J’étais ultra flippée, dans un état d’esprit très
contradictoire, écartelée entre le « Non je ne peux pas », le « J’espère
qu’on pourra parler », et aussi « Je ne me sens pas prête ».
A
cela, une pincée d’authentique trouille, sans toutefois être capable
d'en définir les causes exactes.
Presque rageusement, je m’habille très mal : un vieux jean, un pull immonde et distendu, aucun effort. Ah, si : j’ajoute une paire de créoles, juste pour faire semblant.
(Avec le recul, il y aurait beaucoup à analyser là-dessus).
Presque rageusement, je m’habille très mal : un vieux jean, un pull immonde et distendu, aucun effort. Ah, si : j’ajoute une paire de créoles, juste pour faire semblant.
(Avec le recul, il y aurait beaucoup à analyser là-dessus).
J’envisage très sérieusement d’y aller armé : je veux glisser un couteau dans mon sac, « juste au cas où ». Je me dis que s’il y a le moindre dérapage, s’il me fait une Isaac, je n’oserai sans doute rien dire, mais ensuite je pourrais l’égorger. Faire ce que je n’ai pas fait il y a un an et demi.
Et puis soudain je réalise à quoi je pense, cette colère qui est montée d’un seul coup, et surtout la confusion, l'amalgame que je fais malgré moi dans ma tête : Je suis en train de salement vriller.
Tout de même, ça me rassurerai d’avoir une arme.
Mais enfin, c’est un peu extrême.
Je me dis que je vais appeler Morgueil pour lui en parler, qu’il saura trouver les mots pour me calmer, que sa vision extérieure des choses me sera précieuse.
Déclic : Je vais vraiment appeler mon meilleur ami pour lui demander son avis au sujet de la présence (ou non) d’un couteau dans mon sac à main pour aller honorer une invitation à dîner ?!
Autre question : est-ce que j’assumerai de raconter ça à ma Psy ???
Clairement : non.
Je laisse mes couteaux sagement dans leur tiroir.
Mais, plus que jamais, je pense que je ne suis pas prête, pas sereine, pas saine d'esprit.
Arrivée devant chez lui, je ne parviens pas à sortir de
ma voiture : j’ai très froid, et très chaud en même temps. Mes oreilles
bourdonnent. Ma vision se rétrécit. Je transpire à grosses gouttes, et je
réalise que je suis en train de faire une superbe crise d’angoisse.
Peut-être aurais-je dû annuler.
Peut-être que je ne devrais pas m’infliger ça.
Je marche comme une automate jusqu’à la porte.
Je me sens mal.
Je n’arrive pas à sonner.
J’ai peur.
Et puis mon regard est attiré par l’intérieur, que je
distingue par la porte vitrée. De l’extérieur la maison est un cube très très
moche, le délire d'un architecte du coin. Mais dedans, j’aperçois une pièce immense, au parquet couleur miel, à la
lumière très chaleureuse.
Je me focalise sur ça, ma curiosité, l’atmosphère chaleureuse de cette maison, j’essaie d’oublier mes angoisses.
Je sonne.
Il vient m’ouvrir, en bras de chemise et gilet de costume,
les cheveux en bataille, un peu affolé : « Rien n’est prêt ! ».
Je ris.
Je découvre une pièce à vivre et cuisine immense, au bas
mot 70m², ouvertes de multiples baies vitrées qui surplombent la ville. Comme
la maison est perchée en haut de la ville, sur une colline – littéralement perchée, car par la
fenêtre de la cuisine, le sol est plusieurs dizaines de mètres plus bas, pire
qu’un haut immeuble – la vue est juste étourdissante. Je vois luire les
lumières de la ville, les enseignes, on voit à des kilomètres, c’est
époustouflant.
Une fois ma surprise passée, je lui demande si je peux
aider. Il accepte, et je l’aide à terminer les plats : bruschettas de
tomates-mozza, poêlées de champignons, et steaks veggie de pois chiche et
haricots rouges roulées dans la panure et frits.
D’ailleurs lorsqu’il faut faire la panure des steaks, nous nous mettons côte à côte, nos mains s’effleurent, nos doigts se rencontrent – et je suis plus stressée et nerveuse que jamais. Je me dis qu’on est en train de rejouer The Big Hit, un de mes film culte, où, à un moment, Mark Wahlberg farci une dinde avec la fille qu'il a kidnappé, dans une scène à la fois hilarante et terriblement sexy.
Peut-être aurais-je dû annuler.
Peut-être que je ne devrais pas m’infliger ça.
Je me sens mal.
Je n’arrive pas à sonner.
J’ai peur.
Je me focalise sur ça, ma curiosité, l’atmosphère chaleureuse de cette maison, j’essaie d’oublier mes angoisses.
Je sonne.
Je ris.
D’ailleurs lorsqu’il faut faire la panure des steaks, nous nous mettons côte à côte, nos mains s’effleurent, nos doigts se rencontrent – et je suis plus stressée et nerveuse que jamais. Je me dis qu’on est en train de rejouer The Big Hit, un de mes film culte, où, à un moment, Mark Wahlberg farci une dinde avec la fille qu'il a kidnappé, dans une scène à la fois hilarante et terriblement sexy.
Je me souviens qu’il a un colloc, que j’ai déjà rencontré au bar : un jeune prof d’EPS de 25 ans (en parait à peine 20), toulousain (avec l’accent), beau comme un dieu et gaulé comme... eh bien, un prof de sport. Hypersensible, d’une candeur désarmante et enthousiaste pour à peu près tout.
Etonnamment, je me sens immédiatement plus sereine.
Peut-être est-ce dû à son pull de noël vert bouteille « Merry Dudemas Man », et les énormes chaussettes rouges à pompons qu’il porte par-dessus son jean très (très) ajusté. On est début novembre, mais l’esprit de noël est déjà en lui.
Et puis, tout foufou, il me raconte ce qu’il a acheté pendant le festival littéraire « Ah je ne t’y ai pas croisé, zut ! », puis redescend à toute berzingue dans sa chambre pour aller chercher ses achats, qu’il me montre, heureux. Puis il se met en tête de nous raconter ce qu’il se passe dans le livre qu’il lit en ce moment, une biographie de la Reine Celte Boudicca, et se met à bondir partout en mimant les batailles, beuglant avec son accent toulousain « Et là, ces salauds de Romains arrivent, et ne tiennent pas leur parole, les cons ! Je les hais ! Foutu romains ! »
- Heu, tu sais que l’empire romain n’existe plus depuis…
- M’en fout, c’est des salauds !
- D’accord, d’accord
Puis il nous parle de son boulot, de ses relations avec son chef d’établissement qui ne le prend pas au sérieux, et nous raconte ce qu’il veut faire pour ses prochains cours, comment il veut intéresser ses élèves à la danse, et se met à faire de la danse contempo autour de la table de la cuisine, pour nous montrer.
J'ai l'impression d'être invité à un dîner spectacle (et j'adore ça)
Je décide qu’il s’appellera "Petit-chiot-fou-qui-gambade", parce que ça le caractérise bien plus que "Le colloc".
Il reste avec nous jusqu’au dessert, et si j’avoue qu’il me fait beaucoup rire, tout comme le petit chiot fou dont il tire son surnom, rien que de le regarder, je suis épuisée. Mais d’où tire-t-il son énergie ?!
Nous avons mis du rock old school en fond sonore, Metallica, ZZ Top, Kiss, on chante, on discute, la lumière est chaleureuse et la ville s'étale à nos pieds, par les baies vitrées. J'observe les mains du Joueur d'Echecs, épatée par leurs finesses très féminines ; elles sont lisses et blanches, des ongles ovales légèrement rosés, des doigts très fins. Je me dis que si on montrait juste ses mains, clairement on le prendrait pour une femme. Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve ça très émouvant.
Je décide qu’il s’appellera "Petit-chiot-fou-qui-gambade", parce que ça le caractérise bien plus que "Le colloc".
Il reste avec nous jusqu’au dessert, et si j’avoue qu’il me fait beaucoup rire, tout comme le petit chiot fou dont il tire son surnom, rien que de le regarder, je suis épuisée. Mais d’où tire-t-il son énergie ?!
Le Joueur d'Echecs et moi discutons. Il est tard, mais c’est agréable. Il
travaille le lendemain matin, son service travaille 7 jours sur 7 en période de covid, mais il me dit que ce n'est pas grave, que ça lui fait du bien de se distraire de son boulot qui l'éreinte.
Entre temps, et sous un prétexte un peu bidon, il s'est assis un peu plus près de moi.
Je suis à la fois contente, et en même temps nerveuse à nouveau.
Et puis, un peu à contrecœur, et parce qu’il faut bien
avant que ça dérape, je décide de partir. Il y a un peu d'électricité dans l'air, mais ça a déjà été pire, alors je peux faire semblant de ne rien remarquer, me dire et faire croire que nous ne sommes que deux amis qui passons une soirée ensemble. Si ça se trouve, à force de faire semblant, ça finira par être ça ? Et si c'était le mieux, après tout ? C'est pas normal d'être si stressée, pas vivable d'être si méfiante. Et puis je suis peut-être trop folle pour être avec quelqu'un, peut-être que ça vaut mieux pour tout le monde que je reste seule, moi la première. Peut-être que ces émotions trop fortes sont trop intenses pour moi, trop fatigantes, que tout ça n'en vaut pas la peine.
J'en parlerai quelques jours plus tard à ma psy. Dévorée de culpabilité par rapport à l'épisode du couteau, même si finalement je ne l'ai pas pris, je la verrais perdre contenance quelques secondes - ah, ça c'est plutôt inédit, et ça me fera me sentir encore plus coupable, et encore plus cinglée. Elle me dira « Prenez tout le temps dont vous avez besoin, il n'y a pas grand chose d'autre à faire. Et puis, peut-être que c'est juste qu'il ne vous plait pas assez, pour faire cet effort colossal de dépasser vos limites ? Aimer à nouveau, c'est aussi accepter de prendre le risque de souffrir à nouveau, de prendre le risque de perdre l'autre... Et peut-être avez-vous encore besoin de temps, avant d'être prête à ça ? ».
Je n'ose pas lui dire qu'il me semble que je ne serai jamais prête à souffrir à nouveau, ou à perdre qui que ce soit encore - que je risquerai de me perdre moi même dans une nouvelle épreuve comme celle-ci.
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