jeudi 8 février 2018

J'habite nulle part, j'habite partout #3


Lundi, je voyais ma psy, que je n'avais pas réussi à voir depuis la rupture. Je lui avais envoyé un mail pour avancer le rendez-vous, mais elle était en congé. Elle m'a toutefois envoyé un mail entre Noël et Nouvel An, un message assez long qui m'a fait beaucoup de bien.
Et ça lui a permis de connaitre mon histoire avant de me voir, ce qui était plus simple pour nous deux puisque, évidemment, j'ai beaucoup pleuré, et évidemment bis, en parlant de Charles-Henri, je me suis retrouvée à étouffer, et à haleter dans son cabinet en paniquant.
Mais elle a pris les choses avec un sang-froid extraordinaire, qui m'a calmé. Parfois, sans s'en rendre compte, elle "glissait" de son rôle de thérapeute en fustigeant les hommes et leurs insensibilité, ce qui me faisait glousser. Et elle a été intraitable : « Je ne vous mettrais pas sous un traitement anxiolytiques. Pour moi vous avez les ressources pour venir à bout de tout ça sans repartir sur un traitement fort ».
Ma première réaction était plutôt pincée (« Non mais dit donc radasse, je te paie soixante-dix balles pour que tu m'envoies chier et que tu ne me fasse pas d'ordonnance ?! »), mais rapidement je me suis dit que, tout de même, je l'avais très bien choisi : je voulais un médecin qui n'a pas recours systématiquement aux médocs. J'étais donc en mode Cœur-avec-les-doigts.

Lundi soir, je dormais de nouveau chez Président, et je faisais la conversation pendant des heures à son père - je l'avais déjà croisé plusieurs fois, sans plus, mais là Président m'a laissé seule avec lui, et j'ai dû me débrouiller pour trouver des sujets de conversation, ce qui était autrement plus compliqué que de le croiser aux animations de l'Asso et lancer un « Il est bon le vin hein ? », en passant.
Mais parfois, je suis étonnée de mes capacités à paraître extraverti et/ou communicante ; je crois que je fais de plus en plus facilement illusion - mais Godness que c'est fatiguant.
Et puis le père de Président de parler météo : « On n'a pas vu le soleil depuis la mort de Johnny ! »
Et moi, je traduits dans ma tête : « Je n'ai pas vu le soleil depuis la rupture. Depuis que Charles-Henri m'a quitté, le ciel est couvert, gris, il pleut, et le soleil ne perce pas ».
Je me souviens qu'il m'a quitté le jour de la mort de Johnny, parce que lorsqu'il a appelé, j'ai voulu faire une blague « Tu as une voix bizarre, tu es en deuil à cause de Johnny ? », tout en sachant bien que ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Mais sa voix m'avait alarmé, et j'avais oublié ma blague, j'ai cru qu'il y avait un truc au boulot, qu'il avait perdu un patient, quelque chose de grave... 
Et puis en fait il m'avait quitté.
Et donc depuis, le temps est à la hauteur de mon moral : absolument dégueulasse.
J'ai pris sur moi. Mais la remarque du Père de Président m'a bouleversé.

Retour au boulot le mardi matin très tôt.

Mardi et MercrediCopine#1 partait à Paris chez son mec, qui va vivre 6 mois là-bas sur un coup de tête - 6 mois qui devait plus ou moins coïncider avec les 6 mois de Charles-Henri et on se disait qu'on se soutiendrait mutuellement, vu qu'on serait dans la même situation... mais tout ça c'était "avant", et depuis je ne suis même pas capable de la soutenir, et je ne sais même pas comment elle se porte, ni comment elle vit les choses.
Et j'ai l'impression parfois que notre amitié est à sens unique : elle m'a beaucoup aidé, elle m'a ramassé à la cuillère un nombre incalculable de fois, et je ne pourrais jamais lui rendre ne serait-ce que la moitié de ce qu'elle a fait pour moi même si on reste amie le reste de nos vies.

Bref, et donc malgré la légère amélioration de mon logement, j'étais terrorisée à l'idée d'y habiter. Une partie de moi était excitée, mais la peur l'emportait. Je me suis demandée pourquoi :
Était-ce parce que je n'avais finalement que très peu vécu seule depuis la rupture, et que je ne me sentais pas prête ?
Était-ce la peur d'être seule ? (Mais pourtant je passais certains soirs seule chez ceux qui me logeaient... ?)
Était-ce la peur d'être chez moi, ce chez moi qui appartenait à "Avant la rupture", moi qui ne suis plus celle que j'étais à ce moment là ?
Ou était-ce juste cette peur de reprendre ma vie en main, symbolisé par le fait d'habiter chez moi, d'habiter ma maison, de me réinvestir, en moi,dans ma tête, mon corps, mon cœur et ma maison ? La peur de ne pas être prête à retrouver celle que je suis ?

Toujours est-il que j'ai lachement profité de l'absence de Copine#1 pour continuer à aller dormir chez elle, non sans une légère culpabilité et l'impression d'être nulle.
Je n'osais même pas lui avouer, et finalement je lui ai expliqué (parce que de toute façon c'est hors de question de mentir à Copine#1), et elle a été hyper compréhensive (évidemment). Elle qui justement, me disait quelques jours avant : « Tu as l'air d'aller mieux. Tu ne te sens peut-être pas mieux, mais je t'assure qu'il y a une avancée. Parce qu'il y a quelques semaines, dès que j'arrêtais de te parler, ça se voyait que tu repartais en toi-même, que tu y repensais, tout le temps, et tu n'étais plus là, plus avec moi, dès le moindre petit silence. Et vraiment... Bordel ça me foutait en l'air. Ça me foutait en l'air de te voir comme ça. Vraiment »

Jeudi, Copine#1 est rentré, et j'ai dormi pour la première fois chez moi, non sans appréhension.
Elle m'a envoyé un message : « Bonne première nuit ! Si jamais ça ne va pas, j'ai retiré les clefs de la serrure, tu peux débarquer chez moi à n'importe quelle heure. N'hésites pas ! »
Du coup ça m'a rassurée (je suis parfois si facile comme fille, il suffit juste de me rassurer), et j'ai passé la nuit entière chez moi, en dormant plutôt bien (même si je dormais à même le sol, dans une pièce sans chauffage). 

Vendredi, je retournais chez Président. Il avait proposé une soirée "ciné" dans sa super salle ciné personnelle, et je m'étais dit que c'était un soir de moins à être seule.
En arrivant, je tombe nez à nez avec Teddy - je ne savais pas qu'il devait venir. Je lui souhaite une bonne année, mais je sens une boule d'angoisse monter en moi. Oh non. Teddy, c'est un pote à Charles-Henri. Teddy sait vaguement l'histoire, Teddy fait partie de l'Asso, je ne sais pas quoi dire à Teddy. Il me presse amicalement l'épaule, mais je vais m'isoler un petit moment, en essayant de contrôler ma respiration. Mon cœur bat trop vite, et je suis terrorisé.
Et puis Teddy vient s'asseoir à côté de moi, et je commence à paniquer. Il me demande comment je vais vraiment, et je baratine un peu. Tout en avouant à mi-mot que ce n'est pas la grande forme. Je me sens minable. Au point où on en est, je lui demande comment il va vraiment. Il rit « Moi ça va, j'ai un soutiens pharmaceutique ». Et il se lève, me tapote le genou dans un geste réconfortant absolument cliché, mais avec un naturel désarmant. C'est décalé et assez drôle, et ça m'aide à faire retomber mon angoisse.
Je me dis que, moi qui n'ai jamais réussi à communiquer avec lui, il faut qu'on soit tout les deux au fond du seau pour réussir à se parler de façon décomplexé.
Mais tout de même, le voir m'a secoué.
Il part peu après, me laissant avec Président, son copain, et une amie de Président qui éprouve des phobies sociales. Moi qui me sens déjà comme une merde, c'est difficile à gérer.
Surtout quand Président, qui s'est soudain senti très mal, est parti pour aller vomir tripes et boyaux - non sans lancer un vinyle juste avant, par snobisme : il ne voulait pas qu'on l'entende.

Le lendemain matin, en repartant au boulot, j'ai pleuré dans ma voiture. Désespérée, je me suis demandée combien de fois j'avais pleuré au volant d'une voiture, je me suis demandée jusqu'à quand je pourrais supporter que la vie est un éternel recommencement, mais surtout un éternel recommencement des mêmes emmerdes, des mêmes histoires, des mêmes blessures. Je me suis demandée si ça ne serait pas plus simple de flanquer un bon grand coup de volant vers la droite, et que tout ça se termine une bonne fois pour toute. Que je n'ai plus à me sentir inférieur, minable, impossible à aimer, monstrueuse. Que plus aucun Charles-Henri ne puisse me faire du mal. Plus jamais.
J'y ai pensé pendant toute l'heure que durait mon trajet.
C'est très long, une heure, à peser le pour et le contre.
Et puis je suis arrivée au boulot. Et il a fallut prendre sur soi, faire semblant, avoir la bonne attitude, Mon Dieu que c'est épuisant, et j'étais déjà tellement fatiguée.
Mais finalement, j'avais choisi de continuer, alors je ne pouvais rien dire.

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