vendredi 26 juillet 2019

Julien vrille


Julien a trouvé du travail à une vingtaine de kilomètres de chez moi.

Sauf qu’entre temps, il était chez moi et m’a refait le coup de m’appeler 3 fois alors que je venais de sortir du boulot, et que je discutais 5 min avec une collègue.
Je réponds très sèchement :
« Qu’est-ce qu’il se passe ? »
« Rien, c’était pour savoir où tu en étais »
« Je sors juste du boulot, je rentre en vélo, je ne suis pas là avant 1h, arrête de m’appeler ! »

Il a rappelé pendant que j’étais en route – excédée, je n’ai pas répondu.

Lorsque je rentre, il me dit « Tu vas rire, j’ai pris la voiture pour te chercher, voir par où tu passes »
« Non, ça ne me fait pas rire, tu es cinglé »

Je suis furieuse.

« Pourquoi tu as fait ça ? »
« Ben s’il t’était arrivé un truc…. ? Il y a quelques jours, tu as fait un malaise à cause de la chaleur »
« Et lorsque j’ai fait un malaise, je t’ai appelé ! Et s’il m’arrive un truc plus grave, j’appelle les pompiers, et puis c’est tout ! »
« Ok »
Il a l’air tout penaud, au bord des larmes
« On peut pas continuer comme ça. JE ne peux pas continuer comme ça. J’étouffe »
« Ok »

Plus tard, je m’inquiète de ce nouveau boulot qu’il a trouvé, et dont on n’a pas évoqué les détails techniques et concrets. Comme par exemple : où vivra-t-il.
Je m'aperçois que je commence à avoir mal au dos, cette douleur aiguë à la hanche, que j'avais il y a quelques mois - et qui, finalement, est un symptôme physique de ce que mon esprit n'a pas dit, de ce que je n'ai pas mis au clair et qui m'empoisonne.
Je provoque donc la discussion : 
« Tu envisages comment cette période ? »
« Je pensais rester chez toi, qu’en penses-tu ? »
« Je pense que c’est une très mauvaise idée. Ça ne marchera pas. On est trop l’un sur l’autre, c’est trop tôt, trop… tout. Je ne pourrais pas, ça ne marchera pas »
« Tu n’as pas tort »
« … Et ce weekend, je préférerai que tu rentres chez toi. Je t’en veux encore, je suis en colère, j’ai besoin d’être seule, besoin de faire le point. Et je ne peux pas le faire si tu es là »

Du coup il a commencé à travailler lundi.
Et puis il a paniqué.
Dans la nuit de lundi à mardi, il a paniqué, il est parti du gite où il logeait en pleine nuit, il a roulé toute la nuit sans savoir où, puis il est rentré chez lui.
Il a prévenu sa cheffe dans la matinée. « Elle n’était pas contente », dit-il.
Non sans blague ?!
« Tu identifies pourquoi tu as fait ça ? », je lui demande.
« Non »
« Ça serait bien d’y réfléchir, tu ne crois pas ? »
« Comment ça ? »
« Tu ne penses pas qu ta réaction veut dire quelque chose ? Qu’un truc hyper violent s’est passé, là ? Enfin, si c’était un patient qui te racontait ça, tu dirais quoi ?! »
« Ah, tu dois avoir raison.  »

Il avait prévu de revenir chez moi le mercredi, pour reprendre le travail le jeudi.
Mercredi matin, il m'écrit qu'il part plus tôt que prévu de chez son père.

A midi, je pars manger seule dans un petit parc arboré à côté de mon travail, et je bouquine tranquillement. Mon portable sonne. Je ne peux m'empêcher de faire une grimace ulcérée, et de soupirer très fort. 
L'appel s'interrompt.
Bizarre.
Je continue mon bouquin.
Il rappelle 5-10 min plus tard. 
Je laisse sonner.

Dans l'après-midi, j'écoute le message qu'il m'a laissé. Soudainement, il dit juste « Tu me rediras si on essaie de se voir dans les prochains jours ! En plus j'ai ton double de clefs à te rendre ! Bisous »
J'avoue qu'un poids quitte mes épaules. J'envoie un message pour dire que oups, oui, faut que je récupère le double j'en ai besoin.
En sortant du travail, je vais boire un verre avec Copine#1 qui a une urgence. Je m'étonne qu'il ne m'ai pas répondu, mais finalement le soulagement d'avoir une soirée tranquille balaie l'étrangeté de la situation.
Je trouve dans ma boîte aux lettres un colis de la Fnac avec 4 livres de Jung. C'est de la psychanalyse, je pense immédiatement à Julien, et je me dis qu'il s'est fait une commande, qu'il a fait arriver chez moi. Mais c'est étrange, il y a l'option emballage cadeaux. Sauf que je ne comprends pas pourquoi il m'offrirai des livres de Jung.
Le lendemain matin, je lui envoie un message pour lui demander si ce colis est à lui.
Toujours pas de nouvelles.
Je prend conscience qu'on est passé de 10 messages et 4 appels par jour, à un silence radio de presque 2 jours.
Je renvoie un message en sortant du travail.
Cette fois le message n'est pas remis.
J'essaie d'appeler : Je tombe sur la messagerie.
Je me dis qu'il n'a pas de réseau chez son père, et qu'il va rappeler.
Sauf que non : le portable reste éteint, mon dernier message où je lui demande si tout va bien n'est toujours pas remis (bénie soit cette option d'accusé-réception), et vers minuit, je me fais à l'idée qu'il est injoignable. 
Que je n'ai plus de nouvelles depuis la veille.
Je réfléchis.
Et si..... Et si lorsqu'il m'a appelé, il était déjà arrivé dans ma ville, qu'il m'avait trouvé dans le parc où je mange habituellement lorsqu'il fait beau, et qu'il me regardait lorsqu'il a appelé ? Et qu'il avait vu mon air excédé ? Et si tout ça était ma faute ?
Je n'ai pas vraiment dormi cette nuit là.
Et j'ai imaginé tous les scénarios possibles - et surtout les pires.

Le lendemain, vendredi, j'ai décidé d'appeler son travail.
Sans surprise, il n'est jamais retourné travailler. La Responsable des Ressources Humaines était d'ailleurs furax (on la comprend), et m'a expliqué qu'il était venu bosser lundi, puis qu'il n'était jamais revenu travailler. Ils ont appelés, ils l'ont eu au téléphone hier, il a donné une excuse (crache-t-elle comme pour dire "Cette excuse était complètement bidon"), mais pour les RH, c'est terminé, ils ont mis fin au contrat.
Je respire un peu mieux : quelqu'un lui a parlé hier, il n'est donc pas en fuite/Blessé/mort depuis mercredi (scénario #23).
Mais où est-il ? Et pourquoi son portable est désormais éteint ?

J'ai pensé à ses crises de parano.
J'ai pensé à ses antécédents.
J'ai pensé à mon double de clefs, qu'il a toujours.
J'ai pensé à ses affaires, qu'il a laissé chez moi, à ce carton de livres de Jung, à ce silence.  
J'ai repensé au fait qu'aux premiers abords, ce mec m'avait insupporté - et que j'aurais dû juste garder ça en tête, et arrêter de penser que la vie pourrait être un roman à l'eau de rose. Non, ça ne marche pas comme ça.
J'ai supposé qu'il voulait disparaître. Ou alors qu'il voulait éviter la confrontation, car tant que rien n'est verbalisé, tout est possible. Comme le chat de Schrödinger. Ou les enfants qui pensent qu'on ne les voit pas s'ils ferment les yeux.
Mais quand même... Portable éteint ? Pendant deux jours ? Un mec de 25 ans ?
J'ai commencé à me dire qu'il était mort quelque part, et que je ne le saurai jamais.

4 commentaires:

  1. Brr, ça fait froid dans le dos. En vrai, j'ai l'impression qu'on est passé d'une histoire réelle à un Thriller/Drama/Épouvante/Horreur...

    Hum, perso, pour moi, ça veut pas dire qu'il a éteint son téléphone. Comme tu dis, qui éteint son téléphone pendant 2 jours...
    Est-ce qu'il t'aurais pas plutôt bloqué ?

    Quand j'ai lu, la première pensée qui m'a traversé est aussi qu'il était présent quand il t'a appelé, dans le parc, et qu'il a vu ta réaction. De là à dire que c'est ta faute, on va arrêter tout de suite. Enfin j'sais pas, si tu réfléchis, encore une fois, le mec a été fourbe et t'as observé à ton insu et provoqué délibérément une réaction chez toi... Tu peux pas t'en vouloir après toutes ses réactions, ses attitudes, ses actions...

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    1. Ca me fait exactement le même effet - et c'est vraiment pas agréable de ressentir ça à propos de sa propre vie.
      (Mon blog va être reclassé en "fiction" un jour ou l'autre, plus personne ne va croire que c'est la vraie vie)

      Je n'y avais pas pensé tout de suite, notamment parce que j'estimais qu'on ne bloque pas quelqu'un sans sommation.
      Mais dans le doute (et parce que je ne savais plus quoi faire) j'ai appelé avec un autre portable, et le portable est donc bien éteint.

      Oui, oui, tu as raison... Et Copine#1 dit la même chose... (Tu ferais une super bonne copine toi, dit donc <3) Mais si ça provoque une situation dramatique, c'est tout de même pas facile de se dégager de la culpabilité. Et plutôt que de prendre un air excédé et de ne pas répondre, peut-être que j'aurais dû provoquer une discussion, et redire qu'il doit arrêter d'appeler tout le temps... Ma réaction était fuyante et lâche, finalement.
      (Si du moins c'est pour ça qu'il a disparu)

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    2. J'aimerais surtout faire un bon copain, mais la principale intéressée n'est pas de cet avis...

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    3. Voui, je comprends.... Courage ! C'est des lieux communs qu'on dit et qu'on répète, mais : personne n'est irremplaçable, et on finit toujours par rebondir, parce que le présent reste plus intéressant que le passé !
      (C'est juste qu'on en chie à en crever, en attendant)

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