mercredi 26 août 2020

L'escalier 2/3 (Ce qu'il s'est passé avec Isaac : 5/5)

J'ai déjà poncé quelques marches, par ci par là. De quoi me motiver, mais aussi me montrer ce qu'il me reste à faire. J'ai repris le travail à temps complet.
Je monte, je redescend. Il y a des marches plus belles que d'autres, certaines que j'arrive assez rapidement à ravoir impeccable, d'autres plus compliquées. Peut-être que certaines resteront tachées. Pourtant, le chêne, c'est incroyablement costaud non ? Si j'y passe suffisamment de temps, et que j'y mets suffisamment d'énergie, peut-être que je pourrais les rendre aussi belles qu'auparavant ? 



Le samedi, je sens que je commence à décompresser. Au travail, je passe une journée atroce, au bord des larmes. 
Le soir je m'offre un spectacle en visio au cabaret de Madame Arthur, qui propose donc cette option. Je me dis que ma tristesse ne pourra pas résister à Charly Voodoo, et encore moins à Martin Poppins. Surtout si Odile est là !
Ça commence avec "le soleil est mort".
Bon...
Je m'agite sur mon canapé, moi qui me dit justement qu'il fait moche (comme après Charles Henri), et qui voit (trop) de similitudes entre ces deux histoires. Sans parler d'un manque flagrant de respect pour mon cœur et mes sentiments. 
Ils continuent en interprétant  le Stabat Mater de Pergolese. POURQUOI ?! C'était censé être une soirée Niagara !! Et là ils chantent le morceau préféré d'Isaac, qu'il souhaite voir interprété à ses funérailles. Composition qui devait être joué dans notre ville, cadeau de noël pour lui, que nous devions aller voir ensemble (et puis il y a eu le covid).
La soirée me déprime plus qu'autre chose.
C'est réussi, tiens...


Je passe un temps considérable sur la même marche. Le pot de diluant se vide à une vitesse affolante - et mes mains sont à vif. 
Je vais racheter des pots, et j'y vais en vélo. 16 km aller-retour, ça me fait du bien. En revanche, ça ne fait pas du bien au pot… Sous pression, il éclate lorsque je veux l'ouvrir. J'en ai partout sur le visage. Mes yeux ont été protégés par les lunettes, heureusement… Par contre, la paire toute neuve achetée cette hiver est morte, rongée par le produit...


En travaillant, je ressasse et je rumine. Isaac est un homme qui utilise les gens, et qui les jette. Qui ai-je été, sinon un moyen qu'il a trouvé pour faire pression sur sa compagne ? Puis une distraction, pour l'occuper, lorsqu'elle ne voulait plus le voir ? Et enfin une roue de secours pour le sécuriser, au cas où elle le jette ?!
Maintenant qu'il n'a plus besoin de moi, il me méprise.
Au final, j'ai aimé une personne qui n'existait pas.
Je me dis qu'en réalité, contrairement à ce que je pensais, ce n'est pas que je ne comprend pas le monde dans lequel je vis ; c'est juste que je le comprends trop bien, et ça m'est insupportable. Je ne peux pas comprendre les relations humaines, car elles n'ont aucunes logiques. Je ne peux pas saisir le sens de la vie, car elle n'en a aucun - du moins pas intrinsèquement. 



Puis je me renverse une partie du pot sur le bras en ponçant. Décidément, ce produit...
Mon avant bras sera rouge et boursouflé quelques jours.


Sharon m'envoie un message :
- Il faut qu'on se voit, je dois te présenter Isaac ?
Interloquée, je lui demande de quoi elle parle.
Elle me dit qu'elle a accouché. Et que son fils s'appelle Isaac.
Je me dis, désespérée, que Sharon est mon purgatoire personnel.


Je réalise que j'ai fait 9 marches. 9 !!! C'est plus de la moitié !
La texture des marches poncées est douce, et agréable sous les pieds - ou sous les mains. C'est en caressant avec adoration le bois que je me dis que je ne suis pas la petite fille d'un menuisier pour rien.




Suite à des démarches administratives qu'il m'a proposé de faire, et qui s'avèrent catastrophiques car je me retrouve dans une merde noire, je suis contrainte de recontacter Isaac.
J'ai très franchement hésité, j'ai voulu ne rien faire, mais ça me mettait dans une situation tellement compliquée, et tellement injuste, que je décide de lui demander de régler le problème.
Nos échanges de mails sont de plus en plus tendus - surtout les miens. 
De nouveau, je n'arrive plus à manger.
Je dors mal.
Je me réveille au milieu de la nuit, en me demandant comment je vais faire. Et en ruminant notre histoire finie, et qui pourtant me torture.
Isaac me parle de Victoria, m'annonce qu'ils iront bruncher ce week-end dans mon café préféré. Je pète les plombs. Lui demande d'arrêter de me torturer. Qu'ils sortent de ma vie tous les deux.
Il me laisse un message assassin sur mon répondeur. Il est furieux, comme jamais je ne l'ai entendu. M'impose qu'on se voit - du moins il viendra, et si je laisse ma porte close, soit, on laisse tout tomber.
J'ai envie de tout laisser tomber.
Mais ce n'est pas juste. Il doit me sortir de la situation dans laquelle il m'a mise.
Je me sens épuisée. Vaincue. Je n'ai plus d'énergie, plus de force, plus l'envie de combattre. Une grande lassitude me pèse sur les épaules.
Je ne peux pas l'accueillir parce que j'ai une locataire. Je me rend chez lui en sortant du travail. J'ai l'estomac noué, et à l'heure où je suis censée partir, je vais me vider aux toilettes. Plusieurs fois. 
J'arrive devant chez lui avec une boule au ventre.
C'est une mauvaise idée, je me dis.
Je n'y arriverais pas, je me dis encore.
Une petite voix encore plus insidieuse me dit "Si ça se trouve, tu auras aussi besoin de te vider à peine arrivée chez lui".
Je me déteste de m'imposer cette situation.
Je reste figée devant mon volant, m'incitant mentalement à bouger. Plus vite j'agirai, plus vite ça sera passé.
Je reste figée.
Je commence à paniquer.
Quelqu'un toque à ma vitre.
C'est Isaac.
Plus le choix.
Je sors.
J'oublie la clef sur le contact.
Je rentre récupérer ma clef.
Je ressors.
« Je ne voulais pas t'imposer de monter... »
« C'est bon, c'est bon, on y va », je réplique agressivement. On va faire quoi, signer les papiers sur le capot de ma voiture ?! C'est idiot.
Il dit quelque chose à propos du fait qu'il ne voulait pas que j'ai à sonner, attendre...
Je pénètre dans son entrée.
Je me crispe. 
Nous prenons l'ascenseur.
Etage 1.
L'ascenseur est minuscule, et nous sommes à moins d'un mètre. Outre l'odeur familière de son immeuble, je réalise que je perçois également son odeur à lui. Son parfum.
Je commence à paniquer.
Quelle idée à la con. 
De venir.
De prendre l'ascenseur ensemble.
Etage 3. 
Je regarde fixement les chiffres.
Je me dis que je vais étouffer. 
Ou tomber.
Etage 5.
Je sens son odeur, je ne sens plus que ça. Evidemment. Et son appartement sera remplie de ses odeurs, de l'odeur devenue familière, ce mélange de l'odeur du lieu, de son parfum, d'un reste de vapotage, du parquet, et d'autres plus subtiles.
C'était vraiment une idée terrible.
Etage 7.
Je n'avais jamais réalisé que cet ascenseur était aussi lent.
Etage 9.
Je suis à deux doigts de m'effondrer lorsqu'on arrive enfin.
Je passe la porte de son appartement, et inspire une goulée d'air teintée d'angoisse.
Allez, ne traînons pas.
Je voudrais être sûre de moi et indifférente. 
Au lieu de ça, mes mains tremblent tellement que je ne parviens pas à déplier les papiers. 
Je lui donne tout tel quel, et le laisse se débrouiller.
Je suis affalée sur ma chaise. Je regarde la vue que j'ai observé tant de fois. Qui a servi de fond à l'une de mes toiles. Mes entrailles se nouent.
Le soleil d'été m'éblouit. Je n'ai jamais connu cet ensoleillement estival chez lui. Ca m'aurait plu.
Il m'explique des choses. Je le regarde, et voudrais le haïr - j'avais passé ma journée à m'y entraîner. Je tache d'oublier ce que sa voix fait naître en moi. Je ne regarde pas ses mains, que j'ai tant aimé. J'essaie de ne rien regarder, de ce lieu et de cet être que j'ai aimé si fort, et qui me faisait me sentir si bien, à peine quelques semaines auparavant.
Mais je m'applique à soutenir son regard.
Nous réglons notre problème. Nous trouvons un arrangement.
Je me dis que je dois partir.
Je crains de ne pas tenir sur mes jambes.

« Une dernière chose », dit il.
Il me rend le weekend offert à noël, que je lui avais redonné, trop torturé par la certitude que nous ne pourrions pas le faire ensemble. « C'est à toi, ça t'appartient ». Je n'en veux pas. Je veux me débarrasser de cette chose qui ne fait que me hurler l'échec de notre rencontre. Mais il est intraitable.
- Ne retiens-tu que du négatif de notre histoire ?
Je réfléchis longuement. 
- Oui.
- Moi pas. Loin de là. Et pourtant, ce n'est pas plus simple pour moi. 
Je refuse d'entendre sa pseudo souffrance. 
- Tu as fait ton choix. Tu as mis fin à tout ça. Tu n'as pas le droit de me dire ça.
Moi j'ai besoin de ne voir que le négatif. Sinon je m'effondre. Sinon c'est trop dur. Mais je ne veux pas lui dire.
- J'ai fait mon choix, oui. Un choix rationnel. Mais mes sentiments restent intactes. Et si tu savais comme ça me fait plaisir de te voir...
Je détourne le regard. Les larmes aux yeux. Je dis non. 
- Tu peux secouer la tête. C'est ce que je ressens. Et peut-être suis-je le seul, à avoir une folle envie de te prendre dans mes bras. Mais c'est comme ça.
Je dis non à nouveau. 
J'ai mal.
Et puis « Non, tu n'es pas le seul ».
Mais quoi ? Que reste-t-il ? Plus rien. Plus de possibilités. Il m'explique qu'aujourd'hui, c'est Victoria qui ne peut plus entendre parler de moi. Que lorsqu'elle l'embrasse, elle pense à moi. Qu'il lui parle de mon existence, beaucoup. Trop, sans doute. Mais qu'ils reconstruisent. Que si elle vient ce weekend, c'est parce qu'il a été abject avec elle, lorsqu'elle a voulu reprendre leur routine, et le laisser assumer tous les trajets. Alors elle s'est sentie obligée de venir. De faire des efforts. Je relève ce terme : "efforts". Faut-il faire un "effort", pour voir la personne que l'on aime ?! Est-ce que ce n'est pas juste une envie ? Un désir ? Un besoin ? Et puis je clos « Ça n'est pas mon histoire. Débrouillez vous ».
On réaffirme nos impossibilités. Ses mails, où, selon lui, s'il évoquait ses sentiments, il y évoquait aussi nos impossibilités. 
- Ce n'est pas ce que j'ai lu. 
- Je crois que je ne me fais jamais bien comprendre, par l'écrit. 
J'acquiesce 
- Tu aurais mieux fait de ne rien écrire du tout.
Il réaffirme le fait qu'il voulait que notre histoire termine. Mais pas vraiment. Qu'en fait, il n'y a pas de solutions. Je me borne à dire « Tu as fait ton choix ».
On ne peut plus nuancer.

« Une dernière chose » dit-il.
- Qu'aurais-tu voulu ?"
La liste est longue. 
- Que tu ne me parles pas d'elle, déjà. Ou que tu arrêtes de le faire lorsque je te l'ai demandé. 
Et puis j'égrenne. Mais en réalité, j'ignore ce que j'aurais voulu. A part vivre une belle histoire juste lui et moi.

« Une dernière chose » dit-il.
Il me propose de rencontrer sa mère. De parler avec elle. Envie que je lui avais communiqué, il y a une éternité de cela.
- Réfléchis-y ? dit-il d'une petite voix.
Je secoue la tête. Quel sens ça a, aujourd'hui ? Sinon de trouver le moyen de me relier à lui ? 
Et puis qu'est ce que je viendrais m'immiscer à nouveau dans sa vie ? Quelle place ai-je ? Qu'est ce que ça signifierai ? Est-ce que ça ne mettrais pas tout le monde dans l'embarras ? 
L'idée est tellement saugrenue.
Elle arrive trop tard, sans doute.
Je refuse.

« Une dernière chose » dit-il.
Il me ré-affirme sa volonté d'être là si j'en ai besoin. Pour quoi que ce soit. L'envie qu'il a qu'on puisse se revoir.
Je secoue la tête.
- C'est impossible. Se voir pour quoi ? Avoir envie de se prendre dans nos bras, et ne plus le pouvoir ? Se torturer avec ça ? Je ne te contacterai plus. Même en cas de pépin. Impossible.
Il sourit tristement. 
- Oui, je sais, tu es trop fière pour ça. Ce n'est pas de la fierté mal placé, d'ailleurs. C'est pour prouver au monde que tu peux y arriver toute seule.
- Seulement à moi même.
Il acquiesce.

« Une dernière chose » dit-il.
- J'ai lu ton dernier article. Celui  où tu parles de ta mère. Il m'a fait très plaisir. J'ai été très surpris qu'elle te conseille la même chose que moi. Je te l'ai déjà dit, mais je le réaffirme : Si tu as besoin de quoi que ce soit à ce sujet, dis le moi.Si tu as besoin que j'écrive cette lettre, je le ferai. Si tu as besoin que j'écrive son nom, et que j'envoie la lettre, je le ferai. J'en serais très fier.
Je secoue la tête. 
- Non.
- Je sais que tu ne me demanderas jamais mon aide. Mais je te le dis.
Il n'a pas vu, que je ne suis plus la même personne. Qu'une part de moi est morte, depuis la dernière fois.
- Ça n'aurait aucun sens. Aucune porté. Ce n'est pas à qui que ce soit d'autre de faire ça. Et surement pas à toi. Mais de toute façon, c'est fait.
- C'est fait ?!
- Oui
- Je suis... extrêmement touché. C'est très fort, ce que tu racontes. Ça me fait très plaisir".

« Une dernière chose » dit-il.
- Est-ce que je continue mon blog ?
- Tu fais ce que tu souhaites. Ça ne me regarde pas. Pour ma part, j'ai arrêté de te lire, je ne pouvais plus supporter tes évocations de Victoria, ça me torture à chaque fois. J'y vois que je ne fais pas le poids, ni la différence, envers et contre tout ce qui me semble rationnelle. 
Il m'a dit dans un de ces derniers mails, qu'elle le soupçonnait, à travers son blog, de régler ses comptes. Peut-être a-t-elle raison. Tout me semble fait pour blesser.

« Une dernière chose » dit-il.
Il y a beaucoup de "une dernière chose", ça ressemble furieusement à une façon de me retenir.
- Ta toile sera ma nouvelle affiche. C'est une évidence. Les membres du groupe sont enthousiastes. Mon ami graphiste également. Victoria n'appréciera pas. Mais ça, c'est non négociable.
J'ai les larmes aux yeux. Mais j'ai peur d'y croire. « Je le croirai quand je le verrai », dis-je.
Il rit.
- Eh bien tu verras ! Je suis un homme de parole !
- Je ne peux pas y croire, et prendre le risque d'être déçue. Si ça ne se fait pas... Je ne pourrais pas.
Ce graphisme, c'est ce que j'attendais. C'est l'ambiance du groupe. C'est... une évidence.
Ça me touche plus que je ne le montre. Mais j'ai peur de lui faire confiance à nouveau. Je ne peux pas.

Je me lève.

Je suis épuisée. Lasse. Je n'ai plus envie de le détester. Plus la force. Mais que reste-t-il, s'il n'y a plus ni haine ni colère ? Je suis vidée.

« Une dernière chose » dit-il.
« Peut-on se prendre un instant dans nos bras ? »
Je réfléchis longuement. C'est une mauvaise idée. J'en ai envie. Ça va déraper. Son odeur m'enivre depuis l’ascenseur. La situation sera plus compliquée après ça. J'ai tellement envie de lui. C'est de la faiblesse. Je me sens si fatiguée. C'est à moi d'être forte. 
Mais je suis si fatiguée de l'être.
Et je ne le suis pas.
Je le prends dans mes bras.
Mon corps retrouve naturellement sa place contre le sien - nos corps aux courbes qui semblent faites pour se compléter. Il me serre fort contre lui, si fort, pendant que moi je m'agrippe à lui, mon nez dans le creux de son épaule. Son parfum, mêlé à l'odeur de sa peau. Une forte odeur de café. L'odeur fruitée de sa cigarette. Une odeur de gel douche ou de shampoing de grande surface. Un léger reste d'odeur de lessive. Je commence à pleurer. C'est trop fort. C'est trop dur. C'est trop bon. Je suis si fatiguée....
Il me tient, pendant que je sanglote de plus en plus fort. J'inonde son pull. Il ne me lâche pas. Son corps absorbe les secousses de ma peine. Son visage se niche dans mon cou. Il caresse mes cheveux, mon dos. Il sursaute avec mes sanglots - ou alors pleure-t-il lui aussi ? 
Nous nous embrassons. Furieusement, passionnément. Nous nous agrippons l'un à l'autre, comme si un ouragan allait nous emporter. Je sens son corps contre le mien, et ses mains qui me caressent, et me réconfortent. Je gémis. Il me dévore de baisers ardents. Nous passons des dizaines de minutes ainsi, moi mon sac à main encore sur l'épaule, mes ongles plantés dans son dos, ses mains m'étreignant à m'étouffer.  
Va-t-il me repousser ? Me rejeter, me dire que c'est fini, et qu'on fait une bêtise ? Qu'on se complique la vie ? Devrais-je le faire ? 
Je l'agrippe plus fort.
Ses mains s'aventurent sous mes vêtements. 
Je lui retire les siens, et me blottis avec émotion contre sa peau. La douceur de son torse. Les épaules que j'aime tant, aux cicatrices caractéristiques. Les quelques poils tout doux. Les pectoraux où il y a juste la place pour que je pose ma tête, pour écouter son cœur - ou sentir sa chaleur sur ma joue. Les bras. Le cou. Sa barbe courte m'irrite, mes lèvres brûlent, mais je m'en fiche. Il retire mes vêtements, et je colle ma peau contre sa peau brûlante. Nos caresses enfiévrées se calment soudain. Nous nous redécouvrons l'un l'autre avec application et délicatesse. Il me redécouvre lentement, tendrement. Je caresse sa peau de la même façon. Des larmes sont encore accrochées à mes cils.
Peut-être une demi heure plus tard, il m'accroche à ses hanches, et m’emmène dans sa chambre.
J'attends le moment où il va reprendre ses esprits et me repousser.
Il enlève mon pantalon, et place sa tête entre mes cuisses. Je me tords sous sa langue, avec encore la peur qu'il arrête tout, avec dans la tête cette voix qui dit que c'est compliquer les choses. A quel moment va-t-il me chasser ? Changer d'avis ?
Je l'attire à moi, l'embrasse à pleine bouche, j'adore sentir mon odeur sur ses lèvres humides, voir son regard affolé. Il met une capote, et je l'attire en moi sans attendre. Je me cabre sous le plaisir de le sentir en moi, cette sensation de furieuse complétude. Nous roulons, d'abord sur le côté, puis je le chevauche. Je le regarde s'arquer soudain, et rester figé, plusieurs dizaine de secondes, en haletant. De multiples expressions passent sur son visage. Je n'en loupe aucune.
Nous continuons de nous caresser, il passe ses mains dans mes cheveux, il sourit, il me regarde, il me dévore des yeux. Je caresse chaque parcelle de son corps, comme pour me remettre en tête le paysage de sa peau - caressée des centaines, peut-être des milliers de fois. C'est toujours la même émotion.
Nous ne disons rien. Je crains la moindre phrase, qui ferait voler en éclat ce moment. Aux mots que nous ne prononçons pas, nos mains dessinent sur nos corps respectifs. Nos yeux s'accrochent. Il continu de sourire - ce sourire me fend le cœur.
C'est la tristesse qui prime. Je ne peux pas répondre à ses sourires. Je crains le moment où il faudra se réveiller. Se quitter. A nouveau.
M'en voudra-t-il un jour de n'avoir pas su le repousser ? Et moi, est-ce que je m'en veux ?
Je suis si fatiguée de devoir être forte...
Je m'aventure entre ses jambes, tiraillé par l'envie folle de le goûter à nouveau. Je joue avec son membre. Caresse ses jambes. Masse ses pieds. Nous basculons dans un 69 où il me fait jouir furieusement. Je me déplace ensuite pour pouvoir le prendre en pleine bouche et le pénétrer avec mes doigts. 
Jusqu'à ce qu'à nouveau, il s'arque-boute, en gémissant. Il reste ainsi très longtemps. Je me demande s'il est en train de faire un arrêt cardiaque. Ça serait gênant à expliquer à Victoria.
Finalement son corps se relâche, et il me serre contre lui. Il s'enroule entièrement autour de moi, comme un koala. Sa main est dans mes cheveux, et je suis au creux de sa chaleur. Son souffle s'apaise, devient régulier. Mes yeux sont grands ouverts. Impression de boucle. C'est quoi la bonne question ? Ah, oui : Est-ce que c'est un adieu ?
J'ai le cœur en miettes. Si je reste, est-ce que demain nous nous regarderons avec horreur, comme un lendemain de cuite ? « Qu'est-ce qu'on a fait ?! ». Ma place n'est plus ici - d'ailleurs l'a-t-elle été un jour ? Victoria viendra dans 2 jours, je ne peux pas dormir ici. Je ne veux pas voir si "ma" brosse à dents est toujours dans sa salle de bain. Je me dis « Rien n'a changé ». Je me répète « c'est fini ». J'ai envie de dormir contre lui, de le regarder se brosser les dents, et utiliser du fil dentaire. J'adore ces petites choses du quotidien, que je trouve d'une adorable intimité. J'adorais qu'on ai passé cette "étape" où il osait le faire devant moi. C'est idiot, d'avoir une bouffée d'affection pour quelqu'un qui utilise du fil dentaire devant soi, n'est ce pas ? De toute façon tout est fini. Rien n'a changé. Je ne dormirai pas si je reste. A craindre la lumière du jour. A craindre ce qu'il faudra dire. A pleurer, peut-être. A me répéter en boucle « Rien n'a changé, qu'importe le regard qu'il pose sur toi ». Tout sera pareil, et en même temps plus compliqué demain. 
Je ne peux pas rester. 
Il se lève. Nous ramène une crème brûlée, que l'on mangera dans le salon. Il est nu. Je me rhabille à moitié. 
Nous discutons. 
Il me pose plein de questions. Comme si nous reprenions des nouvelles. 
Il me regarde avec tellement d'amour que ça me fait mal. Il est extatique, on dirait un gros chat ronronnant. 
J'aimerais tellement que ça signifie quelque chose.
Mais je sais que rien n'a changé.
Elle reste celle avec laquelle il veut vivre. Je n'ai pas ma place ici. 
Il se lève et me serre contre lui. Je crois qu'il a compris.
- Qu'est ce que tu veux faire ?
- Je vais rentrer
Son visage est indéchiffrable. Il fait un pauvre sourire. 
- Tu es obligé ?
- Ce serait bizarre, non ?
Et si demain tu m'en veux ?, je n'ose pas demander. Et quand me rejetteras-tu à nouveau ? Je n'ajoute pas non plus.
- L'inverse est bizarre aussi. Tout est bizarre ce soir !
Il me serre fort. M'embrasse. Caresse mes cheveux. Me masse doucement. Ce serait si bon de rester. S'il me retient, s'il me demande de rester, je ne pourrais pas résister.
Il ne le fait pas.
Il ne peut pas s'empêcher de me toucher, de se lover contre moi. C'est si bon. Il me montre une pierre qu'il a taillé avec un franc-maçon, qui lui a proposé de l'initier à cela. Il est fier de lui. C'est adorable. Je lui propose de lui rendre la pareille, et de l'initier aux calculs comptables. Il éclate de rire. Il caresse à nouveau mes cheveux, murmure « Ca fait scroutch scroutch derrière. Mais dis donc, ce n'est plus asymétrique ?! ». Je grogne que j'ai été engueuler mon coiffeur, et lui demander de récupérer sa connerie. Il rit. C'est si bon de le faire rire. Il a l'air tellement heureux. 
Je finis de m'habiller, et l'embrasse une dernière fois. 
Je sors. J'appelle l'ascenseur. Il m'observe de sa porte entrouverte. Il est toujours nu. Il allume la lumière, peut-être pour mieux me voir. Lorsque j'entre dans l'ascenseur, il m'envoie un baiser avec la main. Je n'y répond que d'un furtif sourire triste. J'ai le cœur brisé. 
Je rentre chez moi. Il est 1h du matin. Je prends une douche, pour retirer son odeur de ma peau, de mes cheveux. Malgré tout, je le sentirai sur moi toute la journée du lendemain. Et l'odeur de son sexe sur mes doigts. 
Je trouverai, quand j'aurais le courage de rallumer mon portable, un texto enflammé, où il me dira, entre autre, qu'il crevait d'envie de me retenir.

Je me demande ce que je pourrais répondre. J'ai des milliers de réponses en tête. Des milliers d'envie. Et surtout celle de le revoir. Mais pour quoi ? Et je me redis tristement « Rien n'a changé ».


J'arrête de poncer mon escalier. Je repousse le moment de m'y remettre, prétendant manquer de temps, d'énergie,.... 


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