samedi 6 juin 2020

Ce qu'il s'est passé avec Isaac (1/5)


C'était en février. 
A la suite du burn-out (même si c'était pas un burn-out), de ce que j'avais appelé l'Apocalypse, j'étais en pilote automatique, à ramasser un peu les morceaux de moi même et à me demander ce qui m'était arrivé.
C'était un dimanche soir, Isaac est venu me rejoindre, alors même que j'ignorais s'il le ferait.

Il m'a pris dans ses bras, puis m'a dit qu'il fallait qu'on parle.
Il m'a dit qu'il devait clarifier la situation. Et qu'il avait fait son choix. Qu'il choisissait Victoria. Qu'il pourrait être un ami pour moi, un frère, un soutien, un amant si je le souhaitais, mais que nous ne serions plus un couple. Que nous ne formerons jamais un foyer, jamais une famille, et que je devais l'accepter. Que pour lui, c'était très clair.
Qu'il allait reprendre le contrôle de sa vie, retrouver du temps pour écrire son livre et accorder plus de temps à Victoria.

Je sentais et j'observais mon cœur se briser.
Et je me disais « J'avais dit que je ne voulais aucune conversation sérieuse la veille de mon cours. Comment je vais pouvoir assurer, moi, demain ? ».


Nous avons passé la soirée ensemble. 
Il était dur, il était résolu. Il a dit :
« Et puis qu'est-ce qui te prouve que si tu avais été célibataire, et moi aussi, nous aurions pu vivre quelque chose ? Qu'est-ce qui te prouves que je t'aurais regardé ? »
Rien, c'est vrai.
« De toute façon c'était plié d'avance, tu veux construire et moi pas, tu veux une famille et moi pas. Nos visions nous opposent ».
Oui, c'est vrai.
Je le savais depuis le début, d'ailleurs - et tout ce qu'il dit, je le disais il y a quatre mois. Mais il y a eu l'introspection, il y a eu l'illusions des possibles, il y a eu tout ce qu'il a dit ; le fait qu'au final il voulait peut-être construire, le fait qu'au final pour l'amour d'une femme, il aurait pu avoir des enfants.
Qu'aurais-je pu faire d'autre qu'y croire ?! J'y ai cru - et c'est parfaitement naturel.

Mais la porte a claqué.

Et son choix arrive beaucoup trop tard.

On a fait l'amour. C'était nul, je ne ressentais rien, j'étais amorphe, je n'avais pas envie. Pire, je me suis dit que si ça se trouvait, j'étais actuellement en train de faire l'amour avec lui comme Victoria. 
Ça m'a encore plus donné envie de pleurer.

Pour autant, il m'a proposé que l'on se voit les jours suivants. Nous nous voyions, nous couchiions ensemble. Je ne comprenais pas pourquoi il souhaitait me voir après tout ce qu'il avait dit - mais je m'en fichais, parce que je me sentais incapable de faire face et d'arrêter.
Ce n'était pourtant pas idyllique, loin de là. Il se montrait dur, critique. Un soir, il s'est appliqué à faire absolument tout ce qui était en son pouvoir pour s'opposer à moi. « Tu aimes la mer ? Je déteste. Tu n'aimes pas ce tee-shirt ? Je vais le mettre. Tu détestes cette fille ? Je l'adore, je la trouve trop drôle ». 
Je me suis dit qu'il se vengeait. 
Je me suis demandée pourquoi j'acceptais ça.
Il m'a fait remarquer que mon Histoire et mon mal-être prenaient une place folle dans notre relation. J'ai eu honte. Mais il a sans doute raison : je suis bien trop enfermée en moi même pour laisser la place aux autres.
Peut-être que je lui ai déballé mes failles comme on exhibe un monstre : "Et là, tu es encore capable de m'aimer ?!". Je montre tout, j'ensevelis l'autre sous tout ce qui fait que je suis moi-même, et surtout le pire. Jusqu'à l’écœurement - ou la sympathie, que je pourrais alors juger sincère. 
Toutefois, soyons honnête : j'aurais pu montrer le meilleur de moi même dans une histoire sécurisante, classique. 
Clairement, être la femme de l'ombre, la femme qu'on ne choisi pas, ça rouvre de vieille blessures, ça appuie sur des failles et des terreurs enfouies. 
D'ailleurs la crainte primale s'est réalisé : il ne m'a pas choisi, je ne suis pas assez bien, je suis insuffisante, je ne fais pas le poids. Voilà tout du moins ce que je me suis dit aux premiers abords, dans l'état de détresse que m'a plongé cette rupture - car pour moi, il s'agissait clairement d'une rupture.
Les jours où nous nous sommes vu, j'étais à chaque fois anxieuse. "Comment les choses vont-elles se passer ? Va-t-il décider qu'on ne se voit plus du tout ?".
Et plus que tout, je craignais ses paroles, ses critiques, ses "conseils" qui ne me semblaient servir qu'à pointer mes insuffisances.

Il m'a dit qu'il allait postuler dans une autre ville - un départ en retraite devrait avoir lieu dans quelques mois.
Que de toute façon, son appart étant mis en vente, il n'en cherchera pas un autre, et se fera héberger jusqu'à son départ - ou fera les trajets chaque jour, depuis chez sa mère, à 75 km de là.
Je me suis dit qu'il cherchait à n'être plus vraiment ici.

Il me semblait qu'il avait balayé d'une simple décision tout les sentiments qu'il prétendait avoir.
Et je me disais "Gosh ! C'est donc si facile ?!"
Bien sûr, ce n'était pas mon cas.
Malgré ma détresse, malgré la rupture, malgré ce qu'il disait, j'ai décidé d'assumer ce que je ressentais : moi j'étais toujours amoureuse, mes sentiments étaient réels, je n’allais pas prétendre qu'ils avaient disparu d'un coup de baguette magique. J'ai un devoir de vérité dans ma vie : et c'était ma vérité. Malgré ma tristesse, accepter ce que je ressentais m'a fait du bien. De toute façon, il n'y a rien de honteux ou de mal à aimer quelqu'un. C'est un fait.
Je me raccrochais donc à mon honnêteté vis à vis de moi même. 
Je considérais que c'était toujours ça de pris.

Je ne savais toutefois plus comment me comporter avec lui. Que devais-je dire ou taire ?
Le 14 février, j'ai eu envie de lui offrir des fleurs.
J'aimais son côté romantique, et j'avais envie de l'être.
Mais le pouvais-je ?
Finalement j'ai renoncé.
Tristesse à nouveau, face à tout ce qu'on ne sera jamais.

J'ai envisagé m'offrir des fleurs à moi-même, et me déclarer mon amour.
Mais j'étais trop triste et trop fauchée pour ça.

J'ai écrit une petite déclaration, une lettre d'amour de Saint Valentin.
Je ne lui ai pas envoyé.
A quoi bon ?
C'était fini.

A la place, nous avons fait une soirée avec les filles. J'avais repris le travail quelques jours, ça ne s'était pas très bien passé. J'étais épuisée nerveusement, prête à tomber en morceaux. J'ai raconté le burn-out, la rupture, l'incompréhension, le refus.
- Je ne suis pas prête. Je ne peux pas vivre une rupture, je n'y arrive pas, je ne veux pas
- Mais enfin, ta réaction est normale !
- Personne n'est jamais prêt pour ça !
- Si tu vas mal, on sort la crêpière, on fait péter les tartinades, et tu peux pleurer dessus sans soucis !
- C'est un peu l'histoire de notre amitié non ? Je suis votre copine qui passe son temps à pleurer sur des garçons depuis qu'on se connait !
- Bah, on est là pour ça !
- Si tu as besoin, tu sais qu'on est là. Peu importe !
- Et puis tu t'en sors pas si mal, en réalité ! Regardes, outre Julien qui était cinglé...
- Et Hector !
- Oh oui, il était bien barré lui aussi ! Outre ces deux là, ce n'était pas ta faute si ça ne marchait pas. Tu n'as rien de repoussant. Tu n'es juste pas tombé sur les bons.
- N'importe qui dans ta situation vivrait mal tout ça. N'IMPORTE QUI. Moi à ta place, je serais tout aussi dévastée que toi, et c'est normal !
- Bien sûr, moi pareil !
- Ça ne se contrôle pas, de tomber amoureux de quelqu'un.
Je regarde les filles, les larmes aux yeux. Elles sont là, résolues, sûres d'elles, le regard franc. A aucun moment elles n'ont jugés mes choix. A aucun moment elles n'ont dit, comme Isaac a pu le dire « En même temps tomber amoureuse d'un mec maqué, aussi, tu l'as bien cherché ! ». Non, ça ne rentre pas en ligne de compte. Elles sont juste là, à me soutenir.
Sentiment de gratitude infini.

Pour autant mes émotions devenaient imprévisibles et incontrôlables :
Pleine d'une résolution rageuse, je me disais « Je vais bien, en fait ! », et je me sentais forte. 
Puis soudain je fondais en larmes, complètement désespérée, en me disant que je n'arriverai jamais à rien.

Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait.

Et puis à la fin de la semaine, Isaac partait en vacances avec Victoria.
Il m'a demandé comment je le vivrai.
J'ai dit que je ne savais pas.
Il m'a dit « Donnes moi des nouvelles, ça me ferait plaisir ».

J'avais moi aussi une semaine de vacances - heureusement, ma mère venait chez moi pour effectuer quelques travaux.
J'ai continué à avoir des sautes d'humeur - mais les crises de larmes s’espaçaient, au profit des moments de résolutions.

Parfois je pensais à tout ce qui n'arriverait plus : Isaac ne m'écrirait plus jamais de somptueuses déclarations, je ne pouvais plus entretenir l'illusion que nous pourrions être autre chose, j'étais prise d'une terreur absolue à l'idée de ne jamais plus rencontrer quelqu'un avec telle ou telle qualité.
Bref, ces vertiges qui envahissent l'esprit jusqu'à la nausée lorsqu'il faut faire face à la fin de quelque chose.
Parfois je m'imaginais retourner à mon quotidien de femme célibataire de 32 ans, comme il y a 6 mois, et ça me faisait horreur.
Je me suis dit qu'il allait falloir que je reprenne "Survivre à la rupture" depuis le début. Tout recommencer, du tout début à la toute fin, toutes les étapes. Comme après Charles-Henri.
Ça m'a paru insupportable.
Et je me disais : « Et lui, qui prétendait vivre une passion amoureuse, lui qui a dit ne plus vouloir une vie sans passion, est-ce que le retour à sa vie d'avant ne lui fait pas horreur ?! A-t-il changé d'avis si vite ?! Quel crédit accorder à ses déclarations, si elles peuvent être soufflées si facilement ?!! »
Mais de toute façon quel crédit lui accorder, puisque tout est terminé et qu'il a pris sa décision ?
Ça m'a mise en colère. 

Et puis je me suis surprise à penser « Je peux y arriver ».
Aller à la salle de sport, cette nouvelle salle que je n'arrive pas à aimer, cette routine qui me fait horreur parce que je l'ai mise en place pour pallier ma solitude, cette haine de ma vie parce que je ne la partage pas avec quelqu'un,... Et finalement me dire, au volant de ma voiture « Ça me fait plaisir d’aller faire du sport ».
Plaisir ?
Je pouvais ressentir du plaisir ?!

Au milieu de la semaine, j'ai pensé « Ok, je vais pouvoir y survivre. En fait je peux m'en sortir ».

Je n'ai pas écrit à Isaac de la semaine.

J'ai beaucoup réfléchit. J'ai repensé à ce qu'il avait pu dire, et je lui en ai voulu. J'ai repensé à ses critiques sur le fait que je craignais d'être seule - eh bien oui, j'ai peur d'être seule. De mourir seule chez moi, de passer ma vie seule, de finir ma vie seule. 
Comme tout le monde, en somme ! TOUT LE MONDE. Nous sommes des animaux sociaux, nous avons besoin d'être aimé, de se sentir apprécié.
Mais je ne crains pas la solitude - moins que lui, en tout cas. Car moi je vis seule depuis des années, et je sais faire. Qu'en est-il de lui, qui paniquait complètement face à sa solitude lorsque Victoria a décrété son introspection ?! N'aurait-il pas peur, à ma place ? Est-ce que qui que ce soit serait serein et confiant, à ma place ? Est-ce que qui que ce soit peut enchaîner cinq ans de célibat, des amours déçus, des ruptures (souvent brutales), et continuer à marcher cheveux au vent en se disant que la vie est un cadeau ?! 
Peut-être que je suis plus forte qu'il ne le croit. 
C'est facile de prétendre pouvoir se remettre d'une histoire d'amour, lorsqu'on a son autre relation derrière à réinvestir. Moi aussi, je veux bien l'oublier dans les bras d'un autre ! Trouver un rebound guy, pour me consoler et passer plus facilement à autre chose.
Où ai-je fauté ? Est-ce que j'ai eu tort de le croire lorsqu'il disait qu'il vivait des choses extraordinaires avec moi ? Qu'il se sentait vivant ? J'ai décidé de lui accorder ma confiance, de croire en ses déclarations - était-ce mal de ma part ? Aurais-je dû l'envoyer paître ? N'ai-je pas réagit comme n'importe qui d'autre aurait pu réagir, dès lors que des sentiments amoureux apparaissent ? 
Je n'ai rien fait de mal. Rien du tout.

J'ai repensé à tout ça. A la tristesse de cette histoire. Au fait qu'il a découvert qu'il pouvait se sentir vivant, et rempli de passion. Et qu'il a choisit de laisser tomber ça.
Moi je connaissais ce sentiment. Je ne l'ai pas oublié pendant plus d'une décennie. Je ne l'oublierai pas à nouveau dans quelques mois.
Je me suis dit qu'il choisissait de retourner à sa vie d'avant, et que ça ne devrait m'inspirer qu'un peu de compassion. J'étais prête à lui donner mon amour sans condition, j'étais prête à tout pour lui. J'étais prête à tout faire pour le rendre heureux, lui laisser une place, respecter son individualité et sa personnalité, le soutenir en toutes circonstances, vivre une relation équitable et respectueuse. C'est ce que je voulais. Je souhaitais être un soutien mais pas une mère, je voulais qu'il puisse se sentir aimé mais pas assisté ni jugé, et je me suis appliqué à être le plus aimante et objective possible. Je me suis donné sans compter, j'ai aimé passionnément son corps, dévorée sa peau, j'ai fiévreusement partagée ses orgasmes et lui ai offert les miens. J'ai écrit mes plus beaux textes, je voulais lui offrir tout ce que je pouvais, je voulais lui offrir le monde, et qu'il se sente vivant comme jamais.
Il n'en a pas voulu.
Finalement... Tant pis pour lui, non ?

Je me suis mise en tête qu'il rentrerait de ses vacances avec Victoria, et qu'il ne donnerait pas de nouvelles. Que tout était fini. Que je ne le verrai plus jamais.
De toute façon, plus rien ne pouvait plus être comment avant, il avait été très clair.
J'ai commencé mon deuil.
J'ai continué à sentir cette tristesse immense, j'ai continué à me sentir fragile, à faire attention à faire un pas après l'autre, précautionneusement, pour ne pas tomber.

Et je me suis dit que je pourrais survivre à ça. 

Aucun commentaire: