vendredi 2 août 2019

Mon mec est à l’hôpital psychiatrique...

... Mais sinon tout va bien 

...

Non, c'est pas vrai : ça ne va pas bien du tout.

Après ma première conversation avec Julien Senior, j'avais encore mille interrogations. Et je culpabilisais. Pas tant pour ce que j'avais fait (même si, avec le recul, je me suis trouvé lâche et fuyante), mais surtout pour n'avoir pas mesuré l'étendu de l'instabilité de Julien. Et pour n'avoir pas osé en parler à son père. J'aurais dû lui dire que notre relation était un calvaire. Que ses crises étaient invivables. Et que je m'éloignais de lui, essayant de fuir sa possessivité et sa jalousie délirante. Et que c'est peut-être cette fuite de ma part qui lui avait fait péter les plombs.
Je crois que je craignais une réaction du genre « Tout ça c'est de ta faute, diabolique femelle ! Vil salope ! Ne t'approche plus de mon fils, engeance du démon ! »

Julien Senior m'a rappelé après le weekend, dès le lundi matin. Sa voix était fatiguée et angoissée : 
« Il n'est pas sorti d'isolement. Personne ne me dit rien, je ne peux même pas parler à un médecin, ni savoir ce qui se passe. Je pensais qu'il sortirait aujourd'hui... »

Bon, entre nous, moi ça m'aurait étonné qu'il soit mis en isolement pendant le weekend, et qu'ensuite, parce que c'est lundi et qu'une nouvelle semaine commence, on lui ouvre les portes de l’hôpital psy en lui disant : « C'est bon mec, tu es libre, cours avec les papillons, gambade nu dans les champs, vas y, la vie t'attends ! » 
Mais j'ai plutôt dit : 
« Ecoutez, c'est surement parce qu'ils ont jugés que c'était le mieux pour lui. Au moins il est en sécurité, et ils s'occupent de lui. »

Et puis j'ai pris mon courage à deux mains, et j'ai raconté : 
« Vous savez, j'ai repensé à ce que vous avez dit la semaine dernière... Je pense que s'il n'allait pas bien ce weekend, c'était à cause de moi. Je lui ai dit que je préférais qu'il rentre pour le weekend. Et qu'il ne soit pas toute la semaine chez moi. Je suis une personne très indépendante, et pour moi, ça faisait trop... Et puis il a un coté très possessif. Je me suis fâché la semaine dernière, parce qu'il m'a appelé 3 fois alors que je venais de sortir du travail, et qu'il a envoyé des tonnes de messages. Il savait que je rentrai, mais... il n'arrêtait pas. Il fait ça tout le temps : il envoie une dizaine de messages par jour, et il appelle tout le temps. Et il insiste si je ne répond pas. Ce n'était plus vivable pour moi... J'étouffais... »
Son père s'exclame : « Mais c'est du harcèlement ! »
« Moui alors, bon, je n'ai pas dit les choses comme ça, mais c'est vrai que le mot n'est pas si mal choisi... Et je l'aurai probablement utilisé si ça avait continué.... Mais voilà, tout ça pour dire que j'ai essayé de lui faire comprendre que c'était trop, et je lui ai demandé de prendre de la distance, et... Je me demande si ce n'est pas ce qui a provoqué tout ça... »
Son père reste un moment silencieux, et murmure : « J'ignorais qu'il était comme ça... »

Je me sentais mal, mal d'avoir vécu ça, mal d'avoir contribué au mal être de Julien, mal d'en parler à son père, qui, clairement, n'avait pas besoin de ce fardeau supplémentaire.
Je ressentais de la honte, et je ne savais même pas pourquoi.

Dans le même temps, j'avais ma mère en vacances chez moi, et je ne voulais pas lui parler de Julien pour éviter de l'inquiéter - les multiples cascades de ma vie amoureuse l'ont suffisamment désespérée, je crois qu'elle fait son deuil de me voir avoir une relation normale, et il ne me semblait pas utile de rajouter l'histoire de mon-petit-ami-qui-se-fait interner (au bout de 2 mois de relation avec moi).
Du coup je m'efforçais d'être enjouée, souriante, de proposer des activités et de discuter de tout et de rien... Alors que je pensais sans cesse à Julien.
C'était épuisant.
Mes copines étaient rassurées de savoir que je n'étais pas toute seule - mais finalement, devoir donner le change était très compliqué, et vraiment éprouvant. 

Le lendemain, Julien Senior m'a rappelé : Julien était toujours en isolement et son père avait une voix plus lasse que jamais. Il essayait de trouver comment récupérer la voiture de son fils qui, je le rappelle, était coincée au fond d'un bois.
J'ai demandé s'il avait retrouvé le double de la clef de chez moi, et il m'a confirmé avoir un trousseau avec ma clef dessus.

Et puis le soir, il m'a rappelé : « Je suis dans votre département, j'ai trouvé une dépanneuse tout terrain qui va tenter de sortir la voiture de Julien - si ça ne marche pas, un paysan essaiera de la tirer avec son tracteur. J'ai votre clef. Voulez-vous qu'on se rencontre, et comme ça vous me laissez les affaires que Julien a laissé chez vous ? »
Prise au dépourvu, j'ai donc chargé dans ma voiture la guitare électrique et l'ampli de Julien (pourquoi il a apporté une guitare chez moi : mystère), une paire de chaussure qu'il avait oublié, et le fameux carton de livres de Jung.
J'ai roulé 20 min, pétrie d'angoisse et les larmes aux yeux. Je m'efforçais de ne pas craquer avant d'avoir rencontré Julien Senior. Je me disais « Tu pourras pleurer au retour. Ça sera bien, d'évacuer un peu tout ça, sur le trajet du retour ! ».
J'avais l'impression de me débarrasser des affaires d'un mort.
Et je me demandais comment, en si peu de temps, ma vie avait pu prendre cette tournure dramatique. D'un bout à l'autre, l'histoire de Julien m'aura prise au dépourvu.

Lorsque je suis arrivé au point de rendez-vous, j'ai eu le choc de découvrir un homme très vieux, aux cheveux blancs. En y repensant, je me suis souvenu que sa maman était morte à 64 ans, que c'était il y a 4 ans, et que son père avait sans doute le même âge, voir un peu plus, comme souvent les génération précédentes.  
J'ai cherché en vain des traits de ressemblances - mais les cheveux blancs et le visage très ridé ne m'a pas apporté de fantôme de Julien. En revanche j'ai retrouvé des postures, et des petits "hum hum" d'acquiescement, qui m'ont fait sourire affectueusement.

Julien Senior m'a rendu ma clef - qui était attaché avec la clef de chez eux - et a récupéré les affaires de Julien. 
Il y avait aussi l'oncle de Julien qui était là. Tous deux m'ont dit que la jalousie de Julien n'était pas normale, et pas vivable. Et son père de dire « J'ai repensé à ce que vous avez dit. Ce n'est en aucun cas votre faute »
Je me suis sentie soulagée.
Et en même temps, je me suis sentie très triste.
J'étais complètement perdue dans les émotions que je ressentais.
Julien Senior a ri, ensuite, en désignant mes épaules couvertes d'encre : « Je comprends pourquoi Julien  a voulu se faire tatouer ! ».
J'ai rougi, et je me suis sentie obligé de me justifier : « Ah, oui... Non mais il n'était pas obligé... Je ne sais pas ce qui lui a pris.... »
Et puis la dépanneuse est arrivée, et Julien Senior est parti avec. L'entrevu avait duré à peine 5 minutes. Je me suis sentie vide - non pas débarrassé, non pas plus légère, non pas comme s'il y avait eu une clôture à tout ça : plutôt désemparée, dépassée et démunie. Je ressentais beaucoup de choses, je m'y perdais, et dans ma tête, c'était très bruyant.

Je n'avais qu'une envie, c'était d'écrire, pour essayer d'organiser ma pensée.

Je suis repartie, j'ai rejoint ma mère chez moi à qui j'avais dit que j'allais rendre des affaires à un ancien locataire, dont la voiture était en panne à quelques kilomètres de là (... ce qui était plus ou moins vrai), et j'ai continué à donner le change, à faire semblant de rien, et à tout garder en moi, en attendant d'avoir un peu de solitude pour pouvoir souffler, réfléchir, et écrire.

Et essayer d'élucider cette question, qui me tourne dans la tête : Mais comment les choses ont-elles pu en arriver là ?!

2 commentaires:

  1. J'ai découvert ton blog il y a peu, cette histoire est d'une tristesse. A ta dernière question, il n'existe pas de réponse, mais ce n'est certainement pas de ton fait. qui aurait pu imaginer une histoire pareille!? Il est malade... c'est tout... j'espère vraiment que son séjour lui fait du bien, qu'il est entouré de bonnes personnes qui trouveront des solutions pour lui.
    Je n'en reviens pas qu'il soit psy, c'est dingue aussi ça.
    Bon courage à toi pour la suite...

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    1. Oui, je suis aussi désemparée que toi. Mais je suppose que, psy ou pas, avoir du recul sur soi est hyper compliqué... On est tous humains.
      Mais malade à ce point... Ce n'est pas une petite déprime.... C'est quelque chose de beaucoup plus grave, et qui dépasse mon entendement. Comme tu dis, c'est une situation qu'on ne s'imagine pas, qu'on n'envisage pas.
      Et quoiqu'il en soit, j'espère aussi qu'il sera bien pris en charge. C'est terrible de vivre ça à 25 ans, alors qu'il débute à peine sa vie d'adulte.
      Tout ça me dépasse....
      En tout cas un grand merci pour ton message, et pour ton soutien <3

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