lundi 27 décembre 2021

L'autre fille

 Je mangeais avec une ancienne collègue et copine, qui était venu à cette fameuse soirée surréaliste où Le Joueur d'Echecs et moi avions officiellement entamé une liaison - et où j'avais officiellement arrêté de jouer la nunuche. Elle fait partie du staff du théâtre, et semble avoir d'ailleurs fini cette fameuse soirée avec le Napolitain canon, ce que je trouve irrésistiblement drôle.
Nous sommes en train de manger, quand soudain elle pose sa fourchette, et me dit d'un air hésitant :
- J'ignorais que vous étiez ensemble, ce soir là...
- Ah non non, mais alors t'inquiète, nous ne l'étions pas ! Pas à ce moment là en tout cas.
Elle a l'air surprise, me dit que pourtant, ça semblait tellement évident... Et aussi que presque tout le monde se sentait de trop autour de nous. [Je lui dirai qu'elle exagère, mais quand j'en parlerai à Pomme, elle acquiescera : « Ah non mais c'est clair, il y avait une insoutenable tension sexuelle quand vous étiez tous les deux, il était vraiment temps que vous vous sautiez dessus c'était insupportable ! ». Ah... Ah bon ?!] [Au temps pour mon jeu d'actrice nunuche, n'est ce pas]
Et là ma copine, avec un air coupable :
- Il faut que je te dise... Le joueur d'Echecs... A son sujet...

Et là, tu sais exactement que ce qui va suivre ne va vraiment pas te plaire.

Elle m'apprend que ce fameux soir, l'une de ses collègues, que l'on appellera [en lien avec  un roman très connu, et parce que c'est la seule association d'idée que j'ai trouvé] Dina, a donc appris, en me voyant, qu'elle n'était vraisemblablement plus avec lui.
- QUOI ?!
- Apparemment ils vivaient un truc ensemble, et... Bon, elle t'en veut énormément...
- J'imagine !
- Mais je t'ai défendu, je ne pense pas que tu es ce genre de personne !
(... Peut-être que si, je le suis)
- Tu n'en savais rien ?
- Non, je n'en avais aucune idée, et je m'en veux terriblement car je n'ai absolument pas vu son malaise ce soir là !
- Ah ça, elle s'est décomposé, je l'ai vu tout de suite !
- Oh merde ! Je suis vraiment tellement désolée...
- Je m'en doutais un peu... Et j'ai beaucoup parlé avec elle, bon, maintenant elle lui en veut surtout à lui...
- Ah ! Elle a bien raison !
- Bon, néanmoins, je te connais depuis plusieurs année... Et elle je la connais un peu aussi.... Je pense qu'elle a surinvesti un truc qui n'était peut-être pas ce qu'elle pensait... Garde la tête froide, mais... Reste un peu méfiante tout de même ! Bon, cela dit, vous deux, je trouve que vous allez super bien ensemble : Vous avez un style bien à vous, et un air de ne pas y toucher qui est on ne peut plus trompeur !

Dans un premier temps, je ne garde pas du tout la tête froide. Je passe deux heures au boulot hébétée ET folle de rage. Lui a bien choisi son moment, puisqu'il est parti en congé s quelques jours.
Que faire ?

Je termine ma journée de boulot en ayant été particulièrement improductive, puis, me trompant de chemin pour rentrer chez moi, je passe devant ma salle de sport et décide de m'y arrêter ; je fais un cours affreux, une vraie torture, un genre de géronto-cours pour les abdos-cul, qui me donne l'impression de me soumettre à la question - je suis prête à avouer mes plus grands secrets pour que ça s'arrête.

Je repars en boitillant.

Je rentre. 

Je suis toujours énervée.

Je me demande comment c'est possible que je me foute toujours dans des situations aussi merdiques.
Clairement, j'attire les tordus, et/ou les types qui n'ont aucune sensibilité.

Je mets très fort Resiste de France Galle, et je chante à plein poumon en dansant dans ma cuisine.

Je repense à la carte, reçue juste avant la pièce de théâtre : "Tout finit par s'arranger, même mal".

Mais oui, c'est vrai.

Je m'assois, et je me serre un verre. 
Soudain, je suis complètement calme.
Les choses se dénoueront - car elles devront se dénouer, qu'importe la conclusion.
Qu'est ce que ça dit, tout ça ? Que peut-être je me suis encore plantée.
Je soupire : je dois encore vivre des trucs pareils, à mon âge ? A 34 ans, faut-il encore expérimenter ce genre de drama-crise ? 
C'est exactement pour cette raison que je m'interroge sur l'intérêt d'avoir quelqu'un dans ma vie. 
Je me souviens d'une locataire, la quarantaine, avec qui j'ai beaucoup sympathisé et avec qui je suis restée en contact, qui m'a dit une fois « Si les choses ne paraissent pas simple dès le départ, ce n'est pas la peine ».
Et en même temps, cette crise, cette déception, si elle coche la case "il ne m'arrive vraiment que des histoires à la con", n'a pourtant rien de dramatique.
C'est drôle, on  en discutait justement il n'y a pas si longtemps, lui et moi : « C'est quoi le dernier vrai gros truc grave qui t'es arrivé dans ta vie ? Et c'est quoi, "vraiment grave" ? ». La conclusion, c'est qu'il y a peu de choses qui méritent d'être considérée comme "grave".
Là, est-ce que c'est grave ?
Non, c'est préoccupant, décevant, révoltant... Mais pas grave. Et ça arrive suffisamment tôt pour que je n'ai pas eu le temps de m'attacher, et que je me dise « Ah, j'ai bien fait de ne pas lui avoir fait confiance ! ».

Je sirote tranquillement mon verre de vin, accoudé au bar de ma cuisine.

Je suis calme.

Pas du tout dévastée.

Peut-être que ce serait mieux de tout arrêter, après tout. C'est très stressant pour moi, je suis incapable de dormir chez lui, je m'enfuie en pleine nuit, je suis raide comme la justice quand il me prend dans ses bras, et cette situation ne me surprend pas parce que je suis continuellement en attente de ce qui va foirer, tellement je suis sûre que ça foire TOUJOURS ! C'est pas fair-play pour lui (mais là dans l'immédiat, je me dis qu'il le mérite), qui n'aura jamais droit à l'erreur, et c'est beaucoup d'angoisses pour moi (et est-ce que je mérite, ces émotions négatives, même si c'est moi qui me les inflige ?)

Je réfléchis à ce que je peux faire. 
Il n'y a pas trente-six solutions : soit je le confronte, soit j'oublie et je fais comme si je ne savais rien. J'envisage de les convier tout deux un soir, et qu'on tire cette histoire au clair tous les trois. Qu'aucun ne puisse se défiler. J'imagine la scène avec un certain plaisir.
Et puis je me souviens tout de même de l'avertissement de ma copine : « Cela dit, méfies toi de ce que Dina raconte, j'ai compris le personnage, elle s'imagine un peu des trucs sur beaucoup de chose, et elle s'est peut-être enflammée au sujet du Joueur d'Echecs ».
Bon, la fille a l'air un peu sensible, un peu écorchée vive et serial-amoureuse, ça tombe bien je connais ça, et ce n'est pas dit qu'elle apprécie la rencontre. Ca pourrait tourner au drame émotionnel, et ça n'est pas forcément une bonne idée.
Dommage, car l'image était séduisante.
Pour autant, hors de question de laisser passer.
D'une part parce que ça ne serait pas juste.
Ensuite parce que ça me bouffera.
Enfin parce que je souhaite montrer, dès maintenant, qu'il ne faut pas me manquer de respect. Rien laisser passer.

J'ai deux verres dans le nez, je rédige un texto sibérien, où je lui dit qu'on me considère comme une salope briseuse de couple, et que, comme tout un chacun, ça me plait moyennement, et qu'il va falloir qu'il m'explique vite et bien pourquoi un truc pareil me tombe dessus.
Il m'appelle dix minutes plus tard :
- Tu pourrais me réexpliquer ça à l'oral ?
Je lui raconte le déjeuner de travail, ce que j'ai appris, le malaise. Je n'ai donné aucun nom, aucune indication - on ne sait jamais, sur un malentendu, j'en apprendrai peut-être plus que je n'en attendais.
Il reste d'un calme olympien, et explique :
- En effet, juste avant toi, je... sortais avec une fille. Dina. Bon, pas grand chose en fait, on avait eu deux rencards, et la dernière fois, il s'est passé un truc super rédhibitoire : elle m'a planté au bar, en me disant "Tu ne fais que parler de ton boulot, ça me fait chier". Elle est partie, et elle n'a plus donné de nouvelles. J'en ai déduit que je venais de me faire larguer et que c'était terminé.
- Vraisemblablement, pas dans sa tête non !
Je dois tout de même admettre qu'à sa place, j'aurais probablement réagit pareil - mais hors de question que je l'avoue à voix haute.
- Mais attend... Dina... C'est la fille que j'ai vu au bar avec toi le soir où Charles-François déprimait ?!
- Mais oui ! Et c'est ce soir là qu'elle m'a planté !
Je note mentalement qu'il m'avait tout de même dit ce soir là que c'était une fille du café associatif et que c'était une réunion de "boulot". 
Et qu'il regardait vers moi tout du long, si j'en crois Charles François. 
...Mon Dieu, elle a dû se sentir tellement humiliée !

- Mais on s'est vu genre deux fois, c'était vraiment pas.... 
- Eh bien pour elle, ça l'était, apparemment !
- Mais elle ne m'a plus donné de nouvelles après ça ! Pour moi c'était clairement plié, elle m'avait jeté !
- ..... Mouais....
- Bon, et puis tu es arrivé...
- Ah non non non non ! Moi je suis arrivée nulle part là, au pire j'étais là - et saoule, probablement - mais je n'ai rien fait là dedans, d'accord ?!
- Oui, oui, bien sûr ! Et un peu pompette, oui, aussi. Mais n'empêche que tu es arrivé, à un moment, et c'était juste... toi quoi.
- *bruit étouffé*
- De toute façon, je suis un homme donc j'aurais forcément tort, c'est ça ?
- ... Niiiiioooon.... Ahem.... Pas forcément.... N'empêche...
- Pourquoi ça t'embête autant cette histoire ?
- Parce que ce n'est pas propre ! Et que ça me fout dans une situation de merde, car je ne peux pas aller à l'anniversaire de ma pote pour ne pas blesser Dina par ma présence alors que TU as merdé. Et ça va peut-être foutre en l'air un projet que je voulais monter avec le théâtre, et qu'en plus... Non, merde, c'est pas classe ce que tu as fait ! Et nous on s'était vu avant ça, ça s'est chevauché tout de même !
- Oui enfin, après le cinéma, tu as quand même coupé les ponts !
- .... Ahem... Oui... ça.... En effet..
- Mais au delà d'elle, toi personnellement, qu'est ce qui te gêne ?
Ah, le fourbe ! Il est très fort ! J'hésite à refaire la nunuche, mais il me recadre directe :
- Pourquoi ça t'as fait du mal ? Ca te fait quoi, par rapport à moi ? A nous ?
[Pomme, quand je lui raconterai : « hhhhhhh, il a dit nous !!!!! »)
Cela dit, c'est l'occasion de jeter ça sur la table, non ?
- Je me dis que tu n'es pas quelqu'un de sérieux et ça me blesse, et me déçois. Vu ce que j'apprends, je me dis que peut-être que rien n'est important pour toi, que je ne suis qu'une distraction, et peut-être que si ça se trouve, tu as une autre nana en Alsace. Peut-être même dans toutes les villes que tu visites, pour ce que j'en sais. C'est facile, de s'imaginer le pire après ça ! Dans l'absolu, tu pourrais, ne vouloir que passer le temps et t'en foutre, et pourquoi pas, après tout, mais je souhaiterai juste être au courant !
Il rit.
Il RIT, le con.
- Alors... C'est pas faute d'essayer, mais je ne serai jamais un homme à femmes. Et tu es loin, très loin d'être une distraction. Je n'en ai pas beaucoup, tu as remarqué ? 
- Oui enfin... Tu as le boulot, le bar associatif, les échecs, tous les bénévoles de l'asso, les amis que tu t'es fait, les soirées et les concerts au bar...
- Ok, c'est vrai, je n'avais pas réalisé, mais je suis beaucoup moins centré sur mon taf que ce que je croyais... Ok... Sauf que là, je suis en congé, je suis partie pour me ressourcer mais je n'a qu'une envie, c'est de revenir plus tôt pour te revoir plus vite, même si ça veut dire me repercher dans mon appart où j'ai une vue plongeante sur mon taf. Et ça me fait peur, un peu, et c'est pas normal, et pas habituel.... Mais c'est bien ! 
- .....
- Je te trouve intelligente, extrêmement cultivée, et dans des domaines tellement différents des miens que tout le temps qu'on passe ensemble est palpitant, parce qu'on échange des trucs presque opposé. Et chaque soirée que j'ai passé avec toi a été une bonne, très bonne soirée, et clairement, non, ce n'est pas une simple distraction ! TU n'es pas une distraction.
- ...... D'accord.
- Et en face, je n'ai aucune idée de ce que tu en penses, parce que tu ne dis rien, et que le seul truc qui a pu éventuellement me faire penser que tu avais envie qu'on se voit, c'était ton message "est-ce que tu es déjà parti ou on arrivera à se voir avant ?"
Je toussote, gênée. Mais il a complètement raison, je n'exprime rien, je ne me dévoile pas -surtout pas ! - et dans l'ensemble, je suis constamment prête à lui sauter à la gorge et lui imputer tous les maux du monde.
- Alors, on est quoi au juste ?
Je réfléchis.
- C'est un peu tôt pour le dire, non ?
- On est d'accord.
- ... Mais...
Comment dire ça ?
Il prend les devants :
- ... Mais tu n'es pas une distraction. Et j'ai hâte de rentrer pour qu'on se voit. Oh, et dès mon retour, je prend rendez-vous avec Dina pour tirer ça au clair et mettre les choses à plat avec elle.


Gestion de crise : 5/5
Gestion du stress : 4,5/5
Faculté à dire ce qui est important et qui fait du bien : 4/5 ["C'était...juste toi quoi". Gosh. Un truc pareil peut vraiment m'arriver ?]
Confiance que je commence à lui accorder : en hausse.
Et si c'était vraiment quelqu'un de bien ?!

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