jeudi 21 janvier 2021

Cette douleur au dos (la microkiné et les hommes) (2) : Ce que mon corps exprime malgré moi




 J'évoquerai ce mal de dos et cette séance de microkiné avec ma psy - en fin de séance, comme chaque fois que je balance une bombe en espérant qu'elle ne m'obligera pas à traiter le problème.

Elle prendra l'information avec un stoïcisme admirable.
Elle réunira ses notes : 
- Vous ne m'avez jamais parlé de cette histoire, de vos 20 ans
Je secouerai la tête : 
- Non...
Non, il me semblait bien
Je.... Ne souhaite pas en parler, en fait.
J'ai parlé avec une froideur que je n'ai pas maitrisé, une agressivité que je regrette immédiatement. Toutefois, elle ne s'en formalise pas le moins du monde.
- Oui... très bien.... 
Ce regard calme et qui ne fuit pas, et qui me fait sentir qu'elle ne me laissera pas boucler le chapitre aussi facilement.
- Eh bien nous allons travailler sur le fait que vous ne voulez pas en parler
Echec et mat. Je ne l'avais pas vu arriver, celle-là.
- Vous allez réfléchir à pourquoi, depuis tout ce temps, vous n'avez pas voulu -et ne voulez toujours pas en parler. Sur ce que ça dit de vous. Pourquoi ça vous effraie d'en parler. Ce que vous ressentez à ce sujet.
Immédiatement, malgré moi, mon cerveau turbine, et me balance des mots et des ressentis : peur, honte, peur de se sentir victime, peur de l'être, peur de mettre un mot, un gros mot sur une expérience - non, pas moi, je refuse. 
- Ensuite nous travaillerons sur le fait que ça ressurgit aujourd'hui, visiblement très violemment. Pourquoi. Pourquoi aujourd'hui. 
Une pause, et puis :
- L'idée n'étant pas de vous provoquer un nouveau traumatisme et/ou de vous mettre dans une situation de stress post-traumatique...
Une pause, un claquement de langue agacé, et je dissimule un sourire - Ah ! J'étais sûre qu'elle désapprouvait la façon de faire de cette micro-kiné !
- ... Mais au contraire de désamorcer les syndromes post-traumatiques... 
Là encore, une réponse fuse : parce qu'aujourd'hui j'ai décidé d'accepter d'être et d'exister, et que j'ai commencé à régler mes comptes ?!
- Vous allez donc examiner tout ça, y réfléchir, vous préparer... Et on se revoit bientôt, puisque là c'est trop tard pour aborder pleinement ce sujet. Mais clairement, votre corps vous dit qu'il faut s'occuper de ça. Si ça remonte maintenant, ce n'est pas anodin. Et de toute façon, si ça remonte, c'est que vous êtes prête à l'affronter.

Je grogne pour la forme, émet des réserves, ronchonne et lui dit qu'elle en a de bonnes, et puis aussi que rien n'est moins sûre.
Impassible, elle me laisse grougrouter comme un ours, et lance juste un petit "Mais si, mais si ! Allez, on pose le prochain rendez-vous ! Dans deux semaines ?"
J'admets volontiers qu'elle m'a coincé d'une façon implacable, et je suis pétrie de respect pour elle : enfin j'ai en face de moi une spécialiste qui parviens à m'empêcher d'esquiver, et qui est beaucoup plus forte que moi.

Et pourtant...

Je passerai les jours suivants à me dire "Il n'y a rien à gérer. Je ne veux pas. Inutile".
D'autres mots fuseront : "Je refuse de considérer certains hommes de ma vie comme des agresseurs".
La réponse, avec la voix de ma psy : "Ca dit quoi, de moi ?"
Je n'ai pas la réponse. 
Ca dirait de moi que je me laisse faire, ou que je me trompe. 
Ou que je le mérite ?
Peut-être que j'ai peur de mériter tout ce que j'ai subi dans ma vie.
Peut-être que j'ai longtemps pensé que je méritais tout le mal qui m'arrivait.
Peut-être que j'ai trop croisé de personnes qui étaient bien contentes de me laisser croire ça - ou de m'en persuader un peu plus encore.
Peut-être que j'ai été d'accord qu'on me fasse du mal.
Pourquoi je n'ai jamais demandé "pourquoi" ? Pourquoi cet été, je n'ai pas demandé "Pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi tu avais besoin de me faire ça ? Qu'est ce que ça t'a apporté ?" ? Pourquoi il y a dix ans, je n'ai pas demandé "Pourquoi tu me punis en me faisant mal ?" ? Pourquoi les femmes perdent toujours, sur ce tableau ? Pourquoi les hommes font-ils ça ? Pourquoi ont-ils le droit de le faire ?! 

J'occulte ces questions.

Ca commencera comme un début de migraine, pendant deux jours, juste après cette séance chez la psy. 
Une douleur à l'arrière du crane, à laquelle je ne prêterai pas trop attention.
Puis une raideur dans la nuque et les épaules.
Des craquements sinistres chaque fois que je tournerai la tête. Je me sentirai comme la bestiole dans Men in Black, qui craque bruyamment à chaque geste. Exactement les même craquements - c'en est presque drôle.
Je me dirais "ça va passer".
En fin de semaine, une raideur de plus en plus présente.
Je me dirais "ça ira mieux après une bonne nuit de sommeil".

Je dormirais environ 4h cette nuit là. La nuque entièrement bloquée, les épaules raides, la tête prise dans un étau. Si j'essayais de tourner la tête, des points blancs dansaient devant mes yeux et mes oreilles bourdonnaient. J'avais si mal que je pensais que j'allais perdre connaissance.
Vers 3h du matin, je m'envoyais 1G d'antalgique. Juste de quoi grapiller 4h de sommeil, avant d'être réveillée à nouveau par la douleur.
Impossible de rester couché.
Le matin, il me faudra 10 min pour réussir à sortir du lit, en essayant de bouger le moins possible le haut de mon corps. Surtout ne pas bouger la tête d'un millimètre. Ne pas lever les bras. Ne pas contracter la nuque.

Impossible de bouger la tête - aucun mouvement, même le plus infime.
Impossible de manger ou de déglutir - le moindre mouvement dans la zone du cou irradiait une douleur aigue du haut de ma tête au bas de mon dos.

Rendez-vous en urgence chez un médecin :
- Vous êtes bien bloquée ! dit-elle joyeusement
J'aurais un traitement de cheval : antalgiques, anti-inflammatoire, gel, minerve.
Je profitais d'être au boulot pour demander aux collègues de m'appliquer le gel, impossible d'accès pour moi.
Je passerai deux jours chez moi à guetter l'heure, et le moment béni où je pourrais reprendre un cachet, être soulagé pendant 3h (à condition de ne pas trop bouger tout de même), dormir pendant ce laps de temps, puis regarder à nouveau l'heure jusqu'à la prochaine prise. 
Dormir peu, ou en position assise, la tête la plus droite possible.
Voler 40 min d'un sommeil bienheureux et sans douleurs dans un bain bien chaud.
Marcher chaque jour, pour tenter d'enrayer l'inflammation - toujours en gardant la tête droite et la nuque au chaud.
Au boulot, voir ses mains pleine de sang, sans pouvoir baisser la tête pour regarder : merde, mes règles. J'avais tellement mal au cou (et j'étais tellement shooté aux médocs) que je n'ai pas senti les signes annonciateurs, ni l'habituel mal de ventre.
Grommeler : "C'était pile ce qui manquait à ma journée, nom de dieu".
Je mettrais à l'aveugle une serviette, pour la journée. Impossible de baisser la tête pour voir si le sang a imbibé mon pantalon clair. 
Tant pis, il y a un temps pour tout. 

La contracture a duré un mois.

Et puis d'autres symptômes ont suivi : des démangeaisons, insupportables et incontrôlables, à l'intérieur de mes cuisses. 
Je me gratterai au sang, l'intérieur de mes cuisses rapidement couverts d'hématomes et de croutes.
L'emplacement ne laisse pas beaucoup de place au doute ; j'ai l'impression que mon corps est en crise, qu'il hurle ce que je n'ose pas dire, et qu'il "sort" ce que je suis incapable de mettre en mots, et je n'ai aucun pouvoir là dessus. 
Je le regarde comme on regarde un enfant en train de faire une colère.
Et, démunie, j'attends que ça passe.

Qu'est-ce que tout ça dit de moi ?
Qui suis-je ?
Qui est Mademoiselle B. ? 
Qui est Virginie ?
Une femme forte ? 
Une victime ? 
Quelqu'un de bien ?
Une mauvaise personne ?

Prise d'une impulsion paradoxale, je déplacerai mon rendez-vous avec ma psy deux mois plus tard.
Pas le courage de faire face.

Une séance de méditation m'aidera énormément : un cours où mon prof dira "Faisons un exercice : prenons conscience de ce corps - non pas "mon" corps, *ce* corps. Considérons le comme un véhicule pour évoluer dans cette vie, sans sentiment d'appartenance ni attachement".
"Ce" corps plutôt que "mon" corps.
C'est apaisant.
"Ce corps respire, ce corps vit. Observons le respirer, sans mettre en mot ou en pensée quoi que ce soit".
Alors j'observe en pensée ce corps. 
Ce corps qui hurle et qui devient fou. 
Peut-on se réconcilier, lui et moi ?

Tout est trop intense, impossible de pousser la réflexion.

Alors j'attends, et j'observe "ce" corps.

Patiemment.

Les symptômes diminuent. 
Je n'ai plus que quelques traces violettes sur les cuisses. 
Et je récupère doucement un peu d'amplitude de mouvements, à travers la raideur générale de tout mon corps. 
"Ce" corps commence à se calmer.

Je continuerai à esquiver mes rendez-vous psy.
Une remarque, dans la série Lucifer, que je regarde d'un œil distrait : "C'est lorsqu'on tente d'éviter ses rendez-vous psy qu'on en a le plus besoin".
Si même les séries grands publics commencent à me faire la morale....

Je continue toutefois de réfléchir aux questions qu'elle m'a posé  : Qu'est ce que tout ça dit de moi ?
Que j'ai laissé faire ? 
Est-ce qu'une femme qui aime le sexe, qui dit "oui" tout le temps, n'a pas, un jour, le droit de dire "non" ? Est-ce que "non", c'est entendable ?
... Est-ce que je suis capable de dire non ? Est-ce que je n'ai pas peur, en refusant, de blesser l'autre, de vexer l'autre... Et si, au fond de moi, il y a cette peur immature que m'affirmer, c'est prendre le risque de perdre l'affection ou le respect de l'autre ?
Si je pousse cette réflexion, si je décide de regarder ce que j'aurai dû voir, à savoir les similarités entre deux histoires éloignés de dix ans, n'y-a-t-il pas un même schéma ? Et si j'avais agit de la même façon, en acceptant l'inacceptable, en étant là, toujours là, au détriment de ma santé (mentale et physique), à constamment tendre l'autre joue... avec cette certitude insensée qu'au bout du compte, la pureté de mes sentiments finira par toucher l'objet de mon amour ? Cette croyance, liée à ma trop forte empathie, qui fait que je peux ressentir aisément les émotions des autres, être touché par à peu près tout le monde, et pleurer même pour des gens que je déteste - et j'oublie que ce n'est pas le cas de la majorité des personnes, et certainement pas des hommes que j'ai fréquenté ?

Et à tourner toutes ces réflexions dans ma tête, j'en arrive à m'en vouloir.

C'est Caroline, qui, par un hasard qui tombe à pic, lance, dans ce cercle de méditation amateur que l'on a créé cet été et que l'on anime à tour de rôle :
La culpabilité ne sert à rien. C'est la responsabilité qui est importante. Et comment on prend ses responsabilités, et on laisse les leurs aux autres.

Elle m'offrira ainsi un élément que j'avais occulté, dans ce tourbillon de réflexions : mais oui, culpabilité et responsabilité, deux choses similaires et pourtant complètement différentes ! 

Alors j'ajoute, calmement, ces questions aux autres :
Qu'est ce que "ce" corps dit de moi ?
Qu'est ce que toutes ces expériences disent de moi ?
Quelles sont mes responsabilités ? Quelles sont celles des autres ? 
Quelles sont les choses pour lesquelles je dois arrêter de culpabiliser, que je dois arrêter de porter ?

Et il serait temps que je prenne mes responsabilités, et que j'arrête de repousser indéfiniment mon prochain rendez-vous psy...
(En plus, la connaissant, elle serait fichu de débarquer chez moi...)

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