lundi 18 mars 2019

Conversation avec cet osteo


Depuis quelques temps déjà, j’avais le dos bloqué - plus précisément au niveau de la hanche. Depuis Nathan, certes, mais à vrai dire ça commençait à aller mieux. Enfin, jusqu’à ce que j’aille faire du canyoning en Guadeloupe et que je choisisse le niveau 3+ en guise d'initiation, le tout sous un véritable déluge, pendant que le guide me hurlait dessus continuellement en me disant qu'il faudrait peut-être que je commence à me sortir les doigts et que je passe la seconde - alors qu'on n'arrêtait pas de courir et, qu'on je me bouffais tous les rochers possibles. J’en suis repartie en ayant l’impression d’avoir joué avec ma vie et d'avoir déboîté mon bassin.
Un mois plus tard, ma fesse gauche n'était plus violette mais c'était bien la seule bonne nouvelle ; après une énième nuit à pleurer dans mon lit parce que j’avais trop mal, j’ai décidé d’aller voir quelqu’un, n’importe qui du moment que ça pourrait me soulager, et le plus vite possible..
Après divers recherches, j’ai opté pour cet ostéopathe.

Jeune, peut-être une trentaine d’année, peut-être moins. Mince, mignon. Très calme, très posé. Il pose des questions extrêmement précises, dans un ordre que je devine étudié. Sa voix est douce, basse. Il chuchote presque.

Il me demande de me mettre en  sous-vêtements. Soudain, je réalise à quoi je ressemble : Je sors du boulot, je sens la transpiration. Je porte un soutien-gorge taché de peinture (j'ai repeint ma cuisine en sous-vêtements, cet été), et une vieille culotte détendue rescapée de mes années lycées. Elle est rouge à carreaux (ma période punk), et les bords d’une énorme serviette hygiénique dépassent de partout – mes règles se sont déclenchées au boulot il y a quelques heures avec plus d’une semaine d’avance, et je n'avais rien de mieux sous la main. Des poils débordent de partout, et mes jambes sont littéralement velues.  
Attention, voici le monstre menstruel qui arrive !
Je crois qu’une partie de moi avait occulté que j’allais finir à moitié nue.
AHEM

Il me fait mettre debout, il me fait me pencher, il regarde, il fronce les sourcils, il me fait m’allonger. Il me pose d’autres questions, il acquiesce avec des petits « hmm hmm » que je trouve sexy. Mon corps est incapable de se détendre. Il chuchote « Laissez moi faire », son torse contre mon dos, en essayant de m’aider à pivoter. J’ai la chair de poule.

Il est à moitié sur moi, je sens le bas de sa barbichette qui chatouille mon épaule, je sens son souffle sur ma peau. Plus tard, je m’aperçois que je peux sentir son cœur battre à travers le tissu de son tee-shirt.
Je me suis mise à chuchoter moi aussi.
Il y a une ambiance très intime qui m’affole et me perd complètement.

Je suis recroquevillée, pendant qu’il tire sur mes jambes et fait pivoter mon buste.
« Vous avez un chat noir ? »
« Comment le savez-vous ? »
« Vous êtes trop blondes, ça se voit bien »

Son sourire est adorable, lorsqu’il s’autorise à l’esquisser.

Je suis allongée sur le dos. Il me parle de son chat à lui. Il me dit que c’est son premier chat. Qu’il a toujours eu des chiens. Mais qu’en appart, il ne voulait pas de cette vie-là pour un chien. Alors il a pris un chat. Et finalement, c’est bien.
Je parle des chiens. Que ça m’a effleuré d’en prendre un – pour ne pas randonner seule, et pour me balader avec. Mais que c’est plus de responsabilité qu’un chat, qu’il faut le sortir à heures fixes, sauf que j’aime mon indépendance, partir et rentrer quand je veux. Que finalement, un chien ne serait qu’un caprice.
Je termine sur un petit rire, qui s’étiole doucement dans l’air. Un petit temps, et puis il demande, de sa voix basse et sans intonation particulière :
« Et les hommes… C’est un caprice ? »

Ma gorge se noue. Je suis prise au dépourvue.
J’essaie là encore de lancer un petit rire – mais ça ne fonctionne pas, et mes yeux se remplissent de larmes.

« Non. Les hommes ne restent pas avec moi, c'est tout ».

Plus tard.

Il m’a tordu un peu dans tous les sens, un truc a bougé dans mon flanc, et je me tortille sur la table en gémissant
« Vous m’aviez dit que ça avait l’air barbare, mais que ça ne ferait pas mal ! »
« J’ai dit ça »
« Mais vous m’avez menti ! ». Je suis offusquée.
« Non…. Oui….. »
Je crois qu’il est aussi surpris que moi. Cela dit, j’ai l’impression que quelque chose a bougé, et que la pression est moins forte.

Encore plus tard.

Je suis assise sur le bord de la table. Il incline ma tête, et essaie de débloquer mes trapèzes.
J’ai la tête qui tourne, je me sens épuisée.
« Et…. La solitude…. Ce n’est pas trop dur ? »
De nouveau, ma gorge se noue.
« Si, ça l’est ».

Lorsque la séance se termine, je suis extrêmement perturbée. Je ne sais pas ce qui s’est passé. J’ai l’impression d’avoir partagée trop de choses, d’avoir été intime avec cet homme. Je suis perdue.
Il m’appelle par mon prénom. Il soupire. Me dit que c’est assez incroyable l’étendue de mes contractures. Que concernant mon bassin, ça devrait s’atténuer  doucement sur les 7 prochains jours. Mais qu’il y a beaucoup de choses à faire pour tout le reste. Que le corps marque aussi les chocs émotionnels, les traumatismes, bref, tout ce qu’on vit. Et que ça, il faudrait que je m’en occupe lorsque je m’en sentirais capable.

La séance a finalement durée moins d’une heure. Il me regarde droit dans les yeux, de derrière son bureau. 
Il joue avec son alliance. 

Quelqu’un toque à la porte. Il jette un « Un instant ! » impérieux. Son regard ne me quitte pas. « Vous avez d’autres questions ? »

Non, je n’en ai pas.

Je repars, complètement chamboulé.
Je me couche dès que je rentre. Je pleure un peu.
J'ai son odeur dans mes cheveux.

Cette question tourne dans ma tête : « Et les hommes… C’est un caprice ? »

Je ne suis même pas certaine d’avoir vraiment compris ce que ça voulait dire. 

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