J'ai rendez-vous avec Daniel un soir, au café à Rencards qui est devenu mon lieu attitré.
Il m'a contacté par texto pour caler le rendez-vous, ce que l'agence déconseille sur sa fiche de recommandation-pour-premier-rencard. Mais pour ma part, ça me convient très très bien : je suis ultra occupée, je n'ai pas de réseau au boulot et je crains, depuis les deux appels qui ont duré des plombes, encore un type qui s'écoute parler.
Il commence très tôt et finit très tard ses journées, mais on finit par trouver un créneau un soir à 19h.
J'avoue que j'y vais en faisant la gueule : le type m'a écrit un texto où il m'appelle par le mauvais prénom pour confirmer le rendez-vous du soir. Je trouve ça tellement lamentable (en plus c'est le 2e qui me fait le coup), que je lui répond, pincée, que je ne suis pas la personne qui porte ce prénom, mais que s'il s'adresse à Mademoiselle B., c'est bien ok pour ce soir.
Est-ce si compliquée de lire les textos précédents, ou revérifier sa fiche ?! Enfin, merde, c'est la moindre des choses !
Il s'excuse et se justifie avec des raisons bidons, et en réalité je suis déjà blasée.
Je m'installe au café, il n'est pas là à l'heure dite.
Je lui laisse 10 minutes.
C'est une technique de l'une de mes collègues, qui m'épate toujours par sa confiance en elle : "Je leur laisse dix minutes, pas une de plus. Je préviens, comme ça il n'y a pas de surprises, mais à la onzième minute, je suis partie. Si la personne avait tellement envie de me voir, elle aurait été là. Moi, mon temps est précieux, et je mérite mieux que ça".
J'aimerai être un peu plus comme elle, et un peu moins à m'excuser d'exister, comme je le fais trop souvent.
Il arrive avec pile poil dix minutes de retard.
En tout et pour tout, on reste 1h ensemble : ça me convient tout à fait.
Il me raconte qu'il a deux fils (et là je réalise que la fiche que l'Agence m'a envoyé est fausse, il est explicitement noté qu'il n'a pas d'enfants, et je trouve le procédé très très limite). Qu'il ne voulait pas du 2e, mais que sa femme ne lui a pas laissé le choix, ce qu'il a mal vécu - et ça a mené à la séparation.
Le premier sujet de conversation de ce rencard est vraiment bien choisi, n'est ce pas ?
Je dois faire une dôle de tête, parce qu'il ajoute, un peu hésitant, qu'il n'est "pas pour autant fermé à l'idée d'en ravoir".
Bwahahahahahah ! La bonne blague ! Ouais alors les mecs "pas totalement fermé à l'idée", merci mais non merci ! J'ai déjà entendu ça, et en réalité, lorsque le couple est posé, le discours devient très différent ! Surtout de la part d'un type qui a eu un 2e enfant qu'il ne voulait pas. Non mais il ne pouvait juste pas se taire, en fait ?
Je fais un sourire poli, et le rendez-vous se poursuit.
Le type me parle de son boulot, où il passe sa vie, ou presque : il y est de 5h du matin à 20h, mais "se verrait bien trouver quelqu'un pour les weekend".
Je soupire.
Je ne peux m'empêcher d'être provoc : moi je bosse du mardi au samedi, et certain dimanches, donc c'est réglé !
Il balbutie, tente de se raccrocher aux branches. "Ah, oui, mais.. Heu, ce n'est pas ce que je voulais dire..."
Je m'ennuie.
La conversation dérive sur l'agence. Il m'apprend qu'il est inscrit depuis octobre, et qu'il est plutôt déçu. Il n'accepte que les profils qui lui semblent intéressant, et il n'y en a pas beaucoup. Il voudrait trouver une femme "qui a quelque chose dans la tête", et me fait un grand sourire en ménageant un silence éloquent.
...
... Oh, Wait, sorry, je dois me sentir flattée là ? Non parce que c'est bien joli, l'idée de la femme-trophée qui n'est pas complètement cruche, mais à l'inverse, lui, il propose quoi, en challenge intellectuel ?! Le type bosse toute la semaine, et regarde la télé le weekend ou s'occupe de ses mômes, et ça devrait me faire kiffer ? Je creuse désespérément, mais on n'a définitivement aucun points communs. Ah, si, le type "aimerait bien que quelqu'un le pousse au cul pour qu'il sorte plus, lise plus, se cultive plus".
Sauf que moi je n'aime pas les mous qui ont besoin des autres pour faire quoi que ce soit.
Bref, c'est encore la conversation sur l'agence qui me divertit le plus. Surtout que visiblement, il est également tombé sur une femme qui voulait se marier très vite pour avoir la nationalité. Ouh, le malaise ! Il dit être déçu du "service" : clairement les profils proposés ne sont pas triés, pas du tout sélectionnés, contrairement à ce que l'agence prétend.
A la réflexion, en effet, j'ai commencé à le réaliser moi aussi : qu'est ce que je fais là ?! Comment ont-ils pu me proposer ce mec ?
Et les autres rendez-vous prévu dans les jours à venir renforcent mon sentiment.
Il se rengorge : dans cette agence, ce sont des gens en détresse sentimentale, dans un véritable désert relationnel. Ce n'est pas pour lui ! D'ailleurs lui ce n'est pas son cas, la preuve : il veut un truc pour le weekend, et puis il a des occupations, si si, il travaille toute la semaine ! Il n'est pas désespéré !
Je ne sais que répondre. Je me retrouve à nouveau face à ce sentiment de vivre sur une autre planète, entouré de gens hyperactifs comme moi, et que mes rendez-vous me font rencontrer une peuplade autochtone que je ne comprend pas, et qui ne m'intéresse pas.
Et puis il se passe deux choses simultanément : je sens quelque chose d'humide dévaler ma jambe. Et lui m'informe que sa voiture est garée à un endroit où il doit la bouger pour 20h à cause de travaux, sous peine d'être bloqué jusqu'au lendemain.
J'avoue, je suis soulagée.
Le quelque chose d'humide, c'est du sang, car mon cycle de ce mois-ci est tellement violent que je dois me changer toutes les heures. Je me suis changée avant de quitter le boulot, mais 1h après, malgré la cup et la culotte de règles, j'ai donc trempée mon collant, ma jupe, et le siège du café. J'ai du sang jusque dans les chaussures.
On se sépare devant le parking. Il dit quelque chose comme "Je suis bien content d'avoir enfin rencontré quelqu'un qui en a dans la tête ! C'est un grand oui pour se revoir !", il me bondit dessus pour me faire la bise en disant "allez, le covid c'est fini hein, tu vas pas flipper que je te fasse un bisou !", puis il me plante là.
Est-ce qu'il se demande si j'ai envie de lui faire la bise ou si ma sensibilité me pousse à faire attention aux gestes barrières (ou simplement si je suis flippée - ce qui pourrait être mon droit le plus strict) ? Est-ce qu'il envisage que peut-être je pourrais avoir un autre avis que lui ? Est-ce qu'il s'interroge sur ma propre envie de le revoir ?
Bien sûr que non.
Je rentre, et prend une douche. J'ai ruiné mes fringues, mais j'ai réussi à protéger mon siège de voiture. Je suis tellement soulagée d'être chez moi, et que ce rendez-vous soit terminé !
Il m'écrira deux ou trois jours plus tard, pour me souhaiter un bon week-end. J'ai travaillé ce weekend là, puis j'ai poncé mon escalier et continué mes travaux, et n'ai pas répondu tout de suite. Il me renverra un message furieux "J'essaie d'être sympa, tu pourrais au moins répondre, je fais des efforts, faut que je fasse quoi ?! On se voit cette semaine alors ?"
Wooookay ! Merci mais non merci, bis : je lui explique que je suis en plein travaux très salissant (d'où le délai de réponse), mais qu'en fait de toute façon, on ne va pas se revoir. Je tache de lui citer quelques unes de ses qualités, le remercie d'être venu, etc etc, mais nous ne cherchons pas les mêmes choses, et je ne souhaite pas une histoire avec quelqu'un qui a déjà des enfants.
Je pourrais ajouter qu'il me semble être un connard autocentré et égoïste, mais c'est difficile à placer avec diplomatie, donc je m'abstiens - mais c'est avant tout la raison principale de mon refus. En fait à la réflexion, le type me fait grave penser à Hector : ce qu'il veut doit faire loi, et il voudrait quelqu'un d'un peu "différent" et avec du caractère, mais seulement quand ça va dans son sens.
Autant dire que désormais, ce genre de chose me fait fuir.
Bien évidemment, le type prend les choses très mal, me répond vertement que "1h n'est clairement pas suffisant pour apprendre à se connaitre" (on est d'accord, mais c'est suffisant pour savoir que je ne souhaite pas qu'on le fasse), qu'il "a bien précisé qu'il n'était pas fermé à l'idée d'avoir des enfants" (what ? Mais, heu, et donc tes mômes actuels, tu les vends ? Parce que c'était ça l'idée de départ), que "si c'est son physique qui ne me plait pas, il n'y peut rien". Il ajoute qu'il "ne cherche pas d'amitiés donc inutile qu'on se revoit" (Mais... Je n'avais aucune envie d'être son amie !), et que, bon, tout de même, il doit avouer à contrecœur que j'ai un peu relevé le niveau des rencontres qu'il a fait avec l'agence. Que je peux lui envoyer un message si je le souhaite, il restera courtois (manquerait plus qu'il morde, le con !), mais qu'il ne souhaite donc pas une amitié.
Je suis incrédule à la lecture de son message, partagée entre le rire nerveux et l'effarement.
Après réflexion, je déciderai de ne pas répondre au message : j'ai bien trop vu avec Hector que ça n'amène rien, sinon des discussions stériles qui n'en finissent pas. Le type préfère tirer ses propres conclusions ? Qu'il se fasse plaisir, je lui laisse le dernier mot !
Quant à moi, je suis au moins soulagée d'être restée ferme : pendant un moment, j'ai failli accepter de le revoir pour ne pas entrer en conflit.
Cette fois, aucune culpabilité d'avoir repoussé l'autre. Je réalise la quantité phénoménale d'énergie qu'il va me falloir dépenser si je dois essuyer ce genre de conneries régulièrement.
C'était peut-être vraiment pas une bonne idée, cette agence...
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