Je réalise que je ne suis plus capable de noter mes petits bonheurs depuis juillet. Mon calendrier est tristement bloqué la veille de mon arrêt de travail, quand, en rentrant le soir, je me disais « Je crois que ça ne va vraiment, vraiment pas ».
Rendez-vous chez ma psy
On ne s'est pas vu depuis presque 3 mois : Ma psy est une femme d'une soixantaine d'année, et elle prend des vacances d'été de plus en plus longues - je pense qu'elle lève le pied, et elle a bien raison. Elle me dit à chaque fois que je peux l'appeler en cas de problème, mais je ne l'ai pas fait cet été. D'une part parce que je n'avais aucune envie de la déranger en vacances, d'autre part parce que tout cela me dépassait.
Je lui raconte donc l'arrêt de travail, la crise existentielle, les multiples remises en question, le sentiment de continuer à m'enfoncer.
- Y-a-t-il quelque chose de particulier en été ?
- Pas vraiment...
Je parle boulot, et de cette incapacité à accepter la moindre remarque négative. La perte de sens. Le fait de ne pas savoir qui je suis. La colère sourde. Le désespoir infini. La fatigue écrasante. Les sorties entre collègues où je me sens encore plus seule que lorsque je suis seule.
- La solitude est un état, mais c'est aussi et surtout un sentiment. Vous l'avez clairement ressenti, et ce n'est pas anormal, même si ça démontre un état dépressif, c'est très clair. Pouvez-vous identifier les causes ?
Je cherche, je tourne, j'émet des hypothèses. Je parle des 1 an, et l'angoisse sourde et irrationnelle.
- C'est de cela que je parlais en vous demandant s'il y avait quelque chose de particulier en été, j'attendais que vous y veniez.
Je proteste un peu, dit que c'est un tout, que peut-être, la fatigue...
- Je me souviens de la dernière fois que je vous ai vu, vous étiez épuisée. C'est comment maintenant ?
- C'est... Pareil... Je me sens lasse. Je n'arrive à rien, je suis molle... Et pourtant... J'ai pu courir 15 km sans efforts. Je me demande à quel point je crois être épuisée... Mais ça n'a aucun sens... Ou alors... C'est lié au fait que je ne veux pas souffrir. Le moindre effort, la plus petite douleur, ça me révolte, je me demande pourquoi je m'inflige ça.
- Notre mental n'entend pas la négation. "Je ne veux pas souffrir"... C'est comme un parent qui crie à son enfant "Ca suffit, je ne veux pas me mettre en colère !". En réalité on y est déjà ! Ca veut dire que vous souffrez déjà, non ?
- Heu... Beuh... Ben... Je n'avais pas vu les choses comme ça, mais... Je comprend ce que vous voulez dire... Et ce n'est pas impossible.
Elle souhaite revenir sur ce qu'il s'est passé il y a 1 an. Je me crispe aussitôt. L'air me manque. Je ne parviens pas à raconter. Je résume, en 2 phrases. Je ne peux pas faire mieux. Elle s'assied près de moi, comme chaque fois que l'on traite de souvenirs traumatisants. D'habitude elle me tient la main, et ça me réconforte. Cette fois, je suis incapable du moindre contact - elle le voit sans avoir à essayer.
- Quelle image avez-vous en tête, lorsque vous pensez à ce moment ? Prenez une image, juste une image.
Depuis 1 an, l'image est fixe : c'est la pénombre de la nuit, et la couleur des draps, que je regarde fixement. Je n'ai même pas à figer le souvenir dans un instant glacé : Plus rien ne bouge lorsque je pense à ça, il y a juste cet instantané de lumière grise-bleutée. Je sais ce qu'il s'est passé, mais je le sais comme on connait une histoire qu'on a lu ou qu'on a vu ; tout comme je ne suis plus capable de me souvenir des autres moments, des bons moments, des sons, des odeurs, des visages... C'est comme si mes souvenirs étaient tout simplement désincarnés.
- Gardez cette image de pénombre.
Et puis :
- Vous vous en voulez ?
- Non, je crois que j'ai dépassé ce stade.
- On est d'accord qu'une femme qui va chez un homme n'a pas à être accusé "d'être venue pour ça" ? Que le consentement ce n'est pas de simplement se rendre chez quelqu'un, que ce doit être un "oui" clair et exprimé ?
- Je suis très au clair avec ça, tout va bien.
Un peu plus tard :
- Qu'est-ce que vous vous êtes dit, sur vous ?
- Que j'aurais dû dire quelque chose. Ou faire quelque chose.
- Ah, donc vous vous en voulez quand même !
- ... Ah ben oui, finalement.
- On va travailler là dessus.
Plus tard :
- Qu'est ce que vous vous dites, à propos de vous ? Lorsque vous repensez à cette image - on reste sur l'image, on ne revit pas la situation -, est-ce que vous vous dites quelque chose ? Qu'est ce que ça dit de vous ?
Je fonds en larmes :
- C'est la question que je me pose : Ca veut dire quoi ? Qu'est ce que je suis ?
Je craque complètement, je sanglote, je me mouche quasiment dans mon masque (on décide d'un commun accord qu'on enlève le masque et que ça ira très bien)
Elle me fait, tout doucement, revivre la scène.
- Et là, qu'est ce qui est là ?
- Le fait que ce n'est pas la première fois.
Je raconte, comment le soir même, ça m'avait fait remonter des histoires d'il y a dix ans. Comment je peux me pardonner d'avoir été naïve et idiote et soumise lorsque j'avais la vingtaine - mais que je ne peux pas concevoir de le refaire à 33 ans.
- On ne juge pas, d'accord ? On cherche à comprendre.
- Mais la question est lancinante : ça fait quoi, de moi ? Je suis qui, à revivre les mêmes choses encore et encore ?
- Est-ce que c'était vraiment exactement les mêmes choses ?
- Non, au moins quand j'avais la vingtaine, la "fois de trop", j'ai fondu en larmes quand le type m'a enlevé mes vêtements, et ça l'a fait débander, et surement réaliser à quel point il était odieux, et je ne l'ai plus jamais revu.
- Et si on travaillait là dessus, et qu'on arrivait à se dire que... Quoi, idéalement ? Que vous avez fait ce que vous avez pu ? Que ce n'est pas votre faute ? Que ça ne remet pas en cause votre valeur ? On essaie de vous faire vous pardonner ?
- ... On va déjà en rester à "J'ai fait ce que j'ai pu", ça sera une belle gageur.
Avec tout les fils de mon Histoire, elle roule patiemment une petite pelote, toute ronde et cohérente : oui, je ne sais plus qui je suis, car des expériences ont fait voler en éclat ce que je croyais être. Oui, on m'a manqué de respect - et aujourd'hui la moindre remarque, la moindre critique qui me semble irrespectueuse (à tort ou à raison) me fait perdre les pédales. Comme si ça réactivait, ou qu'inconsciemment je craignais que ça aille plus loin. Oui, je me sens faible, et incapable - car c'est ainsi que je me suis vue, et que je me vois encore dans mon miroir déformant - et j'y crois si fort que je suis épuisée. Et pourtant... J'ai pu courir mes 15 km. Et je ferai sans nulle doute possible mes 18 km dans deux semaines.
En 1h, elle a démêlé deux mois de chaos, et a rationalisé tout ça. Elle m'a posé les bonnes questions, celles qui ont fait céder les digues, mais... c'était certainement bénéfique.
Et maintenant ?
- La prochaine fois, on continuera à travailler là dessus. Et croyez moi, on va réussir à vous faire vous pardonner à vous même.
Je la crois.
La convocation
4 jours plus tard.
Je suis au boulot.
J'ai passé trois jours à monter une expo - que j'imagine et que je crée depuis presque un an. Je fais des journées de 11h (toujours du bénévolat), j'atteint mes 8000 pas quotidien en une demi journée, juste à monter et descendre des trucs et à accrocher des machins.
Le résultat dépasse toutes mes espérances. Les collègues sont enchantés, les visiteurs ravis.
Ma responsable de communication (arrivée il y a 9 mois, ça ne passe avec personne et le mois dernier je lui ai hurlé dessus pendant 45 min pour lui dire, en substance, qu'elle est odieuse, hautaine, méprisante et insupportable), me demande à faire le tour avec moi, "pour voir". Je passe un quart d'heure à me faire démonter : rien ne va, c'est incompréhensible, brouillon, pas de qualité, les cartels ne vont pas, ça c'est trop haut, ça c'est trop bas...
J'envisage de poser très calmement mes affaires, et de rentrer chez moi. De tout planter, et de me tirer, en précisant bien "Veuillez noter que ceci est clairement un abandon de poste".
Je retourne à mon bureau, et commence à pleurer.
Je ne peux pas continuer comme ça.
Et puis ma directrice-adjointe (bras droit de ma directrice aux drapés indiens) me convoque.
Je me dis "Ca y est, qu'est ce que j'ai encore fait ?".
- Je venais te voir au sujet du poste sur lequel tu as candidaté. Les résultats sont signés, malheureusement c'est Copine#2 qui a eu le poste, et elle l'a accepté.
Soit elle ignore que je sais déjà, soit ma Directrice lui a dit que je l'avais appris mais elle est excellente comédienne. Personnellement, dans le doute je ne feins même pas la surprise et je hoche sobrement la tête.
- Je tenais toutefois à te dire que tu as fait un très bon entretien, et qu'à l'unanimité, on t'a trouvé impeccable. Dynamique, pleine d'idées - de très bonnes idées -, naturelle, enthousiaste... La responsable RH, qui te connait depuis ton arrivée en 2009, a souligné ton évolution, en disant, je cite, que tu avais l'air d'une professionnelle solide, et que c'était vraiment un plaisir de voir des gens aussi investis et épanouis dans leur travail.
Cette fois je n'ai pas à feindre la surprise : je tombe complètement des nues - et puis quel compliment hilarant, quand on sait que dix minute avant je pleurais sur mon clavier.
- Ah bon ?! Mais j'ai bafouillée... Et je me suis embrouillée...
- C'est peut-être ton impression, mais ce n'est pas ce qu'on a vu. C'était frais, hyper bien préparé, tu as bossé le dossier, et tu as eu des réflexions extrêmement pertinentes qui ont beaucoup plu au jury, et qu'on va d'ailleurs garder. Malheureusement, l'exercice nécessite qu'on doive garder une seule personne... On pourra toutefois à l'avenir imaginer que tu rejoignes l'équipe, et que tu travailles avec Copine#2.. ? Vous pourriez vraiment vous compléter...
Je refuse immédiatement : ma cheffe actuelle (avec qui ça se passe plutôt très mal) était une collègue qui a eu l'opportunité de monter en grade, et clairement, ce genre de configuration ne fonctionne pas. Et vu les circonstances actuelles avec Copine#2, autant dire que ce serait un fiasco annoncé.
- Je serais bien en peine de te donner des pistes pour t'améliorer, tant ton entretien était parfait. Tu es venue telle que tu étais, avec ta bonne humeur et ta jovialité, et tu es repartie, on avait tous la banane. C'est celle que tu es, et ça marche, et ne change surtout pas ça !
Je suis frappée : alors c'est à ça que je ressemble ? Une personne joyeuse et blagueuse ? Comment je peux communiquer de tels sentiments, et donner la patate aux gens que je croise, alors que je lutte si fort contre les idées noirs ?!
Je pense à ces personnes qui, un jour, brutalement, ont un geste désespéré, et tout le monde dit "On ne comprend pas, c'était quelqu'un qui semblait toujours tellement heureux !"
Y-a-t-il rien de plus absurde ? Ou injuste ? Ou triste ?
Elle insiste longuement, et me dit que je n'ai rien à me reprocher, que la différence, c'est juste que Copine#2 avait un CV qui collait mieux, et bien sûr le concours. Je ne pouvais pas lutter contre ça. Mais que ma candidature était solide, tout à fait à sa place, que j'ai bien fait de postuler, que j'étais plus que légitime.
- Ca me réchauffe le cœur de savoir que j'ai fait un bon entretien, et...
- Non, non non je t'arrête tout de suite, tu n'as pas fait un bon entretien, tu as fait un très bon entretien. J'insiste vraiment là dessus. C'était un très, très bon entretien. Vraiment.
Ca remonte un peu mon après-midi, et je commence à me dire que peut-être, je finirai la journée sans abandonner mon poste, démissionner, ou gifler une collègue (ou les 3 à la fois).
Plus tard, le soir, chez moi, je m'effondrerai en larmes.
Pourquoi ?! Je savais depuis 10 jours que je n'avais pas le poste, ce n'est pas une surprise ! Et ce que m'a dit ma directrice adjointe devrait avoir rendu cet échec plus doux !
Je sangloterai un bon moment, avant de trainer ma carcasse humide et morveuse sous une douche chaude, d'où je ressortirai calmée et presque sereine, en me disant que mon nouveau savon pamplemousse-cassis est juste la plus belle chose qui soit jamais entrée dans ma douche.
J'avais peut-être besoin de pleurer ce poste, pour pouvoir passer à la suite.
... Faut il que je trouve la suite.
Je pense que tu as les ressources pour la suite, ne t'inquiète pas. C'est super que tu aies eu ce retour d'entretien!
RépondreSupprimerMa directrice-adjointe m'a dit qu'elle avait trop souffert dans sa carrière de ne pas avoir de retours, qui sont toujours très utiles pour la suite, et qu'elle mettait donc un point d'honneur à prendre le temps de parler avec tous les candidats. Ce que je trouve très sympa - et en effet, plutôt utile ! Et indépendamment du résultat, ça fait plaisir et c'est encourageant...
SupprimerReste donc à voir vers quoi je vais me lancer désormais, car pour l'instant, pas de nouvelles offres d'emploi en vue !