lundi 10 août 2020

La discussion avec ma mère (2/2)

J'avais écrit une lettre à mon oncle, après la discussion avec ma mère.
Puis une autre.
Puis une autre.
Aucune ne me satisfaisait. Aucune ne m'apportait soulagement, ni paix intérieur.


J'ai laissé ça de côté.

Avec le confinement, j'ai cru pouvoir reprendre ces lettres, et trouver comment m'exprimer, comment dire efficacement ce que j'avais encore sur le cœur.

Et... Non, toujours pas.

J'en suis arrivé à douter : et si l'écrit n'était pas la solution de cette histoire ? Si la sortie passait par un autre biais ? … Si ça ne passait pas par la confrontation ?

J'ai à nouveau laissé cette épreuve de côté.

Et puis ma mère est venue passer quelques jours chez moi après le confinement. Elle m'a redemandé :
- Tu lui as écrit une lettre ?
- Non, je n'y arrive pas...
- Tu sais que tu ne risques rien, n'est ce pas ?
- Oui…. Non, en fait non, je ne suis pas sure. Mais au delà de ça, c'est surtout que je ne trouve pas la manière de faire.
- Est-ce que tes premiers essais t'ont apportés un soulagement ?
- Non
Elle fronce les sourcils, et acquiesce.
Soudain une idée me vient :
- Tu veux lire ce que j'ai écrit ? On pourrait travailler dessus ensemble...

Elle accepte.
Moment pénible pour nous deux, où elle prend connaissance, sans fards, de ce que j'ai vécu, ressentie, et ressens encore.
Elle cherche frénétiquement des mouchoirs.
Elle pleure.
Puis me parle d'une voix très altérée. Pour me dire qu'en effet, ce n'est pas assez incisif.
Qu'elle va y réfléchir.

Deux jours plus tard, elle me laisse un message alarmant : "Rappelle moi dès que tu as ce message. Ce n'est rien de grave… Mais c'est très important. Ça pourrait… T'aider".
Je la rappelle.
- Ton oncle est probablement en train de préparer une connerie.
- Une connerie comme quoi ?
- Comme un suicide.
Ça me laisse sans voix.
J'apprends qu'il appelle un à un chaque membre de la famille et discute longuement avec, pour "apaiser sa conscience". Qu'il est en train de donner toutes ses possessions. Qu'il s'excuse.
Ses enfants s'inquiètent assez pour avoir prévenu mes grands parents, qui ont appelé ma mère, lui demandant : « Et toi, il t'a appelé ? ». Il prévoyait apparemment de le faire.
Ma mère a lu quelques passages de ma lettre à mes grand-parents, disant que je prévoyais, peut-être, d'envoyer le courrier. « Ça risque de précipiter sa décision », a dit mon grand-père.
En d'autres termes, je prends le risque de "tuer" mon oncle.
Ma mère a répondu qu'elle n'en avait rien à foutre.
Moi.... je ne suis pas aussi catégorique.
Sans parler de culpabilité, c'est une énorme responsabilité.

Je m'interroge.

Est-ce que c'est ma dernière chance pour lui faire savoir ce qu'il m'a fait vivre ? Est-ce que ça a un sens, de le faire ? Est ce que la vraie solution, celle qui me correspond, ne passe pas plutôt par le dépassement, par une forme de pardon salvateur ? Pourtant une partie de moi se révolte : il est en train de "libérer sa conscience" auprès de tout le monde, mais il ne pensera jamais à moi. Je peux vraiment le laisser ignorer ce qu'il m'a fait subir ?! Il semblerait qu'il soit actuellement à l'heure de faire les comptes. Peut-être qu'il faut les ajuster...

En même temps, la nouvelle est énorme : lui, le monstre, le dragon bouffi de colère et d'orgueil, soudain misérable et quémandant le pardon… Je n'aurais jamais cru voir une chose pareil. Jamais. Soudain la citadelle vacille, léchée par les vagues du temps qui passe. La chute de la maison Usher. Je réalise que rien, vraiment rien n'est immuable. C'est vertigineux. Même le bourreau de mon enfance apprend (enfin) l'humilité, au seuil de sa vie.
J'en ressens presque de la sympathie.
Presque une forme de revanche.
Ou alors la citadelle n'a-t-elle toujours été qu'un château en ruine ?
Savoir qu'il y a des failles dans l'immensité de cet individu qui a été mon pire cauchemars et ma plus grande terreur, le rend soudain… humain. Moins terrifiant. Pathétique.
Soudain c'est comme si l'ombre qui planait encore sur moi laisse passer un rayon de soleil - surement dans une fissure de cet édifice en train de s'effondrer - et je me vois : je me vois adulte, forte, en pleine santé. Je suis sur une plage, paralysée depuis deux décennies dans l'ombre de cet édifice énorme, froid et noir, qui me cache la lumière. Et soudain, un rayon de soleil vient m'éclairer. Je me vois, bienveillante, respectueuse. Jamais je ne pourrais agir comme lui. J'ai la vie devant moi, je suis déterminée à la rendre agréable pour moi et pour les autres. J'ai toujours donné de l'amour. Je cherche continuellement à m'améliorer. A semer des graines de bonheur. A être l'antithèse de cet odieux personnage. Ne suis-je pas plus grande que ce qu'il m'a convaincu que j'étais ? Pas plus grande que ce qu'il est ? 
N'est-ce pas ça, le plus important ?

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