. 
- Sachez en tout cas que j'ai eu comme retour que votre passage a été très punchy, et très apprécié du jury. Il y a eu deux candidatures qui sont clairement sorti du lot lors de ces entretiens. Je vous laisse faire les maths !
J'acquiesce, plutôt flattée malgré moi, malgré ce sentiment qu'arriver deuxième lorsqu'il n'y a qu'une place ne sert pas plus à quelque chose que d'arriver dernier - le résultat reste le même. Pourtant je me demande ce qui aurait été différent si Copine#2 n'avait pas eu le concours. Si les dés n'avaient pas été pipés - car je pensais que j'avais une chance, que les entretiens changeraient la donne, toutefois l'absence de réfutation de ma directrice sur ce point m'a donné la confirmation que j'attendais. S'il y avait eu la moindre chance, elle m'aurait remballé, m'aurait martelé très exactement "c'est complètement faux, chaque candidat avait exactement les mêmes chances, il faut arrêter de dire des conneries pareilles !".
Même si j'ai le sentiment de m'être foutu dans un sacré guêpier en sachant les résultats avant l'heure, même si je regrette que ma directrice porte ça, je suis contente de cette petite discussion, qui m'a fait du bien. A la fois par le contenu, par le message clair que j'ai fait passer "je veux partir", ce temps d'échange très humain plein de vulnérabilité, et puis bien sûr le compliment, qui fait chaud au cœur, qui me confirme que je n'ai pas halluciné le fait que l'entretien se soit très bien passé. Reste ce terrible sentiment d'être l'éternelle deuxième dans tous les aspects de ma vie. 
Parfois, je me demande si ce n'est pas pire que tout.
Mais peut-être que la prochaine fois sera la bonne - surtout après cette grosse fuite d'information qui met tout le monde dans l'embarras et fait passer notre hiérarchie pour des cons.

L'épreuve

Pour s'entraîner au trail qui a lieu... Ahem... dans deux semaines, les collègues proposent un entraînement de nuit (car le trail sera de nuit) un dimanche soir. Petite distance :13 bornes.
On court nos habituels 7 km le vendredi précédent, et je m'énerve un peu :
- Je n'y arriverai jamais ! Je n'ai aucune forme physique, je suis retombée à un niveau ridicule, à la salle c'est catastrophique, nos séances je suis à la traîne... Mais comment tu veux que je cours 18km dans deux semaines ?! Et 13 dans 3 jours ?
- C'est dans ta tête !
- Mais n'importe quoi ! Tu peux pas dire ça !
- Eh bien je te le dis ! C'est dans ta tête ! Ouais, on court 8 bornes et t'es claqué, mais tu as vu les parcours d'enculés que je te fais faire ? Avec les dénivelés à pic ? Et tu le fais ! On vient de se bouffer dix minutes de montées d'escaliers ultra raides, qu'on a fait - que TU as fait- en courant. Tu es en bonne santé, tu as la forme, tu es prête et tu en es capable. Tu te persuade juste du contraire.

3 jours plus tard.

Départ à 20h, tenue de course et lampe frontale.
Je suis liquéfié de trouille. "J'y arriverai jamais".

On démarre, je prend un petit rythme tranquille, et me dit "allez, tu tiens le plus longtemps possible sans marcher".
Et je déroule.
1 km 
Ok.
2 km.
Ça va.
3 km 
Il commence à faire bien nuit, surtout en forêt.
4 km.
On n'y voit plus rien, et on court avec nos lampes. Les 3 collègues, largement à l'avant, m'appelle "La trottinette de Kinshasa", ou "La mobylette" de je ne sais où. 
5 km
Il suffit de laisser passer les kilomètres, en fait ?
6 km
J'émerge d'une montée à pic en haletant. Ma respiration siffle. Un de mes collègues me tend aussitôt une gourde "tiens, j'ai pas bu dedans". Je ne sais pas quelle tête j'ai, mais il ajoute "j'ai du sucre, aussi".
Je crache un "Ca va aller".
On continue.
7 km
"Y'a eu un craquement là, dans le bois, non ?"
"Non mais aussi, avec les lampes, il y a plein d'ombres..."
"Ca fait un peu peur..."
Les trois mecs ont ralentis, et se sont rapprochés de moi.
"... Donc je suis dans les bois avec 3 gaillards, mais en vrai vous êtes des flippettes ?!"
"Ah oui, moi y'a pas plus lâche que moi !"
"Moi je suis... je suis... je suis pas bien courageux, en fait.."
"Ahem"
"Ah oui, d'accord..."
8 km
Le 9e est dur à passer. "Bon sang, c'est la moitié du parcours pourtant !"
Le 10e passe vite 
11 km
"On part devant pour faire un sprint, tu as juste à longer le lac, et passer la digue, on se rejoint au bout et on a fini"
Je terminé à mon rythme, et fait un sprint final. J'arrive 9 minutes après eux, j'arrête ma montre. 12,5 km. "Ah, on a fait moins que prévu !"
Regard en coin.
- Heu, non, elle a raté un morceau ta montre, on a fait plus, on a fait 15 bornes !
-....
- T'es rôtie ?
- Ben... je commence à avoir les jambes qui flagellent, mais sinon ça va
- Le trail, c'est juste 3 bornes de plus. 3 bornes c'est que dalle. C'est ce que je te disais : TU ES TOTALEMENT PRÊTE.
J'acquiesce, presque effrayée de l'admettre.
Oui, en fait, j'y croyais pas, mais j'en suis capable.

La rentrée

Je viens de donner mon cours, j'ai décidé que je ne le donnerai pas dans l'auditorium pourri qui n'a plus d'électricité, mais à un autre endroit. Copine#2 a pris un air pincé, mais a finalement donné le sien au même endroit. Elle ne voulais tellement pas m'adresser la parole qu'elle a fait une double demande de matériel - et de ce que j'en ai vu l'après midi, elle a été incapable d'installer le vidéoprojecteur. On en est donc là - bonjour le professionnalisme. Je ne peux pas m'empêcher de la trouver très très conne sur ce coup là.

Je sors de chez la psy, usée de mes 4 jours de boulots de la semaines dernière, à peine reposée de mon seul jour de congés avant d'enchainer 14 jours de travail non-stop - pas que mon job habituel, car il y a le cours que je donne, et puis j'ai accepté de dépanner dans un jury blanc de prépa de concours (j'aurais pas dû dire oui), mais enfin 14 jours sans m'arrêter tout de même, avant d'enchainer quasi deux mois à bosser six jours sur 7, dans le meilleur des cas. 

J'ai l'impression d'être embarqué dans une tornade, prisonnière de mon agenda qui vomit des imprécations à mon encontre.
La moindre chose qui se rajoute désormais à mon programme me file des sueurs froides. 

Je donne mon cours, où je fais presque illusion - en réalité, je l'ai vaguement revu la veille, et je suis plus effrayée par le fait que ça ne m'inquiète pas, que du fait que je ne connais pas du tout le truc sur le bout des doigts.
J'oublie de préparer des exemples, je bafouille beaucoup, ne parviens pas vraiment à faire rire mon auditoire, et les fiche presque dehors à la fin du cours. J'ai été assez médiocre, je dois bien le reconnaitre.

Je range et je repars. Au moins, ça, c'est fait - enfin, il faut que je travaille sur celui du 6 décembre maintenant. Et les 6h qu'on m'a rajouté en juin.

Et surtout, ma question, "Est-ce que je peux réussir à gérer tout ça, est-ce que je peux trouver une solution pour faire face, ou est-ce que je vais forcément finir en PLS chez mon médecin ?"
Je me surprend à penser que, peut-être, je peux gérer cette succession de journées harassantes comme j'ai géré les kilomètres.
Mais pas sûre que c'est aussi simple que de courir dans les bois.

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