vendredi 10 février 2017

Voyage en Afrique. Partie 3 : Le sens de la vie

Suite et fin du périple. J'ai tardé à écrire la suite, car tant qu'elle n'était pas écrite, elle était toujours là, comme une page ouverte. Laisser le texte inachevé, c'était ne pas le ranger dans le passé...
Les précédents épisodes sont ici :
Voyage en Afrique, partie 1/3 : Le cas de Mister Perfect


Nous sommes ensuite partie pour Mbour. On a pris un taxi 7 places, qui nous a coûté quatre fois moins cher que notre trajet Aller, alors qu'on allait plus loin. Énervement de réaliser qu’on s’est fait arnaquer bêtement depuis le début.



On arrive à Mbour, le taxi nous dépose n’importe où. « C’est bien le stade ça ? »
« Oui oui »
« Allo Neveu ? Le stade est bien entre l’hôtel de ville et la police ? »
« Pas du tout. Mais c’est pas grave, je viens vous chercher »
Foutus taxis.
Le temps que Neveu arrive, on est entouré de gosses qui nous réclament de l’argent. Mister Perfect, excédé, sort des gâteaux et commence à manger. Je suis choquée qu’il fasse ça devant ces gosses crasseux qui ne mangent probablement pas à leur faim. Mais je ne sais pas trop quoi faire, et je panique qu’on nous vole un truc si je ne fais pas gaffe aux bagages.
Sur ces entrefaits, Neveu arrive. Je sens qu’on passe un niveau social : il roule avec un gros véhicule, quasi neuf (qui a moins de 10 ans en France quoi). Les ceintures de sécurité fonctionnent à l’arrière (je crois que c’est la première fois du voyage). Il a un chauffeur.

Il nous emmène dans la maison où on va loger. Un grand bâtiment de 3 étages, qui appartient à son meilleur ami. Nago, prof de danse africaine réputé en Allemagne, où il vit la moitié de l’année.

Les gens d’ici semblent idolâtrer ce mec. Quand on arrive, il est dans un petit salon avec des tas d’autres gens, qui l’écoutent religieusement pendant qu’il parle. Je flippe un peu : on est tombé dans une secte ou quoi ?
Il vient nous saluer.
« Tu fais de la danse ? »
« Non »
« Ah, c’est dommage. La danse permet de faire bouger le corps, et ça laisse de la place à l’âme. On oublie ça en Europe. On est pressé, on se noie dans les soucis, on oublie son âme. Et ensuite on finit en dépression.
Il serre ma main à ce moment, et la retient dans la sienne, en me fixant dans les yeux.
« N’est-ce pas ? »
Je suis forcé de soutenir son regard, et je le dévisage avec incrédulité, surprise… Et surement une pointe de culpabilité. Je finis par lâcher un petit « ….oui », et il éclate de rire, me lâchant la main.
Et là je me dis « Oh bordel, encore un mec qui va lire en moi comme dans un livre ouvert, qu’est-ce qu’ils ont tous ?!

On va déposer nos affaires dans une chambre sur la terrasse, une pièce vide avec juste un matelas au sol. Ça ira bien. Il y a une salle de bain à quelques mètres de la chambre. Il n’y a pas d’eau. Mister Perfect crise un peu (d’autant plus que sa crème de merde qu’il étale comme un foufou a fini par peler sur sa peau sale. Il m’engueule de ne pas l’avoir prévenu. Je lève les yeux au ciel); moi j’ai fini par m’y faire.

On redescend, on est invité à manger dans la maison familiale de Neveu, qui habite à quelques rues de là.



On s'installe en rond dans la cour, autour d'un gigantesque manguier. On discute. Il y a des enfants, des adultes. Un vieillard passe. Neveu nous dit qu'il ne connait pas cette personne, mais que c'est comme ça ici : on accueille. Il nous dit que sa maison se remplit aux heures de repas - et puis ensuite, tous ces "invités", tolérés parce que c'est la culture qui veut ça, s'éparpillent comme une volée d'étourneaux. Il nous dit qu'en Afrique, les gens sont pauvres parce que leur salaire sert à entretenir des familles gigantesques.
Je lui demande quels sont ses enfants, parmi tous ceux qui sont là.
- Aucun. Je n'ai pas d'enfants.
Situation complètement inhabituel pour un sénégalais. Je suis surprise, et j'en oublie la délicatesse :
- Quoi ? Tu n'as pas d'enfants du tout ?!
Et puis je réalise. Et je m'en veux. Il confirme ce que j'avais deviné :
- On ne peut pas en avoir. Problème gynécologique.
Je ne sais pas si je dois m'excuser ou compatir. Je ne sais pas quoi dire. Alors je garde le silence.
Au bout de quelques instants, il explique qu'il aurait pu faire un deuxième mariage - sa religion l'autorise. Mais il me dit avec un petit sourire qu'il n'a pas voulu. Et puis il dit que finalement, tous les enfants qui viennent ici sont un peu les siens, quelque part.
On mange à l'Africaine, tous autour du même plat, avec une cuillère. Je souffre : c'est un Tien bou Dien, un plat de riz au poisson, et je déteste le poisson. Alors je prends des cuillerées de riz, le plus loin possible du poisson, et je mange lentement, avalant très vite lorsque le gout est perceptible et me file des hauts le cœur. Ils ne boivent jamais en mangeant là-bas, je ne peux même pas faire la technique "une cuillère-une gorgée". Je me concentre très fort pour ne rien faire d'impoli ; difficile de tricher quand on mange tous dans le même plat.
Malgré ce petit moment de solitude, j'adore cette façon conviviale de manger.
A la fin du repas, on boit un thé à l'Africaine : un thé à la menthe très infusé, très sucré, à l'apparence assez trouble. On continue de discuter. On est bien, ici. On pourrait s'endormir, à l'ombre des feuilles du manguier, dans la douce chaleur de l'après-midi. Les enfants sont partis.

On retourne à notre chambre, la femme de Neveu nous rejoindra en fin d'après-midi pour nous emmener au marché. Je voudrais trouver du tissu africain, du Wax. On aimerait aussi pouvoir acheter des fruits.
En attendant que le temps passe, on s'assoit dans la chambre et on discute. Je me sens nettement plus sereine, impression d'avoir enfin trouvé de la sécurité dans ce voyage. Mister Perfect est également enchanté de notre arrêt ici.
Au marché, c'est l'effervescence. Un monde incroyable, un bordel sans nom, parfois une saleté repoussante. Et une odeur. Je ne sais pas la définir, mais je sais que je la connais, qu'elle est ancrée dans mes souvenirs ; je connais cette odeur. Elle remue de vieilles choses en moi. Mélange d'épices, de nourriture, de détritus, des corps autour de moi. L'odeur de l'Afrique, telle que je m'en souviens. Je répète comme une automate "Cette odeur, bon sang !".
Je trouve du tissu magnifique pour une bouchée de pain, et puis on goute ce qui va devenir notre plus grosse dépendance du reste du voyage : le café Touba. On avait décliné lorsqu'on nous en avait proposé la première fois : préparé au bord de la route, dans des conditions d’hygiène douteuses, à la couleur un peu trouble, on avait préféré s'abstenir. Là, la femme de Neveu a insisté. Une gorgée; et j'ai l'impression que mes pupilles se dilatent tellement je tombe amoureuse de ce breuvage : C'est fort, c'est sucré, c'est chaud, c'est épicé. Délicieux.
On rentre du marché heureux. On se donne rendez-vous le lendemain pour aller au marché des artisans.

L'eau est revenu lorsqu'on rentre, et Mister Perfect disparait dans la salle de bain. Moi je sors prendre des photos de la terrasse et des environs, et j’envisage de me mettre au soleil pour écrire un peu. Pendant que je prends en photos les toits, j'entends un petit : "Hallo !"


Je découvre 4 allemandes, assises sur une natte. On commence à discuter en anglais (puisqu’en allemand, mon vocabulaire se limite à « Rayon de soleil » et « merde », avouez qu’on n’ira pas bien loin comme ça). Elles m’offrent des « African’s sweets », qui sont des sortes de beignets très sucrés et très bon, et un verre de bissap). Elles viennent de finir 3h de danse, et prennent une collation bien mérité. Elles me demandent si je vais danser ; je n’en sais rien, mais l’ambiance du lieu, leur accueil, et Nago, me donne envie de tenter. Je me demande si c’est abuser de la situation que de m’incruster dans leur stage.
Le soir, repas tous ensembles sur une natte, dans le couloir au rez-de-chaussée. On se regroupe autour d’un plat, et on mange. On discute, il y a de l’anglais, de l’allemand, du français, du wolof. C’est coloré, c’est chaleureux, et malgré les langues qu’on ne comprend pas, on se sent intégré et serein.
Nago nous parle de sa vision de l'amour, et de ses enfants. Il pense que l'amour et le désir de possession sont deux choses différentes, qu'il ne faut pas mélanger. "Tu ne m'appartiens pas, et je n'appartiens qu'à moi". Dans sa vie, si sa compagne le trompe, et qu'elle revient, il va pardonner. Au contraire, il va même être flatté "C'est qu'elle avait besoin de ça pour voir que je suis meilleur pour elle, et que c'est moi, qu'elle aime".
Et puis si un jour elle ne l'aime plus, alors il "transformera" ses sentiments, il l'aimera toujours, mais autrement. Parce que "elle ne m'appartient pas".
Je suis complètement d'accord, moi la fusionnelle, moi la jalouse, celle qui lutte contre cette nature. J'aimerai juste le vivre aussi sereinement. Même si, lorsqu'on en parle, je pense au mec-de-la-salle : il y a peut-être d'autres filles, mais il revient vers moi, et c'est tout ce qui m'importe. Peut-être que ce n'est pas si compliqué, d'aimer l'autre sereinement.
Mister Perfect, qui ne jure que par l'exclusivité absolue, est scotché. Il comprend. Mais il se sent à mille lieux de ça.
Je sens que Nago se demande la nature de notre relation, à Mister Perfect et moi. J'ai l'impression qu'il nous prend pour un couple, mais qu'il sent qu'un truc ne colle pas. Je trouve ça drôle. Il ne nous demande rien franchement. Alors je ne dis rien non plus. 
Nous nos couchons épuisés. Malheureusement, vers 4h du matin, nous réalisons qu’on est juste à côté d’une mosquée. L’appel à la prière commence, on sursaute, ça dure 20 secondes. On ricane « Lui aussi, il s’est dit que c’était plutôt l’heure de dormir ! ». Tu parles : 5 min plus tard, l’appel reprend, plus fort, et… dure une bonne heure.
En désespoir de cause, on discute, on va faire le petit pipi de la nuit, et « Oh t’as vu, le ciel est superbe ! », parce qu’il est juste impossible de dormir.
Le lendemain matin, on fait un peu la gueule. Je me tourne vers Mister Perfect, et me rendors contre son dos. Je ne sais pas ce qui m’a pris, envie soudain d’être contre lui. Il reste immobile contre moi. Et puis on fini par se lever.
Au petit déjeuner, de nouveau on se regroupe tous ensemble, assis par terre sur des nattes autour de pain, de fruits, de thé. J’angoisse un peu : est-ce que j’assiste au cours de danse ? En ai-je le droit ? Les allemandes me redemandent.
A 10h, je suis sur le toit, dans l’espace dédié au cours. Stressée. Anxieuse. Et pourtant impatiente et curieuse.
Le cours commence. Il va durer plus de 2h. 5 musiciens sont là, et jouent du djembé. Nago montre quelques mouvements, que l’on intègre petit à petit, puis qui vont former un véritable enchaînement. Et on va danser, danser, danser, sur le toit de Mbour, sous le soleil du Sénégal, au son des djembés. La danse africaine est assez intuitive, pas très compliqué. Nago insiste d’ailleurs beaucoup là-dessus « Ta tête a compris le mouvement, c’est bon. Maintenant laisse ton corps prendre les rênes ! »
Et plus je danse, avec ces mouvements libérateurs, plus j’ai l’impression de me nettoyer de mes idées noires, et de la chape de plombs qui pèse sur ma tête. C’est extraordinaire : C’est comme si je sentais physiquement le fait d’ouvrir une porte en moi, comme si j'arrachais mes nuages noirs à mains nues.
Après le cours, c’est l’heure du repas. Et à la suite du repas, on va à la plage avec deux des allemandes. Nago interpelle Mister Perfect lorsqu'on part : « Sais-tu que c'est une bonne danseuse ? ». Je suis gênée, bien que flattée. Mister Perfect répond du tac au tac « Je n'en doute pas un seul instant ».
Nago a négocié avec un grand hôtel, et on peut utiliser leur plage privé gratuitement. C’est un paradis. On se baigne, on se pose au soleil, et je me dis qu’on pourrait rester là tout le reste du voyage : de la danse, du soleil, la plage, puis encore de la danse. Programme de rêve.
Mister Perfect lui, commence à prévoir les jours suivants : il veut aller ici et là, dormir dans le désert, et repartir à Dakar, et puis…
Mais moi, est-ce que j’ai envie de tout ça ?


On rentre en fin d’après-midi. Le cours de danse commence à 17h, et je regrette de ne pas y assister. Mais je m’étais engagé pour aller au marché des artisans avec la femme à Neveu. 
On va donc dans un petit marché caché dans un labyrinthe de ruelles. J'achète quelques statuettes en bois pour mes amis. Mister Perfect se lâche complètement, et achète des tas de bibelots.
Quand on revoit Neveu le soir, il me taquine « J'ai lu dans le journal qu'on avait une grande danseuse ici. Il y a eu un article, parait que tu danses très bien ». Je ris. Il a cette attitude moitié taquin, moitié réservé, et je sens qu'au fond, c'est un ours au grand cœur. Grande bouffée d'affection pour lui.
Le soir, au repas, j'ai faim. Une faim que je n'ai pas ressentie depuis des mois. Je dévore le plat, je picore voracement la pastèque servit en dessert dans un grand plateau commun. Je me détache complètement des conversations. Je redécouvre le plaisir de manger. Mister Perfect discute avec une des personne qui navigue dans la maison, et qui est organiseur de voyages. Il veut dormir dans le désert de Lompoul, il veut faire le lac rose, et les marchés de Dakar. Il reste 2 jours et demi. Et moi j'ai juste envie de rester ici.
Le soir je discute avec Nago, pendant que Mister Perfect se douche (surement) (de toute façon quand il est introuvable, c'est qu'il se douche encore). Il sent que je n'ai pas envie de partir. Il rit - de toute façon il rit tout le temps. Il me dit que c'est à moi de faire mes choix. Qu'il serait ravi que je reste. Qu'il trouve dommage que je sois arrivé si tard « J'aurais aimé qu'on ait plus de temps pour parler, pour se connaitre ».
Je me sens écartelé. Mister Perfect est déjà en train de se projeter sur les 3 prochains jours, il me demande mon avis, fait des plans. Moi je me demande s'il m'en voudrait, que je le lâche et que je le retrouve dans 3 jours à l'aéroport.
Je me dis que le lac rose et les marchés, ils seront toujours là. Qu'en revanche, l'expérience d'un stage de danse africaine sur les toits de Mbour, en allemand, c'est nettement plus unique. Que la nuit dans le désert, ça ne m’intéresse pas - j'aurais froid, et ça coute trop cher.
J'y pense le soir, avant de m'effondrer de sommeil. Je cogite entre 4h et 5h, pendant que le muezzin déclame son appel à la prière. Je me dis que ça, par contre, ça ne me manquera pas, ça me flingue complètement le sommeil.
Au petit déjeuner, je me tape une baguette à moi seule. Des fruits. Du thé. Du fromage. Mister Perfect est interloqué : "Mais comment un tel volume peut physiquement rentrer dans ton estomac ?!". Je n'en sais rien. Je sais juste que j'ai faim.
Je décide de continuer le voyage avec Mister Perfect. Je veux voir le lac rose, que je voulais voir lorsque j'étais venu ici étant enfant. Envie de voir encore des nouvelles choses, avant de repartir. Une journée de plus à Mbour ne changera pas grand-chose. Une partie de moi est déchirée, mais j'ai pris ma décision.
J'ai insisté pour qu'on reste jusqu'en début d'après-midi pour faire le cours de danse. Je me donne à fond, puisque c'est le dernier. Aujourd'hui, il y a 6 ou 7 musicien et Nago accompagne les djembés en chantant. Je pense que la musique doit s'entendre dans toutes la ville. Les gosses du village arrivent en courant dès qu'ils sortent de l'école, comme une volée de moineaux.
Je prends 5 min pour m'asseoir dans un coin, et embrasser cette scène. J'aimerai graver dans ma mémoire cette musique, les visages, les odeurs, la sensation qui m'étreint en ce moment.
Une des allemandes vient me chercher, m'aide à me relever en souriant, et on recommence à danser.



Mister Perfect est encore en train de chercher comment s'organiser sur les prochains jours du voyage, pour réussir à caser tout ce qu'il veut faire, et surtout la nuit dans le désert.
On prend un dernier repas tous ensemble. Je suis encore un peu triste de quitter cet endroit, mais enchantée ; j'ai des bouffées d'affection pour tout le monde, et je me sens pleine de gratitude.
On laisse de l'argent à Neveu et à Nago en partant, ainsi que des fruits.

On reprend un taxi, direction Dakar, où "Tonton Ti" doit nous prendre en charge. Le taxi qu'on a trouvé est juste une épave : le pare-brise est dans un état lamentable, les portes sont dépenaillées, aucune ceinture de sécurité ne fonctionne, le tableau de bord est mort. Soudain, la voiture s’arrête ; le chauffeur, hilare, se retourne et nous dit « Vous allez rire, j'ai oublié de mettre de l'essence avant de partir. Et j'ai pas de voyant pour l'essence, le tableau de bord ne fonctionne pas ! ». Il part dans un marché, de l'autre côté de la rue, et s'y perd pendant 5 min, avant de revenir avec un bidon d'essence. Avec un autre gars, ils se mettent à découper une bouteille d'eau pour en faire un entonnoir à l'aide d'une machette qu'ils ont dans le coffre (!). Resté dans la voiture, nous sommes dans nos petits souliers. Ensuite ils se mettent en quête de transvaser l'essence dans le réservoir. Mister Perfect n'arrête pas de dire « Mais ils n'y arriveront jamais comme ça ! Ils vont en mettre partout ! ». Et on retient notre souffle, parce que les deux ont la cigarette au coin des lèvres en faisant ça.
Un vrai sketch. Mais au final, ils s’en sortent, et on est toujours vivants. Je glisse à Mister Perfect, qui se plaint depuis le début du voyage que ma malchance caractérisé lui pourrit son habituel bonne étoile : « Ta bonne étoile est en fait débordée à nous garder en vie, elle fait bien son job, elle a juste pas le temps pour les détails ». On se gondole silencieusement comme deux imbéciles.
On arrive enfin à Dakar, à "Patte d'Oie", que l'on comprenait "Padoua" depuis le début. On trouve Tonton Ti, qui nous emmène dans un hôtel, et nous réclame de l'argent (on s'est un peu fait avoir sur ce coup-là). Hôtel assez cher, à l’européenne, avec wifi, l'électricité, de l'eau, et même de l'eau chaude. Je suis presque déçue de ce retour à la civilisation. Toutefois, les 20 min que je passerais ensuite sous une douche brûlante, à nettoyer la crasse de ma peau et la poussière de mes cheveux seront justes extatiques.
Vu qu'on a du wifi, je perds complètement Mister Perfect, qui se met à écrire fébrilement à tous ses contacts FB, y compris sa copine. Il me saoule, et j'ai hâte qu'il aille faire sa nuit dans le désert.
On va se balader dans le quartier, à la recherche d'un distributeur, car son craquage au marché des artisans à vidé nos réserves. On en profite pour acheter un verre de café Touba, vendu sur le bord de la route.
Là on commence à paniquer : il a atteint son plafond de retrait, et moi je ne peux rien retirer parce que je n'ai plus d'argent sur mon compte. Finalement, on trouvera à s’arranger avec ma mère pour qu’elle renfloue mon compte.
 Mister Perfect continue d'essayer de prévoir sa nuit dans le désert, mais finalement il préférera laisser tomber, pour éviter de trop courir après le temps. Je suis moitié déçue de ne pas avoir une nuit pour moi, et moitié soulagée de ne pas avoir à me balader seule dans les rues.
Le lendemain, on va prendre un café Touba, avant d'aller au Lac Rose, où l'on se baigne, et où on rencontre des travailleurs. On parle avec un homme très beau, qui passe plus de 8h par jour dans l’eau salé à soulever des kilos et des kilos de sel pour un salaire de misère. On lui laisse un peu d’argent (environ 7,50€) pour le remercier de sa gentillesse, et on apprend qu’on vient de lui donner la moitié de son salaire de la journée. Ça calme.

Le lac rose, et des montagnes de sel 
A midi on mange dans un petit resto d’un hotel, où le cuisinier, adorable, est également très bavard. Et nous dit qu’en Europe on est trop speed, que dans la vie, il faut « se presser en prenant le temps ». J’aime bien.  
Le soir, on se pose dans un restaurant/fast-food libanais, et je prends une sorte de kebab/chausson/beignet, un truc monstrueux qui dégouline de gras, où il y a aussi des frites et des œufs bourrés dedans. Mister Perfect est vert, moi j'engloutis ça avec bonheur. Et je me tape ensuite une assiette de salade composée. De nouveau, il me regarde, presque épouvantée : "Ca va ? Nan parce que je ne comprends pas comment tu peux manger un volume plus gros que toi". Je crois que je lui coupe l'appétit.
Et puis on retourne boire un café Touba.
On repart avec nos bagages le lendemain (mais après avoir été chercher un café Touba), qu'on dépose dans un resto (en échange de la promesse de manger chez eux le soir), et on va sur l'ile de Gorée. Là, on commence à en avoir ras le bol de se faire aborder par tout le monde pour nous demander de l'argent. Ici, leur technique c'est de nous demander notre prénom, et de dire « Oh, ma filleule porte le même nom ! On est lié, comme si on était de la même famille ! Tu m'achètes quelque chose ? » (Il doit donc y avoir une bonne dizaine de petites filles qui portent mon prénom sur l'île de Gorée, si j'en crois les vendeuses)
Au retour, on doit attendre 3h pour pouvoir reprendre la navette, car il y a beaucoup d'attente. Mister Perfect râle, il voulait faire les marchés de Dakar. Tant pis !



On se pose au restaurant, et on y reste jusqu'à 22h environ, avant d'aller à l'aéroport, où l'on va traîner misérablement jusqu'à 3h du matin, heure de départ de notre avion. On reçoit un appel de Neveu. Puis du type qui nous a arrangé nos visites des 2 derniers jours. Puis de Nago. Je suis remplie d'amour et de gratitude, et je leur fait de grandes déclarations d’amour au téléphone. Je me sens bien.
Je vais faire un brin de toilette dans les WC, moment hyper glamour où je me nettoie au lavabo des WC handicapés à l'aide de papier toilette. Je renfile mes vêtements "européens". Je range ma robe vaporeuse, mes nu-pieds poussiéreux. Je me brosse les dents, je passe un peu d'huile sur ma peau. Je suis en train de me préparer à retourner à ma vie. Sentiment étrange.

Les heures sont interminables et les contrôles sont doublés parce qu'il y a eu des attentats en Allemagne. Dans l'avion, malgré l'inconfort des sièges, je m'endors profondément. On nous réveille vers 5h du matin avec un petit déjeuner improbable qui mélange tartines de confiture et omelette aux épinards. « What do you drink ? », me demande l'hôtesse. Je viens de me réveiller, je suis épuisée, je ne sais plus où je suis. « Café Touba », je l'implore.
Mais il n'y a plus de café Touba, ça y est.
[Pour info, on mettra 2 semaines à se sevrer du café Touba. Et là, rien que d'en parler, je ressens une graaaande tristesse au souvenir de cette boisson]

Beaucoup de retard au retour. Et puis on a encore la tête en Afrique. Mister Perfect est resté en short et en tongs, il fait de la résistance - et tout le monde nous regarde. Je me sens à la fois nostalgique et heureuse, triste et bien.

Je pensais ne plus supporter Mister Perfect après le voyage, et pourtant jusqu'au bout on discute, on rigole, on s'apprécie. En partant, on se sert fort dans nos bras. Et puis tous les jours qui suivent, on s'envoie des messages. Pour se rappeler de prendre le traitement pour le palu. Et puis pour rester en contact, comme si après 10 jours ensembles, on ne savait plus être loin l’un de l’autre. 

Inscription sur les murs des cellules de la maison des esclaves sur l'île de Gorée

2 commentaires:

  1. Quel joli récit :)
    ça donne tellement envie !!
    Merci de nous faire partager tout ça

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Matka ! Si la lecture t'a plu, alors ça rend ce voyage encore plus beau ;)

      Supprimer