10 jours plus tard , presque deux semaines après le rendez-vous au cinéma.
Je n'ai plus écrit, plus répondu. Je me sens stupide, mais c'est plus fort que moi, mes pensées rationnelles se heurtent à un monumental "Je ne peux pas".
J'ai, je crois, admis cette impuissance, et je me suis résignée.
Je suis au bar avec Charles-François. Il va mal, son divorce se fait dans la douleur, et après des mois à faire n'importe quoi et coucher à droite et à gauche, il fait (enfin) face à ses sentiments, et à l'amour qu'il ressent toujours pour sa femme.
On en discute, longuement.
Plus tard :
- Bon, et l'Echiquier ?
- Qui ?!
- Le Joueur d'Echecs.
- Ah ! C'est.... heuuu....
- Ah putain, j'ai même pas fait exprès. Sââââluuuuut !
Sourire crispé de Charles François. Je me retourne - mais j'ai déjà compris : le Joueur d'Echecs vient d'entrer.
Avec une fille.
Charles-François, super agressif, me souffle entre ses dents : C'est qui cette pouf ?!
Moi : Arrête, on ne la connait pas.
Charle-François me jette un regard assassin.
Moi : Mais je ne sais pas moi !
Charles-François : Mais qu'est ce qu'il fait avec elle ?!
Moi : Mais bon sang je ne sais pas pas, bordel, je... Sâââlut, tu vas bien ?
Bises, sourire un peu crispé. Puis j'ouvre de grands yeux devant sa tenue, costume blanc cassé impeccable, chemise claire, une petite broche rouge sur la doublure. Je m'apprête à lui dire qu'il est super élégant, mais ma mâchoire est tombée par terre.
La fille vient dire bonjour aussi, et me dit « Oh, je t'ai déjà vu. Au festival de littérature qui a eu lieu il y a deux semaines, non ? »
Moi : Heu, oui, surement, heu... Peut-être les rencontres lors des...
La fille, pendant que je parle : Je ne me souviens plus de ton nom
Moi : .... Tables rondes ?
La fille : Drôle de nom.
Moi : Heu... Non... Heu... Mon nom c'est Mademoiselle B.
Elle me plante là et part à l'autre bout du bar.
Je me sens complètement conne.
Le Joueur d'Echecs me demande comment je vais, et si mes 4 jours de congés m'ont fait du bien.
Comme je suis nerveuse, je raconte des conneries :
Moi : Eh bien écoute... Je venais d'entrer dans le bar que le patron, avant même de me faire la bise, m'a dit "Vache, t'as l'air crevée !". Ça te résume bien les choses !
Blague à part, de son côté il a l'air exténué : petits yeux, des cernes, une pâleur qu'il n'avait pas il y a deux semaines. Il me raconte brièvement qu'il est à deux doigts de quitter son boulot, où il doit faire le job de 2 managers à lui tout seul.
Puis il part rejoindre la fille.
Charles-François maintient son sourire crispé, qui devient de plus en plus terrifiant, et marmonne entre ses dents : T'as qu'un mot à me dire, et je pète les dents de cette pute !
Moi : Mais enfin, arrête ! C'est pas elle ! C'est... Heu.... Moi...
Je repense à un appel téléphonique que j'ai fait à Morgueil après la séance de ciné, racontant ce "je ne peux pas" qui prend toute la place. Il s'était gentiment moqué : « Allons, ma chouette..."c'est pas toi c'est moi?", vraiment ?! ».
Je raconte la séance de ciné à Charles-François. Ce que ça a éveillé en moi. Le blocage - quelle idée de merde d'aller voir ce film !
Charles-François : Il serait tout de même complètement capable d'entendre ce que tu me dis ! Franchement ce type, c'est un vrai gentil-bienveillant !
Je soupire : Oui, j'en suis persuadée. Et c'est pour ça que je m'en veux autant. Mais c'est plus fort que moi. Et j'ai pas réécris depuis 2 semaines, et peut-être qu'il est passé à autre chose, et il aurait bien raison. Franchement, autant qu'il ne perde pas son temps avec une fille toute cassée comme moi !
Charles-François : Qu'est ce qui te dis qu'il n'est pas, lui non plus, un peu cassé et cabossé par la vie ?
Moi : Heu.... Oui, je.... Non, en effet.
Un silence.
Moi : N'empêche que j'ai laissé filer les choses.
Charles François tire la gueule, et ronchonne.
Puis :
- Franchement, elle est dix fois moins jolie que toi !
Je grimace un sourire, mais j'ai surtout envie de pleurer : Merci, heu, je suppose.
Puis il ricane, et cache un sourire carnassier en prenant une gorgée de vin :
- N'empêche, il est peut être face à elle, mais c'est constamment vers ici - vers toi - qu'il regarde !
La soirée se poursuit, et lorsque je veux m'éclipser, le patron du bar d'à côté (vu pendant le speed-dating) m'offre un verre.
C'est reparti pour un tour !
La cavalière du joueur d'échecs va aux toilettes.
Charles-François, toujours entre ses dents, avec une expression féroce : Putain c'est maintenant, vas y, VAS Y !!!
Moi : Ben heu... Quoi .... ?
Charles François se tire
Moi : Mais... Quoi ?!
Le Joueur d'Echecs arrive, et, après quelques mots d'esprit, redevient très sérieux et me dit :
- Moi je ne trouve pas du tout que tu as l'air crevée. Tu es ...
Sa copine revient des toilettes, passe devant lui avec le visage fermé et va s'assoir.
Charles François revient.
Le Joueur d'Echecs repart.
Non mais qu'est ce qui est en train de se passer au juste ?!
Plus tard :
La fille s'en va, et le Joueur d'Echecs s'installe avec nous.
Le verre de Charles-François est magiquement vide (je le soupçonne de l'avoir renversé quelque part, dans un sac à main qui trainait, peut-être) :
- Allez, moi j'ai fini, à demain au taf !
- Ah heu... Salut, alors !
Personnellement, j'ai deux verres de vin dans le ventre (c'est un et demi de trop), et je déblatère des conneries pseudo-philosophiques d'une voix aigue pour me faire entendre dans le vacarme.
On commence - enfin ! après 4 rencards - à parler de choses plus personnelles.
Pas de chance : je suis trop bourrée pour y faire attention et m'en souvenir.
Je retiens surtout qu'il dit que la fille est une bénévole du café associatif où il est très investi, et que c'était une réunion improvisé pour je ne sais quelle action ou évolution du lieu.
Au temps pour Charles-François et moi qui nous sommes monté le bourrichon....
A 21h30, je décide d'arrêter le massacre et de rentrer. J'ai la voix rauque à avoir beuglé des conneries, un début de mal de tête, je dois manger, préparer mon repas du lendemain, et accessoirement reprendre un peu ma vie et mon sommeil en main.
Il propose de m'offrir un autre verre, je décline. Un type qu'il connait est venu se greffer à nous, donc je ne le laisse pas seul.
Je titube un peu dans mon manteau, qu'il m'a déjà dit beaucoup aimer. J'ai au moins la satisfaction de n'être pas trop habillé comme un sac aujourd'hui - petite jupe graphique, pull cocoon, collant noirs. Je suis un peu moins intimidé devant son look ultra dandy.
Je lui dit au revoir, il me fait la bise, puis ajoute "Quand tu veux, avec très grand plaisir !"
Je lui dis de proposer, à l'occasion.
Puis file rejoindre ma voiture, garé trop loin.
Je marche depuis 4 minutes lorsque j'entends un sifflement près de moi. Pas un sifflement genre "Hé mademoiselle", plutôt le sifflement sinistre d'une poitrine prête à clamser. Un mouvement sur ma droite, j'arme mon plus beau high-kick, prête à attaquer, quand je découvre le Joueur d'Echecs, essoufflé (au bord de l'apoplexie serait plus juste), pendant que, saisie, je contient ma crise cardiaque.
- Ben... Mais... Qu'est ce que tu fais là ?
(Il n'a pas l'air bien sûr de ce qu'il fait là)
- Je... Heu... Hum.... Puisque tu as un weekend, et que moi je ne travaille pas... J'aimerai t'inviter à manger.
- Ah, super idée !
- De quoi as-tu envie ?
S'ensuit quelques discussions de cuisine, où j'apprends d'ailleurs qu'il a été chef cuisinier.
- Quel jour ?
- Samedi ?
Putain, quelque chose se passe là, grosse, grosse sensation, on va se sauter dessus, oui, non, non, on opte pour une bise qui pourrait bien glisser, qui finalement s'arrête à un seul baiser sur la joue. Etonnant, comme une seule bise peut être beaucoup plus érotique que deux, alors que c'est moitié moins.
Peut-être est-ce aussi dû au regard brulant qu'il me jette.
Le rendez-vous est pris, si facilement. Samedi soir.
Je déplore seulement que mes émotions ne soient qu'une énorme, une monumentale terreur.
Un mélange de "ENFIN !", de "J'ai tellement envie d'un peu d'intimité avec lui (ou au moins pouvoir parler dans un lieu où on ne sera pas obligé de gueuler pour s'entendre)", et aussi de "Non ! Je ne peux pas".
Sur mon trajet de retour, je rejoue le "je ne peux pas" à toutes les sauces, et le "C'est pas lui c'est moi". Vraiment ?! C'est vraiment moi ? Non, c'est pire : c'est ni lui, ni moi, juste les histoires d'avant.
Et soudain, ça me semble insupportablement injuste. Pourquoi les horreurs des autres doivent empiéter sur mon présent ?!
Me prend brièvement l'envie d'aller péter sa gueule à Isaac.
Ce qui n'apporterait en soi pas grand chose, quand on y réfléchit.
Et puis une autre question me distrait : je me demande à quel moment et comment il a planté le type qui était avec lui au bar pour sortir en courant et rattraper une fille pompette habillée comme le petit chaperon rouge.
Ou alors c'est le gars qui l'a poussé ?
Est ce que le patron du bar s'est dit qu'il faisait un resto-baskets et qu'il était en train de courir derrière lui pour le rattraper ?
Et, surtout, grands dieux, pourquoi n'a t il pas juste envoyé un texto plutôt que de me courir après sur 500 mètres ?!
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