lundi 13 janvier 2020

Et que crève l'abcès


A la suite de notre dernière discussion, qui m'avait plutôt refroidit, Isaac m'a envoyé un mail. Où il m'a renouvelé son amour... mais a aussi affirmé toutes les impasses de notre histoire.

[...] étais-je honnête avec moi-même quand je me suis figuré de quitter Victoria pour vivre pleinement ma passion amoureuse avec toi ? En effet, est-ce qu'il est possible et rationnel de tomber réellement amoureux d'un homme/femme au bout de 3 mois de relation, envisager un futur à deux alors même que nous commençons à peine à nous découvrir ?

 [...] Et puis je me suis remémoré a posteriori cette phrase de Nietzsche qui m'est apparue comme une évidence :
"On en vient à davantage aimer son désir que l'objet de son désir".

[...] Car nous devons toi et moi tenter de sonder notre âme et éviter de confondre nos objets de désir et notre désir maître (notre idéal de vie qui nous pousse à agir). Et ce, pour éviter de nous laisser emporter par des illusions qui nous amèneraient à ne pas considérer notre relation pour ce qu'elle est objectivement.

[...] Du coup, tu affirmes que tu ne peux t'empêcher de te projeter dans une vie de couple traditionnel qui te permettra d'offrir à ta progéniture l'amour et la sécurité affective dont tu estimes avoir été privée -d'où cette peur liée à ce que tu appelles l'horloge biologique. Pour autant, tu souhaites rencontrer un homme affectueux et protecteur, amant attentionné et attentif à ton plaisir, sincère et sécurisant... En soi, un tel projet de vie est tout à fait louable et respectable.
Le seul hic est que ce désir maître se heurte à la réalité triviale des objets de désir que tu as été amené à rencontrer et dont je suis l'actuel spécimen en date dans ta vie. Or, dans quelle mesure l'amour que tu dis me porter n'est pas en définitive un amour pour ton propre désir de vie ? Et dans quelle mesure tu ne projettes sur moi des attentes que je ne serais jamais en mesure de satisfaire ? Vaste, très vaste question !!

Et se posent dès lors en vrac toute une série de questions corrélatives  : suis-je en mesure de t'offrir la relation que tu attends sur le long terme ? Suis-je en mesure de me montrer à la hauteur de l'amour que tu sembles me porter et que tu as témoigné de manière si poignante dans ton message ? Dans quelle mesure ma conception du couple est compatible avec ton désir maître de fonder un foyer ? Peux-tu envisager le risque d'être à nouveau quittée ? Pourrais-tu supporter longtemps mon refus d'avoir des enfants ? Notre relation peut-elle survivre à mon choix de ne pas choisir entre deux femmes que j'aime différemment mais à égale importance ? Et quid en cas de départ d'un de nous deux de notre ville ? etc, etc, etc ...

Comme je te l'ai déjà dit, la liste des raisons de mettre fin à notre relation est infinie et l'on pourra trouver sans fin des raisons valables de ne pas nous infliger plus longtemps une relation vouée à l'échec !
Sauf la vie. Car c'est là où je voulais en venir, le risque quand on aime davantage son désir que l'objet de son désir, c'est que l'on est condamné à ne plus vivre, ou plutôt à vivre dans l'illusion de la vie plutôt que dans la vie elle-même. L'idéalisation de vie qui en découle ne peut en effet se satisfaire de relations avec des individus incapables de combler ce désir maître ou qui se révèlent dans toute leur médiocrité d'individus. A défaut de trouver l'homme idéal (existe-t-il hormis sur le post-it dans ta chambre ?), il est préférable de vivre seul, choix qu'a fait ma mère au demeurant et qu'elle a fini par aimer... Mais, même elle, a rêvé d'une vie de couple avec enfants avant de se résoudre au célibat par choix... Là encore, c'est le hasard de la vie qui a le dernier mot et nullement un choix prémédité.

[...] Je t'ai laissé entrevoir très (trop) vite la possibilité d'une officialisation de notre relation, mais je dois reconnaître que je t'ai en réalité placée, à mon corps défendant, au milieu de mes propres problématiques de couple avec Victoria. Je m'en veux terriblement car moi aussi je me suis laissé dépasser par mon désir maître davantage que par les petits bonheurs simples d'une relation insouciante que je partageais avec toi. Je reconnais mes erreurs et te demande de m'en excuser. Ce qui ne signifie pas pour autant que je n'ai pas goûté avec délectation ces moments passés en ta compagnie et que je ne souhaite pas en revivre de nouveaux. Bien au contraire...
 [...]
Tu es libre de beaucoup de choses en réalité, bien plus que moi en définitive. Tu es notamment libre de me faire confiance et d'évoluer sans crainte ou au contraire de juger que notre relation est une impasse. Et tu as finalement beaucoup de cartes en main : entretenir ds relations avec d'autres hommes /femmes, trouver le futur père de tes enfants et me garder comme amant ou me dire adieu, croire dans notre relation ou me quitter par peur d'être quittée. [..]

Je t'embrasse très tendrement et très amoureusement.

Il m'a semblé qu'Isaac remettait les pendules à l'heure : Ok, Mademoiselle B., fini de rire, reste à ta place, Victoria est au centre de sa vie et ça ne changera pas.
J'ai fait une réponse plutôt amère, pour répondre à ses "question corrélatives". Où j'ai affirmé à mon tour qu'il a entièrement raison : ses choix de vie font qu'il a trouvé la femme de sa vie en la personne de Victoria, qu'il voit deux fois par semaine et qui ne veux pas d'enfants non plus. 
Pour ma part, l'expérience de vie est intéressante, mais ce ne sera pas ma vie : que pourrais-je construire avec lui ?! J'ai encore des choses à vivre, des rêves et des idéaux. Je vivrai avec lui ce que j'ai à vivre, mais mon avenir est ailleurs. Car le but de ma vie n'est pas de rester des années la maîtresse d'un homme.
Un jour je trouverai le moyen d'avoir des enfants, soit par le don de sperme d'un de mes ami, soit par PMA, et j'accomplirai ce que je veux accomplir. 
Que de toute façon, même s'il avait été célibataire, les problèmes auraient finalement été les mêmes. Qu'il veut une vie d'indépendance et pas d'enfants. Alors que quoiqu'il arrive, pas de regrets, ça n'aurait jamais pu marcher.
Que nos vies ratent le coche, et que contrairement à ce qu'il dit, "il n'y a pas d'alignements de planètes" : on se rate.
Qu'il s'est moqué des espoirs que j'avais mis dans ma rencontre et mon histoire avec Miguel, mais qu'en réalité nous vivons, lui et moi, exactement la même chose - sauf que je désirai une vie franco-brésilienne... Et que je ne désire pas une vie de femme de l'ombre. Qu'au final je suis presque aussi seule avec lui dans le cadre de notre histoire que sans lui.
J'ai conclu que souhaiter vivre notre histoire avec insouciance devenait impossible, à force d'en théoriser les impasses.

Avec le recul, ce mail pouvait passer pour une lettre de rupture, tant il y avait de la douleur et du désespoir dedans.
Il m'a répondu assez vite, juste avant de quitter le travail et d'aller fêter noël - car nous étions le 24 décembre. Beaucoup de détresse, de majuscules, beaucoup de remises en question dans son message, et puis, un peu acerbe, il y voyait une preuve que l'on se connait encore assez peu, tant il ignorait cette facette désabusé et capable de faire si mal, de ma personne.
J'ai lu son message pendant mon réveillon, ce qui m'a moi aussi un peu ruiné la fête.
Je crois qu'on peut dire qu'on a tous les deux un sens aiguë de l'à-propos.

Au final il m'a réécrit le lendemain soir. Pour tout remettre en cause : finalement il ne sait pas, sa vie avec Victoria lui semble avoir atteint ses limites, finalement peut-être qu'il veut des enfants, finalement peut-être est-il prêt à tout faire voler en éclat, finalement peut-être veut-il vivre autre chose, et peut-être avec moi.
Ses retournements de veste me prennent au dépourvu. Je ne sais plus que penser. Il m'explique que toutes les questions qu'il se pose ne sont que des questions, et qu'il n'a pas de réponses - mais alors pourquoi lance-t-il des affirmations, si ce sont des questions ?!
Je n'arrive plus à suivre.
Toutefois, je réalise que je suis apaisée : non seulement j'ai dit ce que j'avais à dire, mais ça m'a même rassurée. En effet, je peux vivre ce que j'ai à vivre avec lui, le temps que j'en ai envie. Je ferai des enfants quoi qu'il arrive avec les moyens que mon pays (ou le pays voisin) me permettent. J'ai la chance d'être une femme en France au XXIe siècle, et si ce n'est pas encore la panacée, je peux vivre seule, travailler, être indépendante, avoir des enfants seule, des aides sociales pour m'aider,... J'ai beaucoup de chance. Je crois que soudain, je me détache de mes impératifs. 
Et ses questionnements à lui ne m'importent plus autant ; j'ai réglé les miens.
J'ignore où va cette histoire, mais je me détache de la question. J'arrêterai si ça ne me convient plus. 
Contrairement à notre discussion d'avant, qui m'avait laissé une boule dans l'estomac, cette fois pour moi l'abcès est crevé.

Je lui demande toutefois de mesurer ses paroles, et de ne plus m'affirmer des choses s'il n'est pas sûr de lui. Je préfère qu'il me partage ses incertitudes, plutôt qu'il m’assène des certitudes changeantes.
D'autant plus que ça pourrait juste me conduire à le quitter.

Je lui laisse le choix de me revoir ou non. Nous devions nous voir le 26 décembre pour fêter noël tous les deux, j'ignore s'il en a toujours envie.
Je lui dis de venir s'il le souhaite - mais qu'il prenne le temps d'y réfléchir, et ne m'informe de rien, pour éviter des changements d'avis intempestifs. 

Je l'attendrai jusqu'à 20h30.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire