lundi 5 août 2019

Mon mec est à l'hôpital psychiatrique (suite)

Mardi soir, le père de Julien, alias Julien Senior m'a appelé. Sa voix était chaude et joyeuse. Je me suis aussitôt détendue, et j'ai souri, attendant la bonne nouvelle : Julien était sorti d'isolement le matin. 
Il y sera finalement resté 3 jours. Son père pense tout haut, mais du bout des lèvres, que c'est parce qu'il a été violent. 
On n'en parle pas trop.

On s'appelle presque chaque jour. Depuis que son fils est sorti d'isolement, les nouvelles sont presque toujours : « Il va de mieux en mieux ».
Une fois, ému, ce monsieur que j'appelle dans ma tête "Monsieur Barbapapa" m'a soufflé : « Aujourd'hui, il a ri ! Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu Julien rire ! » 
J'ai repensé au sourire de Julien, plutôt canon quand il se laisse aller. Petit pincement au cœur, et encore cette question : Qu'est ce qui s'est passé ? Comment on en est arrivé là ?

Julien Senior a pu récupérer la voiture, qui apparemment n'a pas été une mince affaire à dégager du fond de la foret. 
Il a rapporté sa carte Sim à Julien aussi, et lui a prêté un autre portable, vu que le sien était éclaté.
« Il vous a contacté ? » me demande-t-il.
« Non. J'ignorai même qu'il avait de nouveau un portable »
Il hésite, puis me dit gentiment : 
« Je pense qu'il vaudrait mieux que vous ne le contactiez pas »
« ... Je pense aussi », je répond en toute sincérité. Et pourtant, même si je suis entièrement d'accord avec lui, ça me fait mal. 
J'ai ce sentiment très incongru d'être rejeté. C'est pourtant déplacé et hors de propos.

Je pense souvent à Julien. 
Je fais du vélo, nez au vent, et soudain je pense à lui, seul entre les murs blancs et nus de l’hôpital psychiatrique où il est interné. Petit pincement au cœur. Je suis libre, je suis dehors, je fais partie du monde - lui non. Que pense-t-il ? Est-ce qu'il pense à moi ? Est-ce qu'il m'en veut ? Est-ce qu'il s'en veut ?

Bizarrement, même s'il a de nouveau un portable, mon dernier texto n'a jamais été remis. 
Peut-être n'a-t-il jamais rallumé son portable.

Je me demande, insupportable doute, qui est Julien : est-ce que ses crises, sa possessivité et sa jalousie étaient liés à sa maladie ? Lié à sa paranoïa non soigné ? Est-ce que cette histoire aurait pu marcher ? Est ce que, soigné, il ne restera plus que les qualités que j'ai aimé chez lui : sa compassion, son écoute, et le fait que je me sentais libre d'être moi même, naturelle ?
Mais d'ailleurs, qu'en est-il de nous deux ? Qui suis-je ? Est-ce qu'un jour, il reviendra sonner à ma porte « Salut, je suis sorti » ?

J'ai cette question au bord des lèvres, que je n'ose pas poser à Julien Senior : « Est-ce qu'il parle de moi, parfois ? »

Je ne sais pas trop s'il y a toujours un "nous". Que fait-on, dans ces cas là, quand le mec qu'on connait depuis 2 mois se retrouve à l’hôpital psychiatrique ?
Il y a les réponses toutes faites, les conseils des uns et des autres, le tourbillon d'émotions, et puis l'empathie et la sympathie que je ressens. Les conseils, c'est bien gentil ; mais quand on est coincée dans cette situation, c'est déjà autre chose.

Je me demande pourquoi Julien Senior et moi nous appelons si souvent. Ça en devient bizarre - je ne suis personne, finalement... Passé l'urgence immédiate, la peur et le souci, est-ce que je ne devrais pas disparaître, et les laisser en familles gérer cette crise ?
C'est un peu comme lorsqu'on est debout à côté de quelqu'un, et qu'une autre personne vient discuter - on hésite à partir, on n'ose pas, on attend un peu... On s'attend à ce que ça ne dure pas trop longtemps, et finalement, le temps passe, et on se dit "Mince, j'aurais dû partir plus tôt. Si je pars maintenant, c'est bizarre. Mais clairement, là je suis de trop. Et finalement, c'est bizarre aussi".
C'est un peu ce que je ressens.

Une partie de moi essaie de réfléchir rationnellement : même si Julien revient, va mieux, et montre que ses crises étaient liés à son instabilité, il va devoir se reconstruire. Et je ne veux pas être son socle de reconstruction, sa clé de voûte. Je n'ai pas les épaules pour ça - et je ne pense pas pouvoir agir naturellement : je ne veux pas craindre qu'à chaque fois qu'on s'engueule, il doive se faire interner. J'en arriverai à faire des concessions que je ne ferai pas en temps normal, à accepter des choses que, peut-être, je trouve inacceptables au fond de moi.
Je ne veux pas que son équilibre mental repose sur une relation amoureuse - qui, par définition, est une chose imprévisible et instable. Un socle solide, ça doit être la famille, les amis proches, bref, des choses relativement immuables.
Et puis plus égoïstement : je ne veux pas cette responsabilité. Je refuse d'être "l'absolue" de quelqu'un. Je ne peux pas.

Et pourtant, je repense au fait que Julien a été attiré par moi alors que je ne faisais aucun effort, que j'étais juste moi même. Il a aimé ma créativité, s'est enthousiasmé de mes projets, mes créations, ce qui fait que je suis moi.
Je repense à son cou de cygne, qui a failli être brisé il y a 4 ans, que j'ai imaginé être brisé lorsqu'il avait disparu. A ses lèvres charnues, tellement excitantes qu'il suffisait que je regarde pour avoir envie de lui. Son torse contre lequel je me sentais bien. Ses cheveux longs.
Nos conversations jusqu'au bout de la nuit, où il fait preuve de compréhension. L'impression de pouvoir parler de tout, ou presque.
La façon dont il fait "hum hum" lorsqu'il acquiesce. 
Ses traits d'humour pince-sans-rire, qui sortent sans prévenir et qui sont irrésistibles.
Les valeurs que l'on a en commun. Sa droiture, qui me fait penser à celle que j'étais à 25 ans - presque une idéaliste - et que je ne partageai avec personne. Aujourd'hui, je suis devenu pessimiste je crois - mais lui, pas encore. 
Les questionnements, les réflexions, les interrogations que l'on partage sur certains sujets.
Le fait qu'on est tout les deux des écorchés - mais finalement, lui l'est beaucoup plus que moi, et ça me dépasse.

Julien n'est pas quelqu'un de mauvais. Loin de là.
Certes, il y a aussi la jalousie. 
La paranoïa. 
Les crises. 
La maladie mentale - quelle qu'elle soit.
Ça me rappelle mon beau-père, sur la fin de la relation avec ma mère : jaloux, possessif, il l'a poussé à couper contact avec presque toute sa famille, tout ses amis. Nous vivions dans une cage dorée.
Ça me rappelle ma grande tante, dont le mari faisait des crises de démence. Il disparaissait parfois plusieurs jours, il avait été interné plusieurs fois. Jusqu'au jour où il s'était pendu dans l'escalier de la maison familiale. Macabre découverte.
Est-ce que c'est la vie que je veux mener ? En digne héritière des femmes sacrifiées de ma famille ?!

Peut-être que j'ai déjà ma réponse... et que c'est ce qui me rend triste.
J'en suis à l'étape "Tristesse" du travail de deuil. 
Un deuil basé sur des raisons inhabituelles, surréalistes et un peu… sacrificielles. Le deuil d'une relation peut-être encore en cours, ou peut-être terminée : c'est incertain, c'est fouillis, c'est instable. Et il n'y a rien, ni indices, ni clôture pour m'aider.
Et s'il revient sonner chez moi ?
Et s'il ne revient jamais ?
Et si, et si, et si ?

Je crois que je ne suis pas prête de vouloir avoir à nouveau une relation avec qui que ce soit...

4 commentaires:

  1. déjà, faudra faire le deuil de celle-ci, de relation, et ça risque de ne pas être évident...
    Par un effroyable hasard j'ai vécu quelque chose de similaire ce week-end, mais d'un autre point de vue. Une copine hospitalisée après un gros craquage, c'est son mec (ex ?) qui m'a appelé. Et lui, il se pose à peu près les mêmes questions que toi... vraiment pas facile.

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    1. C'est certain...
      Et par la suite, la hantise de voir mes proches "se perdre" de la même façon.
      C'est terrifiant.

      Personnellement, je crois (mais comment être sûre ?!) que si nous avions eu une relation forte, plus longue, je ne me serai pas posé autant de question. Certes, ça aurait été dur, ça aurait été une épreuve... Mais on avait une histoire commune.
      Là... Comment me positionner ?!
      Quelque part, ça me rassure de voir qu'une personne dans la même situation que moi (relation courte également ?) se retrouve à se poser les mêmes questions. Je crois que je me dis que les gens attendent de moi que je sois là, que je le soutienne. Que c'est "ce qu'il faut faire". Et que si je pense à m'échapper, c'est moche, c'est égoïste, c'est indigne. Et ça me file des angoisses terribles. Alors qu'en fait, personne n'attends ça de moi. (Au contraire !)
      Bref, c'est vraiment pas une position facile.

      Courage pour ton amie ! J'espère qu'elle se remettra bien, et qu'elle arrivera à reprendre pied.

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    2. La relation était plus longue mais ça ne change pas grand chose, ils se sont laissé dépassé par la relation qui connaissait des "couacs" depuis longtemps, et elle a un passif psy...
      Et je te confirme : personne n'attend qu'il soit là pour elle... même pas moi (alors que c'est mon amie et qu'elle n'attend que ça). Là, elle doit se réparer, et être bien avec elle-même. Ça m'effraie, quand j'entends "il n'y a que lui qui me fera aller mieux". Evidemment, que non.
      Au final, aujourd'hui, les 2 sont mal. Comme dans ton histoire. Ce n'est pas ce qu'on attend d'une relation... Mais moi, j'y vois une "chance", d'un côté de se faire suivre et soigner, et de l'autre de sortir d'un relation qui fait plus de mal que de bien. Et tout ça prend du temps. Haut les coeurs!

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    3. Hum, donc elle a craqué dans le cadre de leur relation ?
      Ohlala oui, faire aller sa santé (et sa santé mentale) au diapason de l'autre, il n'y a rien de pire. C'est effrayant. Personne ne devrait avoir cette responsabilité. Oui, elle a besoin de se réparer, et de s'apercevoir que le plus important dans l'histoire, c'est elle (et non pas lui) et qu'elle doit être la seule personne à l'origine de son propre bien-être.
      Ton optimisme te fait honneur :) Oui, voyons là une occasion de renouveau et une possibilité d'aller mieux !

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