jeudi 9 juillet 2020

Le monde est tout petit (bis repetita)


Je pratique désormais la méditation depuis deux ans, dans la MJC de ma ville. Le groupe s'est étoffé depuis l'année dernière, et il y a une cohésion qui s'est naturellement instaurée, inspirée par les initiatives de certaines personnes. 

Caroline, qui a commencé en octobre 2019, fait partie de ces personnes.

Caroline, dès son arrivée dans le groupe, m'a foutu très franchement la trouille : sèche, d'apparence très dure, très directe dans sa façon de parler, et souvent pour exprimer des avis tranchés et sans nuances - bien qu'elle n'ai jamais été méchante ni malveillante.
Je me tenais toujours à distance très très prudente d'elle. 

A chaque vacances scolaires, lorsque la MJC fermait, elle proposait d'accueillir tous le monde pour une séance de méditation chez elle. 
Je me disais qu'elle ne devait donc pas autant haïr le monde que ce que je semblais en percevoir. Surtout qu'ils en revenaient tous enchantés.
D'ailleurs elle a été à l'origine de plusieurs échanges de mails, qui se sont multipliés avec le temps : désormais, nous nous faisons passer les uns les autres infos, newsletters, bons plans et autres messages positifs régulièrement.  Cette nouvelle habitude a été amplifié par le covid, et paradoxalement, nous nous sommes encore plus rapprochés les uns des autres, et méditons chaque semaine ensemble en visio.

Bref, ici nous sommes en février, nous n'imaginions pas encore que le Covid allait bouleverser à ce point notre quotidien, moi j'avais vécu le burn out, puis la rupture, etc etc,  et j'estimais que la méditation était probablement le truc le plus nécessaire pour moi actuellement.
Ainsi me suis-je retrouvée un mercredi soir avec 4 ou 5 autres membres du groupe chez Caroline. 
Nous avons joyeusement médité ensemble pendant une bonne heure, puis elle a proposé qu'on boive un verre, j'ai dit oui, tous les autres ont dit non, et me voilà seule à seule avec Caroline, et sa façon très agressive de parler aux gens.
Ah.
Bon.
Heu...
Autant dire que j'avais prévu de siroter très vite mon thé, quitte à me brûler la langue, et décamper vite fait sous n'importe quel prétexte.

Toutefois, je suis assez bonne à faire la conversation, à parler de la pluie et du beau temps, et, malgré moi, à donner l'impression aux gens qu'ils peuvent se confier. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est très fréquent : je suis clairement la psy de mon médecin généraliste, je connais la vie de mon dermato (son envie de tout lâcher pour apprendre la peinture ET le fait qu'il était odieux avec ses ex copines), ma boulangère se lâche et me raconte ses projets personnels et ses futurs tatouages, et de parfaits inconnus me racontent leurs déboires à mon boulot.
Ces expériences me laissent penser que si je décide un jour de quitter mon job, je pourrais explorer d'autres voies, telles que psy, sophrologue, ou encore coach (ou autre pipeau-métier du bien-être).

Bref.

J'étais donc présentement à souffler frénétiquement sur ma tisane trop chaude, quand à peu près sans transition, Caroline me raconte qu'il y a 6 mois, elle a acheté une maison avec son mec, Olivier, avec qui elle filait le parfait amour depuis des années. 
Et que le lendemain du jour où ils avaient reçu les clefs, il la quittait. 
...Par sms.

Elle me raconte le choc. L'incompréhension. Tout qui s'effondre, sans qu'elle n'ait rien vu  venir. Et surtout, sans un mot d'explication.
Je reste quelques minutes sans voix devant l'énorme révélation.
Et bien sûr, je suis en totale empathie avec elle, après Charles-Henri, qui m'avait quitté du jour au lendemain par téléphone. Je comprend avec mes tripes ce qu'elle me confie, je ressens avec elle la perte de repères, la colère, le gouffre de désespoir. Tout en me disant qu'au moins, Charles-Henri et moi n'avions rien en commun, pas de gros projets, et pas une histoire de plusieurs années dernière nous. Je me dis que ma tristesse n'était qu'un faible ersatz de ce qu'elle doit endurer.
Elle pleure un peu. Me dit qu'à peine quelques jours avant, il lui disait qu'elle était la femme de sa vie. Qu'il n'avait jamais été aussi heureux. Qu'elle était son équilibre, et toute sa vie.
Et puis ensuite il est devenu bizarre. Distant. Du jour au lendemain, il lui a dit, par texto "Je dois remettre ma vie sur les rails, ça ne va pas. Je dois me libérer de certaines choses".
Elle a cherché à en savoir plus.
Il ne voulait rien dire.
"J'ai besoin de me libérer de ma vie"
"De moi ?"
"Oui"
Voilà comment elle a su qu'il la quittait. 

Elle ne l'a pas revu.
Elle tente de vendre la maison, qu'elle a commencé à rembourser.
Elle ne peut plus y mettre les pieds.
En parallèle, elle a dû déménager et trouver un appartement. Se racheter des meubles. Réapprendre à vivre, alors qu'elle avait juste envie de crever.
Se dépatouiller d'une situation financière catastrophique.
Des collègues l'ont hébergés.
D'autres lui ont tournés le dos.
Elle ne sait pas pourquoi Olivier l'a quitté. Elle pense qu'elle ne le saura jamais. 

On parle beaucoup de lui.
Je lui ai parlé de Charles-Henri, et de la similitude de la situation - bien qu’infiniment moins compliquée pour moi.
Je parle un peu d'Isaac.
On décide d'ouvrir une bouteille de vin, et de laisser tomber la tisane.

Vers minuit, nous nous sommes racontées de bons gros morceaux de nos vies, nous sommes un peu bourrées, dans l'ensemble nous sommes super contente d'être là, je kiffe Caroline, et elle me fait de grands sourires attendris.

Depuis un moment déjà, j'avais une sorte de petit malaise lorsqu'elle me parlait. Comme si je devais me souvenir d'un truc, mais impossible de déterminer quoi. Un petit gratouillement dans le cerveau, comme pour dire "ya un truc essentiel qui t'échappe".
Je n'y faisais pas attention. Mais pourtant, chaque fois qu'elle évoquait Olivier, ça chatouillait de plus belle.
Bizarre.
Et puis en me resservant un énième verre, elle lâche "Et puis il faisait ses putains de stages de musico-thérapie…"
Et là, je commence à relier des trucs entre eux. Elle le voit immédiatement, et se met à paniquer. "Oh non ! Oh NON, tu le connais c'est ça ?! J'ai toujours cette trouille que les gens le connaissent…"
Et moi je dis "Attends, attends..."
Ça tourbillonne dans ma tête.
Musico-thérapeute
Qui s'appelle Olivier.
"Attends, attends"....
J'ai discuté avec un musico thérapeute… Qui est venu loger chez moi…. Oui, il habitait la ville d'à côté, et il laissait son appart pour ses enfants, qui venaient lui rendre visite, mais il n'avait pas de place pour tout le monde, alors il prenait des Airbnb… C'est comme ça qu'il est arrivé chez moi... Je me disais d'ailleurs il y a quelques jours que ça faisait longtemps que je n'avais pas eu de nouvelles...Mais attend, il venait avec sa copine, ils étaient super complices et complètement sur la même longueur d'ondes, au point que je les appelais par leurs deux prénoms accrochés... C'était quoi déjà son prénom... et elle, elle s'appelait…. 
Bordel !
"Mais on s'est déjà rencontré, en fait !!! Tu as dormi chez moi !!"
Silence.
"Mais oui !!!!"
On se regarde, éberluée. 
On se ressert un verre, pour faire bonne figure.
"La maison aux volets bleus !"
"Oui c'est ça !"
"Et tu as hébergé ma fille, qui venait d'avoir 18 ans, et qui est resté avec sa copine !"
Et là je visualise très clairement Caroline sur le pas de ma porte, souriante, enjouée et solaire. 
"MAIS OUI !!"
Je regarde Caroline. C'était il y a 6 mois. Caroline n'est plus du tout la même personne ; elle a le visage beaucoup plus marqué que lors de cette rencontre. Émacié. Épuisé. Et pour cause...
"Et la dernière fois qu'on est venu, eh bien en fait… C'est la dernière fois que j'ai vu Olivier. Il était déjà bizarre chez toi, et puis ensuite il est partie, et m'a quitté par textos. Je ne l'ai pas revu depuis"
Ça m'attriste énormément.
"Je suis désolée que ce soit ton dernier souvenir de chez moi"
Je suis désolée que ma maison ait été le théâtre de cette tragédie.
"Ne le soit pas !"
On se resserre un verre.
"Mais comment j'ai fait pour ne pas te reconnaître ? Ni même tilter, avec ton nom ?! J'ai sonné à ta porte !!! Dormi chez toi !!"
"Pas mieux de mon côté !"
On se regarde, ébahie.
"Ben ça alors".

Je pars vers deux heures du matin, franchement éméchée, complètement épatée, et avec une affection infinie pour elle. En partant, on s'est pris dans nos bras, en se remerciant, en se félicitant pour nos retrouvailles. Pour cette deuxième rencontre, qu'on a vécu comme si c'était la première. Sans comprendre comment on a pu oublier qu'on s'était déjà rencontrée, moins d'un an plus tôt.
Le monde est tout de même incroyablement petit.
Et au passage, j'ai gagné une amie, une sœur de galère.

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