lundi 12 septembre 2022

Ma première expo de peinture*

 (*Et peut-être la dernière)

 

C'était un défi lancé il y a déjà quelques temps... Très exactement dans mon bilan de 2019.
D'ailleurs c'est amusant, dans ce bilan, je disais, optimiste, que j'étais juste *un peu* plus longue que la moyenne pour accomplir des choses. Ah bah sans blague ! 

Depuis 2019, j'avais tout de même gardé l'idée en tête, et c'est en montrant des photos de mes réalisations à une collègue artiste, qu'elle m'a dit, songeuse : « Je réserve la galerie de la ville, et on expose ensemble ». 
Nous étions en 2021, et quelques jours plus tard, elle est venue me dire : « Note les dates dans ton agenda : on expose une semaine à l'été 2022 ».
La phrase qui, tout à coup, rend les choses très concrètes, et apporte un mélange d'excitation et de... Hum, j'hésite entre "panique" et "terreur". Mais restons sur "panique" : la terreur arrivera plutôt un mois avant la date fatidique.

J'ai eu un an pour me préparer. 
Naturellement, j'ai donc commencé à bosser 4 mois avant, et j'ai couru partout comme un poulet sans tête en me disant que je manquais de temps. 
"Je ne le ferai plus, ça me servira de leçon", ai-je dit. (Traduction : je ne le ferai plus, du moins jusqu'à la prochaine fois).

L'objectif d'un total d'une trentaine de toiles pour l'expo s'est éloigné, et j'ai finalement présenté seulement 17 toiles. 
Néanmoins, ma collègue en avait à peu près autant, et nous remplissions la galerie. Peut-être que quelques unes de plus auraient permis de mieux occuper l'espace, mais franchement, ce serait chipoter que de focaliser là dessus. 

Comme le temps me manquait, j'ai posé des après-midi par-ci, par là, pour travailler sur l'expo - et pour ne pas être au travail, il faut bien le dire ; une semaine auparavant, j'ai fondu en larmes devant ma cheffe (qui est doté d'un prodigieux manque de tact, quand elle n'est pas simplement odieuse) lui hurlant "Je veux partir d'ici ! Je ne veux plus travailler ici ! Je n'en peux plus !". (Ce qui n'a rien changé ni à mon quotidien, ni à mes rapports avec elle).
C'était donc extrêmement rafraichissant de rentrer du travail vers 13h, pour avaler vite fait un repas avant de plonger dans ma bulle jusqu'à 18h ou 19h, où j'émergeais d'une toile, d'un dessin ou d'un collage en disant d'une voix pâteuse "Oh, il est déjà l'heure là ?". Ca m'a rappelé quand je passais des concours, et que je restais concentré des heures, sur une plage horaire que j'avais dédié à ça - mais c'était nettement moins flippant et beaucoup plus sympa. 

A un mois de l'expo, j'avais beaucoup de toiles entamées, et peu terminées. Ma collègue me disait, à chaque début de semaine "Oh, j'ai fini 3 toiles ce week-end !". Et je me décomposais.

La créativité engendre la créativité, et je fourmillais d'idées. Je n'ai pas pu toutes les réaliser, mais j'ai adoré ressentir ça, j'ai adoré que ma maison sente la peinture, que mes mains soient constamment mouchetées de couleurs, que mes toiles soient posées partout dans ma maison pour que j'ai un œil dessus, et que je les complète, jour après jour. 
... J'aurais aimé m'y prendre plus tôt, pour que ce tourbillon de créativité m'embarque plus longtemps.
J'ai délaissé l'écriture pour un moment, m'épanouissant dans cet autre moyen d'expression. Et j'ai pu laisser de côté mes soucis avec l'Agence, ce dont j'avais bien besoin.
Sauf qu'après la délicieuse étape de la réalisation, il y avait donc l'exposition.
Et là, j'ai commencé à me dire que c'était peut-être tout de même un peu une idée à la con, quand même... 
Traduction : je flippais ma race
J'ai passé un mois à regretter, tout en me disant : "Stop ! Tu arrêtes de cogiter, tu voulais relever le défi, et tu vas le faire, et c'est ça le plus important !". 

Le jour de l'installation, nous avons déposé nos toiles dans la galerie, avant de les installer. 
Quel drôle de sentiment, que d'arriver dans une galerie totalement vide, que l'on va remplir avec ses propres toiles et dessins ! 
Quelle panique, en se demandant comment organiser tout ça, et dans quel ordre les présenter !
Bien sûr, c'est également à ce moment que j'ai réalisé que mes systèmes d'accrochages ne fonctionnaient pas du tout, et j'ai du tout refaire - heureusement que j'avais embarqué mes outils ! 

Un journaliste est passé, et m'a interviewé. "Ohlala, ohlala", ne cessais-je de me dire.
L'ouverture et le vernissage étaient prévus le lendemain.

Ma collègue et moi avons ouvert ensemble la galerie, le lendemain. Nous avions prévu de passer cette journée ensemble, et puis de se relayer pour la surveillance les jours suivants. Son compagnon est venu nous donner un coup de main, et nous tenir compagnie ; c'est un artiste-photographe italien, avec lequel je ne suis pas très à l'aise. Lorsque je lui apporte un café, de mon coffee-shop préféré (qui est justement juste à côté de la galerie, quelle chance), et que ma collègue lui lance « Il est excellent ce café ! Non ? Comment tu le trouve ? », il  fait un geste dédaigneux de la main et lâche du bout des lèvres, avec une moue méprisante : « Français ».
J'en pouffe encore lorsque je m'habille en prévision du vernissage, et que je glisse des fleurs dans mes cheveux.

Lorsque l'heure approche, la galerie est très vide - et on commence à flipper. Nous sommes en plein été, il fait une chaleur épouvantable, plein de gens sont en vacances... Et si personne ne venait ?!
Pire, un café sur la place en face fait un concert. On a l'impression que le groupe est en train de jouer dans la galerie. Comment pourra-t-on faire les discours ?!

Et puis à l'heure prévue, tout le monde arrive en masse. Avant qu'on ai compris ce qui se passait, on se retrouve avec une cinquantaine de personnes, l'adjointe au maire, l'élu à la culture, nos amis et nos collègues, et aussi des inconnus. 

C'est pile à ce moment là que le groupe fait une pause dans le concert. 

On en profite donc pour expédier nos discours, avant que la musique ne recommence.
Comme souvent, j'ai prévu un discours, je l'ai appris, je sais ce que je veux dire, j'ai des petites blagounes gentillettes, bref, tout est propre. Et, comme souvent, c'est donc au moment où j'ouvre la bouche pour le réciter, que j'oublie instantanément ce que je voulais dire, j'improvise, je rigole toute seule sous le regard consterné d'une assemblée qui n'était pas prête pour ça, et je refile rapidement la patate chaude à ma collègue, en la remerciant toutefois très sincèrement.
Celle-ci gère bien mieux l'exercice, et me met d'ailleurs énormément en avant dans son discours, en disant qu'elle croit en mon travail, qu'elle pense que mes réalisations méritent d'être vues, et qu'elle a beaucoup appris, en montant cette expo avec moi.
Je suis au bord des larmes, et rouge écrevisse.
Puis les politiques font un petit discours également, et ensuite nous pouvons enfin ouvrir les bouteilles - j'ai urgemment besoin d'un verre de vin.

Je discute de ci de là, je remercie ceux qui sont venu. On me dit "Félicitation !", et je m'interroge beaucoup sur cette étrange pratique. Félicitation pour quoi ? Pour exposer ? Parce que c'est bien ? Ou parce qu'il y a du monde ? C'est étrange, quand on y pense. Je préfèrerai que les visiteurs me disent plutôt quelles émotions les étreint en se baladant au milieu de tout ça.

Il y a des gens que je connais, d'autres que je connais de vue. Quelques artistes, amis de ma collègue, aussi. Beaucoup qui viennent me dire : « Et regarde [oui, les artistes sont une grande famille qui a élevé les cochons ensemble : on se tutoie], moi je peins ça !». Et de me montrer des photos de leur boulot.  Je me demande si c'est moi qui suis coincée, ou si c'est vraiment hyper indélicat de leur part - est-ce que c'est vraiment le moment pour ça ?! 
Arrive aussi un photographe, membre d'une asso du coin. Bon ami de ma collègue, du moins en apparence, car la façon dont il lui parle transpire tout de même (au mieux) la condescendance, mais elle ne semble pas en prendre ombrage. Il est accompagné d'une très jeune fille, que je prends tout d'abord pour sa fille. J'ai déjà posé pour lui - une fois, mais pas deux : je l'ai trouvé nul pour mettre les modèles à l'aise, et il attendais clairement sur moi pour lui dire où me mettre, et comment. Qui plus est, il était vraiment très impoli - je n'avais pas encore compris qu'il avait un ego surdimensionné. D'ailleurs il ne vient même pas me saluer, et se contente de parler de son travail aux gens qui veulent bien l'écouter. 
Et puis je l'entends parler de la jeune fille en disant : « C'est ma muse ! », et l'embrasser à pleine bouche. Petits rires légèrement gênés autour d'eux : il doit avoir cinquante cinq ans, et elle... Mon Dieu, je ne suis même pas sûre qu'elle est majeur. Elle sourit. Seigneur, elle porte même un appareil dentaire

Plus loin, un vieux, vieux monsieur me parle de shibari, et de soirées "artistiques" où tous ces vieux mégalo vont "pour l'amour de l'art". Ces mêmes "artistes" qui font des photos de femmes nues, soit très jeunes, soit très vulgaires, soit les deux, sur lesquelles ils ajoutent un vague filtre texturé sur photofiltre pour la dimension "artistique". Le genre de boulot qu'on faisait en 1ere année aux beaux-arts, et qui nous valait de (très) mauvaises notes.
Bref, le vieux m'encourage à venir, et dans ma tête, j'entends la voix d'un de mes collègues qui lance l'une de ses catch-phrase favorite « Patron, j'ai l'impression que le type là-bas, il me propose une partouze !! »

Je retourne prendre un verre, et soudain je me sens très seul, au milieu de mon propre vernissage. C'est quoi, ce festival de l'ego ? Je ne suis pas là pour qu'on me félicite, je suis là pour ouvrir le débat, interpeller, toucher, faire réfléchir. Qui est là pour ça ?!

Et puis un couple m'entraine, devant mon colossal triptyque sur les émotions : 3 dessins de 2 mètres sur 1 mètre, censés exprimer et faire ressentir les émotions fortes. "Expliquez nous !". Je raconte mon désir de représenter ces émotions qui souvent me submergent, mes observations face à ce monde qui ne les aime pas, ces choses que je veux à la fois montrer,  dénoncer, et provoquer.
Le type est un peu bourru, il grogne, et puis lâche "C'est intéressant. Il y a indéniablement du talent. Oui, beaucoup de talent. J'ai hâte de voir ce que vous ferez d'autres, notamment avec cette série".
Je suis tellement sidérée, intimidé, émue, que mes mains tremblent et que je vais me chercher un autre verre de vin.

Nous fermons la galerie dans la soirée. Le vernissage a duré 3h, et le concert, entre temps, a repris. Je retourne à ma voiture, avec ma robe cocktail, mes talons et mes fleurs dans les cheveux. Je n'arrête pas de me dire "Je l'ai fait. J'ai été jusqu'au bout, et je l'ai fait".
Je rentre, prend une douche et me couche ; je m'endors dès que ma tête touche l'oreiller, et ne me réveille que douze heures plus tard.

Les jours suivants, nous alternons la surveillance de la galerie. Nous aurons environ 300 visiteurs sur une semaine. Je m'occupe en tricotant ou en lisant, et je repense à celle que j'étais à 17 ans, qui entrait aux beaux-arts en rêvant, un jour, d'ouvrir une galerie. Au final l'ambiance élitiste des beaux-arts m'a écœuré, et mon rêve m'a vite paru bien futile. Pourtant, je ne suis pas mauvaise dans ce rôle - du moins lorsque je parle des toiles de ma collègue, car lorsque je parle des miennes, c'est comme si j'étais nue devant tout le monde.
Chaque jour, j'allais me chercher un chaï, car la galerie est juste à côté de mon café à chaï préféré. Le server venait me servir dans la galerie, et je dégustais ma boisson au frais, en grignotant les restes du vernissage. 

Le dernier jour, une fille est passée. La vingtaine, piercée et tatouée, gothique. Elle est venue me voir, les larmes aux yeux : "c'est vous qui avez fait les grands dessins sur les émotions, au fond ? Ca me parle tellement !". Elle me raconte qu'elle a des troubles émotionnelles, que c'est dur à vivre - surtout en société, et que ce que j'ai réalisé, c'est l'expression de ce qu'elle ressent si fort... Elle me remercie, elle est émue, elle pleure. Je suis désemparée, heureuse, émue, reconnaissante, je ne sais plus, mais je pleure aussi.
Et je me dis que pour ça, rien que pour ça, cette expérience était belle.

Et puis le 7e jour, il faut tout remballer. J'avoue que j'ai aimé cette bulle, mais un retour à la vie "normale" me convient aussi. Mes échéances à venir sont plus tranquilles, une petite dizaine de livres à lire d'ici la rentrée, et rien d'autre - quasi des vacances.
Retrouver les murs blancs de la galerie me fait un étrange effet - et en même temps, c'est un petit soulagement. 

Je ne sais toujours pas si, au final, j'ai aimé l'expérience. J'ai cru que seul le vernissage serait intimidant, mais en réalité tout le temps de l'exposition a été stressant, angoissant et intimidant. C'est comme de se montrer à poil, et de dire "ok, voilà, ça, c'est moi. Et regardez de près hein !". La peur que ça ne plaise pas est abyssale, la peur des remarques est vertigineuse, et les doutes sont légions. Et puis je ne suis pas sûre que les remarques sont intéressantes en réalité. Je voudrais juste que mon travail résonne, aide - comme cette jeune gothique. Un autre visiteur, artiste également, est passé, et m'a donné le meilleur des conseils qu'il était possible « Tu [oui, "tu" encore : famille, cochons, tout ça] auras toujours des gens pour te dire "tu devrais plutôt faire autrement". Et tu auras des remarques pour tout et son contraire. Franchement, ça n'en vaux pas la peine, fais juste ton truc ».
 
Ma collègue me harcèle en me disant que je dois absolument continuer - mais pour l'instant, j'ai surtout besoin de repos. 
Et de temps, avant de savoir ce que je pense de tout ça.  

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