Après la dernière fois, et sa drôle de décision de ne pas poser de rendez-vous, je me suis finalement sentie plus libre - et puis j'avais la possibilité de lui écrire à tout moment pour reprendre rendez-vous, et en fait j'adorais ça.
Je lui parlais toujours dans ma tête à longueur de temps, mais j'envisageais aussi de ne plus le revoir : j'avais nettement moins mal, et il me semblait que je n'avais plus besoin de ses services.
... J'ai toutefois revu mon jugement lorsque je me suis retrouvée coincée tout un week-end.
J’ai longuement hésité, n’étant pas sûre de la légitimité de mon rendez-vous (est-ce que j’ai vraiment mal ? Est-ce que c’est autre chose ?)… Et puis à 1h du matin, alors que je souffrais le martyr dans mon lit avec mon dos bloqué, j’ai envoyé mon message.
Il me répondait à 5h40 du matin.
Pour une fois que je rigolais pas, en plus... |
Finalement le mercredi en question, il m’écrit dans l’après-midi pour m’apprendre qu’il est malade. Je lui dis de me prévenir lorsqu’il sera revenu, et puis je n’ai plus de nouvelles. En passant devant le cabinet le lendemain, je vois qu’il est ouvert. Ça provoque chez moi des émotions très intenses, et je me mets à me demander si son histoire est vraie, ou s’il attend que je réécrive à nouveau, si c’est un test... Je suis dans un état abominable, et je déteste ça. Et par-dessus tout, je me dis que je ne pourrais pas gérer mon dos sans aide.
Il me rappelle le vendredi, alors que je suis à la boxe. Je lui confie que je me suis demandée si son silence était un test ; « Je ne suis pas un pervers ! » s’indigne-t-il.
« Je n’aurais pas employé ce mot là », dis-je en rigolant.
« Je pars en vacances mercredi, mais je ne veux pas partir sans vous avoir vu » dit-il de sa voix grave et posée. Je ferme les yeux et soupire. Cet homme n’a aucune conscience des mots qu’il dit, et de ce qu’ils peuvent provoquer en moi.
On passe 10 min en joutes verbales téléphonique, nous chahutons comme des petits chiens fous. Je l’entends glousser au téléphone, et ce son me rend heureuse.
Nous prenons rendez-vous pour le lundi suivant, à 20h. Horaire on ne peut plus inhabituelle, mais il insiste pour rattraper son retard avant ses vacances, alors je m’incline.
Le lundi en question, j’arrive épuisée pour ma 4e séance. Je me traîne, j’ai mal au dos et aux épaules, à tel point que désormais, ça tire jusque dans ma clavicule. Je suis dans un état de fatigue extrême, car je dors très mal depuis des semaines, et je me sens comme un petit papier chiffonné.
C’est d’ailleurs la première chose qu’il me dit en venant me chercher dans la salle d’attente : « Vous avez l’air fatiguée ».
Ce à quoi je réponds, bien évidement : « Merci de me le faire remarquer, c’est très délicat de votre part ! ».
Il glousse, en me précédant dans le couloir jusqu’à son cabinet, et ça me fait rire. Lorsqu’il s’installe à son bureau, il me regarde avec cette intensité un peu dérangeante, et avec son beau sourire. On glousse, on a envie de rire, on ne sait même pas pourquoi. Dès que je commence à parler, il éclate de rire, et inversement. Je crois qu’on est content de se voir. Moi, en tout cas, je le suis.
Je redeviens sérieuse en expliquant à quel point je suis bloquée et que j’ai mal. Bien sûr, je ne peux pas m’empêcher de glisser une ou deux blagounes dans mes explications, ou des attitudes humoristiques – et je le regarde pouffer, en produisant ce son un peu aigu que je trouve adorable. Son sourire barre son visage malgré lui, et je repense à l’homme très droit, très professionnel et presque austère que j’avais vu à la première séance.
Il me demande comment se sont passés les jours suivants la précédente séance - je dis que ça a été, que ça a été plus tranquille, et que je pensais sincèrement ne plus avoir besoin de revenir.
Que dans l’ensemble, c’est tout de même quand je commence à me poser, que j’ai le plus mal. Le reste du temps, je laisse mes douleurs en arrière plan.
« Et outre l’aspect physique, comment ça a été ? » demande-t-il.
J’explique que là aussi, c’est mieux passé. Peut-être parce que cette fois j’étais plus attentive, et que j’étais prête à faire face en cas de besoin. Je dis que, peut-être, ce n’était finalement pas lié à nos séances – Mais en le disant, j'en doute franchement.
« Ok, mettez-vous en tenue » dit-il.
Je me déshabille. Comme j’étais en congé, j’ai pu prendre une douche juste avant de venir, et ça me tranquillise un peu – je déteste quand je viens après le boulot, et que j’ai mariné dans mes fringues toute la journée.
Il regarde directement mes chaussettes, et son sourire s’élargit. « Excellent choix ! »
Moi, je fulmine : « Ah non mais non mais vous êtes gonflés vous hein ! Vous croyez que c’est facile d’être là à moitié nue, et puis vous vous moquez, c’est pas juste ! » => En bref, je m’excite pour rien et je suis complètement incapable de dire ce que je veux, à savoir, si je m’étais exprimée correctement au lieu de m’étouffer d’indignation : « C’est extrêmement compliqué pour moi de me retrouver à moitié nue - même si j’entends bien que c’est médical - et je conçois que vous n’avez pas le même rapport au corps que moi, mais donc au lieu de vous payer ma tête, soyez un peu délicat. Ou alors on se met à égalité, et vous vous mettez à moitié nu vous aussi ! »
Mais donc je ne parviens qu’à balancer des bouts de phrases indignées, et il hausse un sourcil : « Mais... Mais enfin je n’ai rien dit ! Je dis juste que j’adore vos chaussettes ! ».
Je grogne, probablement plus frustrée contre moi-même que contre lui.
Il regarde mon dos, mon bassin, ma nuque, me demande exactement où j’ai mal au niveau de la hanche. Il me fait asseoir, il touche, il palpe.
Il pose sa main pile sur un énorme bleu que je me suis fait il y a quelques jours à la boxe. Je sursaute et attrape sa main « Ah ! Stop ! Pardon ! J'ai un bleu ici, ça fait mal !". Il soulève nonchalamment l'élastique de mon slip, qui cache l'énorme tache jaune-verte qui s'étale sur ma hanche. Il me jette un regard insupportablement ironique, son sourire toujours plaqué sur son visage.
« Ça va bien le boulot ? » demande-t-il.
J’hésite. Je cherche une réponse honnête, mais sans entrer dans les détails. « Si ce n’est pas “oui”, c’est que ça ne va pas », dit-il en coupant court à mes réflexions.
Je soupire. « Ce n’est pas que ça ne va pas... C’est juste que... C’est compliqué pour moi au travail en ce moment ».
« J’ai tout mon temps. On est là pour une heure. Allez-y »
« C’est quand j’ai reçu un mail vendredi de ma directrice et que j’ai fondu en larmes au bureau que je me suis dit que j’étais beaucoup trop impliquée émotionnellement, et que je ne pouvais pas continuer comme ça »
Il me demande des détails, la teneur du mail, il rationalise « Mais ce n’est pas si important, en fait ? ». « Non, sans doute... Mais j’ai beaucoup d’affection pour ma Directrice, et c’est surement ça qui fait. Je ne veux pas la décevoir. Et comme la veille j’étais déjà passé pour une truffe en réunion, c’était un peu le truc de trop ».
« Je comprends »
Puis il me fait allonger. Il fait bouger ma nuque, j’ai mal, je grimace, il me parle, je n’entends rien, il réalise qu’il a posé ses mains sur mes oreilles, il retire ses mains, me demande « Ça va ? », j’acquiesce, je me fais mal en acquiesçant, et je suis hyper tendue parce que j’ai peur d’avoir mal.
« Vous me faites confiance ? » demande-t-il en se penchant sur moi et en faisant une sorte de clef sur ma tête avec ses bras.
Je balbutie, mal à l’aise. « Vous pouvez ne pas me faire confiance, ce n’est pas grave »
« D’accord, alors je ne vous fais absolument pas confiance »
Il fait des gestes un peu saccadé, je ne sais pas trop à quoi m’attendre, jusqu’à ce que, d’un mouvement sec, il fasse craquer ma nuque. Je déteste ça. Lorsque la douleur reflue, je chuchote « Vous avez essayé de me tuer, j’ai bien vu »
« Mais non, dit-il très sérieusement. Ce n’est pas comme ça qu’on tue quelqu’un. Je ne m’y serais pas pris comme ça si je l’avais voulu ».
Je me suis demandée s’il savait vraiment comment briser la nuque d'une personne. J’ai préféré ne pas demander.
Plus tard, il me demande « Maintenant que vous avez un peu de recul, avez-vous identifié les raisons qui vous ont provoquez cet état de mal-être de la dernière fois ? »
Je me demande si j’oserais.... Si je saurais m’expliquer.... J’ai pourtant réussi à identifier les choses devant mes amies. Je pourrais dire « Je pense que, dans l’état qui est le mien actuellement, dans mon état de solitude, voir quelqu’un qui a mon âge, qui est très séduisant, qui est bienveillant, qui est à l’écoute et avec qui je me m’entend bien, fait écho à quelque chose que j’aimerais avoir dans ma vie. Et c’est sans doute ce qui a provoqué un état de tristesse pareil, parce que c’est quelque chose qui me manque. Ce n’est pas votre faute, et ce n’est pas réellement lié à vous – car vous faite seulement votre métier »
Sauf que je n’ai pas préparée ma réponse, que soudain je panique, que j’ai peur de m’emmêler les pinceaux... Et puis une part de moi à honte de dire ça. Alors je mens, je dis que non, je ne sais pas. Que c’est sans doute juste que je suis vulnérable en ce moment, du fait de ma thérapie.
Je m’en veux.
Il vient à mes pieds, de nouveau il regarde mes chaussettes. Il soupire : « Je suis jaloux »
« Quoi ? »
« Je suis jaloux : elles sont trop bien vos chaussettes »
Une part de moi se dit « Il était sérieux, le con ! ». Je rigole un peu. « Ma mère a une passion immodérée pour m’offrir des chaussettes affreuses »
« Affreuses ???? Vous n’avez aucun sens de l’esthétique » lâche-t-il dédaigneusement.
Je ricane. « Ça doit être ça, vous avez raison ».
Lorsqu’il revient à ma nuque, ses gestes sont très pro. Comme une fois précédente, il passe mes cheveux derrière mon oreille – mais avec empressement, et sans la douceur de la fois d’avant. C’est sans doute mieux – mais j’aimerais surtout qu’il arrête de faire ce geste qui est beaucoup trop intime pour moi.
« Vous semblez attentive » dit-il alors que je suis concentrée sur ses mouvements.
« Oui, j’essaie de rester concentrée pour rester détendue. Ça semble surement un peu paradoxale mais... » Je m’interromps parce qu’il a fait un petit bruit « Je ne suis pas du tout détendue c’est ça ? Et ce que je dis semble stupide ? » « N’interprétez pas les bruits que je fais » « Ok, ok. Bon. Donc la fois précédente, j’ai eu l’impression d’être en lutte contre vous, et c’était pénible, donc j’aimerais être plus tranquille cette fois-ci, et j’ai besoin d’être attentive pour me laisser faire »
« Vous réfléchissez trop »
« Ah, oui, on me le dit souvent ! »
Plus tard.
« Ca va ? »
« Je n’ai pas mal »
« Ce n‘est pas ce que je voulais dire »
« Que vouliez-vous dire ? »
« Si vous allez bien »
« Vous voulez dire en général, ou là tout de suite ? »
« Là »
« Oh. Oui, ça va »
Je fronce les sourcils.
« Ça vous parait bizarre que je me soucie de comment vous allez ? »
« Oui » dis-je sincèrement. Parce que je me demande bien dans quel monde on peut avoir cette conversation alors que je suis à moitié nue, en slip “Nightmare Before Christmas” et chaussettes bleu pétant avec des pandas, ma jambe plus ou moins au-dessus de sa tête et sa main sous mon bassin.
« Vous êtes bizarre » finit-il par dire.
« Ah ben j’allais vous dire exactement la même chose ! » dis-je joyeusement.
« Moi, bizarre ??? Je ne suis pas bizarre !»
Je hausse un sourcil : « Vous préféreriez que je dise que vous êtes incroyablement banal et affreusement prévisible ? »
Il réfléchit très sérieusement pendant plusieurs secondes. Puis lâche un “Non” catégorique.
Eh bien voilà, on est d’accord.
On passe un long moment où il me fait des mouvements très doux, et où je manque de m’endormir - je me demande si c’est ça qui me manque pour réussir à dormir la nuit, avoir juste quelqu’un près de moi. Et puis il dit « Profitez-en, je vais vous secouer un peu après ça »
Et effectivement, juste après, il me coince une jambe entre ses jambes, me grimpe à moitié dessus, et fait craquer mon bassin. Mon dieu que je déteste ça. « Ne vous inquiétez pas, au pire ça fera mal ». Mais moi je ne veux pas avoir mal...
Il recommence une seconde fois, et je me tortille sur la table. « Ah ben c’était bien, je suis contente d’être venue » dis-je en ricanant nerveusement.
« Vous avez dit quoi ?! Que c’était bien ?! »
Je m’esclaffe, des larmes de douleurs dans les yeux. Il me regarde comme si j’avais complètement pété les plombs.
Plus tard.
« Savez-vous comment les douleurs du corps et de l’esprit s’entremêlent ? »
Je secoue la tête.
« Je vais vous expliquer »
Et puis :
« Je peux vous parler ? »
J'acquiesce, amusée, hésitant à lui faire remarquer qu'on est déjà en train de parler, et qu'il aura fait le tour, en 4 séances, de toutes les façons possibles de poser une question.
« Je voudrais vous savoir en sécurité. Je ne suis pas médecin. Ni psy. Vous allez voir une psychologue, et c’est une bonne chose. Mais... Dans certains cas, un psychiatre – qui est un médecin - est plus à même de définir une situation. Lorsqu’on a mal au ventre, on va voir un médecin ».
Je l’interromps, en levant les yeux au ciel « Oui, je sais, c’est une maladie... »
Il fronce les sourcils « Non je ne ... »
« Et puis quoi, je devrais absolument prendre des médicaments ?! »
« Mais enfin laiss... »
« Je ne crois pas que ça changerait grand chose »
« S’il vous plait, laissez-moi finir mon exemple »
« D’accord, allez-y, pardon »
« Donc lorsqu’on a mal au ventre, on va voir un médecin.
Il me regarde. « Ou on se dit qu’il va nous filer du Doliprane, et on n’y va pas. C’est ce que vous feriez, je me trompe ? »
J’acquiesce, un peu gênée.
« Le médecin va peut-être dire “Prenez du Doliprane, et si ça passe, c’est bon”. Ou peut-être que le médecin détectera quelque chose d’autre, quelque chose de plus grave, ou une maladie. Et seul le médecin sera à même de faire ça »
Il multiplie les contacts, sa main tapote mon genou, caresse machinalement ma peau. Mais je suis glacée par ce qu’il vient de dire.
J’ai les genoux contre son ventre, pendant qu’il me fait faire d’obscurs mouvements. Je sens que je commence à trembler.
« Vous pourrez bientôt vous rhabiller. Je vous sens trembler comme un petit poussin mouillé »
Mais ce n’est pas de froid, que je tremble.
« J’entends ce que vous me dites. Mais allez voir un psychiatre, ça veut aussi dire dérouler mon histoire, encore. Je le fais avec ma psychologue, et c’est loin d’être facile. Vous, vous êtes là aussi, et vous posez des questions, et c’est compliqué pour moi. Ajouter encore quelqu’un d’autre à tout ça... Pour moi c’est difficile »
« Je comprends. Mais si les choses deviennent trop... Difficile.... Ne vous mettez pas en danger. Soyez attentive à cela, et réagissez. J'aimerais vous savoir en sécurité »
« Je pense que je le suis »
Une part de moi est en colère ; si la fois précédente, j’avais exprimé mon mal-être, cette fois-ci il me semblait que je me montrais plus équilibrée. Certes, je ne me suis jamais cachée d’être une personne avec des hauts et des très bas. Mais pour autant, je me sens presque attaquée. Je me sens... folle.
Et après ma rencontre avec mon ancienne prof de philo, il y a trois jours, la question de la folie est très sensible.
Et après ma rencontre avec mon ancienne prof de philo, il y a trois jours, la question de la folie est très sensible.
Lorsqu’il a fini, il dessine pendant que je me rhabille. Je vois apparaître sous ses doigts un squelette. « Je suis désolé : c’est vous »
Et il m’explique comment les nerfs font circuler les informations, comment la moelle épinière centralise tout ça, comment les signaux sont décryptés. « Si une épine vous rentre dans l’orteil, le signal passe par ici » Il fait un schéma parallèle, me montrant le cheminement d’une sensation douloureuse. Il m’explique que seules 5% des sensations viennent à notre conscience. Et que toutes ne sont pas, bien sûr, des sensations douloureuses.
J’acquiesce, me demandant où il souhaite en venir exactement, avec son cours magistral de biologie. J’avoue perdre un petit bout du cours lorsque mon regard glisse sur ses doigts, et passe sur la blancheur de son avant-bras, le dessin de ses veines, le creux de son coude. Il s’est interrompu et a suivi mon regard, et je m’empresse de reporter mon attention sur son petit dessin de squelette et de système nerveux.
« Dans certains cas, la limite entre sensations et douleurs s’abaisse, et des informations qui ne devraient pas être interprétés comme douloureuses le sont. Il peut y avoir de nombreuses raisons à cela, je vais en citer plusieurs en exemple : Fatigue, stress.... maladie mentale... » Il me regarde et ajoute doucement « …. ce n’est pas un gros mot, »
Il dit d’autres choses, mais je n’écoute plus.
Lorsque je reprends le fil de son discours, il dit « Je ne constate pas sur votre corps quelque chose qui peut provoquer autant de douleurs. Si on reprend l’exemple de l’épine, c’est une petite épine - mais que vous ressentez comme une grosse. Ma porte vous sera toujours ouverte : vous pouvez venir, m’utiliser comme un outil, et je retirerai un peu cette épine. Mais le gros du problème n’est pas là. Attention, je ne dis pas que la douleur est imaginaire : elle ne l’est pas. C’est la sensation qui est exacerbée »
Je suis désespérée. Les mots “Maladie Mentale” tournent dans ma tête, je regarde fixement ce dessin, et je repense à il y a cinq jours, où j’ai pleuré toute la soirée, en me disant « Tu es folle, tu es complètement folle et personne ne pourra jamais aimer quelqu’un comme toi, toujours en lutte contre ses idées noires, toujours en lutte contre elle-même ».
Je me sens folle, je me sens insultée, et surtout je me sens abominablement fatiguée.
« Il n’y a pas de quoi être déprimé » dit-il.
Je ris, désabusée « Ah oui ? Moi je trouve ça désespérant ! »
Je me demande comment on fait, lorsque non seulement son esprit, mais aussi son corps déconne. Comment on fait, lorsque les capteurs de douleurs sont devenus fous, et que ça vient d’autre part, de ce cerveau incontrôlable. Parce que finalement, l’ostéopathe ne fait que traiter des conséquences, et pas du tout la cause... Et donc ça ne sert à rien.
« Je déteste ça, dis-je dans un murmure. Je déteste être comme ça, je déteste celle que je suis, je ne veux pas être la personne que je suis »
J’ai les larmes aux yeux. Je me dis que je ne reviendrais plus jamais ici, que ça ne sert à rien. Je m’ébroue, car j’ai une dernière question que je souhaitais poser, et que j’ai failli oublier : « La dernière fois, vous m’avez dit que vous aviez noté dans mon dossier qu’il ne faut pas m’embêter. Pourquoi avez-vous dit ça ? Pourquoi l’avez-vous écrit ? C’est quoi l’image que je renvoie, l’image que l’on se fait de moi aux premiers abords ? »
« Quelle est votre question ? »
En réalité, ma question est un peu obscure pour moi-même également, et elle a mille intérêts. Le premier étant peut-être d’essayer de le désarçonner.
« Je crois qu’il y a un gouffre entre ce que l’on est, ce que l’on croit être, et l’image que l’on donne. Je me demandais quel était donc l’image que je pouvais renvoyer pour que vous disiez ça »
Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire, mais il me déstabilise trop pour que j’arrive à formuler les choses comme je le souhaiterais. J’avise son sourire goguenard, et je chuchote « Arrêtez de sourire comme ça ! »
« Je me souviens pourquoi j’ai dit ça. Déjà c’était pour vous embêter - j’adore vous embêter, vous avez remarquée ? Et puis j’ai rarement des patients qui sont capables de mettre des high-kick. Il vaut mieux que je sois au courant. Cela dit, dit-il en me jetant un coup d’œil, je sais me défendre. … Vous remarquez comme je glisse cette information l’air de rien ?! Comme ça, c’est fait.
Je trouve ça très sain de faire un sport de contact. Je fais moi-même de rugby [là encore, je le regarde, et me demande comment c’est possible]. Je pense qu’on a tous en nous de l’agressivité, qu’il nous faut canaliser. Le rugby est moins violent que la boxe, et puis ça reste ludique – on joue à la balle hein, rien de plus - mais ça reste un sport où on cherche le contact, on cherche à faire mal, on cherche la blessure éventuellement, si ça permet de gagner »
« Je n’imaginais pas cet état d’esprit »
« Venez au bord d’un terrain lors d’un match, vous comprendrez » dit-il en souriant, avant de reprendre la question première :
« L’image que j’ai de vous, elle se construit et elle évolue au fil des séances. Et ce que je pense de vous... Je n’en dirais rien, car ça m’appartient ».
Je ne peux retenir un petit claquement de langue agacé. Il est très fort. Excellente réponse.
J’ai le sentiment que la porte est refermée. Il se lève, mettant fin à la séance. Je réalise qu’il est 21h30, la séance à durée 1h30. Pour moi tout est terminé : je crois que je ne veux plus venir, je crois que ce qu’il a dit m’a beaucoup trop blessée, et puis ce doute : me trouve-t-il folle ? J’en ai l’air ? Je le suis ?
J’ai envie de lui demander, mais ce n’est pas son rôle.
Je m’enfuie, je lui serre la main sans le regarder, il dit « Prenez soin de vous », je réponds « Bonne vacances », et je suis déjà dehors lorsqu’il me remercie.
Avec le recul, je pense que j'ai extrapolé "maladie mentale" : J'ai entendu "folie", j'ai entendu "camisole", j'ai entendu "bonne à faire enfermer".
Je ne dors quasi pas de la nuit – j'avais la certitude qu’il se passerait quelque chose de décisif à cette séance, mais je n’imaginais pas que ce serait ça. Il me manque pourtant une véritable clôture.
Je prends la décision, vers 2h du matin, de lui écrire une lettre le lendemain, et de lui dire tout ce que je n'ai pas su lui avouer. Ça sera ma clôture.
Cette décision m'apaise.
Médicalement, c'est ptet fini (j'en sais rien) mais sentimentalement, j'ai des doutes. J'ai hâte de savoir ce qu'il y aura dans cette lettre...
RépondreSupprimerSinon, moi j'veux bien me dévouer pour faire un câlin, si ça peut dépanner. ��
C'est drôle que tu dises ça, j'ai longuement hésité à la publier ici, cette lettre - et toi tu dis ça comme une évidence :)
SupprimerEn tout cas, je confirme : 1 mois après, balancer mes sentiments a été ma meilleur décision, je me sens complètement libérée de cette histoire :)
Et si je de nouveau besoin d'un ostéo, j'irai en voir un autre.
(Cela dit, j'ai appris hier que je le reverrais lors d'une animation à mon taf fin de ce mois-ci ; il est inscrit avec sa femme. AHAH. Eh bien ça fera surement un bel article -_-° )
Merci de ta sollicitude désintéressée et altruiste ;)
J'y penserais le prochain coup que je monterai à Metz (ça tombe bien, j'y suis tous les mois en ce moment XD )
Ah oui, en fait, maintenant que je relis, j'ai supposé que t'allais la poster alors que t'en parles absolument pas. C'est mon côté un peu curieux/voyeur... Et sûrement aussi parce que si j'avais écrit une lettre de mon côté, je l'aurais posté.
SupprimerMais après avoir lu cette lettre, je suis resté sur ma faim. Enfin c'est un bien grand mot, mais je m'imaginais que t'allais lui dire que t'étais un peu tombée amoureuse de lui et que tu trouvais son ambiguïté et son manque de professionnalisme très très limite, mais t'as été vachement soft je trouve. :)
Il a pas répondu, si ?
Enfin si ça t'as permis de te libérer l'esprit, c'est le principal.
Désintéressé et altruiste, c'est tout moi ça. ;)
Je me suis demandé si j'aborderais les choses qui m'avaient perturbées : l’ambiguïté, ces remarques sur ma santé mentale, les trucs qui m'avaient blessés... Et en fait c'était pas le but (je m'en suis rendu compte en écrivant) : je voulais balancer ce que je ressentais, et le reste ne m'intéressait plus.
SupprimerMais je suis la première surprise de voir ce drôle de fonctionnement de mon cerveau !
Il n'a pas du tout répondu, aucunes nouvelles. Ce qui me convient, finalement... (même si j'ai tout de même attendu fébrilement pendant 2 semaines)