samedi 22 août 2020

La lettre (2/2)


J'ai prévenu ma mère que j'avais envoyé la lettre. C'était plus ou moins le deal, au cas où l'oncle décide de déchainer tous les feux de l'enfer contre moi. Elle était prête à le recevoir - et, comme Gandalf, dire « Vous ne passerez pas ».


Elle m'a répondu « Je viens d'aller déposer ton premier jet chez tes grands parents ».
Ah.
Etais-je prête à ça ?
Beuh...
Pas sûre.
Je dis « J'espère que papy ne m'en voudra pas ».
Sous-entendu : Si mon oncle se fout en l'air (bien que je doute d'avoir un tel pouvoir avec mes mots), me considèrera-t-il comme coupable ? Et pourrais-je supporter cela ?
Elle me dit qu'il estime que c'est une histoire entre lui et moi, et qu'il n'a pas l'intention de prendre parti.
Ca me va tout à fait.
D'autant plus qu'à cette époque, mes parents et mes grands-parents étaient fâchés, et ces derniers n'ont jamais rien su de ce qu'il se passait.

Et puis le lendemain, elle m'apprend que mon grand père a lu ma lettre, qu'il n'en a pas dormi de la nuit. Qu'il trouve ça très grave. Qu'il n'est pas surpris - il connait mon oncle, il connait sa personnalité, et, nous apprend-il, il a été odieux avec eux également. Qu'il me soutient totalement.
Il a appelé ma mère deux fois depuis sa lecture. D'ailleurs, il en est à sa 3e lecture. Et il veut la relire encore. Il veut que ma grand mère lise. Il veut qu'elle prenne parti. Qu'elle réagisse.
Il réalise que, peut-être, j'aurais pu mettre fin à mes jours. Je le réalise soudain moi aussi - oui, c'est vrai, je pourrais ne plus être là. J'aurais pu mettre fin à tout, tellement de fois… C'es une idée qui lui est insupportable. C'est pourtant une idée qui m'est si familière, qu'elle ne me provoque plus d'émotions.
Il a dit à ma mère qu'il comprend mieux énormément de choses à mon sujet. Sur ma personnalité. Sur mes réactions. Tout lui apparaît plus clairement.
Il a rappelé ma mère pour lui dire « On doit faire quelque chose. On doit l'aider. Absolument. On doit trouver comment faire ».
Et juste le fait qu'il dise cela, ça m'aide déjà énormément.
J'ai toujours peur d'avoir déclenché les feux de l'enfer. Je me suis dressé face à celui que j'ai (trop) longtemps considéré être le diable en personne, et tant que je le faisais en solitaire, j'avais peur, mais je pouvais l'assumer. Aujourd'hui j'ai peur que, face à un groupe uni, une famille soudain soudé contre lui, il retourne les choses. Qu'il parvienne à dire « Non, regardez, c'est elle qui est mauvaise, c'est de sa faute à elle ». C'est irrationnel, je le sais. Et puis qu'importe qu'il dise que je suis en faute - tout ce qu'il a dit était-il justifié ? Est-ce que ça valait la peine de me briser à ce point ?
Cela dit, que ma famille, du moins le peu que j'ai, se soulève soudain pour faire barrage, et m'entourer de leur amour, ça me fait me sentir en sécurité. Comme si, enfin, j'avais trouvé un chez moi - et chez moi, c'est auprès d'eux

Peut-être que finalement, mon voyage est terminé.


Vers 1h30 du matin, je suis réveillée par un message de ma mère, qui a lu le texte final.
Pour elle, c'est l'Ultime.
Son message est enthousiaste et passionné. Plein de fierté. Elle me félicite. M'encourage. Me dit que j'ai accompli quelque chose d'extraordinaire avec ça. J'ai les larmes aux yeux.
Et soudain, je réalise que les mots sont mon arme. Que s'ils peuvent me faire du mal, ils peuvent aussi me défendre. Attaquer. Qu'avec mon écriture viscérale, je sais me dévoiler, pour mieux toucher - blesser, peut-être... Mister Perfect me l'avait déjà dit, pourtant.

Je suis dans mon lit, il fait nuit et je me sens Exister comme jamais. Je sens mon cœur battre très fort et très vite, et briller comme une supernovæ. Je sens mon sang circuler dans tout mon corps je me sens vivante comme rarement je l'ai été - et jamais par moi même. J'Existe. Je Suis. Et j'en ai le droit.
Je me sens aimé et soutenu comme jamais, entourée des quelques personnes de ma famille, et surtout ma mère, cette lionne, ce roc qui ne me laissera jamais tomber.
Je décide dans le même temps qu'il est temps que je cache - non, que je transforme - mes cicatrices avec des tatouages. Je veux faire la paix avec mon corps, ma culpabilité et écrire une nouvelle histoire - sur ma peau.
Et je décide aussi que, peut être, mon histoire devra passer par l'écrit. Par le fait de faire quelque chose de ces mots, de mes mots, de cette plume évocatrice, qui touche ceux qui me lisent, qui dérange, qui bouleverse parfois. Et si j'en faisais quelque chose ? Si j'en faisais quelque chose qui compte ?!
Je réalise que je peux tout faire si je le souhaite. Je suis. J'existe. Je peux faire des expériences, me donner des défis ambitieux et avoir le droit de les relever. J'ai autant de force et de valeur que n'importe qui d'autre. 

Et je me répète :
J'existe.
J'existe.
J'existe.
J'existe.
J'existe.
J'existe.
J'existe.

J'existe.

Je me suis sentie tellement en vie cette nuit, là, que j'ai cru que j'allais en mourir. 
Mon cœur battait très fort, trop fort, trop vite. C'était comme une crise de panique - mais sans la panique, et sans l'impression d'étouffer. J'étais connecté au monde, j'étais connecté à toutes les cellules de mon corps, je me sentais tellement vivante, tellement lumineuse et invincible que j'aurais pu me consumer sur place.
Le monde s'ouvrait à moi, et soudain tout me semblait possible. 
Et mon cœur battait si fort...
J'existe.
J'existe vraiment.
Pouvait-on se sentir exister à ce point sans en mourir ?!

Pourtant le lendemain, je me suis réveillée, et j'étais toujours en vie.

Quoique... Peut-être plus exactement la même personne.

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