samedi 10 août 2024

Mamie est à l'hôpital (8/8): les funérailles

 Les funérailles ont eu lieu dans l'église où j'ai fait ma communion. Peut-être même y ai-je été baptisé. Mon école primaire était juste à côté - et j'adorais aller faire du patin à roulettes (oui, on disait encore "patin à roulettes") sur le parvis de l'église, qui était super lisse et qui roulait bien mieux que les trottoirs irréguliers - mais le curé ne voulait pas, parce que ça abimait les marches, alors je me faisais chaque fois houspiller.

Le curé de mon enfance a pris sa retraite depuis longtemps - je crois même qu'il est décédé, depuis. 
Aujourd'hui, c'est un diacre qui va s'occuper de la cérémonie - un homme qui a le droit de se marier, et qui pratique les enterrements - juste les enterrements : il n'a pas le droit de faire des baptêmes ou des mariages, et du coup, ça lui pèse un peu. C'est ce qu'il nous raconte, lorsque nous allons parler de la cérémonie, des chants, et autres détails qu'il faut préparer.

Maman va lire un discours. Toutes les choses qu'elle aurait voulu dire - et qu'elle dit trop tard. Mais qu'importe, car ça lui fait du bien.
Je lirai un texte moi aussi. Un petit mélange des expressions favorites de mamie, de sa façon de parler, et de sa façon d'être. Une bonne excuse pour jurer dans une église - ça l'aurait fait tellement rire ! 

La famille est réunie pour l'occasion, ou presque. Mon petit cousin, fils de mon oncle, demande à ma mère s'il peut dormir chez elle. 
J'ai retrouvé ce petit cousin vingt ans plus tard (dès mes 18 ans, j'ai coupé les ponts avec la partie "cet oncle là"), qui me donne l'étrange impression d'être encore le petit marmot d'une dizaine d'année que je connaissais, mais avec une barbe de bucheron et des tatouages. Quand je lui dis, il rigole, en me disant qu'il a le même sentiment avec moi, sans la barbe, mais avec la moitié du corps couvert de tatouages. Lui aussi, a morflé de vivre aux côtés de mon oncle - et il continue, même s'il a pris du recul, et qu'il s'est enfui à l'autre bout de la France pour creuser la distance. J'ai coupé les ponts, mais je n'ai rien contre lui - sauf une immense compassion, car il est celui qui a été abusé et maltraité toute sa vie, bien plus que les autres - et bien plus que moi. Je ne peux qu'imaginer l'enfer qu'il a subi.
Il a littéralement appelé ma mère au secours pour dormir chez elle, et ne pas être obligé de prendre un logement au même endroit que son père, mon oncle.

Le matin, nous déposons des roses dans le cercueil : une rouge entre ses mains croisées, de la part de mon papy. 4 blanches pour les 4 enfants qu'ils ont eu ensemble. Et puis seulement deux roses pour les 8 petits enfants, car il semblerait que seul mon cousin et moi y accordons de l'importance.
L'importance de la symbolique, qui me surprend toujours par son immense réconfort, alors que ça n'a aucune logique rationnelle. 

L'être humain est un drôle d'animal.

Et puis le cercueil est clôt pour toujours. 

Elle est restée quelques jours au funérarium. Habillée avec élégance, allongée, yeux clôt, et puis un léger sourire au coin des lèvres, ses fossettes creusées, comme si elle retenait un éclat de rire.  
Je me demande pourquoi nous veillons les morts. Tradition ? Habitude ?
Nous sommes là, avec elle, et puis pour accueillir les éventuels visiteurs. 
Pourquoi vient on voir une dernière fois les personnes que l'on a connu ? Pourquoi vient on présenter ses hommages à une dépouille ? 
Je ne peux m'empêcher d'aller saluer mamie chaque fois que j'arrive, et lorsque je pars. J'espère qu'elle a pu entendre toutes les fois où je lui ai murmuré que je l'aimais, sur son lit de mort. Et que ça lui a permis de partir plus sereinement.
Je me demande si toutes ces réflexions ont vraiment un sens.

Aux funérailles, il y a beaucoup de monde. C'est le 16 ou 17 aout, il fait abominablement chaud, et toute la ville semble être partie en vacances. Il y a des personnes que papy n'avait pas vu depuis 30 ans, il y a des gens que je ne (re)connais pas, et puis les autres. 
Papy veut que je m'assoit à côté de lui, et alors que moi je pleure silencieusement, chiffonnée comme une vieille feuille de papier, il reste droit et digne - et cette image est encore plus déchirante. 
La cérémonie religieuse suit son cours. C'est long, et sans doute nécessaire. Je regarde la poussière danser dans le rayon de soleil qui tombe du vitrail sur le cercueil. Je grave cette image dans ma mémoire. Je regarde la flamme des cierges, et l'image brouillé de la réalité que l'on voit à travers la chaleur. J'observe le diacre qui prêche, et je l'envie - tout comme j'envie mon grand-père, et tous ceux qui croient : je les envie parce que leur foi est un réconfort, qu'ils n'ont pas peur de la mort, et qu'ils pensent se retrouver dans un monde meilleur après. Je n'ai pas cette foi, je n'ai pas ces croyances, moi je pense que nous ne sommes qu'un amas de cellules, un hasard dans l'univers, et qu'à la fin de notre existence, nos cellules iront nourrir d'autres cellules, pour que le monde continue d'être monde - et qu'il ne restera rien de nos existences, nos souvenirs, nos ambitions ridicules.
J'aimerais croire autre chose. J'aimerais croire que je reverrai mamie. J'aimerais être croyante.

Ma mère et moi avons lu notre texte. Ses 3 frères nous ont entourés en se tenant par la main. Je tenais la main de maman. Nous avons fait de notre mieux.
Encore ces symboliques...
Mon discours émeut mon petit cousin, qui vient me prendre dans ses bras dès la fin de la messe, en pleurant dans mon cou que j'ai saisi tout ce qui faisait qu'elle était elle. 

La messe se termine, le cercueil est emporté, chargé dans le corbillard. Nous avons décidé de ne pas le suivre jusqu'au crematorium. Nous ne sommes pas capable d'aller jusqu'à cette étape.
Je le touche une dernière fois - j'espérai que, comme lors des funérailles de mon beau-père, ça m'aiderait. Mais en réalité, rien ne se passe. Cette cérémonie ne m'a pas vraiment aidé à passer un cap dans mon deuil.

Papy et mamie habite à côté d'un café-bar. Lorsque papy a demandé aux propriétaires, un couple d'hommes qu'il connait depuis qu'il habite là, s'il était possible de faire un gouter d'après cérémonie, ils ont immédiatement accepté. D'autant plus qu'ils connaissaient mamie eux aussi, et qu'ils étaient touchés par sa disparition.
Lorsqu'on est arrivé, ils avaient disposés les tables joliment, avaient mis de la brioche et des gâteaux, et ont servi les boissons que les gens souhaitaient. Mon papy devait ensuite régler la facture - ils n'ont facturés que les boissons, et ont refusés quoi que ce soit d'autre. 
Ca a été un moment presque festif. Je suis toujours étonné de ces moments après enterrements. J'ai discuté avec plein de monde, y compris des personnes qui m'avaient connu enfant - et dont je ne me souvenais pas. 
J'ai discuté avec une très vieille femme, qui m'a raconté que mamie était comme une sœur pour elle, car elles avaient vécu ensemble pendant la guerre : les parents envoyaient les enfants dans les campagnes, pour les protéger. Aujourd'hui sa santé se maintient, mais parfois son esprit vagabonde un peu. Elle me dit que depuis sa mort, elle parle à mamie tous les jours, comme si elle était là. Qu'elle pourrait aussi parler à voix haute à son mari, décédé il y a deux-trois ans, mais que de toute façon quand il était encore là, ils s'engueulaient tout le temps, alors autant qu'elle parle plutôt à quelqu'un de plus agréable. Elle aussi, elle pouffe comme une petite fille - exactement comme mamie.
Au moment de partir, elle me dit "Ah, je n'ai pas dit au revoir à ta mamie... Oh...". Et sur son visage, j'ai vu qu'elle venait de se souvenir qu'elle ne pourrait plus jamais dire au revoir, ou quoi que ce soit d'autre à mamie. Ses larmes ont coulées, quand elle a dit "J'avais déjà oublié qu'elle n'était plus là".

Je la raccompagne, le cœur brisé.
A mon retour, je suis distraite, et moins méfiante. J'ai passé ces derniers jours à me protéger en évitant mon oncle, tout en étant persuadée qu'il ne pourrait rien se passer. Au cas où, j'avais tout de même fait jurer à mon petit frère de me garder dans son champ de vision, et de me protéger s'il voyait qu'il s'approchait de moi. Mais petit frère est plus loin, accaparé par quelqu'un qui lui tient la jambe. Ma mère est de dos, son attention retenue aussi. Et moi je vois quelqu'un qui s'approche de moi avec un grand pas, et qui me coince, entre le poêle à bois et un pilier.
Mon oncle.
Qui me sourit.
Et toutes les couleurs du monde semblent se faner.
J'ai un mouvement de recul, mais je ne peux guère m'enfuir. Il me dit "Sans rancune ?". Je le regarde, et si je comprend exactement de quoi il parle (le courrier que je lui ai envoyé), je crois que mon cerveau bug : je lui ai craché, sur 7 pages, que j'ai voulu mourir à cause de ce qu'il m'a fait subir, que je me suis scarifié pendant des années, que j'ai passé vingt de ma vie à me croire coupable... Et il me dit "sans rancune ?" à l'enterrement de sa mère ?! Quelque chose dans mon esprit n'arrive juste pas à intégrer.
J'aurai pu - j'aurai aimé - avoir mille réactions : éclater de rire, le repousser, hurler, le gifler, lui dire ce que j'en pensais droit dans les yeux, l'insulter... J'ai rejoué cette scène tellement de fois par la suite, à base de "j'aurai dû faire ça". La réalité, c'est que je me suis recroquevillée, qu'il avait posé sa main sur mon épaule, et qu'il serrait, en répétant "sans rancune ?", et que j'étais morte de peur, de façon totalement absurde et irrationnelle parce qu'il y avait plein de monde autour de nous et qu'il n'aurait suffit que de quelques secondes pour que quelqu'un me voit, comprenne, et m'aide. Mais je n'y ai juste pas pensé. Alors j'ai hoché la tête. J'ai HOCHÉ LA TETE. Il a semblé satisfait, il m'a lâché, et il s'est éloigné avec un sourire torve, en disant "Désolé, hein", et son petit "hein" sonnait comme s'il s'agissait d'une question.
Lorsque ma mère a su ce qu'il s'était passé, elle voulait aller lui casser la gueule. Pour ma part, je me suis un peu isolée après cela, mortifiée de ma réaction, mais avec le besoin d'analyser. Déjà, il était hors de question que qui que ce soit aille voir mon oncle en mon nom - c'aurait été lui accorder bien trop d'importance. Ensuite.. Rien n'allait, dans cette scène ?! Le lieu, le moment, les mots... Rien n'était à sa place, tout était atrocement déplacé !
Je me suis demandé s'il avait voulu reprendre le pouvoir sur moi. Ou juste se justifier. Je me suis demandée ce qui l'avait poussé à faire cela à l'enterrement de sa mère. 
Je n'ai jamais trouvé de réponses satisfaisantes, mais j'en suis arrivée à la conclusion que s'il avait voulu jouer une si piètre scène à l'enterrement de sa mère, ça n'engageait que lui. Que s'il espérait reprendre le contrôle sur moi, ce serait vain - j'ai grandit, j'ai construit ma vie, une vie dont je suis fière, et dans laquelle il n'a aucune place. Je suis bien entourée, et aimée. Je prend finalement comme une victoire que cet homme hargneux et mauvais se soit abaissé à me dire "désolé". Même si la forme n'était guère glorieuse, et allez savoir si le fond était sincère. Il n'est pas homme à s'excuser - peut-être l'ai-je suffisamment surpris par mon courrier pour le hanter un peu, qui sait. Mais je refuse que ce moment soit autre chose qu'une scène surréaliste et déplacée. 
Cette conclusion m'a convenue.
Je continue de me dire parfois "Ah, j'aurai dû faire autrement", mais qu'importe : ma vie reste inchangée, je ne perd rien, je reste forte, je reste moi, je garde mon précieux entourage, et tout cela ne changera pas. Sa présence n'a aucun impact sur ma vie et mon bonheur. 

Le gouter se poursuit, les gens partent au fur et à mesure. Lorsque mon oncle s'en va, il vient me faire la bise, repousse ma mère qui veut s'interposer, et m'accroche à nouveau l'épaule avec ses serres pour me contraindre. 
Je manquerai toujours de courage face à lui. 
Mais son ombre ne dirige plus ma vie, et je m'autorise à exister, et à m'aimer.
J'ai peut-être gagné quand même, finalement ?

Nous allons manger en petit comité le soir : beaucoup sont repartis, dont mon oncle. Ne restent finalement plus que notre petit noyau de ceux qui ont veillés mamie jusqu'au bout.
Nous allons manger tous ensemble - une dernière fois. 
Nous retournons à la vie normal - à dormir dans notre lit, à ne pas passer nos journées à l'hôpital. Nous avons l'impression d'y avoir passé des mois. En réalité, ça n'a duré qu'une dizaine de jours. Nous sommes à bout de forces. Et pourtant, il reste encore beaucoup à faire, entre les papiers, les affaires à débarrasser... Et notre deuil.

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Cela fait un an, quasiment jour pour jour. Par les hasards de l'existence, tout le monde est réuni à nouveau cette année : papy a voulu faire un partage des biens, et un testament en présence de tout le monde. La date où tout le monde pouvait être là en même temps est tombé le 10/08 - mamie nous avait quitté le 11...
Contrairement à la mort de mon beau-père, les liens sont restés, nous nous sommes plus rapprochés. Peut-être avons nous pris conscience de l'importance de profiter des uns et des autres tant qu'on le peut. 
Il n'est jamais trop tard, tant qu'on est en vie.

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