mardi 3 décembre 2019

Un jour, deux nuits, et quelques mises au point


Je revoyais Isaac une semaine plus tard. 

Il était en vacances, et avait décidé, après de multiples hésitations, de partir quelques jours à Paris chez le mec-de-Copine#1 et d'autres amis. 
Mon planning était surbookée parce que ma mère passait des vacances chez moi, et finalement elle est repartie plus tôt, et j'ai proposé à Isaac que l'on se voit. Ça tombait bien, j'étais en vacances aussi, et nous pouvions passer deux nuits et une journée complète ensemble.

Il devait revenir vers 21h, finalement il a avancé son retour et il est arrivé chez moi à 18h, avec un gigantesque sac rose Kusmi Tea. Lorsque j'ai ouvert, nous nous sommes embrassés, et puis il a dit « J'ai un cadeau pour toi ! ». Et il m'a sorti son grand sac, où j'ai déballé une magnifique théière en fonte, et différents thés. J'étais très touchée, et en même temps un peu gênée devant un cadeau aussi précieux. On s'est ensuite installé dans le canapé, et il s'est immédiatement lancé dans le récit de ses deux jours passés à Paris, où il a visiblement beaucoup, beaucoup picolé.
Avec le mec de Copine#1, ils ont fait plusieurs bars parisiens, jusqu'au bout de la nuit. 
Isaac s'est fait aborder par un mec : 
- Est-ce que tu es gay ?
Alors non, j'ai réglé cette question depuis longtemps, je peux affirmer que non !
- J'ai une folle envie de t'embrasser.
Oh ben si ça te fait plaisir !
Et donc Isaac a embrassé ce type, et par la même occasion a embrassé un homme pour la première fois de sa vie. 
Le type était ravi, et Isaac pas mécontent de l'expérience. Même si ça ne lui a rien provoqué de spécial, et qu'il s'est dit que non, vraiment, il n'est pas gay.
J'ai adoré l'histoire.

Plus tard, nous mangeons, puis passons la nuit ensemble. Nous faisons l'amour un temps infini. La deuxième fois, sa jouissance est aiguë, bouleversante, presque féminine.  
Mon corps est épuisé, je m'endors. 
Il ronfle un peu - je me tourne sur le côté et il me serre dans ses bras, et nous nous rendormons.  
Il me réveil vers 5h du matin, je peine à m'extraire du sommeil sous ses doigts et sa bouche surexcités.  
Il fait encore nuit noire, et je déplore presque cette obscurité - moi qui pourtant adorait la pénombre. 
Au matin, nous refaisons l'amour à nouveau, et sortons du lit vers 11h, lorsqu'Isaac lance "je crève la dalle !" 
Ça tombe bien, j'ai préparé des pancakes. 

On parle beaucoup, puis on va se promener l'après midi. Je l'emmène dans un café que j'aime bien, et nous parlons encore. Sujet passionnant  :
Victoria et moi avons cherché à adopter. Et puis les difficultés de l'entreprise nous ont fait baisser les bras. 
Mais… je croyais que tu ne voulais pas d'enfants et que c'est non négociable ? 
Je ne veux pas être un géniteur en effet. Mais j'aimerai transmettre, être un père, dans une relation de filiation… mais sans que le sang ait quoi que ce soit à voir avec ça  
… Quelle est la différence ? 
Je ne veux pas ajouter une vie de plus sur terre. Je veux donner une chance à une vie qui est déjà là  
… d'accord. Mais si tu es aussi persuadé de ne pas vouloir transmettre tes gènes, pourquoi tu n'as pas fait de vasectomie ? 
…. C'est une bonne question. C'est la première fois qu'on me la pose. Je pense que parce que c'est une mutilation. 

Notre conversation parle presque du futur. Je me prends à imaginer une vie avec lui - c'est si facile, alors qu'il y a cette pause jusqu'au 9 novembre, cette drôle de situation, cette nuit avec lui, cette grasse matinée et ces pancakes. Ça semble presque acquis, alors que ses yeux me dévorent, qu'il souris tout le temps, et puis qu'il lâche au milieu de la conversation et sans aucun rapport : « Enfin, il n'empêche que tu es très belle ! »

Sauf que je sais que je ne sais rien de l'avenir.  

Plus tard on rentre. Lorsqu'il commence à m'embrasser, je lui échappe pour monter l'escalier, où j'enlève un vêtement à chaque marche. Je suis nue en haut de l'escalier, et ça le rend fou. 

Il me lèche et me titille en même temps, et j'explose dans une bruyante jouissance. Nous faisons l'amour, mais il se retire.
« Je ne vais pas pouvoir aller au bout »
« Tu as mal ? »
« Non ». 
Il n'en dira rien de plus. 

Nous discutons encore. Multiples sujets, de plus en plus personnels. 
Et puis : 
- Raconte moi l'histoire de tes ailes.
Je soupire. 
- Je ne suis pas sure… que tu peux l'entendre…. Je crains ton jugement...
- Alors ça..... ! C'est mal me connaître !
Je soupire à nouveau. Et me lance : 
- Depuis mon adolescence, plus exactement pendant les épisodes traumatiques de mon adolescence, le seul moyen que j'avais trouvé pour gérer mes émotions trop fortes, et surtout ce sentiment de détresse insupportable qui m'emportait, était de me scarifier. Ça m'a sauvé, je crois… mais c'est aussi devenu une habitude. 
La douleur peut devenir une addiction…
Exactement. C'est donc quelque chose qui était devenu plus fort que moi. Et il y a 10 ans, j'ai été trop loin. Vraiment trop loin. 
La cicatrice sur ton bras ?
- Oui. Et cette fois là, j'ai fait cette promesse, que ça serait la dernière fois. Cette promesse, je voulais qu'elle soit symbolique, et ce serait une sorte de dernière scarification, avec de l'encre, et chargé d'espoir. Ça a pris un an pour finaliser le dessin, et un an de tatouage. Où une fois par mois, je passais entre 4 et 7h sous l'aiguille, à expérimenter la douleur, encore, mais avec un autre objectif. Ça fait 10 ans, et j'ai tenu ma promesse. Oh, ça n'a pas été facile tous les jours, loin de là. Je crois que j'espérais que ce symbole éloignerai à tout jamais la tentation, et c'était, bien sûr, illusoire. Mais n'empêche que j'ai tenu. Et un jour - pas tout de suite, mais un jour - je saurais que tout ça est vraiment derrière moi, et à ce moment là et uniquement à ce moment là, je cacherais ma cicatrice sous un beau tatouage. Voilà donc l'histoire des ailes. 

Il y a un silence.  

Isaac se redresse sur un coude, me regarde. 

« Je suis en colère » dit-il d'une voix pourtant très douce. 
Il pose son visage sur mon ventre. « Très en colère que tu ai rencontré tant de mauvaises personnes dans ta vie, qui t'ont conduit à cela » 
Il me redit qu'il pense que je dois clôturer, trouver ma résilience. Je crois qu'il refuse d'envisager que j'aurais des blessures qui ne se refermeront jamais. 

Plus tard, nous irons manger dans son appartement, et je dormirai avec lui avant de partir à une heure indécente pour Paris. 
Arrive la conversation que j'attendais, et que je cherchais comment provoquer : 
Que se passera-t-il le 9 novembre ? Quelles sont tes attentes ? 
J'attends que Victoria me réponde. Juste qu'elle me réponde. 
Qu'importe la réponse ? 
Oui. C'est un problème qui existe depuis le début. Notre sexualité est fade, mécanique. Ça a toujours été. Je lui en ai parlé déjà entre 2013 et 2015. Et puis elle a perdu sa sœur, et ce n'était plus vraiment le moment. Sauf que déjà avant, lorsque j'en parlais, soit elle se fermait, soit elle s'énervait. Ce qui mettait fin à la conversation. Mais là j'ai insisté. Une fois, deux fois, trois fois. Elle a vu qu'elle ne pourrait plus s'échapper. Alors elle a accepté de réfléchir sérieusement à la question. Ce qui est une avancé énorme en fait ! 
Donc en fait elle ne sait réellement pas elle-même pourquoi votre sexualité est comme ça ? 
Non. La seule chose qu'elle a pu me dire, c'est qu'elle ne me désire pas. C'est pour ça qu'elle ne me touche pas.
Comment ça, elle ne te touche pas ?! Il y a bien des caresses, dans l'intimité, ou… 
Non, il n'y a rien 
Je reste sans voix. Elle ne touche pas son corps du tout. Je comprends mieux leurs avis respectifs (et désastreux) sur leurs propres corps. 
C'est toi qui m'a fait réaliser que la sexualité pouvait être autre chose. Quelque chose de vraiment très beau. 
Est-ce que tu m'en veux ? 
Non. Je te remercie plutôt !
Est-ce que tu pourrais m'en vouloir un jour ? 
Il prend quelques secondes de réflexion, puis, catégoriquement : 
Non.
D'accord.
Donc après notre première nuit, je me suis interrogé. Et je l'ai interrogé elle à nouveau. Si elle avait accepté d'y réfléchir et d'en parler, je ne t'aurai pas recontacté, j'aurais pas pris le risque de foutre en l'air notre relation. Mais elle s'est fermé à nouveau. 
Je comprends un peu mieux ce silence de dix jours après notre première nuit. 
Mais j'ai tout de même insisté sans lâcher, et elle s'est retrouvé face à un problème. Et puis bon, je réfléchis, je remet un peu tout en cause : Ça fait dix ans que je rentre tous les weekend, c'est toujours moi qui rentre. Nos weekend sont hyper ritualisés : les courses le samedi matin, le ménage le dimanche matin, et elle se couche à 22h30 tapante et quoi qu'il arrive ! J'en ai un peu marre… je paye les 2/3 du loyer, les impôts et les factures, j'y suis 2 jours par semaine, on n'a pas de projets, on n'a rien construit…. Bon enfin cela dit j'ai de l'amour pour elle, bien sur. Elle m'a beaucoup apporté, elle me soutient, je me suis ouvert à beaucoup de chose avec elle.  
Mais personne ne remet ça en cause, c'est normal ! 
Je lui ai quand même demandé, à la suite de ses refus à me répondre au sujet de notre sexualité, ce qu'elle dirait si j prenais une maîtresse.
Et qu'a-t-elle répondu ? 
Que c'était absolument hors de question 
Ah… mais alors… donc là c'est officiel, tu lui mens ? 
Oui 
Mais… tu as quand même un rapport assez obsessionnel à la vérité, tu vas pouvoir gérer ça combien de temps ?! 
Je suis obsédé par la recherche de la vérité, nuance.
…. Comme tu veux, je soupire en levant les yeux au ciel  

J'avoue que la conversation m'a fait mal. J'ai soudain envie de piquer moi aussi. Surtout quand il dit :
Les moments que l'on passe ensemble sont des moments de bonheur pur.
Tout ça est de toute façon temporaire. Un jour tu décideras de retourner à ta vie d'avant, ou moi j'irai vers autre chose  
Je me dis soudain que je le quitterai bientôt, avant d'avoir trop mal. Ce sera moi qui le quitterait. Et vite.
Peut-être. Sans doute. Mais enfin un sage a dit "n'insulte pas l'avenir" 
Je n'insulte pas l'avenir. Les choses sont posées depuis le début. Et tu dis que, quoiqu'il en soit, votre couple est beau et solide. Je l'ai entendu et intégré. Nous deux, c'est une impasse. 
Il se lève, enfoui son visage dans mon cou. Redit "peut-être". S'écarte. Et dans mon dos, dit : 
Il n'empêche qu'actuellement tu es ma raison de vivre. 
Je reste sans voix. 
A nouveau, une émotion très forte me désemparé : Mélange de colère, de tristesse et de bonheur, teinté d'amertume. 

Plus tard, nous nous poserons devant un film - le film "fil à plomb de son existence" - blotti l'un contre l'autre.  
Puis nous nous préparerons à aller nous coucher. Je me brosserai les dents, et je laisserai mes vêtements dans le salon pour ne pas le réveiller le lendemain à 6h en partant pour Paris. 
Nous ferons l'amour plusieurs fois avant de dormir - et je dormirai très mal.
Ce sera le dernier weekend que l'on pourra passer ensemble. 

Je me dis que je devrais peut-être le quitter. 


Quelques heures plus tard, il m'écrira : 

J'en profite évidemment pour te dire que j'ai une nouvelle fois passé un très très beau moment avec toi. J'ai le sentiment de mieux comprendre ton désir et les dimensions de ton plaisir mais serais ravie de me laisser guider par toi ou que tu m'indiques ce que tu aimes. Nos petites discussions étaient utiles et très saines par ailleurs. Le caractère ambigu et probablement éphémère de notre situation ne fait que renforcer paradoxalement mon envie d'être près de toi et de profiter sans freins du bonheur réel de la situation qui me dépasse un peu. En outre, n'aie aucune crainte de mon jugement moral sur les éléments que tu acceptes de dévoiler de ta vie. Ne pas juger l'autre et le respecter pour ce qu'il est fait partie intégrante de ma philosophie de vie, dès lors que j'ai le sentiment d'être en face de quelqu'un honnête et ouvert. Ce qui n'exclut pas les désaccords pour autant. J'essaie de ne pas trop te dévoiler mes tares mais suis bien contraint de les les faire apparaître ça et là. Pourvu que ça ne t'empêche pas de dormir au sens propre et figuré (mon ronflement étant une tare dont je me passerais bien et sur laquelle je ne peux agir qu'en éloignant mon corps du tien, grave dilemme) et ne suscite pas trop vite chez toi ce sentiment de lassitude qui nuit aux relations.
Je te redis que je te trouve très belle telle que tu es, et bien davantage encore qu'au premier soir. Et cela ne se résume pas, loin s'en faut à tes petits seins que je trouve sublimes par ailleurs. Ou à ta chute de rein vertigineuse et à la douceur extatique de ton sexe qui m'affolent les sens de manière déraisonnable. Mais cela renvoie aussi à cette petite fragilité dont tu essaies tant de te protéger. Je ne tomberai pas dans le cliché du mâle protecteur car je sais que cela te fait horreur. Toutefois, cela m'oblige à travailler d'arrache-pied pour te montrer une autre facette des hommes, situés à bonne distance et capables d'offrir une grande quantité d'amour sans rien attendre d'autre que le plaisir immense de ressentir du bonheur dans le regard de l'autre. Et si possible te démontrer que les hommes ne se résument pas à la quantité de connards que tu as fréquentés et dont tu m'as parlé. Même si j'en suis un comme les autres, je souhaite être un connard classe, honnête et droit,  capable de ne jamais faire mal là ou les cicatrices ne sont pas encore refermées. Ceci est une promesse solennelle de ma part, la seule que je peux te faire sans avoir peur de me dédire. D'autant que je savoure le bonheur que tu me procures et te serai durablement reconnaissant d'avoir réveillé mon désir pour les plaisirs simples et essentiels de la vie et l'importance vitale du sentiment amoureux. Je mesure la valeur de ce que tu m'offres, sache le. J'espère simplement être à la hauteur et t'apporter également des vrais moments de bonheur et d'équilibre émotionnel.
J'ai une envie grandissante de découvrir, partager et si possible faire aimer les particularités de nos univers respectifs, que ce soit l'armée des ombres, l'opéra ou ... le catch (ce coup là je ne l'ai pas vu venir, je dois avouer !). Et souhaite continuer à découvrir les faces cachées et mystérieuses de cet être étrange qu'est Mademoiselle B. Ce petit être fragile (tu as le droit de m'insulter !) dont la carapace commence à s'affermir, d'après ce que je vois.
Je m'arrête à ce stade de ce qui s'apparente à une véritable déclaration sans pouvoir m'empêcher d'éprouver un petit sentiment de culpabilité mâtinée d'une petite fragilité sentimentale que je ne dévoile pour ainsi dire jamais.
J'ai hâte de te retrouver très vite et poursuivre notre aventure formidable marquée par la découverte mutuelle, la sensualité et l'échange de vues et de plaisirs.
Je t'embrasse très tendrement sur toutes les parties de ton corps. 

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