lundi 29 juillet 2019

Est-ce que mon mec est encore en vie ?


Je me targue d'être une personne qui sait dénicher des informations : parfois, je me dis que je pourrais être détective privée, et, en toute modestie, que je serais géniale. L'imper m'irait super bien, j'aurais des lunettes de soleil immense, à la Audrey Hepburn, et des bas résilles.
Bref.
Je suis épuisée.
J'ai passé une énième nuit à ne pas trouver le sommeil, et à imaginer Julien mort, de toutes les manières possibles et imaginables. Chaque fois que je rentre chez moi, je fais le tour pour vérifier qu'il n'est pas venu se suicider chez moi (puisqu'il a gardé un double des clefs), que son corps ne repose pas, veines tranchées, dans ma baignoire. Ou qu'il ne m'attend pas derrière une porte avec un couteau (je fais le tour de chez moi avec une pince multiprise en main, juste au cas où) (entre vous et moi, je ne vais pas tenir le coup comme ça très longtemps).

J'avais vérifié sur Facebook, et remarqué que Julien avait supprimé tous ses amis. Tous, sans exception. 
Je me suis souvenu des signes qui peuvent annoncer que quelqu'un est en train de se replier, de vriller, et de préparer son suicide. 
J'ai paniqué.

Son portable toujours éteint (j'ai vérifié avec Copine#1, ce n'était pas mon numéro qui était bloqué), j'étais désemparée. Je me suis mise à chercher des mots clefs dans les actualités, et les journaux régionaux de ma région et de la sienne. "Homme de 25 ans". "Accident". "Suicide". "Retrouvé mort". "Coma". "Agression".
Je n'ai rien trouvé de probant.

Et puis j'ai eu une illumination : je peux peut-être réussir à trouver le numéro de son père, et à avoir des infos ?!

Béni soit l'ancienne génération qui est encore dans les pages blanches, et béni soit internet, son inventeur, et tout ceux qui font marcher ce bousin au quotidien : en recoupant le peu d'informations en ma possession (son nom de famille, le prénom et ancien métier de sa mère, la localisation approximative de sa maison familiale), j'ai dégoté les coordonnées de son père.
J'ai hésité. Appeler son père, vraiment ? Ça prend tout de suite des proportions, non ?
Cela dit, la situation devenait très inquiétante... Et plus tenable pour moi.
Alors j'ai appelé.
On était vendredi en fin d'après-midi.
Personne n'a répondu.

J'ai hésité à rappeler le soir. De nouveau j'ai été prise d'un doute : et si Julien voulait juste disparaître, et me quitter comme ça ? C'est son droit après tout. Est-ce que je dois ameuter toute sa famille pour autant ?!
Et puis vers 22h, j'ai ressassé tous les éléments : le silence brutal, le portable éteint depuis deux jours, le Facebook vidé de ses contacts...
Non, ce n'est pas une situation banale.
J'aurais dû appeler son père - ne serait-ce que pour en avoir le cœur net.

Je me suis détestée. 

Vers 1h du matin, je me suis dit que j'allais prendre ma voiture, et en avoir le cœur net : environ 2h de route jusqu'à chez lui, il m'avait expliqué loger dans une sorte de dépendance derrière la maison de son père, j'y vais, je regarde par la fenêtre, je constate qu'il est vivant, je pleure, je tambourine furieusement à la porte et je le gifle une fois - non, au moins deux fois - je lui jette son carton de livres de Jung à la tronche, et je rentre chez moi, 2h de route à nouveau. Ça me fait rentrer vers 5h30 du matin, je dors 2h, et je vais bosser.
La partie lucide de mon cerveau, un peu plus rationnelle que celle qui était épuisée et angoissée, m'a dissuadé : débouler à 3h du matin dans un bled inconnu (d'une centaine d'habitants, m'a appris Wikipédia), c'est un peu risquer de passer pour une cambrioleuse. Et s'il n'est pas là, je ne serais pas plus avancée. Et si son père me trouve, j'explique ça comment ? « Je m'inquiétais de ne pas avoir de nouvelles de votre fils, alors j'ai décidé de débouler à 3h du matin dans votre jardin... C'est mignon chez vous.... C'est des hortensias, ces petites choses là ? Oh, au fait, je m'appelle Mademoiselle B. ! Enchantée ! »
Toute cette histoire commençait à me rendre vraiment cinglée.
Je me suis recouchée, et j'ai attendu le matin.

J'ai pas dormi de la nuit.

A bout de nerfs, j'ai rappelé la maison paternelle le samedi matin.
Ça a décroché.
C'était Julien-Senior, le père de Julien.
« Vous êtes Mademoiselle B. ? je me demandais justement comment vous joindre. Julien est à l'hôpital. Il a été retrouvé jeudi, marchant sur la quatre-voies. Il divaguait. Sa voiture a été retrouvé seulement aujourd'hui, au fond d'un bois. Je ne sais pas pourquoi il a été la mettre là-bas. Il a été rapatrié hier dans l'hôpital de notre ville. Il est en isolement, on ne peut pas le voir, ni lui parler. Je pense qu'il a été violent avec les gendarmes qui l'ont récupérés. Son portable est éclaté. Je ne sais pas ce qu'il a fait. Il portait un bracelet des Eurockéennes de Belfort. Vous savez s'il y est allé ? Pourtant c'est passé depuis longtemps, non ? Les médecins pensent qu'il a pris quelque chose. Mais ça m'étonne de lui »

Ça m'étonne aussi : il est super critique face à l'alcool, la drogue, et même les médicaments. Il ne veut pas en entendre parler.
Cela dit.... Il s'est fait un tatouage alors que ce n'était pas son truc.
Et je lui ai dit une fois que j'avais déjà pris du LSD (et que c'était une des meilleur expérience de ma vie). ...Est-ce qu'il aurait pris n'importe quoi pour faire comme moi ?!
Je ne suis plus sûre de rien.

« Il est blessé ? »
« Non non. Il est juste pris en charge... Dans une unité psychiatrique. Quelque chose s'est passé ? »
« Pas vraiment... Mais il vrille depuis quelques temps. Je ne sais pas s'il vous a raconté, mais lundi, il a quitté le gite où il logeait en pleine nuit, et il n'est jamais retourné travailler... »
« Je crois qu'il s'est sabordé.... Je ne pense pas qu'ils voudront le reprendre... »
« Je confirme : j'ai appelé hier, et ils considèrent que le contrat est rompu »
Il soupire, et sa voix se brise. « Je ne sais pas ce qui lui a pris. Il est fragile. Ça n'allait pas depuis quelques jours, ma compagne et moi avions remarqué. Pourtant on avait l'impression que ça allait beaucoup mieux : Il avait retrouvé un travail, et puis il vous a rencontré...  Il est très fragile. Je ne sais pas de qui il tient ça... »

Je grince un peu des dents sur sa dernière phrase ; on s'en fout, de qui il tient, ou même si il tient ça de quelqu'un, non ? Il est comme ça, c'est tout ! 
Mais je dis plutôt :

« Ça ne va pas depuis bien plus longtemps que ça. Être avec lui, ça a été très compliqué pour moi... Il est possessif, et il a des phases de paranoïa... »
« Oui, c'est vrai, il est paranoïaque. Il est fragile. Ça ne va pas vraiment depuis le décès de sa mère. Pour l'instant il est en isolement. Apparemment c'est pour le weekend. Mais après, tout devrait rentrer dans l'ordre. Peut-être qu'il pourra rentrer »
« Si je peux me permettre, je pense qu'il devrait rester là bas le temps qu'il faut. Il a besoin d'aide. Vraiment. Il croit parfois que les gens lui veulent du mal. C'est arrivé deux fois déjà, en très peu de temps »
« Il va détester être là bas »
« Sans doute. Mais je crois que c'est nécessaire. Au moins il ne pourra pas se faire de mal »
« Je suis désolé... Ce ne sont pas des nouvelles très réjouissantes.... Cette semaine a été vraiment.... Bizarre »
« Ecoutez, ça fait deux jours que je me demande s'il n'est pas mort quelque part. Et que je m'attends à ce qu'il vienne s'ouvrir les veines dans ma baignoire. Alors savoir qu'il n'est pas blessé, qu'il est en sécurité, et qu'il est pris en charge par des professionnels, pour moi c'est une excellente nouvelle ! »

Nous avons convenu qu'il me tiendrait au courant. J'irais voir Julien si je le peux.
Cela dit, est-ce que c'est une bonne idée ? Pour moi, mais aussi pour lui ? Je reste persuadée que j'ai été l'élément déclencheur qui l'a fait vriller. Qu'il a senti que je m'éloignais, et que je cherchais à le quitter.
Comment je me positionne ? Qu'est ce que j'en pense ? Que vais-je faire ?
Je suis dans cet état de sidération où on sent que notre cerveau s'arrête, et où on se dit : « Ce genre de choses n'arrive qu'aux autres. Ça m'arrive vraiment à moi ? C'est pas possible ».
Et puis, puis-je le quitter, maintenant ? Comment vais-je pouvoir gérer tout ça ?

Sinon j'essaie aussi d'éviter de me dire que je n'attire que des mecs qui sont soit des menteurs et manipulateurs, soit des cinglés, et que ça doit vouloir dire un truc à propos de moi.

Bref, une fois le soulagement passé, il reste plein de questions et d'incertitudes.

2 commentaires:

  1. C'est triste à dire, mais j'pense qu'à un moment, tu dois être un peu égoïste et surtout penser à toi. Tu n'es pas l'élément déclencheur. Tu as peut-être été un accélérant (et tes réactions étaient normales vu la situation, donc tu n'as pas grand chose à te reprocher), mais il était déjà comme ça, son père te l'a dit.
    Certes, le quitter, ça va pas arranger ses problèmes, mais le fait est que sans toi, il les avait déjà, ces problèmes et que, comme tu dis, c'est pas sain pour toi non plus.

    Et comme tu dis qu'il est suivi par des professionnels, peut-être que le quitter au plus tôt lui permettra d'obtenir de l'aide pour ça aussi.

    Bon courage, en tout cas.

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  2. Une partie de moi est rationnelle et d'accord avec toi.
    Et puis il y a l'autre partie, qui ne peut pas s'empêcher de douter.

    Mais l'une ou l'autre, de toute façon je suis face à cette réalité : je ne peux pas quitter quelqu'un qui n'est pas joignable...
    Et ça, ça n'aide pas non plus !

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